Flannery O'CONNOR, Les braves gens ne courent pas les rues, trad. Henri Morisset, Folio, 288 p.

Quatrième de couverture :

Dix nouvelles de la grande romancière américaine. Tout le monde prend vie en quelques secondes, et s'impose à nous : tueurs évadés du bagne, un général de cent quatre ans, une sourde-muette, une jeune docteur en philosophie à la jambe de bois, un Polonais que la haine des paysans américains accule à une mort affreuse, et, grouillant à l'arrière-plan, les petits fermiers, les nègres paresseux et finauds.
Les braves gens ne courent pas les rues, telle est la morale assez pessimiste qui se dégage de ces récits. Flannery O'Connor possède, comme Dickens, le don de la caricature mais aussi un humour implacable, une fantaisie grinçante jusque dans le tragique et l'horreur.

Les braves gens ne courent pas les rues, Gallimard, collection "Du monde entier", 1963, 240 p.

Quatrième de couverture :

Dix nouvelles de la grande romancière américaine. Tout le monde prend vie en quelques secondes, et s'impose à nous : tueurs évadés du bagne, un général de cent quatre ans, une sourde-muette, une jeune docteur en philosophie à la jambe de bois, un Polonais que la haine des paysans américains accule à une mort affreuse, et, grouillant à l'arrière-plan, les petits fermiers, les nègres paresseux et finauds.
Les braves gens ne courent pas les rues, telle est la morale assez pessimiste qui se dégage de ces récits. Flannery O'Connor possède, comme Dickens, le don de la caricature mais aussi un humour implacable, une fantaisie grinçante jusque dans le tragique et l'horreur.

Flannery O'CONNOR (1925-1964)
Les braves gens ne courent pas les rues
(1955 aux USA, traduction en 1963)

Nous avons lu ce recueil de 10 nouvelles pour le 14 avril 2023 et le nouveau groupe l'a lu pour le 21 avril.

- Les braves gens ne courent pas les rues
- Le fleuve
- C'est peut-être votre vie que vous sauvez
- Un heureux événement
- Les temples du Saint-Esprit
- Le nègre factice
- Un cercle dans le feu
- Tardive rencontre avec l'ennemi
- Braves gens de la campagne
- La Personne Déplacée


     DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Les livres de Flannery O'Connor

Une courte vie stupéfiante
Radio : des émissions qui valent la peine
Vidéos et diaporamas en anglais
Qui a découvert F. O'Connor en France ?

