Fumiko HAYASHI,
Vagabonde, traduction et présentation René de Ceccatty, éd. Vendémiaire, 2022, 180 p.

Je suis une vagabonde prédestinée. Je n'ai pas de village natal.

Quand elle écrit Vagabonde, Fumiko Hayashi est âgée d'à peine 25 ans. Le succès phénoménal de ce journal romancé, qui fait l'objet d'un véritable culte dès l'année de sa parution, la rend instantanément célèbre. Femme libre dans le Japon des années 1920, elle raconte sans fard son quotidien de misère et d'errance.
Issue d'une famille pauvre de marchands ambulants, partie très jeune tenter sa chance seule à Tôkyô, elle est tour à tour vendeuse de rue, ouvrière dans une fabrique de jouets, serveuse, entraîneuse. Elle publie en revue ses premières nouvelles et ses premiers poèmes, tout en côtoyant ce qu'elle appelle le "monde de la nuit" : la faune des bars, les prostituées, les peintres, les anarchistes...
Dans un style imagé aux fulgurances poétiques, elle propose le tableau d'une génération et décrit, à travers un autoportrait saisissant, l'entrée du Japon dans la modernité.
Cette première publication d'une écrivaine majeure n'avait jamais encore été traduite en langue française.

Fumiko Hayaishi fut sans doute l'une des romancières japonaises les plus populaires de la première moitié du XXe siècle. Elle a notamment écrit Les yeux bruns (Rocher, 2007) et Nuages flottants (Rocher, 2005 ; Picquier, 2012). La plupart de ses œuvres ont été adaptées au cinéma par le grand réalisateur Mikio Naruse
.

LES 2 AUTRES LIVRES DE Fumiko HAYASHI
TRADUITS EN FRANÇAIS



Les yeux bruns, trad. du japonais Corinne Atlan, éd. du Rocher, 2007, 296 p.

Quatrième de couverture
 : Couple sans enfants, Jûichi et Mineko Nakagawa sont mariés depuis quatorze ans. Mais, au lendemain de la guerre, ils se débattent dans les difficultés de la vie quotidienne. Lui n'est qu'un employé subalterne dans son entreprise et le couple est contraint de prendre des locataires. À la routine et au poids des ans s'ajoutent les récriminations de Mineko et la lassitude de Jûichi, qui finissent par creuser un fossé d'indifférence dans leur relation. Jûichi s'éprend alors d'une collègue de bureau, jeune veuve qui incarne à ses yeux le raffinement et la promesse d'une vie nouvelle... Dans Les Yeux bruns (1948), écrit peu avant Nuages flottants ("Série japonaise", 2005), on retrouve toute l'acuité et la lucidité dans l'observation des aléas du cœur qui font la force de l'œuvre d'Hayashi Fumiko. Écrivain féminin majeur de la littérature japonaise du XXe siècle, elle a su comme personne disséquer la vérité du sentiment amoureux.

Fille de marchands ambulants, Hayashi Fumiko (1903-1951) passe sa jeunesse sur les routes du Japon. À l'âge de dix-huit ans, elle se rend à Tôkyô où elle se lie avec les milieux artistiques de la capitale. Le succès de son premier livre, Chronique de mon vagabondage (1930), racontant l'histoire de sa vie, la propulse au premier rang de la littérature féminine japonaise. Elle ne cessera plus d'écrire jusqu'à sa mort, signant plusieurs chefs-d'œuvre comme L'Éclair (1937), Le Chrysanthème tardif (1948) et Nuages flottants (1950). Nombre de ses œuvres seront adaptées au cinéma, notamment par le réalisateur Naruse Mikio qui, outre Nuages flottants et Le Repas, transposera ce roman sous le titre L'Épouse en 1953.


Nuages flottants
, trad. du japonais Corinne Atlan, éd. du Rocher, 2005, 417 p.

Quatrième de couverture : 1945. Yukiko rentre à Tokyo, dans un japon dévasté, après plusieurs années passées en Indochine, comme secrétaire pour le ministère des Forêts. Elle espère y refaire sa vie avec Tomioka, employé du ministère avec qui elle a vécu une passion torride. Mais Tomioka, qui a retrouvé sa femme et ses enfants, n'est plus le même homme : malgré ses promesses, il n'a rien à offrir à Yukiko qu'une relation épisodique où la nostalgie a remplacé la passion d'autrefois... Ce superbe roman psychologique, qui dissèque avec lucidité et sensibilité la dissolution d'une passion amoureuse et le combat d'une femme pour survivre, face à l'égoïsme et à la lâcheté des hommes, est un texte majeur de la littérature féminine japonaise du XXe siècle.

Fille de marchands ambulants, Hayashi Fumiko (1903-1951) passe sa jeunesse sur les routes du Japon. À l'âge de dix-huit ans, elle se rend à Tokyo où elle se lie avec les milieux artistiques de la capitale ; elle exerce divers petits métiers pour vivre, tout en multipliant les liaisons malheureuses. Son premier livre, Horoki (Chronique de mon vagabondage, 1930), racontant l'histoire de sa vie, est un succès immédiat qui la propulse au premier rang de la littérature féminine japonaise. Elle ne cessera plus d'écrire jusqu'à sa mort, signant plusieurs chefs-d'œuvre comme Inazuma (L'Éclair, 1937), Bangiku (Le Chrysanthème tardif, 1948) et le célèbre Ukigumo (Nuages flottants, 1950). Nombre de ses œuvres seront adaptées au cinéma, notamment par le réalisateur Naruse Mikio qui transposera pas moins de six de ses livres et fera de Nuages flottants (1955) un classique inoubliable du cinéma japonais.


Nuages flottants, rééd. Picquier poche, 2012, 487 p.


Quatrième de couverture : Au lendemain de la guerre, dans un Japon en ruines, un homme et une femme se
retrouvent. Ils se sont aimés au Vietnam et leurs retrouvailles ont soudain le goût amer d'un bonheur fané.
Dans la confusion de la défaite, ils vont s'enivrer des souvenirs d'une passion qui perd peu à peu sa couleur et son goût. Tokyo sous la pluie, des questions sans réponses : le désir amoureux de Yukiko, maintenant désabusée, se heurte bientôt à la comédie des faux-semblants et à un homme mélancolique et veule. Il ne sait pas la quitter, elle ne sait pas l'oublier.
Ce superbe portrait de femme est un roman majeur de la littérature féminine japonaise du XXe siècle.

Hayashi Fumiko (1903-1951) est la fille de marchands ambulants. Elle travaille comme ouvrière, employée de bureau, serveuse et mène une jeunesse déréglée qu'elle raconte dans Chroniques de mon vagabondage. Ses romans, comme L'Eclair, Le Chrysanthème tardif et le célèbre Nuages flottants font rapidement d'elle un écrivain très populaire au Japon et seront adaptés au cinéma par le grand réalisateur Naruse Mikio.


DEUX NOUVELLES


"La Ville", nouvelle traduite par Fusako Saito-Hallé

Les Ailes La Grenade Les Cheveux blancs et douze autres récits (1945-1960), éd. Picquier, 1986
Rééd. Picquier poche, 1991

Rééd. Anthologie de nouvelles japonaises : TOME II - 1945-1955 - Les Ailes La Grenade Les Cheveux blancs, Picquier poche, 1998


"Le Chrysanthème tardif", nouvelle traduite par Anne Sakai
Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines
, TOME II, Gallimard, 1989

Fumiko HAYASHI (1903-1951)
Vagabonde (1930, traduit du japonais en français en 2022)

Nous avons lu ce livre pour le 20 janvier 2023.
Séance en présence du traducteur René de Ceccatty.

Le nouveau groupe parisien l'a lu pour le 27 janvier.

Voir documentation en bas de page en deux parties :

I. AUTOUR DU LIVRE Vagabonde
Quelques repères
 géographiques et historiques
Les traductions françaises d'Hayashi
• Des commentaires
de ses œuvres

La formation de Fumiko Hayashi

Hayashi adaptée au théâtre, cinéma et TV
Des photos
Ses amours
Ses voyages
• Auteurs japonais rapprochés de Hayashi
• 
Nos lectures japonaises précédentes

II. RENÉ DE CECCATTY
Notre invité :
traducteur, éditeur, auteur
Quelques repères biographiques
Traductions
Romans, récits
Théâtre

Jeunesse

Biographies, essais

René de Ceccatty éditeur

A la suite d'une présentation du livre par René de Ceccatty à la librairie Le Phénix, Claire lui a demandé s'il accepterait d'intervenir dans notre club de lecture...

Claire (pour ouvrir la soirée)
Merci d'avoir accepté de venir dans notre groupe et de rencontrer des inconnus.
Merci d'accepter de nous entendre réagir à la lecture de Vagabonde et de répondre à nos questions.
Parmi nous, il y a des lecteurs variés, sauf sur un point (faible) : peu d'hommes hélas…

René de Ceccatty
C'est conforme au lectorat de romans, surtout féminin...

Claire
Pour certains d'entre nous, peut-être plus âgés, votre nom est familier pour vous avoir lu de nombreuses années dans Le Monde des livres..., pour avoir vu vos pièces..., pour d'autres, votre traduction est la première rencontre.
Certains, ici, quand ils découvrent un livre, aiment à lire autour, apprendre plein de choses pour l'éclairer ; pour d'autres c'est le-texte-rien-que-le-texte, la 4e de couv surtout pas, et la préface peut-être… après...
Nous allons donc faire un tour de piste (plus rapide que d'habitude), chacun exprimant quelques impressions dominantes à la lecture du livre et éventuellement une question. Et pour commencer...

Etienne (avis transmis depuis Rennes)
Quelques mots sur Vagabonde que je viens de finir : j
e trouve que c'est époustouflant, c'est totalement Beat Generation avant l'heure.
Ça se lit comme un poème évidemment, toujours sur le fil avec ce sentiment à la fois très cru, terre à terre, mais paradoxalement très onirique et extrêmement puissant.
Dans ma carte mentale, je l'ai associée à Kerouac forcément, mais j'ai finalement aussi beaucoup pensé à Raymond Carver (et donc Tchekhov).
J'attends le compte rendu avec impatience ! J'ai beaucoup aimé.

Alternent maintenant nos interventions...
et de la part de René de Ceccatty des réponses aux questions et des commentaires


(pris en note en détail par Margot)

Annick L
Une lecture déroutante. On a du mal à situer le genre de ce texte, un récit à la première personne, un journal très brut (presque sur le mode oral) qui relate les faits et les impressions de la narratrice, entrecoupé de digressions poétiques. Le récit lui-même est décousu, sans repères chronologiques (passé/présent de narration), avec des changements de lieux incessants et une multitude de rencontres avec des personnages juste évoqués par un prénom, voire pas nommés pour ce qui est de ses amants passagers.
Seules des figures attachantes de jeunes filles ou de femmes émergent, dont le portrait est plus précisément esquissé. Par contre, l'évocation des lieux est très précise et permet de se trouver des points d'ancrage. De même pour tout ce qui touche à la nourriture, véritable quête obsessionnelle pour cette jeune fille pauvre. S'ajoute à cela, en ce qui me concerne, ma méconnaissance de la culture et des traditions japonaises (merci pour les notes).
Qu'est-ce que j'en retiens ?
La figure d'une femme singulière, détachée de toutes les conventions qui pesaient sur la société japonaise à cette époque, assumant sa sexualité, son besoin d'assouvir ses désirs, face à des hommes qui sont dépeints comme lâches, égocentriques, voire comme des prédateurs.
Une femme qui veut absolument assurer son indépendance, quitte à prendre tout ce qui se présente comme emplois, nounou-bonne à tout faire, ouvrière, secrétaire, entraîneuse dans des bars.
Une femme cynique mais pensant toujours à aider ses parents. Dotée d'une force de vie incroyable et pourtant profondément mal dans sa peau, voire désespérée (elle songe au suicide). Fréquentant, avec la même aisance et sans hiérarchie apparente, les milieux populaires - pour lesquels elle éprouve beaucoup d'empathie - et les cercles intellectuels, littéraires.
Mais surtout une écrivaine novatrice et remarquable : j'ai lu Nuages flottants qui se présente sous une forme romanesque plus conventionnelle et qui dresse un portrait cruel mais sensible d'un couple d'amants désunis.
Il m'en reste une interrogation sur le côté très pessimiste, voire pervers, de toutes ces relations amoureuses, d'autant que ce roman commence par le récit elliptique d'une série de viols. Et je m'interroge sur la posture de ces personnages féminins plus ou moins inspirés de l'auteure : entre liberté sexuelle et dépendance vis-à vis des hommes…
Merci pour cette découverte marquante !

Question : Existe-t-il une relation entre la nouvelle édition de ce livre et l'ancienne ? Est-ce le texte intégral de son journal que vous avez traduit là ?

René de Ceccatty
Il n'existe pas de première édition. J'ai traduit la première partie dont le titre original est "Chronique d'errance", parue sous forme de feuilleton dans une revue en 1929. La publication a été réalisée peu après. Elle tient le défi de faire un autoportrait sans donner plus d'éléments qu'elle ne ferait dans un véritable. Par exemple, les peintres, les écrivains, les acteurs rencontrés, sont seulement désignés.
Si le genre est déconcertant pour un Français, il ne l'est pas pour un Japonais. Initié au XIe siècle par les femmes aristocrates de la cour impériale, il s'y mêle poésie et chronique au jour le jour, au présent et récit parfois au passé, dans une tonalité parfois romanesque et parfois prosaïque. Ce sont Notes de chevet de Sei Shônagon qui sont la référence maîtresse de la littérature japonaise, de l'époque de Heian, au XIe siècle. J'avais lu avec beaucoup d'enthousiasme Nuages flottants, plus romanesque, écrit à la fin de sa vie, inachevé car elle est morte alors qu'elle l'écrivait. Ce roman comporte de nombreux événements, rencontres avec des hommes, voire viols que l'on retrouve dans Vagabonde, mais moins explicites.
J'aime son rapport poétique à la littérature. Je me méfie du roman très construit et fabriqué. Je voulais traduire cette auteure depuis longtemps. Et il faut bien être conscient que cette femme a eu une énorme influence sur la littérature japonaise, notamment les femmes. Yûko Tsushima, morte il y a une dizaine d'années, qui était la fille de Osamu Dazai (un des écrivains japonais les plus célèbres du XXe siècle), admirait Fumiko Hayashi et a elle aussi écrit une chronique.

Margot (qui fait partie du "nouveau groupe" qui se réunit la semaine suivante autour de Vagabonde et qui profite de la présence de René de Ceccatty, afin d'en retransmettre les éclairages à son groupe)
Merci pour cette très belle découverte.
Je lis beaucoup de littérature japonaise et j'ai aimé être déconcertée par cette littérature qui n'est pas construite comme la littérature occidentale.
Il y a toujours un moment où le sol se dérobe et où on est perdu.
J'ai aimé le temps qui file à travers la géographie et la misère. Il est également suspendu par la poésie, et j'ai pensé à Hokusai ou Hiroshige qui illustrent certaines éditions de poèmes japonais.
C'est une errance dans un Japon de misère qui est angoissante.
La nourriture a une place très vivante.
J'ai aimé cette écriture en mosaïque et le fait qu'il n'y ait pas vraiment de début ni de fin.

Question : L
e japonais et le français sont deux langues très différentes. Dans votre travail de traduction, qu'est-ce qui vous a semblé le plus difficile et le plus joyeux ?

René de Ceccatty
En japonais il n'y a pas de conjugaison, pas de "je", pas de "tu", pas de pronoms personnels. Ils existent mais ne figurent pas dans les dialogues. On comprend qui parle grâce au contexte. On n'utilise très peu les pronoms personnels et très peu les temps verbaux : un peu de passé, de présent, une certaine manière de faire comprendre le conditionnel. Aussi le passage du présent au passé est-il très souple. De même, on utilise le style indirect libre sans avoir besoin de guillemets, sans précaution particulière. C'est là un très grand plaisir.
Pour la poésie, c'est très difficile en revanche. Le japonais utilise certains signes chinois pour leur beauté alors que nous, en Occident, n'en voyons que le sens. L'écriture idéogrammatique est compliquée car le signe est utilisé pour la plénitude du sens, parfois métaphorique. Par exemple, le japonais dira "des années bleues" pour désigner un jeune homme : le bleu est le sens du signe et une métaphore ; pour traduire en poésie, on pourra insister sur le signe ou sur la métaphore. Quand on traduit, il faut savoir décider à quel niveau on se situe par rapport aux mots. Mon ami m'a fortement incité à me détacher du signe, car sinon on tombe dans le maniérisme, qui n'existe pas en japonais où on oublie l'origine du terme. Hayashi alterne poésie et prose dans Vagabonde ; elle reprend certains idéogrammes des poèmes dans leur sens étymologique et alors l'idéogramme prend toute sa force. Le japonais aurait été ma langue de choix si j'avais pu choisir. Mais lorsque je traduis, je réécris d'abord le texte en japonais pour bien regarder la structure de la phrase et la restituer le mieux possible.
Ce qui est très particulier dans cette langue - dite agglutinante - c'est que la phrase se déroule en ordre inverse de la nôtre. Les informations sont données dans l'ordre contraire. Ce qui qualifie l'événement ou le personnage ou la situation arrive avant l'objet qualifié, surtout dans les dialogues !
J'ai d'abord traduit du japonais pendant 30 ans avec un ami japonais, qui maintenant est retourné à Tokyo enseigner la littérature. Il est difficile de traduire seul. Et seul, j'ai entrepris la traduction de Soseki, Petit maître. Avec Hayashi et sa manière d'avancer dans le récit, je me suis senti en terrain familier. J'écris moi aussi. Sa synaxe n'est pas complexe comme celle de Mishima ou Tanizaki par exemple. Au début d'ailleurs, on dirait un livre pour enfant qui se complexifie au fil des pages, et puis elle est également très affective, très concrète et très crue dans sa manière d'écrire. Comme vous l'avez remarqué, il y a dans son écriture une énorme influence de Tchekhov, très présent dans le livre.
Souvent elle me fait penser à Jean Rhys, romancière anglaise des îles de la Dominique. Elles ont beaucoup de points communs - elles ont vécu toutes les deux à Paris - alors qu'elles viennent d'horizons très distincts. Pourtant, elles écrivent toutes deux une littérature très proche. Je suis très attentif aux rencontres culturelles d'auteurs si différents, aux origines si diverses et avec autant de points communs.

Christelle

J'ai été très déroutée au départ, avant de me laisser embarquer.
J'ai été déroutée à cause de mon manque de repères culturels, géographiques, mais surtout par l'écriture elliptique et le manque de suivi dans la narration, présents surtout dans la première moitié.
Je me suis interrogée à ce moment sur le lien entre sa déprime et son style d'écriture. Je me suis ensuite aperçue que tout dans son écriture est poésie et je me suis laissée emporter par ce que cette femme voulait bien nous laisser comprendre de sa vie et de sa condition.
Le personnage est attachant par son hypersensibilité, sa capacité de souvent passer des larmes à une sensation de bonheur (parfois dans la même phrase), sa manière de vivre intensément et bien sûr sa ténacité.

Question : Votre goût pour la traduction de la poésie relève-t-il d'un défi lié à la difficulté de l'exercice ?

René de Ceccatty
J'ai eu à traduire certains textes pour vivre et c'est alors que j'ai le plus souffert. Des bestsellers américains, tellement mal écrits, essentiellement par stéréotypes. Là il n'y a ni voix d'auteur, ni voix de personnages, seul un chaos de pensées. Alors que quand il y a une mosaïque d'écritures, la présence de l'écrivain est tellement forte que vous vous y retrouvez. Lorsque je n'ai plus pu traduire en compagnie de mon ami japonais, j'ai ressenti un très grand manque. Et j'ai choisi alors un texte en italien : La Divine Comédie de Dante. Je l'ai choisi précisément pour retrouver la force de l'auteur, de la langue, du mot, qui fonde le travail du traducteur et qui donne le sentiment d'atteindre le réel. Cette force des voix, qu'on appelle le style, fait que la littérature atteint le réel. Cette force est présente chez Hayashi. La langue n'est pas un instrument. La langue est une fin en soi. Alors que pour un narrateur, un écrivain plus ordinaire - prenons Haruki Murakami par exemple - eh bien il pourrait tout aussi bien écrire ses romans en anglais. Ils sont écrits en japonais, bien sûr, et pourtant son japonais ressemble à une traduction de l'anglais. En revanche, avec Kenzaburô Ôé ou Kôbô Abe, on entre dans une langue qui est une fin en soi.
Dans la vie quotidienne, je parle mal le japonais ; je ne suis pas tenté d'utiliser cette langue comme un instrument prosaïque.

Nathalie
J'ai été surprise, car au début de ma lecture j'avais l'impression d'être moi-même dans un train, avec des fenêtres qui s'ouvraient sur différentes vues. C'était très agréable et comme je suis de nature rêveuse, chaque espace entrouvert m'a permis de "partir". Du coup, je ne ressentais pas la nécessité d'un récit linéaire. J'ai très vite réalisé également que le train était présent tout au long du récit. Comme vous, j'ai ressenti de façon
très forte les différentes obsessions de la narratrice. L'obsession de la nourriture est si forte qu'elle en arrive même à apprécier les "restes" qui vont se glisser dans une carie ! (sic)
J'ai aimé les non-dits, tout ce qu'elle ne dit pas de sa vie dans le texte, par exemple pourquoi elle change de travail, si c'est elle qui le décide parce qu'elle a un très fort caractère ou si c'est parce qu'on la remercie, je me suis interrogée sur la façon dont elle contrôle ou pas les naissances. J'ai eu du mal à identifier avec qui elle couchait... si elle couchait vraiment ou pas.
Cette écriture est propice au rêve. Je lisais, m'arrêtais, me mettait à rêvasser. J'ai aimé les nombreux aphorismes qui jalonnent le texte.
J'ai aimé les associations très "romantiques XIXe siècle" entre l'état émotionnel de la jeune femme et l'univers qui l'entoure. Par exemple, j'ai vu une sorte de portée symbolique dans la traversée d'un pont, tout d'abord dans un sens dans un état de profond désespoir, puis un peu plus tard dans l'autre sens et dans la joie. J'ai pensé aussi que le kimono, la coiffure, semblaient avoir un rôle très important dans le jeu des masques et dans ce qu'elle avait envie d'être. Il y a quelque chose de la tragédie dans ce récit. Elle-même évoque une "illusion d'optique" (p. 42) à travers laquelle le monde semble être vu.
Je me suis aussi demandé quelque chose à propos d'un passage très précis au cours duquel elle cite Tchekhov (p. 35) et qui m'a immédiatement fait penser à une des nouvelles de cet auteur que j'aime beaucoup - pouvait-elle la connaître et donc faire un clin d'œil ?

René de Ceccatty
Tout à fait, elle a beaucoup lu, notamment les auteurs russes ; elle était très cultivée.

Nathalie
Je me suis posé la question de la frustration à traduire des poèmes. En effet, je m'interroge sur l'intérêt et la difficulté pour le traducteur de traduire les textes poétiques. Il me semble qu'ils perdent souvent leur relief.
J'ai été amusée par la mise en abyme de la traduction quand le traducteur reprend lui-même les erreurs que la narratrice commet lors de certaines traductions en les signalant.

René de Ceccatty
Concernant Léda et le cygne, elle connaissait mal l'histoire. J'ai corrigé.

Nathalie
J'ai aimé les touches d'humour, comme par exemple quand elle considère que le fait de coucher a
vec un homme permet à ce dernier "de faire émincer à autrui son oignon" p. 66.

Question : Quel rapport avait-elle avec la religion ?

René de Ceccatty
Pour ce qui est de la religion, le Japon entretient une relation qui n'est plus que rituelle avec le shintoïsme, comme les catholiques en France : aux moments de la naissance, du mariage, du décès. Mais il existe des superstitions très fortes au Japon. Par exemple, tous les étudiants vont au sanctuaire avant leurs examens. Mais Hayashi n'est pas une mystique ; elle est une femme cosmopolite, qui a voyagé en Europe, en France, en Italie. Elle entretient un rapport distancié avec la croyance et elle est également sensible à une influence soviétique très puissante, ce qui renforce encore la distance avec la croyance. Ce qui par ailleurs, et vous avez raison, ne la prive pas d'avoir de l'humour, notamment lorsqu'elle émince un oignon pour un homme en échange d'un loyer payé !

Jacqueline
La préface, lue d'abord, contrairement à mon habitude, avait su éveiller ma curiosité : je l'ai tro
uvée remarquable, très riche pour présenter Hayashi (j'y ai, aussi, découvert Jean Rhys que je ne connais pas). Ensuite, au fil de ma lecture, j'en ai apprécié la justesse et la sensibilité.
Par contre, c'est un livre qui m'a demandé une attention soutenue à cause de la forme composite du journal et aussi de ce que j'aurais aimé plus explicite. Je ne l'ai pas encore tout à fait fini : j'ai préféré prendre plus de temps pour l'apprécier, revenir à la préface, plutôt que de terminer, vite, avant ce soir.
Au début de ma lecture, je pensais aux écrits de Simone Weil, sur la condition ouvrière (elle était un peu contemporaine de Hayashi). Ils disaient l'épuisement au travail et de l'abrutissement que cette fatigue entraîne. Je pensais aussi à Ponthus et à cette forme particulière, qu'il a su trouver dans À la ligne pour traduire ce harassement : une forme nouvelle, mais non moins extraordinaire que celle de ce "journal", morcelé en fragments divers, répétés, entrecoupés de poèmes.
J'ai aimé les notes, qui situent un endroit, un nom, sans enlever le mystère qui est déjà celui du texte. Celui-ci permet de suivre les sentiments de la narratrice (voués à la répétition comme souvent les sentiments), mais laisse dans le vague autant les protagonistes que ce qu'ils vivent. Les notes éclairent. Elles me laissent cependant sur la même faim de comprendre que le texte où il y a sûrement une part culturelle, mais pas que…
Quant aux poèmes, comme la préface, j'ai dû y revenir de manière plus attentive qu'à une première lecture cursive. Je me suis alors aperçue que l'un d'entre eux au moins était une citation et ne suis plus sûre que tous les autres soient de Hayashi comme je l'avais cru. D'une manière générale, il me semble que la poésie est faite pour l'oreille et que la traduire pour un lecteur qui ignore tout de la langue d'origine est une gageure, pour ne pas dire impossible…
Dans le début du poème sur les cerisiers dont les images me parlent, p. 48 :

Sur la branche du cerisier qui s'étend jusqu'au ciel
Prenant une imperceptible couleur de sang
Tiens du bout de la branche pend un fil indigo
Loterie de la passion

Bien que je voie le fil indigo, je me demande s'il y a une référence culturelle qui me manque pour le rattacher à une loterie ou à un tirage au sort, à moins que le simple balancement du fil n'évoque une alternative… Bon ! Il est parfois utile d'atermoyer le désir de tout comprendre… Et pour finir, je suis ravie d'avoir découvert qu'outre le jeu sonore, la poésie japonaise offre une possibilité autre, un peu visuelle, avec le jeu possible sur le sens des caractères écrits.

René de Ceccatty
Tous les poèmes du livre ont été réunis avec d'autres dans un recueil spécifique.

Laura
La découverte de Vagabonde a été une agréable surprise. Je me suis sentie dans une étrange proximité avec les dires de l'autrice, même si nos cultures, nos questionnements et nos problèmes diffèrent. Un peu comme deux lignes quasiment parallèles. Pendant la lecture, j'avais presque la sensation d'être chez moi.
Ceci dit, une chose m'a plutôt étonnée, c'est l'aspect décousu ou du moins délié des propos, des aventures et des phrases, comme si certaines se lisaient indépendamment des autres. On saute d'une phrase à l'autre à la manière du mouvement des pensées de l'autrice, souvent sans lien logique, mais comme peuvent l'être en réalité les pensées en général. Je m'y suis faite assez rapidement, ce qui m'a permis d'en jouir comme de la poésie, de m'arrêter, de revenir dessus ou encore de les apprendre.
Enfin, ce que j'ai le plus apprécié, c'est à la fois le mélange et l'opposition de remarques tout à fait prosaïques comme la nourriture, le temps qu'il fait, le prix d'un service à thé, et la sensibilité intensément mélancolique du personnage, qui s'exprime par les pleurs bien sûr, mais aussi par des remarques comme p. 41 "à force de sombrer je me sentais comme un naufrage" ou p. 130 "vivre me causait un ennui du réel" (philosophique à mes yeux). Ou encore par l'atmosphère, comme un matin embrumé par la fumée violette de la cigarette. C'est théâtral et d'un style romantique extrêmement touchant, j'ai pensé au romantisme allemand notamment.
Bref,
ce tiraillement incessant a provoqué chez moi une grande admiration.

René de Ceccatty
Je traduis un autre texte d'elle, une "autobiographie littéraire". Cette écrivaine avait une culture gigantesque. Elle a justement beaucoup lu les romantiques allemands et aussi beaucoup de philosophie. Ses références sont très diverses et très nombreuses. Et elle était toujours très consciente de ce qu'elle faisait lorsqu'elle écrivait. Délibérément, pour Vagabonde, elle s'est glissée dans cette forme d'écriture propre aux femmes de l'aristocratie impériale du XIe, un genre inventé par ces femmes d'ailleurs. Tout comme elle est une contemporaine de Virginia Woolf. Ce qui apparaît comme déconcertant est qu'elle se présente comme la fille d'un marchand ambulant alors qu'elle est aussi une intellectuelle. Fumiko Hayashi ne veut pas devenir bourgeoise ; elle ne veut pas un métier qui rapportera de l'argent. Toute sa vie a été comme cela, sans jamais vouloir acquérir une situation sociale ou une situation d'autorité littéraire. Elle a également fréquenté des cercles d'anarchistes et d'auteurs de la littérature prolétarienne. Elle a d'ailleurs fait de la prison pour être soupçonnée de soutien aux communistes.
Elle a aussi écrit son Journal du Transsibérien (de Vladivostok à Paris) dans lequel elle évoque le contexte d'alors.


Brigitte Duzan
(traductrice du chinois, déjà venue pour des livres chinois dans notre groupe qui lui a donné envie de créer un club de lecture de littérature chinoise qui se réunit maintenant depuis 4 ans)
S'agissant d'un journal d'une écrivaine japonaise, je m'attendais à un récit s'inscrivant dans le genre des Notes de chevet de Sei Shônagon et j'ai eu la surprise de découvrir qu'il n'en est rien.
Essayant par ailleurs de tenter un parallèle avec la littérature féminine chinoise de la même époque, je me suis là aussi retrouvée dans une impasse. Il y a bien une écrivaine, Ding Ling, qui a elle aussi écrit un journal, Le journal de miss Sophie, paru en 1927 et aujourd'hui considéré comme un classique. Mais l'écriture est totalement différente : c'est un journal certes, mais fictionnel, écrit comme une analyse psychologique des sentiments d'une femme hésitant entre deux hommes. Rien de l'aspect "brut", spontané et passablement provocant du journal de Fumiko, qui reste donc pour moi un ovni. Je me suis interrogée sur le succès qu'il a eu - 600 000 exemplaires en 1930 ! - en me demandant qui étaient les lecteurs.

René de Ceccatty
Ce succès est lié à la libération des femmes au Japon. Les plus grands textes littéraires écrits au Japon sont écrits par des femmes, à la fin du Moyen-Âge. Ensuite, on retrouve de nouveau des grands auteurs féminins au début du XIXe, avec Akiko Yosano, notamment.

Question : Quel est le lien entre Fumiko Hayashi et la littérature classique des journaux ? Et notamment dans l'utilisation des caractères chinois ?

René de Ceccatty
Il est davantage possible de la comparer avec Le journal de Tosa, qui est le journal d'un déplacement. Elle a d'ailleurs écrit Le journal du Transsibérien (de Vladivostok à Paris). Les journaux de cour japonais étaient écrits en syllabaire, sans caractères chinois.