Les 13 cotes d'amour
Etienne Nathalie Renée

Entreet Catherine Jacqueline Monique L

Annick LBrigitte ClaireFanny Laura
Françoise
Jérémy

Avis de Danièle en attente de complément

Laura(avis transmis)
Je n'ai pas réussi à terminer le bouquin, manque de temps mais aussi… d'intérêt. J'ai pourtant bien avancé, intriguée par l'ensemble, mais à "Un cercle dans le feu", j'ai lâché le livre. En réalité, la lecture a commencé fort pour moi, avec les deux premières nouvelles notamment, qui m'ont vraiment fait beaucoup d'effet. Je les ai trouvées surprenantes, étonnantes, peu communes, merveilleusement morbides. C'est la première qui m'aura le plus marquée, jouant sur les registres, entre le comique et le tragique - l'incompréhension et la si grande naïveté de la grand-mère, corrélée aux meurtres dans les bois, cachés, non-dit, étouffés, sauf les cris - le ridicule, et cette constante antithèse, finalement, entre la grand-mère et le reste du monde, entre ses éblouissements constants et la désillusion de sa famille. Et pourtant j'ai retrouvé cette naïveté, cette bonté, autant chez le personnage du serveur, que chez l'assassin. Comme si la grand-mère n'avait pas encore été corrompue par la vie et qu'elle dévoilait, chez chaque personnage, la part de bonté encore intacte en eux. Ce fut donc une grande découverte pour moi !
Le seul problème, c'est que je m'attendais à enchaîner ces surprises dans les nouvelles suivantes. Seulement, dès le début de ma lecture de la deuxième nouvelle, accompagné du titre ("Le fleuve") peu éclairant en soi, mais très significatif, j'anticipais déjà la fin : donc pas de surprise, même si la violence de l'histoire était encore cathartique pour moi. En bref, "je m'éclatais" dans ces chutes perverses. Puis il y a eu la suite - Mr Shiftlet, la grossesse, le nègre factice - qui ne m'ont fait ni chaud ni froid, mise à part un peu de déception : ces nouvelles ne valaient vraiment pas les deux premières à mes yeux. L'erreur des personnages, leur immoralité, les surprises, tout cela ne m'a pas semblé si renversant : oui, Mr Shiftlet abandonne la jeune mariée, oui le grand-père renie son petit-fils (je me demande d'ailleurs s'il est possible de voir dans cette scène de reniement et de persécution - nombre d'inconnus entourent l'enfant avec beaucoup de violence - une métaphore christique, accompagnée du silencieux pardon qu'accorde l'enfant au grand-père), mais en soi je n'y ai rien vu de bien dramatique - il n'y a pas mort d'homme. Parmi ces trois nouvelles, seule "Un heureux évènement" m'a étonnée, en fin de lecture notamment, où j'ai compris que la grossesse était en réalité anticipée depuis le début de la nouvelle à travers la description physique du personnage. Elle n'a que 34 ans, mais déjà sa "silhouette évoquait une urne funéraire" (p. 75 éd. Folio). Si les nouvelles qui ont suivi ne m'ont pas semblé renversantes, je ne peux dénier à Flannery O'Connor une grande finesse d'écriture, qui parvient à mêler l'horreur, la tristesse, la mort, à un humour et une ironie habiles. La comparaison à l'urne m'a fait pouffer de rire, je l'avoue ! Je ne rejette absolument pas ses écrits, et les ai sincèrement appréciés, tout comme j'ai pris grand plaisir - je le souligne - à lire un recueil de nouvelles : c'est une forme vraiment agréable qui s'adapte bien au temps que l'on souhaite y consacrer, peu ou beaucoup. Je soutiens et encourage donc d'autres lectures de ce type ! J'en profite alors pour faire une proposition : la lecture des nouvelles d'O'Connor m'a fait penser à une petite nouvelle que j'ai lue il y a quelques années : "Once upon a time" de Nadine Gordimer. Je garde le souvenir positif d'un écrit étonnant, politique, renversant, peuplé de peu de "braves gens"… Sa plume est elle aussi très fine, acérée et réfléchie. La nouvelle a été publiée en France en 1991 dans le recueil Le safari de votre vie et autres nouvelles*. Bien que Gordimer ait été lue dans le groupe, en juin 2004 (il y a déjà presque 20 ans !), la lecture a été celle d'un roman et non de nouvelles : si vous avez été déçus, il est possible de lui offrir une seconde chance. Qui plus est avec Gordimer, on part loin, en Afrique du Sud, en plein apartheid ; et on lit une femme. C'est pas mal, non ? Pour O'Connor, j'ouvre aux ¾.
Je
souhaite à tout le monde une belle soirée illuminée de ces intéressantes et bien particulières nouvelles…

*Nous constatons que Laura a bien vendu sa marchandise... Las, le livre épuisé est vraiment introuvable...

Danièle, un peu malade, transmet juste un sms...
Je n'ai pas fini de lire O'Connor. Je me suis demandé un moment si elle n'était pas malade ou perverse… Si ce n'était l'humour qui transparaît, j'aurais refermé le livre. Peut-être étais-je trop fatiguée pour me concentrer ?...