Claire
J'ai voulu lire avant les deux autres livres traduits en français qu'elle a écrits après Vagabonde, Les yeux bruns et Nuages flottants, pour avoir une impression plus large et je n'ai pas regretté, tant les livres sont différents dans leur forme.
J'ai trouvé que Vagabonde est un livre fatiguant :
- il faut s'adapter à des textes différents et de l'auteure (prologue, journal tissé de poèmes) et du traducteur (préface, notes nombreuses instructives)
- il y a beaucoup de monde, faut s'y retrouver
- il y a peu de fil narratif, c'est fragmenté, et en plus il y a de grosses ellipses (un mari ? mais tu ne nous l'avais pas dit ; "notre revue poétique" ? - mais tu ne nous en avais pas parlé)
- un système de temps qui déséquilibre (qu'est-ce qui se passe ?) où on glisse du journal au présent, au passé proche et plus lointain avec un imparfait étrange.
Cette fatigue, c'est-à-dire l'obligation d'être active - le mot de gymnastique est justement employée dans la préface - tient en éveil : mais qu'est-ce donc que ce livre ?!
Et ce mélange : le trivial et les références littéraires, les registres de langue, la liberté littéraire et sexuelle/les éléments traditionnels (chignon, socques).
Une fois que j'ai eu fini le livre, je l'ai reparcouru et n'ai plus eu de difficultés à lire, comme si j'avais appris sa langue...
Ce que je retiens, c'est la fatigue due à la gymnastique, constituée de surprises (faut oser tout ça !) et surtout la séduction. Car ce que j'ai le plus aimé, c'est la manière jamais banale dont elle dit :
- la souffrance et elle n'y va pas de main morte pour la dire
- le bonheur qui surgit tout à coup, par exemple à l'écoute d'une musique, avant de retrouver aussitôt solitude et faim
- une distance (dont je me sens proche) voire de l'humour :
"Vieillir pour vieillir, autant vieillir vite, non ?"
"Fumer dans son lit le matin, il n'y avait meilleure consolation pour une fille lugubrement plaquée."
"Endormie ou réveillée, je finis toujours par dire dans ce que j'écris que je veux mourir, quelle barbe !"

Je me suis régalée avec les comparaisons, par exemple : "je me suis réveillée aussi déprimée qu'un poisson sur un étal de poisson".
Cette narratrice me touche, me plaît, je m'identifie à elle dans sa façon de voir les choses : Fumiko c'est moi, quoi...
Dans le groupe, on aime bien les ovnis et pour moi c'en est un !

Manuel
Ce livre est le témoignage d'une époque. C'est ce que j'ai le plus aimé. Je ne pensais pas que le Japon d'alors était aussi pauvre. Je ne pensais pas non plus que le Japon pouvait être un pays peu sûr. L'héroïne a peur de se retrouver seule la nuit.

René de Ceccatty
Elle se trouve dans des quartiers particuliers...

Manuel
J'ai trouvé que la lecture se méritait et est exigeante. J'ai dû relire certains passages plusieurs fois. J'ai eu parfois du mal à me figurer ce dont elle parle ou des passages que je n'ai pas compris. Je suis heureux de cette découverte.

René de Ceccatty
Elle témoigne d'une époque où le Japon est pauvre ; c'est un pays industriel âpre et dur avec des industries minières. Oui, la lecture de son journal demande de prendre le temps car elle écrit comme elle parle parfois, avec des oppositions qui claquent.
Je traduis un recueil de nouvelles d'elle. Il en est une dont les héros sont des enfants (des petits de CP), en somme elle l'écrit pour des enfants qui commencent à vivre et elle y décrit le Japon de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les pères reviennent de Mandchourie. Et également le Japon d'après Hiroshima. Elle entre dans la tête des enfants et utilise la littérature pour éveiller les consciences face à une réalité d'une extrême violence. Elle y décrit aussi l'effondrement d'une nation et de ses soldats, mais du point de vue des enfants, à travers des dialogues où les enfants ne comprennent pas tout à fait ce qu'ils répètent. Là, c'est clair et le lecteur comprend les règles du jeu.
Dans Vagabonde, elle fait la même chose sans prendre de précaution pour décrire. Les syncopes entre deux paragraphes ou deux phrases correspondent à un état du personnage qui tente de s'appuyer sur quelque chose, puis sur autre chose et autre chose encore.
Dans une nouvelle sur l'attirance sexuelle que le personnage éprouve pour un homme, l'attrait est aussi fort que désespéré et cela sera désespérant, presque un viol. Sa psychologie n'est ni explicative, ni continue. C'est le moment même qui compte, l'attrait, le recul, la déchéance. Elle a le courage de décrire cette passivité, ce découragement. Le recueil de ses nouvelles sera publié l'année prochaine je pense, aux éditions Vendémiaire.

Monique L
Après avoir lu
Nuages flottants, j'ai été décontenancée par la construction de ce livre où le temps s'écoule de façon fragmentée et floue, si bien que je me suis souvent perdue. Cela m'est apparu fouillis et touffu.
Je me suis interrogée sur l'évolution du style de Fumiko entre 1930 (Vagabonde) et 1951 (Nuages flottants). Dans Vagabonde, le style lui-même varie, ce dont je n'ai pas l'habitude. Les poèmes me sont souvent apparus comme hermétiques. Certaines métaphores n'étaient pas évidentes.
J'avais déjà lu des haïkus qui me questionnaient mais, à cause de leur brièveté sans doute, ils m'ont paru plus compréhensibles. Je pense que ma méconnaissance du Japon est sans doute la cause de tout ceci.
J'ai apprécié l'auteure qui, malgré ses origines très modestes et sa vie très difficile, accorde beaucoup d'importance à la culture. C'est une femme libre et curieuse qui a attiré ma sympathie par sa persévérance. Insatisfaite de sa vie et persuadée que la chance l'attend ailleurs, elle multiplie les expériences sans jamais trouver ce qu'elle cherche. Elle passe de l'exaspération à la mélancolie. Elle fait preuve d'une grande lucidité.
Les lieux sont décrits avec beaucoup de précision.
Elle parle des femmes avec beaucoup de bienveillance, voire de tendresse, contrairement aux hommes qu'elle décrit souvent avec dureté. Une chose qui m'a frappée c'est qu'elle parle de ses amants en les nommant tous "mon homme" (ce qui, pour mon cas, est sans doute préférable car j'ai du mal à retenir les noms asiatiques...).

Catherine
J'ai moi aussi été souvent déconcertée par ce livre, les sauts dans le temps, l'absence de noms des hommes qu'elle rencontre, le côté un peu décousu, au détour d'une phrase elle parle de son mari sans avoir jamais évoqué un mariage auparavant... Certaines phrases sont difficiles à comprendre car sans rapport avec les précédentes. Mais assez vite, j'ai arrêté de vouloir rationaliser et je me suis laissé porter.
J'ai été touchée par le personnage, sa solitude, sa liberté, sa force mais aussi sa recherche de l'amour, son obstination à vivre malgré tout. J'ai aimé ses moments d'optimisme et de petits bonheurs du quotidien.
J'ai été frappée aussi, comme cela a déjà été dit, par les références constantes à la nourriture, sans doute expliquées en partie parce qu'elle a souvent faim, mais avec beaucoup de détails sur les repas, ce qu'elle aimerait manger… J'ai aimé ses portraits de femmes, souvent plein de tendresse, des serveuses avec qui elle travaille, des vieilles femmes qu'elle rencontre dans un parc.
On comprend que parallèlement à cette vie presque misérable, elle publie des poèmes ou des nouvelles, elle côtoie des intellectuels, elle est, elle-même, visiblement cultivée (son livre est plein de références littéraires, japonaises et étrangères) alors qu'elle semble avoir quitté l'école assez tôt. Je me suis donc demandé comment elle y était arrivée et quelle était la part véritablement autobiographique ou si c'était en partie romancée.
Je ne regrette pas cette lecture et la découverte de cette auteure. J'ai commencé
Nuages flottants qui est de facture plus classique. J'ai aimé le début. On sent que l'héroïne va aussi avoir une vie difficile et que son histoire d'amour va mal se passer...

Question sous forme de fascination : Je suis fascinée par le fait de traduire des langues aussi éloignées...

René de Ceccatty
Je connais plusieurs traducteurs du japonais ET de l'italien.
Les relations que le Japon et l'Italie entretiennent avec les traditions, leur culture et leur patrimoine sont bien plus semblable qu'il n'y paraît. Les deux pays ont un attachement artistique et littéraire très fort à leur propre culture. Ils sont dans une esthétique de la vie quotidienne.

Question
Comment expliquez-vous qu'elle ait pu écrire ainsi, accorder une telle importance à la littérature alors qu'elle a quitté l'école si tôt, comme elle le dit dans le livre ?

René de Ceccatty
En fait elle a tout le cycle scolaire jusqu'au bout et la rencontre avec un de ses professeurs en Terminale qui l'a beaucoup aidée a été déterminante. Elle dit dans le journal qu'elle quitte l'école mais elle y revient plus tard.


Danièle
Comme beaucoup d'entre vous, j'ai eu du mal à entrer dans le livre, tellement j'étais déconcertée et parfois rebutée par le style. Au point que je l'ai mis de côté, ne sachant pas si j'allais le reprendre. Puis, j'ai eu l'impression d'une petite musique qui serait rentrée dans ma tête, et la compagnie de cette narratrice étrange m'a manqué.
J'ai donc repris ma lecture de ce livre étrange et poétique, qui manifestement, laisse des traces après coup. Certes, cela restait pour moi un style difficile d'accès, plutôt chaotique, parfois incohérent, à l'image de sa vie. Mais aussi à l'image de son mode de pensée. Pour exemple cette citation : "Mon mari, agacé de m'attendre, m'avait repoussée violemment pour entrer dans la maison fermée à clé". Elle dit plusieurs choses à la fois dans cette phrase courte et les livre telles quelles sans se soucier de cohérence, comme dans un jaillissement de pensée. Je me suis mise alors à la place du traducteur : fallait-il lisser la phrase pour aboutir à une traduction peut être cohérente mais finalement banale ? C'est à ce moment, donc p. 93, que j'ai lâché prise, abandonné mon esprit cartésien, et me suis laissé mener par la narratrice, par sa volonté de nous emmener dans son monde, sans considération de logique formelle.
Manifestement, le but n'est pas de nous éclairer sur tous les épisodes de sa vie, de nombreuses lacunes émaillant ce récit sans véritable continuité chronologique, par flashes. Mais l'essentiel nous est livré, de cette fille qui semblait paumée mais qui continue son chemin, se consacre à l'écriture quand elle le peut, et devient vagabonde, dans un sens positif.
J'ai trouvé que le livre prenait au fur et à mesure de plus en plus d'ampleur.
Le thème de la faim qui l'aiguillonne m'a impressionnée : c'est poignant. C'est la faim qui l'a amenée au vagabondage, mais aussi "la faim" dans une dimension métaphorique, la faim d'un tas de découvertes.
C'est aussi sa résilience qu'elle raconte, dans son style empreint de poésie, ses déprimes : "en regardant mon ombre si triste", tout autant que ses "souvenirs lumineux". Car elle reste à mon avis fondamentalement optimiste, malgré sa vie de solitude où la solidarité féminine prend une grande place.

René de Ceccatty
En effet, cette solidarité est très présente.
Pour revenir à la phrase "Mon mari, agacé de m'attendre, m'avait repoussée violemment pour entrer dans la maison fermée à clé", comment la traduire ? Sans lisser, sans couper la phrase, sans changer le verbe, ni la forme. Chez Hayashi, c'est une écriture volontaire. Son livre est aussi le récit d'une formation fidèle aux incohérences, et à l'inachèvement. Il témoigne aussi de ses relations avec les intellectue
ls qu'elle a rencontrés.
La difficulté tient plutôt au fait que le livre est écrit à la première personne, il est impératif d'avoir un style homogène (à la différence de la troisième personne qui fait du personnage un être omniscient, qui rend l'objectivité du monde, qui contrôle et structure la langue de tous les personnages). Je trouve que c'est là une qualité, quitte à passer pour de la maladresse. On a le sentiment de progresser intellectuellement même si l'autrice n'est jamais arrivée à avoir une relation homogène avec le monde.
Elle est morte à 50 ans, d'un arrêt cardiaque, et elle était beaucoup plus connue que ses amies écrivaines mortes à 80 ans. C'est de cette manière aussi qu'elle aborde le thème de la faim et de l'argent, une faim qui amène au vagabondage, une faim de tout, d'abord celle d'une fille perdue qui peu à peu devient une vagabonde. Dans son Journal de Paris en socques (non traduit), elle ne parle presque que de nourriture ; elle était également très pauvre à Paris.

Brigitte Duzan
Et d'ailleurs, ai-je lu, elle était tellement pauvre que lorsqu'elle a voulu rentrer au Japon elle a demandé à un journal pour lequel elle écrivait de lui payer le voyage de retour qu'elle a fait en bateau. Le bateau ayant fait escale en Chine, à Shanghai, elle a cherché à rencontrer Lu Xun qui était alors l'un des écrivains chinois les plus célèbres. Et à ce moment-là Lu Xun était poursuivi par le Kuomintang et devait se cacher. Or il était caché dans une auberge japonaise tenue par un ami japonais qui tenait une librairie japonaise dans la concession internationale de Shanghai. Et c'est par ce libraire japonais qu'elle a réussi à rencontrer Lu Xun. Elle est quand même incroyable !

Annick A
Vagabonde est un livre difficile de par son écriture hybride, elliptique où on se sent perdu mais d'une grande originalité. De nombreux poèmes s'insèrent dans le texte. À travers son errance nous découvrons l'extrême pauvreté des exclus, des artistes et écrivains dans le Japon de l'époque à la recherche de n'importe quel travail pour se nourrir. C'est une écriture libre, sans concession à l'image de l'auteure, fière, d'une indépendance farouche qui ne veut rien devoir aux hommes. Elle a de nombreux amants mais n'en est jamais satisfaite. Souvent triste, malheureuse, mélancolique elle connaît cependant des petits moments de joies et de bonheur et peut passer d'un extrême à l'autre dans une même phrase, marque de son désarroi. Elle se ressource dans la littérature, lit de nombreux romans, fréquente le milieux littéraire, écrit et publie des poèmes très appréciés mais en parle à peine. Ma réticence de départ diminue au fur et à mesure de ma lecture et je vagabonde avec elle dans ce pays qui m'est étranger.

Question : Vous avez créé plusieurs collections, et vous dites que ''le travail d'un directeur de collection est de créer un certain esprit" : pouvez-vous développer ce qu'est cet "esprit" ?

René de Ceccatty
Voilà qui est compliqué à définir. J'ai le goût pour écrire et publier des autobiographies d'enfance. La collection "Haute Enfance", créée chez Hatier, continue sans moi chez Gallimard. "Solo" a été créé dans le même esprit : je veux que les écrivains publiés aient une forte relation de nécessité avec ce qu'ils disent et qu'ils construisent avec la langue. Ce n'est pas là affaire de témoignage. Le dernier livre que je publie au Seuil de Sylvie Baron Supervielle a des fulgurances, sans aller jusqu'au bout d'un raisonnement.
La création de la collection où j'ai publié Vagabonde vient de la proposition de Véronique Sales, qu
i entre autres dirigea la collection U chez Colin et qui a créé les éditions Vendémiaire et qui m'a proposé de créer une collection.
Dans les maisons d'édition, le comité de lecture est là pour décider de ce qui va être publié. Ce soir, ici, vous parlez librement sans avoir le pouvoir de dire "non". Et dans un comité de lecture, le patron est là qui ne retient que les avis négatifs pour pouvoir dire "non".