Catherine
, entre et
Je ne connaissais pas Flannery O'Connor ; j'ai assez peu lu d'auteurs du Sud et, comme beaucoup de français, semble-t-il, je ne suis pas fan de nouvelles, mais là, j'ai adoré…
Flannery O'Connor a un vrai talent pour, en quelques phrases, planter un décor, créer une ambiance. On est face à une galerie de personnages improbables, le tueur évadé du bagne, le faux général de 104 ans, l'unijambiste docteur en philosophie... C'est très drôle et en même temps féroce, parfois morbide. J'ai beaucoup aimé l'écriture.
J'ai été scotchée par la première nouvelle, je ne m'attendais pas du tout à un dénouement pareil. Ça commence assez soft et ça finit par une tuerie, précédée d'un dialogue là encore totalement improbable entre la grand-mère et le tueur. Ensuite on est moins surpris, on n'attend plus de happy end. Certaines nouvelles sont plus insignifiantes - "Un heureux événement" par exemple - ou seulement drôles - le faux général qui meurt pendant la distribution des diplômes sans que personne ne s'en aperçoive et qu'on transporte devant le distributeur de Coca. J'ai beaucoup aimé "Braves gens de la campagne", mais ma nouvelle préférée est la dernière, "La Personne Déplacée" : c'est la plus féroce, on est confronté au summum de la xénophobie, de la bêtise et de la méchanceté.
Peu de personnages sont épargnés dans ces nouvelles, quelques enfants, mais pas tous. La religion est omniprésente, mais il s'agit plutôt d'usurpateurs, sauf peut-être le prêtre catholique de "La Personne Déplacée". C'est aussi une peinture du Sud "profond" des États-Unis, des rapports entre petits Blancs et Noirs ; on ne sait d'ailleurs pas quelle est la position de Flannery O'Connor sur le sujet. Elle décrit.
Une vraie découverte pour moi. J'ouvre entre ¾ et entier.
Nathalie
Cela aura été un livre coup de poing qui frappe en plein cœur quand il est lu à une époque où le mot "bienveillance" perle à toutes les commissures de bouches ! Et surtout en ce qui concerne les enfants.
J'ai eu souvent la nausée, souvent envie d'abandonner parce que cela me tordait les tripes quand ce qu'on pourrait considérer comme du vice ou de la perversion venait du monde de l'enfance.
Pourtant je n'avais qu'une envie, c'était de raconter tout à tout le monde ! C'est un pouvoir incroyable cette possibilité de raconter en quelques minutes quelque chose d'aussi complexe.
Les histoires sont pointues, ciselées, efficaces.
L'écriture est riche, souple et parfaitement rythmée. J'ai adoré le procédé de la multiplication des points de vue.
Par exemple, dans la dernière nouvelle, le récit met en place un faisceau de regards ! Lors de l'arrivée des déplacés on a un incroyable faisceau de regards ! Tout le monde regarde quelque chose : le paon regarde Mrs Shorley qui est regardée par le narrateur extérieur, le soleil regarde également la scène (sic), les deux travailleurs noirs regardent également, cachés mais elle sait qu'ils sont là et enfin, dans un véritable choix cinématographique, Mc Intyre, regarde le couple descendre de la voiture : le champ de vision se rétrécit puis s'ouvre pour que puisse s'y trouver inclus la femme et les deux enfants du déplacé. On retrouve le même procédé plusieurs fois dans les nouvelles. Il y a toujours quelqu'un, une sorte de témoin silencieux qui regarde et accompagne la narration extérieure. Il me semble que l'appropriation de l'espace - quel qu'il soit - est une thématique récurrente du recueil. Chacun pense être à une place et le hasard vient bousculer la donne.
Le fait que les enfants soient abominables m'a beaucoup touchée. Celui qui se noie va à sa propre perte par sa méchanceté et son esprit obtus qui ne comprend rien. Je le trouve abominable même si on peut considérer qu'il est maltraité, j'ai très mal vécu son désir de faire le mal, c'est la même chose chez les enfants dans le cercle de feu.
Celui qui m'a le plus émue c'est l'enfant dans le nègre factice. J'ai eu l'impression qu'il était le seul qui aurait pu voir au-delà des apparences et j'ai trouvé la scène de "rencontre" avec la femme noire qui lui indique le chemin absolument magnifique.
J'ai vraiment eu l'impression que malgré l'absence de jugement sur ses personnages, l'écrivaine revendiquait l'humanité et l'égalité des personnes noires.
Bref, j'ouvre en grand.