Rozenn
Quand j'ai commencé la lecture, j'ai arrêté au bout de 20 ou 30 pages. Ce n'est pas la forme qui m'a gênée mais je ne supportais pas la dureté de la vie de cette enfant. Et puis, j'y suis retournée, je ne pouvais pas la laisser comme ça.
J'ai aimé la forme, car je trouve que c'est la forme de la vie. Je pense que nos vies n'ont pas la logique d'un récit. On reconstitue une intrigue, celle qui nous convient ou qui convient aux circonstances selon des logiques diverses, adaptées, reconstruites, comme pour les CV ou les lettres de motivation, comme pour les autobiographies, pour les récits de nous-mêmes et même pour les récits à nous-mêmes.
Après coup, en lisant Les origines : pourquoi devient-on qui l'on est ? de Gérard Bronner qui consacre un long passage à Edouard Louis et qui fait référence à Annie Ernaux, j'ajoute que ces "mémoires" auraient pu sombrer dans le dolorisme. Peut-être que l'urgence et la nécessité de survivre et d'écrire ont permis à l'auteure de l'éviter.
J'aime aussi son rapport aux livres, un rapport très matériel : on sent le manque et la faim, comme le manque de nourriture. J'ai aimé le passage où elle découvre que l'homme avec lequel elle vit s'offre des caisses de livres alors qu'elle s'échine dans des boulots pénibles.
J'aime l'incompréhension des lieux, même s'ils sont nommés, ils restent à la fois vivants et inconnus ; les incertitudes de temps, les trous dans la chronologie.
J'aime son rapport à sa mère, son souci, la précision des échanges d'argent. Comme des préoccupations incessantes.
À un moment, j'ai été agacée et j'ai voulu voir si elle écrivait toujours comme ça : j'ai feuilleté Nuages flottants et je suis revenue tout de suite à Vagabonde.

René de Ceccatty
La dureté... Aucun éditeur ne voulait publier le premier livre d'Edouard Louis parce qu'il était trop dur. C'est moi qui l'ai publié au Seuil, et on connaît son succès.

Lisa
Au début, j'ai été désarçonnée par la forme. J'ai eu du mal à entrer dedans et à me repérer parmi les personnages.
Quand je suis entrée dedans, cela m'a intéressée. J'ai réussi à faire abstraction de la forme fouillis - je préfère habituellement ce qui est plus structuré.
Et je suis contente d'avoir découvert cette autrice.

René de Ceccatty
Désarçonné, oui, on l'est au début, puis on accepte, on voit la cohérence du mode narratif et la liberté de laisser les silences s'installer, y compris dans son petit texte autobiographique concernant ses références littéraires que je traduits. Elle prend la liberté de passer d'une période de sa vie à une autre en développant un passage puis... plus rien. Elle a la volonté de ne pas se présenter comme un modèle, dans un pays où les intellectuels apparaissent vite comme des modèles. Elle, elle ne veut pas du rôle. Elle n'a aucune envie d'entrer dans un moule d'écrivain et curieusement c'est cela qui fait son succès.

Fanny (dernière à s'exprimer dans notre "tour de table")
Je me suis laissé emporter. Très sensible au mélange prose/poésie, je me suis laisser embarquer. Mais en une lecture lente : et dans le métro, je me sentais un peu décalée... Sous la couette, j'ai aimé retrouver le livre.
Je ressens de la curiosité pour cette femme dont le parcours est très touchant.
Une belle balade, qu'a permise Vagabonde.

Question : Comment sont écrits les deux autres volets du journal non traduits ?

René de Ceccatty
Comme celui-ci, ils ont été écrits en même temps que d'autres récits, des textes critiques, des nouvelles.

Question : Ce qui veut dire que Vagabonde est réellement un journal écrit au fil de l'eau, jour après jour ?

René de Ceccatty
Oui. Un vrai journal, mais un journal d'écrivain, avec des ellipses.

Nathalie
En ce qui concerne l'écriture phonétique de la lettre que la mère de la narratrice écrit à son mari, la phonétique est-elle correcte dans le texte japonais ? Sa mère lui écrit réellement comme cela ?

René de Ceccatty
Les caractère chinois sont utilisés dans la langue japonaise (kanjis). Et il y a par ailleurs une double écriture phonétique (kanas) : hiraganas et kataganas (utilisés pour les mots étrangers). La mère écrit bien en phonétique mais pas comme une enfant. Elle écrit avec des mots compliqués, une grammaire et une syntaxe qui n'est pas télégraphique. Le japonais est une langue complexe, on apprend d'abord la phonétique puis les idéogrammes. La langue écrite aussi bien que la langue parlée sont très difficiles. Au début du XXe, on a intégré la langue parlée dans la littérature, comme les dialectes.

Brigitte Duzan
Dans le livre, il est mentionné plusieurs fois en note l'utilisation du dialecte dans les dialogues. Est-ce compréhensible par tous les Japonais ?

René de Ceccatty
Oui, car il y a peu de différences, par exemple une désinence qui change, "yo" va devenir un "ya". C'est évidemment très difficile à traduire. Il y a le même phénomène en italien avec les dialectes.

Claire
Et si ses lecteurs japonais nous entendaient, que penseraient-ils de nos propos, des réactions "déconcertées" de Vagabonde ? Par rapport au 600 000 lecteurs contemporains de Hayashi ?

René de Ceccatty
Les Japonais sont plutôt plus surpris quand on les comprend que lorsqu'on ne les comprend pas. Ils ne seraient donc pas étonnés. Cela dit, actuellement de lecteurs japonais pourraient avoir la même réaction que la plupart d'entre vous ce soir. Tout dépend de ce que l'on attend de la littérature et d'un livre.

Claire
J'ai lu deux livres dont vous êtes l'auteur - Mes années japonaises et Enfance, dernier chapitre - et comme chez Hayashi, le temps n'est pas linéaire, passé et présent sont entrelacés. Est-ce que le Japon influence votre écriture ?

René de Ceccatty
Oui, c'est certain. Dans ce rapport particulier au temps. J'ai du mal à réaliser une continuité dans le récit. J'ai besoin que les moments du présent soient enrichis par des moments passés. Cela crée un flottement. J'ai également voulu faire mon autobiographie. Impossible : je passe trop de temps à anticiper ou à écrire d'autres moments, c'est là une grande influence de la littérature japonaise. Mais, ma propre nature m'a orienté vers un certain type de livres japonais. Le rivage d'une tentation de Kunio Ogawa est encore beaucoup plus déconcertant par rapport aux temps et aux lieux que celui de Hayashi...

Claire
Vous êtes l'auteur d'une thèse en philosophie sur... Violette Leduc, une romancière. Comment avez-vous pu faire passer ça ?...

René de Ceccatty
J'avais fait une maîtrise sur le psychiatre Ludwig Binswanger qui se réfère à Husserl et Heidegger. La littérature comptait davantage pour moi que la philosophie qui devenait une machine conceptuelle, même si Foucault, que j'ai rencontré, avait écrit sur Binswanger. À l'époque je lisais beaucoup Violette Leduc, et je trouvais que dans le rapport au réel de son écriture, il y avait une dimension philosophique. J'avais pour professeur à la Sorbonne Yvon Belaval, qui avait bien connu Violette Leduc : il a donc accepté d'être mon directeur de thèse. La soutenance, par contre...

Claire
Parmi les textes que vous avez traduits, quels livres nous conseilleriez-vous ?

René de Ceccatty
De Natsume Sôseki : Oreiller d'herbes ou Clair-obscur
D'Abe Kobo : Rendez-vous secret
De Yûko Tsushima : Album de rêves
De Mishima : Amours interdites où il raconte ses aventures sexuelles.
Et pour les auteurs italiens, je vous recommanderais de Pasolini L'odeur de l'Inde : il s'agit de son journal de voyage en Inde où il a voyagé lorsqu'il a commencé Accattone et que Fellini a finalement renoncé à produire le film. Moravia lui a alors proposé ce voyage où il découvre le véritable tiers-monde, très cru et très poétique. Il y rencontre Mère Teresa, fréquente la philosophie indienne. Pasolini va intégrer les impressions de ce voyage à son univers. Il tournera Accattone plus tard, avec cette sensibilité née en Inde. Accattone est son premier film, présenté à la Mostra de Venise en 1961.
Oui, et bien sûr Pétrole, le dernier livre de Pasolini, qu'il écrivait lorsqu'il a été assassiné. Il en était au tiers qui fait 900 pages...

Le lendemain, au message de vif remerciement pour cette soirée passionnante avec lui, René de Ceccatty répond :
"C'est toujours une épreuve d'affronter les lecteurs, car on perçoit ce que la littérature a d'ambigu et d'ouvert, mais c'est aussi toujours très riche et stimulant. Merci à vous toutes et tous d'avoir joué le jeu de la sincérité, et merci de votre accueil chaleureux."


Sans doute lorsque nous avons lu le livre, n'avions-nous pas conscience du double investissement littéraire qu'il avait représenté, avant que le livre n'arrive sous nos yeux : la traduction elle-même ET le choix du directeur de collection de publier ce texte exigeant. Dans le cas de Vagabonde, traducteur et éditeur sont le même homme, qui a donc doublement écouté avec patience des réticences.
Lorsque les réactions du nouveau groupe seront mises en ligne, l'ensemble sera communiqué à René de Ceccatty, afin de s'assurer que ses paroles ont été correctement restituées.


RÉACTIONS DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN
RÉUNI LE 17 JANVIER 2023

François (avis transmis)
Un grand merci Marguerite pour ce très beau compte rendu qui donne vraiment l'impression que tu es parvenue à capter l'essentiel du propos de l'excellent René de Ceccatty que j'ai déjà eu l'occasion d'entendre parler (si bien) de Pasolini. Son approche tellement empathique et érudite ne peut que laisser rêveur. Et c'est bien sur ce terrain du rêve et de la poésie que l'on a le plus de chance de rencontrer la Vagabonde de Fumiko Hayashi, surtout quand, comme moi, on ne la connaissait pas. Une poésie à l'état pur et à l'état brut qui m'a bouleversé et fait penser à ces lignes de René Char :

La tristesse des illettrés dans les ténèbres des bouteilles
l'inquiétude imperceptible des charrons
les pièces de monnaie dans la vase profonde

Dans les nacelles de l'enclume
Vit le poète solitaire,
Grande brouette des marécages.

Bonne rencontre que je regrette de ne pas pouvoir partager avec vous.

Nathalie B
Je n'ai pas réussi à entrer dans ce journal plus ou moins romancé. La poésie d'une écriture ne suffit pas à la lectrice que je suis, et somme toute je n'y ai pas été particulièrement sensible. Son écriture est trop elliptique pour moi. Même si je parviens à entendre ce qu'elle ne prononce pas. Il y a quand même des passages totalement incompréhensibles. On ressent parfois la puissance de l'émotion, notamment de la souffrance pour le manque de son premier amour, souvent la tristesse car elle ne semble tenir son journal que lorsqu'elle est triste ou qu'elle a trop peu d'argent pour manger à sa faim. J'aurais dû apprécier le récit de cette femme lettrée qui écrit sur la pauvreté. Ce n'est pas si fréquent. Mais je reste à la porte, comme je savais être restée à la porte de l'écriture de Ôé dans ses nouvelles Dites-nous comment survivre à notre folie, même si j'avais quand même aimé son écriture. J'ai trop d'ignorance pour la culture japonaise, certainement. Mais c'est la seule culture qui me donne ce sentiment. Pour ce qui concerne Vagabonde, dont le titre paraît avoir été influencé par Hamsun (Vagabonds) que Fumiko Hayashi aimait comme auteur, plus que ses échanges avec ses camarades-femmes de servitude, j'aurais préféré qu'elle évoque le contenu de ses échanges avec les écrivains et poètes anarchistes et autres intellectuels et artistes qu'elle fréquentait également. Je suis vraiment restée sur ma faim.

Margot
Merci pour cette très belle découverte.
Je lis beaucoup de littérature japonaise et j'ai aimé être déconcertée par cette littérature qui n'est pas construite comme la littérature occidentale. Il y a toujours un moment où le sol se dérobe et où l'on est perdu. Ici c'est presque constant.
J'ai aimé le temps qui file à travers la géographie de l'archipel et la misère. Très ancré dans une géographie de l'errance, le temps se suspend pourtant dans des moments de très grande poésie, simplement lorsque la narratrice regarde, la nuit, la montagne, la neige, le thé qui fume. C'est une errance dans un Japon de misère, très peu connu, qui est très angoissante, mais où la nourriture a une place très vivante. En somme un journal fait de constantes oppositions très complémentaires, c'est sans doute cela qui chahute et chamboule le plus la lecture. On vacille entre la passion et la soumission, entre le ventre creux et l'amour de la littérature, entre les paysages industriels nauséabonds et la présence de petits plats, de petits verres d'alcool et de thé partout.
L'écriture est elle-même une mosaïque, il n'y a en réalité ni début ni fin.
René de Ceccatty a précisé lors de la rencontre chez Claire que Fumiko Hayashi emprunte un style créé par les femmes aristocratiques de la cour impériale du XIe siècle. Elles tenaient un journal au fil de l'eau, très prosaïque et très poétique dans lesquels il n'y a jamais d'explication, ni vraiment de narration. Les femmes ont par conséquent joué un rôle fondateur dans la littérature japonaise et, seconde précision de René de Ceccatty, Hayashi garde toujours une très grande maîtrise de ce qu'elle souhaite écrire. Pour la poésie, il a également souligné qu'il était très difficile de traduire les idéogrammes. La subtilité de ces derniers est donc difficile à rendre.
Enfin la surprise et l'infini du plaisir de cette lecture tiennent à la sensation de suspension, très présente en littérature japonaise, mais ici très aboutie, comme s'il n'y avait plus de socle, plus de certitude. Elle est sans doute très liée à une misère constante, la narratrice ne sait jamais ni où elle va dormir, ni si elle pourra manger à sa faim.
À propos de ces forts contraste René de Ceccatty a également précisé que l'auteure ne souhaitait pas devenir une intellectuelle et jouer ce rôle, ni être un transfuge de classe, qu'elle voulait demeurer fidèle à ses origines sociales par conviction politique (influence de l'URSS et de la littérature prolétarienne) et qu'elle devenait ainsi une véritable vagabonde, dans une errance assumée.
Le seul petit point d'agacement que je pourrais partager est son inconditionnel amour pour le romantisme allemand qui teinte ses sentiments.
Cette découverte est également une porte ouverte vers une littérature japonaise antérieure (celle du XIe) et de nouveaux auteurs, notamment des femmes, qui vont encore plus loin sur le chemin du déconcertant. Voilà un livre qui m'a permis de sortir de moi et ça fait un bien fou.

Anne
C'est une trajectoire qui comme en psychanalyse est faite d'allers/retours, passant d'une idée à l'autre, d'une image à une association, d'une association à un souvenir, un très bref récit qui s'interrompt sur encore autre chose… un voyage intérieur en somme où ce n'est pas la cohérence qui est recherchée…
Le personnage est très cultivé. Elle est sur le fil : pauvreté, avec le peuple. Beaucoup de détails sur la vie courante. Elle est à la fois sensible et parfois perdue. Cela évoque le début du féminisme. Elle rompt avec les romans classiques. L'idée d'être perdu : c'est quand on est dans un lieu et qu'on laisse venir ce qui vient. Ça bloque. Ça change. Il y a un côté décousu car elle parle d'elle. Elle est dans le factuel. C'est un peu ennuyant, mais on est dans son quotidien. C'est factuel, mais il y a un lien avec la sensibilité et la sensualité de la vie. On se rassure avec le thé par exemple, avec des petites choses qui deviennent énormes. C'est un livre sur la perte et le manque. Elle ne peut pas créer de relations. Elle n'a pas quitté quelque chose de l'enfance. Elle est dans la mésestime d'elle-même. C'est l'époque d'avant-guerre avec un mélange de populations qui parlaient de gens de qualité qui font bouger la société/le monde. La culture est finalement ce à quoi elle peut s'accrocher. Elle évoque les écrivains. Les poésies sont sûrement un peu aplaties mais touchantes. C'est un livre dans lequel on avance. On le lâche puis on y revient. C'est son être qui parle. Un an avant/après. On note un désarroi important. Elle apparaît tellement déprimée qu'on se demande comment elle va s'en sortir. J'ai bien aimé, mais pas d'extase. Quelques passages d'ennui. Sur la question du succès, quand on n'est pas dans son époque et dans sa culture : quel était finalement l'univers de l'époque ? Comment c'était pendant la guerre ? Quel était le monde autour ? On se questionne sur l'époque, les conditions sociales de ces gens qui se rencontrent. Elle ne paraît pas avoir d'amis mais retourne en voir.

Christine
J'ai été déçue par cette lecture et m'interroge sur son succès lors de sa sortie (600 000 exemplaires vendus en 1920).
Je n'y ai trouvé ni saveur ni poésie.
La syntaxe adoptée par le traducteur m'a dérangée : construction des phrases (longues phrases avec incises, proposition principale précédée par une ou plusieurs propositions subordonnées) et certains mots familiers ("je pensais que c'était râpé "pour raté, "je me sentais ravigotée") ne correspondant pas au contexte littéraire. Je pense que le traducteur a trop voulu "coller" au texte original.
D'autre part, n'ayant aucune connaissance de la géographie du Japon, les nombreuses références géographiques me sont restées obscures.
Mais si ce livre n'a pas été traduit pendant 100 ans, cela ne signifie-t-il pas que sa traduction était jugée difficilement réalisable ?
Ce livre m'a intéressée par son témoignage. Qu'une femme puisse avoir une vie aussi libre au tout début du XXe siècle m'a surprise. Mais, ses parents existent en arrière-plan tout au long du livre par le soutien financier qu'elle leur apporte. Sinon les préoccupations pécuniaires sont omniprésentes voire obsédantes.
C'est un livre triste presque glauque.
Le livre perd probablement de sa saveur et de sa poésie en étant traduit.

Antoine
Je n'ai pas été touché du tout. L'auteure est une arnaqueuse. Elle est très bonne en marketing car 600 000 livres vendus. Arnaqueuse car elle a du mal à se nourrir mais elle a quand même les moyens de s'acheter des livres... Elle semble avoir beaucoup lu. Elle vient de nulle part alors même qu'elle vient de Kyushu. On retrouve beaucoup de choses bizarres qui montrent qu'elle est intelligente, vit bien et écrit sur la pauvreté. Je n'ai rien aimé du livre, lu et relu sans entrain à 70%. Lecture empreinte d'un vécu personnel de 10 ans au Japon, je parle japonais. Livre qui a mal vieilli, très oral, rien ne va dans le style qui est complètement haché. Le Japon est un pays très particulier : soit on en parle sous forme de clichés, soit de façon magnifique.

Monique M
Ce qui m'a gênée dans ce livre, c'est le manque de fluidité, la syntaxe, c'est un livre qui demande un effort. Il faut s'habituer au style haché, décousu, fait d'images qui se succèdent, sautent d'une idée à l'autre, pour apprécier l'évocation de ce Japon du début du 20e siècle et tous les détails de la vie quotidienne que le livre révèle : la pauvreté des classes populaires, les chambres sans intimité à 3 à 5 tatamis, les coutumes de l'époque, la façon de se nourrir, se vêtir ; la façon de penser aussi, de poser un regard sur les choses si différent du nôtre. Tout l'intérêt du livre réside dans ce tableau du Japon des années 1920, dans la personnalité de la narratrice, poétesse à l'esprit libre, avide de connaissances, amie des écrivains, des poètes, des peintres et des anarchistes de son époque et dans son envie poétique d'être au monde. Il y a beaucoup de solitude, de larmes, de nostalgie, de misère, de désillusions, dans le parcours de cette jeune Japonaise, mais elle n'est pas larmoyante, elle nous est sympathique, vivante, exigeante dans son malheur par la puissance de ses aspirations ; elle préfère la solitude à la vie avec un compagnon médiocre "J'ai repoussé dans sa solitude errante un type insipide" dit-elle. On l'imagine avec son kimono, ses socques en bois à semelles convexes, son ombrelle comme toute femme japonaise ; elle a un énorme manque de ses parents, marchands ambulants éloignés et indigents, mais elle étonne par son esprit libre, son courage, son vagabondage au sein de toutes sortes de milieux, sa soif de connaissance. Sa détermination et sa liberté l'emportent sur tous ses malheurs. En dépit du quotidien fait de multiples petits boulots qui se succèdent et lui permettent de survivre, sa vie est truffée d'idéaux : grandir, écrire, être reconnue, aimée, publiée ; elle écrit des poèmes, essaie tant bien que mal de les vendre à des journaux, est passionnée de littérature étrangère, russe et française notamment. On la sent à la fois vulnérable et invincible, elle vit comme un homme, boit du saké, du whisky, fume beaucoup, a des amants tout en rêvant d'un homme qui l'aime, la protège, lui permette de souffler un peu, bien qu'elle ne supporte que la liberté, l'indépendance. Dans tous les domaines, privé ou public, elle veut vivre à son niveau, loin de toute médiocrité, elle a l'esprit aventureux, se sépare d'un amant, prend le train au hasard sans savoir où elle va descendre, Shizuoka ? Nagoya ? Pleure et rit tout à la fois tout en célébrant sa liberté retrouvée "Ne pleure pas ! Enfin libre !" dit-elle. Ainsi se bat-elle au quotidien et ne lâche rien. Il y a un grand décalage entre sa vie matérielle assez sordide et sa lumière intérieure, ce qui l'anime, son ambition, sa sensibilité à la beauté, à la poésie, qui, dans le livre, sont plutôt des sensations, des images poétiques comme sa sensibilité à la blancheur des fleurs, au vol de petits papillons blancs, à une odeur délicieuse, une véranda éclairée par la lune, un souvenir de jeunesse qui la traverse comme un parfum de fleurs, le bruit de la pluie, une envie de courir nue dans la nuit, de crier vers la lune…

Katherine
Je suis mitigée face à cette œuvre. J'ai apprécié l'écriture légère, volatile et empreinte de poésie, mais nonobstant mon appréciation de la forme, je n'ai pas réussi à me laisser transporter par l'histoire. On pense suivre une chronologie en raison du format "journal" du récit, mais l'absence de date et d'année nous prive de tout repère temporel : on peut même se demander si l'auteure ne s'est pas amusée à intervertir les entrées de son journal pour faire disparaître tout fil conducteur et y perdre le lecteur. On a souvent du mal à suivre le contexte et les changements, comment elle est arrivée là, quand et pourquoi elle en est repartie, comment elle a atterri dans un nouveau lieu et une nouvelle situation… En fait, ce livre est une sorte de fresque, avec des saynètes qui apparaissent dans l'ordre et le désordre. Quant à l'autrice/personnage principal, elle est demeurée pour moi énigmatique. Elle vit une vie des plus tristes, à manquer de tout, à travailler dans des conditions pénibles, à ne bénéficier d'aucun réel soutien familial ou amical, et pourtant, elle demeure active, volontaire et garde la tête pleine d'envies et de projets. Elle semble avoir un brin de folie et a parfois des réflexions étranges (ex. Il "semble agréable d'être une souris et de tout ronger", p. 53) et des pensées violentes envers elle-même ("j'étais dans un état de paisible décomposition encore pire qu'avant", p. 67, "je suis une femme méprisable, je deviens enragée", p. 109), comme un trop-plein d'émotions ou un ras-le-bol qui s'exprime dans des moments incongrus. Elle est profondément nostalgique et triste, mais semble pourtant conserver une certaine foi en la vie. Ajoutant au mystère est le fait qu'elle lise beaucoup et cite fréquemment des extraits de poèmes, malgré sa condition et son absence d'éducation… Bref, l'ensemble ne me la rend ni sympathique, ni réaliste.

David
L'intérêt est porté davantage sur l'œuvre que sur l'auteur. Doit-il toujours y avoir une adéquation entre l'auteur et le livre ? Répondre oui est un peu cruel car l'œuvre tient d'elle-même. Cantonner les classes sociales est réducteur car quand bien même on soit bourgeois, on peut voir les autres classes sociales dans les années 20. Ce qu'on ne perçoit plus à notre époque. Je n'ai pas été tant marqué que ça par la misère. En tant qu'occidental, on essaie d'expliquer avec notre tropisme économique. C'est la vie de l'époque qui est de passer son temps à compter. Pas d'axe dans ce livre. Décousu certes, mais avec une poésie constante. On ne comprend pas, puis il y a des passages exotiques. Le livre a été lu avec une certaine porosité. Ce qui me plaît, c'est être sur un terrain glissant qui remet en question les repères littéraires habituels. On découvre quelque chose. On n'est pas sur la même planète. Il existe un abîme de compréhension. On est désaxé par rapport à nos codes. J'ai le sentiment d'être une algue, sensation d'être aquatique avec écho à l'eau ; comme le crachin un peu sauvage et austère. Il n'y pas d'exotisme pour l'exotisme.

Laure
Difficile à lire pour deux raisons principales. Difficulté à fixer les éléments du fait des noms de lieux et de personnages difficiles à se représenter et à mémoriser. Sensation de texte vaporeux. La préface a permis d'être prévenu du côté décousu et intemporel. Pas de description, donc on se représente les scènes en fonction de ses propres représentations (télévisuelles, imaginées par le passé). Je manque d'intérêt pour le livre, car c'est un peu plat et triste.


    UN PEU DE DOCUMENTATION

I. AUTOUR DU LIVRE Vagabonde
Quelques repères
 géographiques et historiques
Les traductions françaises d'Hayashi
• Des commentaires
de ses œuvres

La formation de Fumiko Hayashi

Hayashi adaptée au théâtre, cinéma et TV
Des photos
Ses amours
Ses voyages
• Auteurs japonais rapprochés de Hayashi
• 
Nos lectures japonaises précédentes

II. RENÉ DE CECCATTY
Notre invité :
traducteur, éditeur, auteur
Quelques repères biographiques
Traductions
Romans, récits
Théâtre

Jeunesse

Biographies, essais

René de Ceccatty éditeur

 I. AUTOUR DU LIVRE
Vagabonde
de FUMIKO HAYASHI


QUELQUES REPÈRES géographiques et historiques

Dans le livre que nous lisons, figurent une préface par René de Ceccatty et une chronologie de l'écrivaine qu'on ne reprendra pas ici.
Quelques précisions :

La géographie : dès sa première note, le traducteur précise que le Japon est composé de quatre grandes îles. La narratrice est née dans celle de Kyûshû.

L'histoire du Japon : quelques éléments
- La langue japonaise est restée longtemps parlée, sans écriture ; au VIe siècle, l’empereur envoie des érudits étudier l’écriture chinoise. Le bouddhisme arrive au Japon via la Chine et la Corée, à côté ou en rivalité du shintoïsme.
- Une structure hiérarchisée et militaire se développe à partir du XIIe siècle et le titre de shogun : les daimyos servent les samouraïs, qui servent le shogun. À côté de l'empereur réduit à un rôle religieux, les grands clans se partagent le pays et se disputent le gouvernement. Au XVIe siècle, trois dictateurs successifs arrivent à éliminer les grands seigneurs et à unifier le Japon.

- En 1542, avec l'arrivée d'un premier navire portugais, commence une période de commerce. Les marchands sont suivis par des missionnaires jésuites, dont François Xavier (sur qui René de Ceccatty a écrit un livre : L'extrémité du monde : relation de Saint François Xavier, sur ses voyages et sur sa vie).
- En 1636, le Japon se ferme aux influences étrangères dans un système féodal.
- En 1853, les Américains obtiennent par la force l'ouverture de certains ports japonais.
- En 1862 : la première ambassade japonaise en Europe est envoyée à Paris par le shogunat Tokugawa.

- 1868-1912 : ère Meiji qui modernise le Japon. Fumiko Hayashi naît pendant cette période (1903).
- 1904-1905 : guerre russo-japonaise
- 1923 : séisme du Kanto qui atteint Tokyo
- 1931 : invasion japonaise de la Mandchourie qui débute par "l’incident de Mandchourie" le 19 septembre et se poursuit par l'instauration du Manchukuo l'année suivante. Fumiko part pour Paris le 4 novembre en transsibérien : une grande tension règne à la frontière avec la Russie. Elle part cependant pour la Sibérie : à la suite de l’invasion, les soldats sont partout à Changchun, la capitale de la Mandchourie ; Fumiko y descend pour changer de train et se déplace dans la foule des soldats avec ses quatre valises...
- 1937 à 1945 : guerre sino-japonaise et poursuite de la politique expansionniste du Japon. En Chine, l'armée japonaise progresse dans un pays affaibli par les dissensions entre nationalistes et communistes ; le pays est mis à feu et à sang.
En 1940, le Japon essaie par ailleurs de prendre le contrôle de l'Indochine française
et menace la Birmanie et l'Indonésie néerlandaise.
En 1941, l'attaque surprise des Japonais contre la base aéronavale américaine de Pearl Harbor dans les îles Hawaï, provoque l'entrée en guerre des États-Unis. Le Japon continue ses offensives vers l'Australie et aux Indes Britanniques.
En 1945, les Américains lancent alors deux bombes atomiques sur le Japon (Hiroshima le 6 août, Nagasaki le 9 août). L'empereur du Japon ordonne la capitulation qui a lieu le 2 septembre 1945. Avec la fin de la guerre, l'économie japonaise, dévastée, connait une inflation galopante.

LES TRADUCTIONS FRANÇAISES de Fumiko Hayashi

Au cours des quarante-sept années de sa vie, elle écrivit environ 30 000 pages de manuscrits de poèmes, romans, nouvelles, essais, contes pour enfants.
En France, elle est très peu traduite : trois romans ou récits, et, disséminés, deux nouvelles et un court texte, des extraits de trois autres nouvelles.
Voici, d
ans l'ordre chronologique de leur publication en France, qui montre le décalage considérable avec la publication au Japon :

- 1986 (nouvelle parue au Japon en 1949) : "La Ville" (en ligne), dans Les Ailes La Grenade Les Cheveux blancs et douze autres récits (1945-1960), trad. Fusako Saito-Hallé, éd. Picquier ; rééd. Picquier poche, 1991 ; rééd. Anthologie de nouvelles japonaises : tome II - 1945-1955 - Les Ailes La Grenade Les Cheveux blancs, Picquier poche, 1998.

- 1988 : courts extraits de trois nouvelles, traduits par Nagao Nishikawa, dans le chapitre "Quartier populaire ou les veuves de guerre chez Fumiko Hayashi" (en ligne) du livre Le roman japonais depuis 1945, PUF : "Gobie" (parue en 1947), "Cendres" et "Quartier populaire" (parues en 1949).

- 1989 (nouvelle parue au Japon en 1948) : "Le Chrysanthème tardif" (en ligne), Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines : tome II, Gallimard, trad. Anne Sakai, traductrice, qu'on retrouve quelques années plus tard :

En 2005 : lecture-conférence à la Maison du Japon par la traductrice de cette nouvelle, "Fumiko Hayashi ou l'errance d'une femme écrivain" par Anne Bayard-Sakai, professeure à L'INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales). La présentation était suivie d'une lecture par la comédienne Christine Melcer d'extraits (Nuages flottants et "Le chrysanthème tardif"). Compte rendu ›ICI

- 2005 (roman paru en 1951, après avoir été publié en feuilleton en 1949-1950) : Nuages flottants, trad. Corinne Atlan, éd. Rocher, 2005 ; rééd. Picquier poche, 2012.

- 2007 (roman paru en 1950 après avoir été publié en feuilleton en 1949-1950) : Les yeux bruns, trad. Corinne Atlan, éd. du Rocher.

- 2015 (paru en 1937) : "Le petit déjeuner" (en ligne), trad. Hiromi Takahashi dans son article "Un autre regard d’une femme de l’ère Shôwa : 'le petit déjeuner' de Hayashi Fumiko", revue Impressions d’Extrême-Orient, n°5, 2015.

- 2022 (paru en 1930 après avoir été publié en feuilleton en 1928-1930) : Vagabonde, trad. René de Ceccatty, éd. Vendémiaire.

(Une première traduction entreprise et abandonnée : Roger Raynal avait commencé une traduction personnelle de l'ouvrage de Hayashi Fumiko, avec de très grandes difficultés, s'aidant de traductions partielles en anglais, d'une édition espagnole et des éditions originales en japonais. Il avait demandé aux éditions Picquier s'ils étaient en train de le traduire… Et après avoir, précise-t-il, péniblement traduit le premier chapitre, alors qu'il travaillait sur le second, il a appris que Chronique de mon vagabondage venait de paraître, en septembre, mais aux éditions Vendémiaire. Il a donc abandonné ce travail, qui ne présentait plus aucun intérêt...)