Monique L, entre
et
La lecture de la première nouvelle m'a happée et m'a laissée comme sidérée. Toutes les nouvelles ne m'ont pas aussi fortement impressionnée, mais dans l'ensemble j'ai apprécié.
C'est une expérience savoureuse que cette lecture. C'est un délice bien que l'arrière-goût soit amer. C'est troublant et dérangeant.
J'ai été entraînée par ces histoires, par leur rythme, leur écriture.
Flannery O'Connor porte un regard acéré, féroce et lucide sur la bêtise humaine, la méchanceté des hommes, l'obscurantisme religieux. Elle nous dépeint la petite classe moyenne, superstitieuse, remplie de préjugés mesquins du Sud ségrégationniste de l'époque. Elle ne porte pas de jugement sur les êtres, elle les décrit.
C'est une description de cette région : zones rurales abandonnées, villes segmentées en quartiers et ghettos, services publics et sociaux absents, indifférence des citoyens entre eux, travail partisan de la police, enfance laissée en déshérence... situation de subordination des Noirs par rapport aux Blancs.
Elle a l'art du portrait : l'aspect physique, la manière de se tenir, la voix, le regard, les pensées… En quelques mots, l'atmosphère est donnée, pour camper les personnages et la situation.
C'est concis, percutant, incisif, grinçant, parfois ironique ou narquois.
Mes nouvelles préférées : "Les braves gens ne courent pas les rues", "Tardive rencontre avec l'ennemi", "La Personne Déplacée".
Ce qui est remarquable et rend ces récits étranges, c'est leur composition : ils nous promènent et s'arrêtent de façon assez abrupte. C'est très particulier.
J'ouvre aux ¾.
Brigitte
(à l'écran depuis la Normandie)
D'un côté j'ai rapidement vu que j'avais affaire à un très bon auteur et de l'autre j'ai été découragée par la succession de nouvelles. Chaque fois, il faut entrer dans un nouvel univers, c'est parfois difficile. Avec une tonalité grinçante, chaque nouvelle met en évidence les lâchetés et faiblesses des divers personnages.
Dans la première nouvelle, je me suis identifiée avec la grand-mère qui, dans ses souvenirs de jeunesse, confond les noms des états américains et embarque toute sa famille dans un périple tragique, car elle n'ose pas avouer son erreur.
Je retiens "Les Temples du Saint-Esprit" qui raconte les délires de deux adolescentes de quatorze ans élevées dans une école catholique : elles se régalent du vocabulaire religieux, tout en faisant les quatre cents coups. Un sujet que je n'avais jamais vu traiter.
J'ai particulièrement apprécié "Le nègre factice" : le voyage en train et l'excursion dans la ville voisine, nous introduisent dans les profondeurs du Sud américain. Cette fois-ci, c'est de miséricorde et de pardon qu'il s'agit.
"Braves gens de la campagne", où le vendeur de bibles fait la cour à Joy/Hulga en lui disant "qu'elle n'est pas comme les autres", uniquement pour lui voler sa prothèse de la jambe ! Joy/Hulga qui "au fil des ans ressemblait de moins en moins aux autres et de plus en plus à elle-même".
Malgré une certaine lassitude, j'ai continué ma lecture et j'ai bien fait, puisque la nouvelle qui m'a le plus impressionnée, c'est la dernière. On y retrouve le problème du mal engendré par la bêtise, la lâcheté intellectuelle qui mène à l'amalgame, tel ce raisonnement : cet homme qui porte de petites lunettes cerclées de métal me rappelle celles d'un Allemand contre qui j'avais combattu au moment du débarquement américain de la fin de la deuxième guerre mondiale, c'est donc un nazi. En fait, il s'agit d'un Polonais échappé des camps dont on ne comprend pas la langue, c'est trop dérangeant. En plus il travaille avec efficacité dans un lieu où triomphe le laisser-aller, cela dérange les habitudes. Donc on va s'en débarrasser. La patronne qui a plus ou moins initié ce crime est finalement abandonnée de tous sauf peut-être du prêtre et des paons !
Cette nouvelle me rappelle "Monsieur Durant" de Dorothy Parker que nous avions lue l'an dernier. On y retrouve les mêmes ingrédients (bêtise, lâcheté, amalgame…), qui conduisent toujours à des drames. J'ouvre aux ¾
.
Jacqueline, entreet

Ça se lit merveilleusement bien. Je l'ai d'abord lu comme des nouvelles noires, comme un polar… puis, à la relecture de certains passages, je découvrais d'autres choses, il y avait plus que cela, j'ai trouvé que c'était solide.
J'ai beaucoup aimé les dialogues, tout en subtilité, où l'on entre sans pouvoir bien situer les protagonistes… À peu près à la même époque, Hemingway faisait des choses comme ça.
Je me serais assez bien passée des descriptions de personnages, précises, souvent humoristiques, mais qui ne me permettent guère de les situer, faute de connaître le code, sûrement évident pour les contemporains américains. De toute façon, en général, dans la vie, je me souviens mieux des paroles entendues que de l'aspect physique.
Par contre, j'ai beaucoup aimé les descriptions inattendues de paysage : un nuage comme un navet…
Cette lecture a été une évocation extraordinaire d'une société et des petites gens qui la composent. La dernière nouvelle "La Personne Déplacée" est ma préférée ; elle a une autre résonance : je n'étais plus dans une histoire noire, bien construite, mais dans une autre facette de ce que je crois connaître…
J'ouvre ¾ +
Jérémy (présent pour la première fois)
Avant la lecture
Je n'avais jamais entendu parler de l'autrice et ne connaissais même pas son nom. Je n'avais donc aucun a priori la concernant. Je ne suis pas lecteur de nouvelles, je préfère m'installer dans le temps long du roman. La 4e de couverture mentionnant des tueurs évadés du bagne et des nègres et la photo de couverture utilisée dans l'édition de poche m'ont fait penser que nous nous situerions dans un État du Sud des États-Unis, dans les années 1940-1950. Là non plus, ce n'est pas vraiment l'imaginaire de lecture vers lequel je me dirige habituellement. Mais la 4e de couverture met en avant un "humour implacable" et une "fantaisie grinçante", ce qui aurait vraiment pu me plaire. J'ai donc abordé ce livre dans un état d'esprit "mi-figue mi-raisin".
La lecture
J'ai lu ce recueil de nouvelles sans déplaisir, par petites touches, certainement en raison du style aiguisé. J'ai tout de même trouvé lourdes les descriptions de paysages : j'ai fini par relever toutes les occurrences du mot "soleil" tant il revient ! Pour autant, il n'a pas touché mon affect. Je n'ai pas été ému, inspiré, agacé ou transporté. J'ai souri à quelques reprises tout au plus, mais je n'ai pas du tout ri ! Je suis resté assez extérieur au pessimisme de ce livre mal aimable. Il s'en dégage une vision très sombre de l'humanité : rien ni personne ne nous sauvera et il n'y a de toute façon rien à sauver puisque nous sommes tous intrinsèquement mauvais. L'autrice n'esquisse aucune porte de sortie. Il n'y a pas de lumière, aucun espoir, pas d'échappatoire. Tout peindre en noir comme elle le fait confine au cynisme et à la facilité.
Je l'ai donc lu en me demandant à chaque nouvelle où elle "voulait en venir". Je n'ai parfois trouvé aucune réponse à cette interrogation, comme dans "Tardive rencontre avec l'ennemi" ou "Un heureux évènement".
Il me semble qu'un fil directeur se dégage d'un certain nombre de nouvelles : une satire des personnes ayant la foi, ou tout du moins des personnes qui n'ont que la religion et Dieu à la bouche mais dont le cœur et les actes sont bien loin des dogmes du christianisme :
- Mrs Cope dans "Un cercle dans le feu" qui manque au devoir d'hospitalité, ne fait preuve d'aucune empathie et est très attachée aux biens terrestres
- le "représentant en bibles" dans "Braves gens de la campagne", qui n'est qu'un Tartuffe fétichiste qui abuse de la fille à la jambe de bois
- le prédicateur orgueilleux dans "Le Fleuve"
- le prêtre dans "La personne déplacée", qui, par son déni et en faisant la sourde oreille lorsque Mrs McIntyre lui dit qu'elle souhaite renvoyer le Polonais, a une part de responsabilité dans sa mort.
J'ai bien aimé la manière dont les enfants sont présentés et surtout le fait qu'ils s'expriment comme des adultes et portent sur ce qui les entoure un regard lucide et aiguisé. Ils sont à la fois :
- malpolis et grossiers dans "Les braves gens..."
- cruels et sarcastiques dans "Les Temples du Saint-Esprit" (la petite fille) ou superficiels (les deux adolescentes)
- bornés et fiers dans "Le nègre factice"
- inquiétants, ingrats et criminels dans "Un cercle dans le feu"
- un peu bêtes et morveux dans "Le fleuve".
Alors qu'ils représentent l'avenir de l'humanité, ils sont déjà, eux aussi, condamnés et il n'y a donc rien à espérer d'eux non plus.
En définitive, ce recueil de nouvelles m'a interpellé mais pas touché. Je n'aurai ni envie de le relire ni envie d'en recommander la lecture !

Renée (à l'écran depuis Narbonne)
Je n'avais pas du tout envie de lire ce livre, ayant envie d'auteurs contemporains.
Or j'ai eu beaucoup de plaisir. Le thème est pour moi : le mal.
La cruauté, le racisme, l'égoïsme, la méchanceté gratuite, ont suscité mon intérêt. La nouvelle avec les loubards est tout à fait d'actualité (on en a du même type à Argelès).
L'écriture réaliste est très forte. Avec des personnages épouvantables, par exemple l'homme dans l'histoire de la mère qui veut marier sa fille débile. Idem celui qui dérobe sa jambe de bois à une adorable et courageuse jeune fille : c'est violent.
La dernière nouvelle "La Personne Déplacée" est remarquable. Il y a deux phrases qui m'ont frappée : "Au fil des ans, vivre était devenu une telle habitude que tout autre état lui semblait inconcevable." et "
Il flottait autour de sa personne une odeur de factures".