De ce livre on trouve des traductions en Chine (1937), Corée (1966), le prologue en anglais (1951), 8 pages en esperanto (1965), traduction complète en anglais accompagnée d'un essai (1997), en espagnol (2013) et en français (2022).

DES COMMENTAIRES de ses œuvres

Vidéo et audio
Une
présentation vidéo de Vagabonde par René de Ceccatty lui-même, sur site de l'éditeur (3 min 17).

Plus ancienne, une présentation vidéo de Fumiko Hayashi par la traductrice des deux livres précédemment publiés en France, "Fumiko Hayashi, chronique d'un vagabondage : entretien avec Corinne Atlan", film réalisé par Robin Gatto, 26 min (extrait des compléments du DVD Nuages flottants, un film de 1956 de Mikio Naruse que nous visionnons le 18 février - cinéaste qui a adapté plusieurs romans de l'écrivaine).

À la radio, émission Entre les lignes sur Fumiko Hayashi, David Collin, RTS (Radio télévision suisse), 10 août 2005, 3  min 41, avec Corinne Atlan, à l’occasion de la parution du roman qu'elle a traduit Nuages flottants (Ed. du Rocher, 2005). Elle fait le rapprochement entre la manière d'Hayashi de parler d’elle-même et les écrits classiques de dames de la cour.

Articles
Trois articles de Hiromi Takahashi, maîtresse de conférences en langue et civilisation japonaises à Rennes :
"Paris entre l’admiration et la pauvreté : des traces d’une écrivaine japonaise des années 1930", Téoros (revue francophone de recherche en tourisme), Québec, n° 1, 2018.
"Travail, vie et œuvre d’une pionnière émancipée : Hayashi Fumiko, dans le Japon des années 1920", La Nouvelle Revue du Travail, n° 10 ("Genre et rapport au travail"), 1er mai 2017.
"Un autre regard d’une femme de l’ère Shôwa : 'le petit déjeuner' de Hayashi Fumiko", Impressions d’Extrême-Orient, n°5, 2015.

Un chapitre de livre
"Quartier populaire ou les veuves de guerre chez Fumiko Hayashi", Le roman japonais depuis 1945, de Nagao Nishikawa, PUF/Écriture, 1988".

Master et thèse
Un master en 2021 : Femme affamée : l’expression de la faim et la signification de la nourriture dans Le Journal d’une vagabonde de Hayashi Fumiko (1903-1951), Catalina Andreea Stelea, mémoire de master 2 LLCER Études japonaises, Lyon III.
Une thèse, soutenue en 2018 : "Étude de l'adaptation cinématographique des textes de Hayashi Fumiko par Naruse Mikio", suite à un master sur le même sujet d'Eléonore Mahmoudian, dont on peut lire le résumé dans Cipango (Cahiers d'études japonaises), n° 17, 2010.
Une thèse en philosophie en 1994 : Hayashi Fumiko: The Writer and Her Works" par Susanna Fessler, Yale University, thèse publiée ensuite sous forme de livre Wandering Heart: The Work and Method of Hayashi Fumiko, State University of New York Pre, 1998 (un extrait ici)

Une entrée de dictionnaire
L'article de présentation de Fumiko Hayashi par Maki Ando dans Le Dictionnaire universel des créatrices, dir. Béatrice Didier, Antoinette Fouque, Mireille Calle-Gruber, éd. des femmes-Antoinette Fouque, 2013.

Des critiques littéraires sur les trois romans traduits

Sur le roman Les yeux bruns
"Chronique d'un désamour au Japon", Eléonore Sulser, Le Temps, 16 juin 2005

Sur le roman Nuages flottants
- "Double possession en Indochine", René de Ceccatty, Le Monde, 7 avril 2005
- "La grande désillusion", Gabriel Bernard, Zoom Japon, n° 20, mai 2012.

Sur Vagabonde
-
"Fumiko Hayashi, Vagabonde (Vendémiaire) : Univers précaire", Livres Hebdo, Kerenn Elkaim, 15 septembre 2022.
-
"Vagabonde, Fumiko Hayashi", Philippe Leuckx, La Cause littéraire, 25 novembre 2022 : "La qualité de l’écriture, qui ne bute contre aucune complaisance, aucune concession, offre au lecteur un tableau inouï de l’époque décrite."
- Blog
Or des livres, Emmanuelle Caminade, 12 septembre 2022.
-
Blog La Viduité, Marc Verlynde, 4 octobre 2022.

LA FORMATION de Fumiko Hayashi

En 1903, Fumiko naît dans une famille pauvre de marchands ambulants ; elle aide ses parents ; mais elle s'intéresse à la littérature, lit beaucoup et écrit des poèmes, publiés pour les premiers en 1921. Comment est-ce possible dans ces conditions ?

Le fait qu'une fillette issue d'un tel milieu ait pu cultiver son intérêt pour la littérature peut apparaître surprenant, et en effet "le cas Fumiko" est sans doute exceptionnel pour l'époque. Mais il faut aussi voir que le système éducatif japonais était en train d'évoluer de façon significative. Après la restauration de Meiji en 1868, dans le processus de modernisation, le gouvernement avait mis en place un enseignement primaire public pour tous les enfants. Par la suite, un décret en 1900 avait établi le principe de l'instruction obligatoire pour quatre ans, la gratuité scolaire, l'obligation pour les employeurs de faire étudier les jeunes employés. Suite à ces réformes, la scolarisation en primaire avait connu une augmentation significative (…) Ainsi, Fumiko a pu profiter de l'enseignement primaire obligatoire (dont la durée avait été portée à 6 ans par décret en 1907), tout en travaillant avec ses parents et en changeant quatre fois d'école. Il faut également souligner dans son cas, l'importance de la rencontre avec un maître d'école, Kobayashi Masao. Celui-ci a reconnu le talent de Fumiko dans les arts, la musique et la littérature lorsqu'elle était en cinquième année de l'école primaire, et lui a fait prendre goût à la littérature, l'encourageant à continuer d'étudier. Kobayashi réussit à convaincre les parents de Fumiko de la laisser poursuivre ses études dans le secondaire, et donna à Fumiko des cours particuliers afin de la préparer au concours d'entrée à l'école secondaire. Plus tard, Fumiko a poursuivi ses études en travaillant le soir, et a réussi à faire publier des poèmes dans des journaux. ("Travail, vie et œuvre d’une pionnière émancipée : Hayashi Fumiko, dans le Japon des années 1920", La Nouvelle Revue du Travail, 2017)

HAYASHI ADAPTÉE au théâtre, au cinéma, à la télévision

Films
I
l y a eu 6 adaptations filmiques, 3 au cinéma, 3 la télévision :
- 1935 : réalisation Souji Kimura
- 1954 : Seiji Hisamatsutv
- 1961 : Yoneo Hatanaka
- 1962 : Mikio Naruse
- 1974 : Koji Shimomura et Kenzo Kubokawa
- 1997 : Kohei Kuno

Le recours à la littérature est fréquent au cinéma et tout particulièrement avec Naruse dont la majeure partie des films est composée d’adaptations. Cependant, il est exceptionnel qu'un cinéaste adapte autant de textes du même auteur.
Naruse Mikio (1905-1969) a adapté des œuvres de Hayashi Fumiko (1903-1951) alors qu’elle était décédée :
1-
1951 : Le repas (Meshi), adapté du roman éponyme
2- 1952 : L'éclair (Inazuma), adapté du roman éponyme
3- 1953 : L'épouse (Tsuma), adapté du roman Les yeux bruns (Cha iro no me)
4- 1954 : Derniers chrysanthèmes (Bangiku), adapté de trois nouvelles : "Chrysanthème tardif" (Bangiku) qui donne son titre au film, Suisen ("Le narcisse") et Shirasagi ("Le héron blanc")
5- 1955 : Nuages flottants (Ukigumo), adapté du roman éponyme
6- 1962 : Chronique de mon vagabondage (Horoki), adapté d'une pièce de théâtre elle-même tirée du roman du même nom. Le film est produit pour le 30e anniversaire de la Toho (grande société de production). Le rôle de Fukimo est joué par Hideko Takamine qui joue dans 17 films de Naruse... dont le célèbre Nuages flottants.
En plus de ces six adaptations des textes de Hayashi, un septième film, Un couple, 1953 (Fufu) correspond à une commande des producteurs de Naruse qui, espérant renouveler le succès rencontré proposent au réalisateur un scénario original dans l'esprit des textes de l'écrivaine.

Théâtre
Quand Naruse adapte en 1962 Chronique de mon vagabondage (Horoki), il s'agit d'une adaptation d'une pièce de théâtre elle-même tirée du livre.
La pièce portant le même titre est adaptée au théâtre par Kazuo Kikuta et mise en scène au Geijutsuza Theatre de Tokyo de 1961 à 2005, puis dans d'autres théâtres jusqu'en 2009.

Le rôle de la vagabonde est jouée par une célébrité du théâtre, Mitsuko Mori (1920-2012), qui en 2009 avait joué plus de 2 000 fois la pièce.
En 2015, "Houroki" est relancé sur scène avec Yukie Nakama dans le rôle principal.

Affiche de la pièce en 1961
Affiche du film en 1962

QUELQUES PHOTOS DE FUMIKO HAYASHI
Son parcours est si étonnant qu'on peut imaginer que des images vont nous aider à mieux la cerner. Illusion, devant ces images qui ajoutent au mystère...
1922
1924
1949


Avec Kawabata à Nagasaki en 1950. Fumiko et Kawabata (prix Nobel de littérature en 1968) étaient proches.
En 1951, Kawabata préside ses funérailles dans sa maison.

1951
Les funérailles en 1951 ont été suivies par un grand nombre de personnes en deuil, non seulement des intellectuels des cercles de l'édition, mais aussi des femmes ordinaires en tablier, portant des sacs à provisions.

Sa maison est devenue "Fumiko Hayashi Memorial Hall" à Tokyo.
On peut visiter en vidéo ici ou ici, commenté en japonais


Statue de Hayashi Fumiko à Onomichi

LES AMOURS de FUMIKO HAYASHI

"Sa biographie amoureuse est faite, dit René de Ceccatty dans la préface, de va-et-vient entre ses amants, avec lesquels elle ne rompait jamais définitivement et qu'elle continuait à fréquenter, malgré la violence de certains épisodes".
C'est
Rokubin Tezuka (1902-1989), peintre peu connu, qui fut le compagnon de l'écrivaine à partir de 1926.
Avec les droits d'auteur du Journal d'une vagabonde, Fumiko partit seule en Chine en 1930, et l'année suivante en Europe, en laissant au Japon son mari : il s'agissait d'une conduite extraordinaire dans une époque où les femmes mariées restaient confinées au foyer familial.
Contrairement aux conventions sociales, Fumiko et Ryokubin ont vécu pendant plusieurs années en union libre.
L'adoption d'un enfant en 1943 les amena à officialiser leur union par le mariage l'année suivante.


‹Le couple

 

 



Autoportrait


LES VOYAGES DE FUMIKO HAYASHI

La prédilection - voire la prédestination - pour le voyage est annoncée dès la première page de Vagabonde : "Je suis une vagabonde prédestinée. Je n'ai pas de village natal. […] Moi, dont les deux parents se trouvaient dépourvus de pays natal, il était inévitable que le mien soit le voyage."
Le succès de Vagabonde permit à Fumiko Hayashi de sortir de la misère et de voyager à l'étranger, deux mois en Chine en 1930 et sept mois en Europe (Paris et Londres) en 1931-1932 où elle partit en empruntant le train transsibérien, dans un voyage long et mouvementé. Par la suite, elle retournera en Chine, en tant que journaliste intégrée à l'armée lors d'offensives et
voyagera dans d'autres pays asiatiques aussi. Attardons-nous sur ces deux destinations : la France et la Chine.

La France
D'abord pourquoi la France ? L'intérêt pour la culture occidentale et tout particulièrement la France s'est répandu avant la Première Guerre mondiale, avec une image non dépourvue de clichés (à nous d'être exotiques...)
Des artistes s'y rendent, par exemple l'écrivain et traducteur Ueda Bin, le sculpteur Kotaro Takamura, la poétesse Yosano Akiko, qui presque 20 ans avant Fumiko vient en France en transsibérien : voir l'article étonnant de Claire Dodane, commençant par la traduction de ses souvenirs de séjour à Paris "Yosano Akiko (1878-1942). Le séjour à Paris d’une Japonaise en 1912" (Clio : Femmes, Genre, Histoire, n° 28, 2008) : "son départ est célébré publiquement, sous les bravos de cinq cents personnes (selon les journaux) à la gare de Tôkyô, puis relaté dans les plus grands journaux").
Foujita vit à Paris à partir de 1913. Dans les années 1920-1930, Paris est la "capitale mondiale des arts" et un lieu prisé des étrangers. En 1925, on comptait un millier de Japonais.

Des livres que Fumiko appréciait particulièrement ont pu nourrir son rêve de venir en France. Conte de France de Kafû Nagai (1909) et Lettres de France de Toson Shimazaki (1913-1916 : extraits ici).
D'autres écrivaines japonaises se trouvent d'ailleurs en France quand elle y arrive : Sumako Fukao (traductrice de Colette), Miyamoto Yuriko, Okamoto Kanoko.

Pour se rendre en Europe alors, il n'y a que deux voies, par bateau (très cher, confortable, d'une durée de deux mois) ou en train : quatre fois moins cher, mais nécessitant de changer 12 fois (!) de train, en Chine, en Russie en Allemagne ; voici le trajet :

Fumiko a 28 ans, elle part le 4 novembre 1931 en 3e classe et arrive à la gare du Nord le 23 décembre. Elle porte le kimono et aux pieds les geta, socques traditionnelles japonaises...
Elle vit dans des hôtels près de la place Denfert-Rochereau. Elle va au théâtre, au concert, au cinéma, dans les musées, impressionnée par Gauguin, Renoir, Corot, Utrillo. Elle rencontre Cocteau, qu'elle reverra à Tokyo en 1936 au Kabuki Theater. Elle suit des cours du soir en français, mais son français reste rudimentaire.
Le voyage en France est détaillé dans un article très intéressant de Hiromi Takahashi, "Paris entre l’admiration et la pauvreté : des traces d’une écrivaine japonaise des années 1930", Téoros (revue francophone de recherche en tourisme), Québec, vol. 37, n° 1, 2018.

     Sur une tour de Notre-Dame               Devant une librairie à Paris

Elle restera à Paris de décembre à mai 1932, excepté un mois à Londres en janvier-février2. Elle n'avait plus d'argent et se fera payer le retour par le magazine Kaizo (en 3e classe aussi). Le bateau fait escale à Naples et Shanghai, et c'est là qu'elle rencontre le grand écrivain chinois Lu Xun dont plusieurs d'entre nous ont lu Le journal d'un fou et/ou La véritable histoire d'AQ.

La Chine et le Sud-est asiatique
Voici une photo accompagnant un projet de thèse "La vagabonde sur le front : l'écriture de guerre de Hayashi Fumiko", par Adam Gregus, doctorant en études japonaises à l'Université de Vienne : il étudie ses voyages de 1937 à 1945 en Chine et en Asie du Sud-Est jusqu'à la fin de la guerre, notamment
en tant que journaliste intégrée à l'armée lors de l'offensive de Wuhan en 1938...

Photo en couverture du livre Hokugan butai (Le bataillon de la rive nord), Tokyo, Chuo Koronsha, 1939 (précise Guillaume Muller dans sa thèse en Langues, littératures et sociétés La littérature de guerre japonaise de 1937 à 1945, Université Sorbonne Paris Cité, 2018)

Brigitte Duzan, spécialiste de la littérature chinoise et traductrice, qui sera présente à la rencontre lors de la rencontre avec René de ceccatty, s'est intéressée plus particulièrement à deux périodes :
- En 1929-1932, ce sont les premiers voyages de Fumiko et les premières rencontres avec des écrivains chinois : en 1930, à Taiwan et dans le nord-est de la Chine, puis en 1932à son retour de France, avec la rencontre du (célèbre) écrivain Lu Xun à Shanghai.
- 1937-1938 : elle accompagne les troupes japonaises sur le front pendant un mois lors de l'invasion de la Chine à Nankin, puis l'année suivante, elle couvre la bataille de Wuhan.
Voir son article ›ici, conçu pour Voix au chapitre.

AUTEURS JAPONAIS que René de Ceccatty rapproche de HAYASHI

Dans sa préface à Vagabonde, René de Ceccatty évoque d'autres auteurs japonais. On trouvera quelques informations à leur sujet et pour chacun un ou deux livres disponibles chez des éditeurs différents.
Rappelons, pour la situer par rapport aux autres écrivains, les dates de Fumiko Hayashi : 1903-1951.


Ses aînés immédiats

"Le caractère fragmentaire et diaristique de ces pages, auxquelles l'auteur intègre des poèmes parus en revue, en fait un objet insolite, mais en réalité la rapproche de ses aînés immédiats ou contemporains Kafû Nagai (1879-1959) ou Osamu Dazai (1909-1948)." (René de Ceccatty, préface à Vagabonde)

"Fumiko Hayashi appartient assurément à la famille littéraire de Nagai Kafû. Son monde est celui de la nuit, du peuple, des petites gens, de ceux qui, comme elle le dit des deux vieilles du parc de Kôbé, sont égarés, n'ont pas de détermination, de centre dans leur vie, de repères (kodawari no naï). Il rappelle de nombreux textes classiques, mais il relève aussi de cette période des débuts de la modernité." (Préface)

Kafû Nagai (1879-1959) est connu pour ses œuvres décrivant le Tokyo du XXe siècle, et particulièrement le monde de la prostitution et des geishas. De 1903 à 1908, il séjourne aux États-Unis, où il est étudiant puis travaille. En 1908, il séjourne en France à Lyon et à Paris. Il publiera Amerika monogatari [Contes américains] et Furansu monogatari [Conte de France] - livre que Fumiko Hayashi appréciait beaucoup.
- Voitures de nuit, Nagaï Kafu, trad. Roger Brylinski, Cambourakis
- Le bambou nain, trad. Catherine Cadou, Picquier poche

Osamu Dazai (1909-1948) fut un écrivain célèbre. Ses livres écrits à la première personne relèvent du watakushi shosetsu, genre qu'on peut rapprocher de l'autofiction ; il est connu pour son style ironique, pessimiste :
- Retour à Tsugaru (trad. Didier Chiche, Picquier poche)
- La femme de Villon (trad. Didier Chiche, Sillage)


Les grands classiques : les journaux de cour de l'époque de Heian

[Par rapport à ces deux aînés] "Ce qui l'en distingue est la présence de poèmes qui ponctuent sa chronique, à l'image des journaux de cour de l'époque de Heian, que les lecteurs japonais ont nécessairement en mémoire." (Préface)

"Malgré la tonalité très poétique de l'ensemble et certaines affectations archaïsantes qui se réfèrent aux journaux de cour (nikki) du XIe siècle, auxquels un lecteur japonais ne peut pas ne pas penser, les phrases sont souvent parlées." (Préface)

L'époque de Heian (794-1185) est considérée comme l'apogée de la cour impériale japonaise, âge d'or de la culture, de la littérature, de l'art japonais. Voici ce que dit René de Ceccatty de la littérature :

"Cette littérature classique a un statut particulier dans la mesure où elle fait apparaître une structure narrative très particulière (le journal à la première personne, rédigé par des femmes appartenant à l’aristocratie impériale, à l’époque de Heian, c’est-à-dire à la fin du premier millénaire et au début du deuxième millénaire, si l’on s’en tient au calendrier occidental) qui va devenir la base de toute littérature romanesque jusqu’à nos jours au Japon. Le nikki, ou journal de cour, est donc, peut-on dire, d’une grande modernité, tant dans le domaine de l’analyse psychologique que dans celui de la sensibilité poétique, malgré l’archaïsme de sa langue sino-japonaise (dont le lexique et la syntaxe sont éloignés du japonais, utilisé depuis deux ou trois siècles) et malgré la particularité du contexte historique, puisque l’action est située dans l’environnement impérial, à Kyôto, Nara, Uji, ou dans des villes de province avec lesquelles la cour était en relation politique ou guerrière." (René de Ceccatty, "Éloge de l’éphémère et de la lecture", Les Lettres françaises, 9 novembre 2017)

Le journal de Tosa (trad. René Sieffert, Verdier) : écrit vers 934-935 à la première personne dont l'auteur Ki no Tsurayukiki se fait passer pour une femme, le journal fait date car il a été écrit en kana, caractères japonais utilisés par les femmes et caractérisant l'écriture féminine de l'époque, contrairement aux kanji, les caractères chinois utilisés par les écrivains lettrés pour les écrits officiels et littéraires. Il préfigure les nombreux journaux intimes écrits en kana et la littérature féminine qui se développera durant l'époque de Heian dont l'œuvre la plus célèbre est Le dit du Genji de Murasaki Shikibu.

Murasaki Shikibu (vers 973-vers 1014-1025) "génie féminin auquel on doit donc le premier véritable roman japonais" dit René de Ceccatty. Ses textes sont traduits par le grand japonologue René Sieffert, aux Publications orientalistes de France, reprises par Verdier :
- Le Dit du Genji qui fait partie des grands classiques de la littérature universelle (avec de splendides illustrations qu'on peut parcourir ici aux éditions Diane de Selliers)
- Journal

Sei Shonagon (vers 966-après 1025), sa contemporaine et rivale, présente dans ses Notes de chevet (trad. André Beaujard, Gallimard) des tableaux, portraits, récits, commentaires et impressions constituant un document historique relatif à la cour impériale.

Le journal de Sarashina raconte sa vie et des voyages de l'âge de 13 ans à 52 ans (trad. René Sieffert, Verdier).

Izumi Shikibu a elle aussi publié un Journal. Poétesse, elle est contemporaine de de Murasaki Shikibu qui, dans son Journal critique le style d'Izumu Shikibu...

Fujiwara no Michitsuna no Haha publie vers 965 le Journal de l’éphémère.

Trois journaux à retrouver dans Journaux des dames de cour du Japon ancien : Journal de Sarashina - Journal de Murasaki Shikibu - Journal d’Izumi Shibiku (trad. Marc Logé, Picquier)

René de Ceccatty considère que tout le mouvement du shi-shôsetsu (le roman du moi) qui s’est épanoui dans l’entre-deux-guerres et dont Fukimo Hayashi fait partie, est profondément influencé par l'esthétique de ces journaux, bien que situé dans un autre contexte, mais où demeurent des analyses psychologiques encore très proches de cette lointaine origine...


La littérature non plus aristocratique, mais bourgeoise

Pauvreté, vénalité, précarité, petits métiers, vie nocturne..., tel est le décor de Vagabonde.

"Cela dit, le monde interlope, des cabarets, des marchands des rues, des auberges minables, était le décor d'une littérature japonaise très importante depuis le XIIe siècle, où vivait Saikaku Ihara, le pionnier des romans dits bourgeois (non aristocratiques et non guerriers, situés dans le milieu du commerce et de la prostitution), où prit naissance un théâtre populaire dont l'inspiration se distinguait de celle du nô, et où une classe sociale plus triviale apparaissait."(Préface)

Saikaku (1642-1693), riche marchand d'Osaka, s'était distingué dès son plus jeune âge dans les compétitions de haikai. À la mort de son épouse, il abandonne le commerce et se consacre à sa carrière de poète de haikai, voyageant et fréquentant théâtres et quartiers de plaisir. À partir de 40 ans, il se consacre à la prose : il est considéré comme un maître du genre dit ukiyo-zoshi, littéralement "texte du monde flottant" (nous avions lu Un artiste du monde flottant de Kazuo Ishiguro), sorte d'équivalent en prose de la peinture ukiyo-e. Plusieurs de ses livres sont traduits en français, notamment : Cinq amoureuses ou Vie d'une amie de la volupté ou encore L’homme qui ne vécut que pour aimer.


Cinq consœurs quant au genre autobiographique et au ton

"La littérature autobiographique était dominante à l'époque de Fumiko Hayashi, mais le ton cinglant, cru, cynique était inhabituel, même si la littérature féminine japonaise compte plusieurs exemples d'écrivains à l'authenticité virulente et directe (Akiko Yosano - 1878-1942 -, Taeko Kôno - 1926-2015 -, Yûko Tsushima - 1947-2016 -, pour citer les représentantes de trois générations qui, avec celle de Fumiko Hayashi, recoupent un siècle entier). On pourrait aussi trouver des échos dans les proses de Ichiyô Higuchi (1872-1896) morte avant la naissance de Hayashi, ou encore chez Chiyo Uno (1897- 1996) qui, elle, était de sa génération." (Préface)

Akiko Yosano (1878-1942) avait précédé Fumiko en transsibérien à Paris en 1912, était poétesse, féministe : Cheveux emmêlés (trad. Claire Dodane, Les Belles lettres) est son plus célèbre recueil.

Taeko Kôno (1926-2015) dont les écrits explorent les pratiques sexuelles, y compris sado-masochistes, les luttes des femmes japonaises, le rejet des notions traditionnelles de rôles, voire de genre. Dans La Chasse à l'enfant (trad. Cécile Sakai, Seuil), une de ses histoires les plus célèbres, elle étudie l'aversion d'une femme pour les enfants.

Yûko Tsushima (1947-2016) est la fille de Osamu Dazai, cité ci-dessus parmi les aînés de Hayashi. Elle a enseigné en France à l'INALCO (1991-1992) ; les éditions des femmes ont publié cinq de ses romans dans les années 1980. René de Ceccatty et Ryôji Nakamura ont traduit au Seuil :
-
Album de rêves
- Ô vent, ô vent qui parcours le ciel

Ichiyô Higuchi (1872-1896), morte avant la naissance de Hayashi, est considérée comme la première écrivaine professionnelle de la littérature moderne japonaise. Elle apparaît, à ce titre, sur le nouveau billet de 5 000 yens en 2004, devenant ainsi la deuxième femme à figurer sur un billet de banque après l'Impératrice Jingu en 1881...
- La Treizième Nuit : et autres récits (trad. Claire Dodane, Les Belles lettres)
-
Qui est le plus grand ? (trad. André Geymond, Picquier Poche)

Chiyo Uno (1897-1996) était de la génération de Fukimo Hayashi :
-
Ohan (trad. Dominique Palmé et Kyôkô Satô, Picquier poche)
- Confession amoureuse (trad. Dominique Palmé et Kyôkô Satô, Denoël).


La littérature prolétarienne

"Bien qu'elle prenne soin de rattacher son expérience à des éléments historiques (de l'histoire de la littérature prolétarienne qui est celle dont elle se sent proche intellectuellement et donc de l'histoire des rapports de la culture et de la politique japonaises avec les autres pays) et qu'elle rappelle qu'elle faisait partie d'un cercle intellectuel, l'univers qu'elle met en scène a des caractères intemporels, même quand elle décrit la vie de la capitale." (Préface)

Parmi les écrivaines qui apparaissent entre 1920 et 1930, plusieurs auteures de renom appartiennent au nouveau mouvement de la littérature se référant au socialisme et au communisme, appelée au Japon "littérature prolétarienne" : elle se distinguait aussi bien de la littérature populaire cherchant à divertir que de la "littérature pure" de l’élite intellectuelle, en révélant les conflits de classe et l’oppression des plus pauvres.

Kobayashi Takiji (1903-1933) est célèbre pour le roman Le bateau-usine décrivant l’horreur de la vie des ouvriers embarqués pour la pêche.

Miyamoto Yuriko (1899-1951) est un des femmes liées à ces groupes de gauche et qui firent alors leurs premiers pas dans la littérature : dans son roman Nobuko (1924-1926), elle montrait comment une femme pouvait devenir intellectuellement et financièrement indépendante en mûrissant et choisissant le divorce.

Sata Ineko (1904- 1998) eut son premier emploi dans une usine de caramels, avant de travailler dans les restaurants où elle se lie d'amitié avec des écrivains ; elle fut encouragée à poursuivre ses études par un ancien professeur, et publie son premier roman en 1928 Kyarameru-kôba kara [D’une fabrique de caramels].

Hirabayashi Taiko (1905-1972), plutôt anarchiste, dépeint les désillusions d’une femme mariée à un activiste dans Azakeru [Moquerie] et la perte de son enfant lors d’un exil forcé en Mandchourie afin d’échapper aux arrestations dans la nouvelle Seryôshitsu nite ["À l’hôpital de charité"]. Dérision (trad. Pascale Doderisse, éd. Ixe) est sous-titré "Autofictions".

L’apport majeur de ce courant fut la nouveauté des thèmes abordés, liés à des expériences politiques vécues et l'insistance sans précédent sur la condition féminine, amenées qu’elles furent pour la plupart à vivre dans leur couple des situations d’inégalité que leur idéologie, pourtant partagée par leur compagnon, n’avait pas permis d'envisager (Claire Dodane développe cette thématique dans "Femmes et littérature au Japon", Cahiers du Genre, n° 3, 2006).


NOS LECTURES JAPONAISES précédentes

Fumiko Hayashi est une découverte. Notre groupe a, dans le passé, programmé des auteurs japonais.

Auteurs japonais traduits du japonais
- Kenzaburô Ôé Dites-nous comment survivre à notre folie
- Abe Kobo La Femme des sables
- Junichi Tanizaki La confession impudique
- Yukio Mishima L'École de la chair et Le Pavillon d'or
- Haruki Murakami Au Sud de la frontière, à l'ouest du soleil
- Ryû Murakami Ecstasy
- Yashushi Inoué Le fusil de chasse
- Akira Yoshimura Le convoi de l'eau
- Banana Yoshimoto Kitchen
- Kobayashi Issa Journal des derniers jours de mon père
- Shûsaku Endô Silence
- Yasunari Kawabata Les Belles endormies et Pays de neige
- Yôko Ogawa La Piscine - Les Abeilles - La Grossesse
- Saikaku Ihara Les cinq amoureuses

Auteurs écrivant en anglais
- Kazuo Ishiguro Un artiste du monde flottant et Les vestiges du jour
- Julie Otsuka Certaines n'avaient jamais vu la mer

Auteurs écrivant en français
- Ryoko Sekiguchi La voix sombre
- Akira Mizubayashi Une langue venue d'ailleurs et Âme brisée
- Aki Shimazaki


II RENÉ DE CECCATTY
auteur, traducteur, éditeur

Quelques repères biographiques
Traductions
Romans, récits
Théâtre

Jeunesse

Biographies, essais

René de Ceccatty éditeur

Comment ces trois activités d'auteur, traducteur et éditeur s'articulent-elles ?

"Ces trois activités sont pour moi intrinsèquement liées. J’y mets la même passion, et même si parfois mon amour-propre d’auteur souffre un peu de ce que la partie la plus 'personnelle' de mon travail soit éclipsée par mes traductions et mon activité critique ou éditoriale, je n’attache pas moins d’importance à mes traductions de l’italien et du japonais qu’à mes propres livres, et je suis très fier d’avoir sorti de l’ombre certains grands écrivains dont j’ai été ou le traducteur ou l’éditeur. Selon l’urgence du moment, l’une de ces parts de mon travail prend le pas sur les autres, mais je n’en ressens pas de frustration." (Entretien avec René de Ceccatty, par Aymen Hacen, Souffle Inédit, 5 mars 2022)

QUELQUES REPÈRES biographiques

L'enfance
- Sa famille : René Pavans de Ceccatty naît en 1952 en Tunisie. Du côté de son père, la famille Pavans de Ceccatty est arrivée à Sfax en 1903. Du côté de sa mère, Ginette Fréah, qui est de nationalité française, c’est un mélange de colons et de Tunisiens ; son arrière-grand-mère est arrivée en Algérie, sa grand-mère a épousé un Tunisien, naturalisé français parce que fonctionnaire.
- Des langues diverses dès l'enfance : en Tunisie, la présence italienne était très forte ; sa mère travaillait et l'a confié à une Sicilienne. Au cours préparatoire, sa mère l'a inscrit dans une école franco-arabe : il a appris simultanément les deux alphabets mais a oublié l'arabe, ne l’ayant pas pratiqué.
- Arrivée en France : le père décide de quitter la Tunisie en 1958, car, officier de réserve, il commençait à être mobilisé pour des incidents de frontière avec l’Algérie. La famille s'installe à Montpellier où René de Ceccatty vit entre 6 et 18 ans, habitant d'abord dans un logement de fonction dans une école où sa mère est institutrice.