Brigitte
"manipulées" !
Renée
Ah oui : "tendrement manipulées".
Je pense à
Joan Didion (jamais lu à Voix au chapitre !), plus "moderne". Mais j'ai pris plus de plaisir à lire Flannery que Didion. Elles sont pessimistes toutes les deux : Didion nous décrit la décadence de cette bourgeoisie des USA, l'ennui, la drogue, le sexe triste. C'est davantage contemporain mais on a tellement rabâché ça depuis, que j'en ai un peu marre.
Après la soirée : finalement, alors que je pensais l'ouvrir aux ¾, je l'ouvre en grand. J'ai relu des passages et je l'ai proposé avec enthousiasme à mon groupe de Narbonne : je vous dirai les réactions...
Françoise
Je fais partie de ceux qui n'aiment pas les nouvelles, mais j'ai bien aimé au début l'écriture percutante, l'ironie mordante, l'humour, mais quel pessimisme ! Pas de racisme car tout le monde, Blancs, Noirs, vieux, jeunes, etc. est renvoyé dos à dos.
Aucune "humanité", dans le sens positif du terme. Mais tout cela, mené avec brio je l'admets, m'a assez vite lassée, car attendu.
Dès que j'ai compris que chaque histoire allait être horrible et mal se terminer, plus d'espoir et plus de curiosité, la lecture m'est devenue pénible.
N'étant pas enthousiaste, j'ouvre à moitié.
Annick L

Flannery 0'Connor est indéniablement une auteure remarquable, avec un talent particulier pour écrire des nouvelles. Elle sait camper en quelques images un cadre, des personnages, l'enjeu d'une histoire et elle sait faire monter rapidement la tension narrative. J'ai d'ailleurs été surprise par la confrontation brutale, dès la première nouvelle, de cette famille très ordinaire avec la folie de ce tueur psychopathe et ses comparses qui vont les achever un à un. J'ai même relu une deuxième fois le dialogue surréaliste entre la grand-mère et "le Désaxé" pour tenter de le ramener à sa part d'humanité. Quel choc !
La mécanique fonctionne bien : je savais ensuite à quoi m'attendre et je guettais le moment où l'irruption d'un personnage, voire une situation inédite (par exemple le grand-père et son petit-fils venus de leur campagne pour découvrir la grande métropole et ses habitants afro-américains) allait faire déraper leur existence misérable mais balisée. De ce point de vue j'ai été comblée !
J'ai aussi beaucoup aimé cette peinture sociale burlesque avec sa galerie de personnages, handicapés (une jeune fille sourde-muette, un manchot, une agrégée de philo avec sa jambe artificielle) voire dégénérés (le grand-père qu'on exhibe dans son fauteuil roulant, les trois jeunes voyous qui mettent le feu aux champs, le faux prédicateur manipulateur et fétichiste). Le Mal est partout ! Et la dernière nouvelle est particulièrement tragique puisque, cette fois, l'arrivée de cette famille de Polonais qui a fui les camps de la mort en Europe va servir de révélateur aux pires instincts de xénophobie, de haine de l'Autre, chez ces petits Blancs qui vivent dans la ferme : le Mal vient ici de l'intérieur...
Quel pessimisme ! Il y a d'ailleurs peu de lueurs d'espérance, ou de rédemption (pour utiliser un terme religieux), sauf à la fin de la nouvelle "Le Nègre factice". Une sorte de malédiction semble frapper ce petit monde. Du coup c'est une lecture dérangeante, qui nous plonge dans les aspects les plus sombres de la nature humaine.
Une seule réserve : je me suis sentie étrangère à toute la dimension spirituelle, métaphysique, qui imprègne certains dialogues ou certaines histoires, comme dans "Le fleuve", "Les temples du Saint-Esprit", les sermons du prêtre catholique dans "La personne déplacée"…
J'ouvre aux ¾.
Fanny
J'avais oublié que c'étaient des nouvelles et attendais la suite après un premier chapitre. Bon, mais ce ne fut pas comme ce recueil de nouvelles que nous avions lu - et dont je ne retrouve plus le titre et l'auteur - où je me suis fait avoir, croyant pendant un bon moment être dans un roman....
J'ai très vite pensé à Jim Harrison.

Françoise, fan de Jim
Tu ne peux pas dire ça !