Etudes
- Hypokhâgne et khâgne
- Philosophie : thèse de 3e cycle, direction Yvon Belaval, soutenue à la Sorbonne en 1980 : Évidence de Violette Leduc, Paris I UER de Philosophie. René de Ceccatty consacrera un livre à Violette Leduc en 1994, Violette Leduc, éloge de la bâtarde,
et sera co-scénariste du film Violette de Martin Provost en 2013.

Sa famille, ses amours
Son frère Jean Pavans est écrivain et traducteur de l'anglais.
René de Ceccatty évoque sa famille, remontant loin dans l'histoire de ses ancêtres, ses amitiés et ses amours, dans ses livres ou dans des entretiens : "J’ai longtemps vécu avec un ami japonais avec qui j’ai fait de nombreuses traductions, et je vis avec un ami algérien que j’ai épousé. Il a des enfants et une petite-fille qui sont ma famille."

Voyages au Japon
- Voyage déterminant au Japon : en 1977-1979, en tant que coopérant enseignant, à la place de son service militaire. C'est avec son élève Ryôji Nakamura qu'il apprend le japonais, avec qui il traduira de nombreux auteurs japonais. Il fera d'autres séjours en 1992, 1993, 2004 et 2006.

-
"Au Japon, j’ai eu l’impression d’atteindre quelque chose de moi-même", rencontre avec René de Ceccatty, par Virginie Bloch-Lainé, Libération, 10 mai 2019.

Enseignement
Il enseignera brièvement la philosophie à Valenciennes "dans la ville de Violette Leduc" et au Japon.

Métiers littéraires
À partir de 1980, il travaille chez différents éditeurs : Denoël, Hatier, Gallimard, Stock, Le Seuil, Vendémiaire.
Il collabore à de nombreux journaux italiens et français : pendant 23 ans au Monde des Livres et actuellement aux Lettres françaises.
Place maintenant aux métiers de traducteur et auteur...

TRADUCTIONS

"J’ai traduit soit seul, soit en binôme pour le japonais que j’ai toujours traduit avec Ryôji Nakamura dont c’est la langue maternelle, quoiqu’il maîtrise le français comme un Français qui n’aurait parlé que cette langue. J’ai traduit des textes que j’ai ou que nous avons choisis et aimés, par affinité profonde. Mais j’ai aussi traduit (et dans ce cas, alors, le plus souvent de l’anglais) pour des raisons alimentaires, autrefois. J’ai traduit aussi de l’espagnol (argentin) pour le théâtre, avec Alfredo Arias ou Facundo Bo. Mais aussi avec d’autres personnes. J’ai traduit du français en italien", écrit René de Ceccatty ("Dans un pays d'adoption", Bon-À-Tirer, n° 159, 1er juillet 2013).
"Avec le japonais, l’italien est la langue que j’ai le plus traduite en français. Et dans ces deux langues, j’ai traduit indifféremment des textes classiques (parfois très anciens, en ce qui concerne le japonais) et contemporains (parfois d’auteurs plus jeunes que moi)."

Du japonais en collaboration avec Ryôji Nakamura (sauf 4 livres traduits seul)

Les deux premiers textes traduits par René de Ceccatty :

" Je voulais traduire un texte de philosophie pour l’éditeur qui allait publier mon premier livre. Ryôji m’a parlé de Shôbôgenzô de Dôgen, le fondateur de la secte sôtô de zen. C’est par des extraits commentés de ce texte d’une extrême difficulté que nous avons commencé. La traduction a paru en 1980 à la Différence. Gilles Deleuze, Philippe Sollers et différents intellectuels l’ont remarquée."

La suite des livres traduits n'est pas rangée par ordre chronologique, mais par nombre de livres traduits.

et dans une collection pour la jeunesse :

Deux éclairages éditoriaux de René de Ceccatty sur la littérature japonaise :
- "Pour en finir avec le japonisme", Le Monde, 15 mars 2012 : débarrassée de l'étiquette exotique, la littérature japonaise apparaît moderne et universelle.
- "Éditer de la littérature japonaise en France", BIEF (Bureau international de l'édition française, avril 2012 : René de Ceccatty brosse un historique très intéressant du rôle de différents éditeurs français : Publications Orientalistes de France, Albin Michel, Gallimard, Stock, La Différence, Le Calligraphe devenu Philippe Picquier, Fayard, Actes Sud, Le Seuil, Le Rocher, Belles Lettres..

Le lien entre la traduction et l'écriture :
"Quand je traduis Pasolini ou le japonais Sôseki, que je ressens intimement proches de moi, je me reconnais à travers des écrivains pour qui j’ai une grande admiration. Ils ont une personnalité écrasante mais qui m’aide à me trouver moi-même. Kôbô Abé a un univers fantasmatique très éloigné de moi mais en même temps un univers fantasmatique minutieusement structuré. L’approche d’une langue à travers des idéogrammes permet une autre vision de la littérature. C’est une ascèse d’entrer dans cet univers. C’est long, très obsessionnel. Il faut respecter le style de l’auteur et surtout respecter le rapport entre le style de l’auteur et la langue d’origine" (entretien, site de la médiathèque de Romorantin, 28 février 2009)

Traductions de l'italien
  • Alberto Moravia
    La Chose
    L'Homme qui regarde
    Le Voyage à Rome
    Trente ans au cinéma
    La Femme léopard
    Promenades africaines
    La Polémique des poulpes
    Histoires d'amour
    Histoires de guerre et d'intimité
    Claudia Cardinale
    Les Deux Amis
    L'Ange de l'information
    L'homme nu et autres poèmes
    Le Petit Alberto
    d'Alberto Moravia et Maraini, Michel de Maule
  • Pier Paolo Pasolini
    Poésies, 1943-1970 (collectif)
    L'Odeur de l'Inde
    Pétrole
    Adulte ? Jamais
    La Persécution
    Poésie en forme de rose
    Descriptions de descriptions
    Sonnets
    Amado Mio
    Nouvelles romaines
    Histoires de la cité de Dieu
    La Religion de mon temps
    Correspondance
    Pasolini, biographie
    de Nico Naldini
    Pasolini par Pasollni de Jon Halliday
  • Umberto Saba
    Couleur du temps
    Ombre des jours
    Le Canzoniere
    Femmes de Trieste
    Ernesto
  • Dante
    La Divine Comédie
    Le Banquet de
    La Vita Nuova
  • Ginevra Bompiani
    Ciel ancien, terre nouvelle
    Le Grand Ours
    L'Âge d'argent
    Le Portrait de Sarah Malcolm
  • Giuseppe Bonaviri
    Ghigò
    La Ruelle bleue
    Histoire incroyable d'un crâne
  • Edith Bruck
    Le pain perdu
    Pourquoi aurais-je survécu ?
    La voix de la vie
    C'est moi, François
  • Alberto Savinio
    Hermaphrodito
    La Boîte à musique
  • Paolo Barbaro
    La Maison aux lumières
    Une entreprise sans fin
  • Sandro Penna
    Un peu de fièvre
  • Roberto Bazlen
    Le Capitaine au long cours
  • Dario Bellezza
    L'Amour heureux
  • Daniele Del Giudice
    Le Stade de Wimbledon
  • Giuseppe Berto
    L'Évangile selon Judas
  • Mario Pomilio
    Le Cimetière chinois
  • Stefano d'Arrigo
    Femme par magie
  • Luchino Visconti
    Le Roman d'Angelo
  • Raffaele La Capria
    Nostalgie de la beauté
  • Casanova
    Discours sur le suicide
  • Giacomo Leopardi
    Chants
  • Rosetta Loy (auteure dont nous avions lu Cœurs brisés et Madame Della Seta aussi est juive)
    L'Italie entre chien et loup
    (trad. en collab. avec Françoise Brun)
  • Enrico Palandri
    Le Chemin du retour
  • Andrea De Carlo
    Chantilly Express
  • Rosita Steenbeek
    Piccola
  • Patrizia Cavalli
    Toujours ouvert
  • La Venexiana (théâtre)
  • Sibilla Aleramo
    J'aime donc je suis
  • Giacomo Leopardi
    Philosophie pratique
  • Pétrarque
    Canzioniere
  • LSD, entretiens avec Albert Hofmann de Antonio Gnoli et Franco Volpi
  • Rita Cirio
    Federico Fellini
  • Leopoldina Pallotta della Torre
    La passion suspendue : entretiens avec Marguerite Duras
Traductions de l'anglais
À 12 ans, il s'était mis à traduire Jane Eyre...
Il vivra 6 mois en Angleterre en 1980.
  • Horace Walpole
    Les contes hiéroglyphiques
    La mère mystérieus
    e

ROMANS, RÉCITS

- 1979 : Personnes et Personnages, éd. de la Différence
- 1980 : Jardins et Rues des capitales, éd. de la Différence
- 1982 : Esther, éd. de la Différence
- 1985 : L'Extrémité du monde, Denoël
- 1986 : L'Or et la Poussière, Gallimard
- 1987 : Babel des mers, Gallimard
- 1988 : La Sentinelle du rêve, Michel de Maule
- 1990 : L'Étoile rubis, Julliard
- 1992 : Le diable est un pur hasard, Mercure de France
- 1994 : L'Accompagnement, Gallimard
- 1996 : Aimer, Gallimard
- 1998 : Consolation provisoire, Gallimard
- 2000 : L'Éloignement, Gallimard
- 2002 : Fiction douce, Seuil
- 2004 : Une fin, Seuil
- 2005 : Le Mot amour : dialogues, Gallimard
- 2007 : L'Hôte invisible, Gallimard
- 2012 : Raphaël et Raphaël, Flammarion
- 2015 : Objet d'amour, Flammarion
- 2017 : Enfance, dernier chapitre, Gallimard
- 2019 : Mes années japonaises, Mercure de France
- 2022 : Le Soldat indien, Editions du Canoë

THÉÂTRE

René de Ceccatty a écrit une tragédie à 15 ans. En 1968, à 16 ans, il écrit une pièce intitulée Frühling qu'il joue avec deux amiesdans deux théâtres à Montpellier et dans l'arrière-salle d'un bar à Avignon pendant le Festival de 1969 (17 représentations au total).
Par la suite il écrit des adaptations, ainsi que des pièces avec Alfredo Arias, metteur en scène et acteur également. Voici "juste" leurs collaborations :


- 1992 : revue Mortadela, Molière du Meilleur Spectacle Musical
- 1995 : Faust argentin, La Cigale
- 1999 : Les Peines de cœur d'une chatte française, MC93 Bobigny
- 2000 : La Dame aux camélias, d'après Alexandre Dumas fils, avec Isabelle Adjani, Théâtre Marigny
- 2001 : Les Bonnes de Jean Genet, avec Marilú Marini, Théâtre de l'Athénée, Théâtre des Bouffes-Parisiens
- 2002-2003 : Concha Bonita, Théâtre national de Chaillot en, puis en tournée ; Catherine Ringer, y joue..
- 2005 : La Belle et les Bêtes
- 2005 : Mère et fils de René de Ceccatty, Colette Fellous et Louis Gardel, Théâtre national de Nice
- 2007 : Divine Amoire, au Théâtre du Rond-Point, avec Marilú Marini
-
2012 : Buenos Arias, comportant deux pièces Hermanas et Cinelandia, Petit Montparnasse
- 2013 : El Tigre, Théâtre du Rond-Point
- 2017 : Madame Pink, Théâtre du Rond-Point.

POUR LA JEUNESSE

- 1987 : La Princesse qui aimait les chenilles, contes japonais, collab. Ryoji Nakamura, ill. Claude-Max Lochu, Hatier
- 1990 : Rue de la Méditerranée, ill. Mireille Vautier, Hatier
- 1996 : Le Père Noël du siècle, collab. Alfredo Arias, Seuil jeunesse
- 1999 : Peines de cœur d'une chatte anglaise d'après P.J. Stahl, coll. Alfredo Arias
- 2005 : La Belle et les Bêtes, collab. Alfredo Arias, Heyoka Jeunesse, Actes Sud-Papiers



BIOGRAPHIES, ESSAIS
"Quand j’écris sur les autres, j’essaie de me comprendre moi-même, c’est certain." ("Entretien avec René De Ceccatty par Ralph Heyndels Bon-À-Tirer, n° 153, 15 juin 2011)

- 1994 : Violette Leduc, éloge de la bâtarde, Stock
Associons deux autres œuvres à cette biographie :
- une thèse de philosophie en 1980 : Evidence de Violette Leduc
- un scénario, du film Violette de Martin Provost sorti en 2013 (co-scénariste)

- 1996 : Laure et Justine, Jean-Claude Lattès
- 1982 : Mille ans de littérature japonaise (collab. Ryôji Nakamura), éd. de la Différence ; rééd. Picquier, 1998 ; format poche, 2005
- 2004 : Sibilla Aleramo, éd. du Rocher
- 2005 : Pasolini, Gallimard
- 2009 : Maria Callas, Gallimard
- 2010 : Alberto Moravia, Flammarion
- 2011 : Noir souci (Leopardi), Flammarion
- 2011 : Se souvenir et oublier, entretiens avec Adriana Asti, Portaparole
- 2013 : Un renoncement (Garbo), Flammarion
- 2014 : Mes Argentins de Paris, Séguier
- 2018 : Elsa Morante, une vie pour la littérature, Tallandier
- 2018 : Le Christ selon Pasolini : une anthologie, Bayard
- 2022 : Avec Pier Paolo Pasolini, éd. du Rocher

RENÉ DE CECCATTY, ÉDITEUR

René de Ceccatty a des expériences variées chez divers éditeurs. Dans un article dans Marianne sur le métier de directeur de collection (Nicolas Dutent, 10 décembre 2019), René de Ceccatty définit ce rôle particulier :

Un directeur de collection, qu'il ait ou non effectivement créé une collection, choisit ses auteurs et parfois les incite à écrire un livre dont il leur suggère la thématique et l'orientation, selon une charte plus ou moins contraignante. Il est donc, le plus souvent, à l'origine du projet. Parfois, il accueille des auteurs qui sont inspirés spontanément du thème de la collection (un souvenir d'enfance par exemple, une rencontre déterminante, une passion pour un auteur, un fait divers, etc.) et qui viennent proposer leur livre achevé ou en cours. S'il s'agit de littérature étrangère, il caractérise sa collection par sa culture ou par son goût, qui se définissent par le style, les sujets, les genres littéraires auxquels appartiennent les livres qu'il publie.

J'ai créé plusieurs collections : "Haute Enfance", chez Hatier (avec Colline Faure-Poirée) qui, comme le titre l'indique, était consacré à des souvenirs d'enfance. La collection s'est prolongée chez Gallimard, d'abord avec, puis sans moi. J'ai également créé "Solo" au Seuil, qui était plus large, et demandait aux auteurs de s'impliquer personnellement, même dans des fictions, pour rendre subjectif le récit qui devait répondre à une obsession particulière.

Cette collection a accueilli des auteurs très divers, parfois même étrangers, quand j'avais le sentiment que leurs œuvres correspondaient à l'esprit que je voulais insuffler à ma collection (Pasolini, Gustaw Herling, Paolo Barbaro), et de toutes les générations, d'auteurs aguerris ou débutants. J'ai ensuite créé "Réflexion", où des écrivains de fiction publiaient des essais sur la création, sur leur travail, sur leurs lectures, et parfois des poèmes (Adonis, par exemple). Le travail d'un directeur de collection est de créer un certain esprit, une certaine famille littéraire, un espace de liberté, peut-être plus grand que sous les couvertures "généralistes" de la maison d'édition qui l'héberge.

Il dirige actuellement la collection "Compagnons de voyage" créé en 2020 chez Vendémiaire, définie ainsi : "Il y a des livres qui dépassent les frontières des pays où ils sont nés et celles du temps où leurs auteurs ont vécu. Ce sont les classiques étrangers qui nous accompagnent sans lassitude et auxquels nous ne cessons de revenir. Chacun de nous a cette bibliothèque portative."


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