Fanny
Si... Pour sa manière de dresser une peinture sociale.
Après la première nouvelle et "Le fleuve", j'ai compris, bon OK, ça va mal finir. "L'heureux événement", je n'ai pas trop compris, et avec "Le temple du Saint-Esprit", j'ai eu un coup de mou. Le mel de Claire est arrivé sur ces entrefaites, ça m'a aidée à raccrocher la lecture. Contrairement à Jérémy qui ne se verrait pas relire le livre, je trouve qu'il gagnerait à être relu.
On rit des chutes. Et il est difficile de s'apitoyer sur ces "affreux, sales et méchants", et même sur le Polonais de la dernière nouvelle, venu des camps... pas sûr qu'il ne va pas s'en mettre plein les poches.
Mon seul bémol, qui vient en fait de mon plaisir, j'aurais envie de rester avec les personnages ; donc j'ouvre aux
¾ en raison de cette frustration.
Claire
Je trouve un point commun avec notre lecture précédente, La Ronde : les personnages plus ou moins monstrueux ne sont pas jugés, il n'y a pas de moralisation. Faut l'faire, car question péchés, on cumule...
J'ai pourtant lu le livre il y a peu, mais j'ai beaucoup oublié comme d'hab : aussi ai-je relu ce jour
toutes les premières phrases et toutes les dernières phrases : 20 phrases donc, et j'ai retrouvé tout l'univers d'un coup.
J'aime l'excès dans ce livre. C'est-à dire ?
Les descriptions au couteau, qui, contrairement à toi, Jacqueline, me font sauter les personnages aux yeux : "Ses cheveux couleur de mûres s'entassaient autour de sa tête comme des petits pains à saucisses" ou "c'était une grosse femme, dont les yeux verts roulaient dans leur orbite, comme s'ils avaient été huilés."
(Je me suis demandé comment aujourd'hui paraissent les phrases en anglais avec le mot "nègre".)
J'ai aimé une sorte d'humour : "Tiens, tiens ! marmonna Mrs. Cope, en lançant derrière elle une grosse touffe de chiendent. Elle l'extirpait comme un fléau envoyé par Satan pour détruire sa propriété". Enfin, de là à éclater de rire comme certaines... que je vois rejoindre la cohorte des désaxés du livre...
Et excès bien sûr dans l'horreur des histoires : elles sont toutes horribles, avec une distance, une narration sèche qui en font la force et le point commun. Je remarque que soit ce point commun lasse (Françoise par exemple), ou est jouissif (Annick par exemple). Le clou pour moi c'est la docteure en philosophie qui se fait chourrer dans une scène de séduction sa jambe de bois : TOO MUCH !
Pour ma part, je recommanderai ce livre avec circonspection, mais enthousiasme mystérieux, du genre ça peut pas plaire à tout le monde, sous-entendu faut en être pour aimer...
Après j'ai découvert l'auteure, et là j'ai été scotchée. Elle qui vit dans la souffrance, le mal de la maladie, quel humour sur soi ! (Voir par exemple ›ici).
Pour ce qui est de la religion, j'invite à lire l'introduction que le traducteur a rédigée à son premier roman sur les évangélistes, en partie grâce à de la doc que lui a fournie Flannery : c'est vraiment croustillant.
Etienne
(à l'écran depuis Rennes)
C'est n'est finalement qu'au bout de quelques pages de ce recueil, lu il y a quelques mois, que j'ai réalisé que Flannery O'Connor m'avait fait une très forte impression. Ce sentiment qu'une immense écrivaine s'imposait d'emblée, une sorte d'autorité qui ne fait pas de place au doute. Oui, je n'ai lu que Les Braves Gens ne courent pas les rues (je suis en train d'enchaîner avec Mon mal vient de plus loin), mais elle est probablement devenue mon écrivaine états-unienne préférée.
(Etienne montre à l'écran l'énorme volume des Œuvres complètes en Quarto - plus de 1200 pages et près d'un kilo...)
Je suis depuis plusieurs années dans une quête littéraire du Sud des États-Unis (rappelez-vous mes propositions Dites-leur que je suis un homme, plus récemment Le Brigand bien-aimé, et ce n'est peut-être pas fini…) et Ms O'Connor s'est donc logiquement imposée à moi.
Ce qui m'a donc frappé en premier fut évidemment ses personnages d'une densité rarement égalée : des hommes et des femmes crus, profonds, sans concession, presque palpables. Cette impression de les connaitre intimement au bout de trois pages et le tout sans fioritures. Il y a une impression d'incarnation que j'ai rarement rencontrée. Oui, je trouve que la comparaison avec Dickens n'est pas galvaudée.
Ensuite, et il faudra quand même que je le vérifie à la lecture de ses romans, j'ai trouvé la construction de chaque nouvelle quasi parfaite : une accroche, une montée en tension brillante et un dénouement souvent inattendu : mais quelle gifle que la nouvelle inaugurale, quelle tension insoutenable, on se dit que non il doit rester une once d'humanité à ce brigand, que lui aussi doit avoir une mère…
Quel humour grinçant aussi, le malaise côtoie souvent le rire jaune : la leçon cuisante mais malgré tout pleine d'humanité du "Nègre factice", la pathétique mais hilarante "Tardive rencontre avec l'ennemi".
Enfin le fond du livre, livre dont le titre aura rarement été aussi honnête : oui les braves gens ne courent pas le rues, oui l'humanité est globalement médiocre, la bassesse et l'hypocrisie infusent tous nos actes. Constat simple, impitoyable mais pas si pessimiste que cela, plutôt lucide car il n'y a aucun apitoiement. Un regard global, sans aucune pudeur et où finalement, de temps en temps la rédemption n'est pas complètement impossible (le nègre factice, la personne déplacée).
En somme une écriture touchée par la grâce... je l'ouvre évidemment en grand.


     DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Les livres de Flannery O'Connor

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LES LIVRES de Flannery O'Connor
Deux romans et un recueil de nouvelles publiés au cours d'une brève existence (elle meurt à 39 ans) ont cependant donné à Flannery O'Connor une place reconnue dans la littérature américaine d'après-guerre. Des publications posthumes confirment son importance. Tous ses textes, sauf Journal de prière, sont publiés chez Gallimard.

• Romans et nouvelles
- La sagesse dans le sang [Wise Blood, 1952], roman, trad. et préface Maurice-Edgar Coindreau, 1959 ; rééd. L'Imaginaire 2012
- Les braves gens ne courent pas les rues [A Good Man is Hard to Find, 1955], dix nouvelles, trad. Henri Morisset, 1963 ; rééd. Folio, 1981 ; Folio bilingue 2018 ; deux nouvelles extraites de ce livre : Un heureux événement suivi de La Personne Déplacée, Folio 2 €, 2005.
- Et ce sont les violents qui l'emportent [The Violent Bear It Away, 1960], roman, trad. Maurice-Edgar Coindreau, préface de J. M. G. Le Clézio, 1965.
- Mon mal vient de plus loin [Everything That Rises Must Converge], trad. et préface Henri Morisset, 1968 : ce recueil de neuf nouvelles est le dernier livre qu'ait écrit Flannery O'Connor, publié après sa mort.

Autres textes posthumes
- Le Mystère et les mœurs : écrits de circonstance, trad. André Simon, 1975 ; recueil posthumes d'articles et conférences regroupés selon 4 thèmes : l'écrivain et son pays, l'enseignement de la littérature, la création artistique, le problème du romancier catholique. Extrait ici : "Deux caractéristiques définissent mon œuvre : je suis née dans le Sud et je suis catholique".
- Pourquoi ces nations en tumulte ?, trad. Claude Fleurdorge, Michel Gresset et Claude Richard, 1975 : recueil de sept nouvelles inédites de Flannery O'Connor. Les cinq premières nouvelles font partie de la thèse qu'elle a présentée pour son diplôme de Master of Arts à l'Université d'État d'Iowa en 1947. La dermière nouvelle a donné son titre au recueil et devait servir d'esquisse à un roman qui n'a jamais vu le jour.
- L'habitude d'être [The Habit of Being: Letters of Flannery O'Connor, 1979], correspondance, trad. Gabrielle Rolin, édition de Sally Fitzgerald, 1985 ; rééd. L'Imaginaire, 2003.
- Journal de prière [A Prayer Journal, 2013], trad. Alain Sainte-Marie, Actes Sud, 2019 ; journal intime que Flannery O’Connor a tenu à 21 ans.

Œuvres rassemblées
- La Sagesse dans le sang - Les Braves gens ne courent pas les rues - Et ce sont les violents qui l'emportent - Mon mal vient de plus loin - Pourquoi ces nations en tumulte ?, préface de Roger Grenier, Biblos, 1991.
- Œuvres complètes : romans, nouvelles, essais, correspondance, préface de Guy Goffette, Quarto, 2009
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UNE COURTE VIE STUPÉFIANTE

Enfance et formation
- 1925 : naissance à Savannah en Géorgie, dans une famille catholique d'origine irlandaise ; son père est agent immobilier.
- 1930 : Flannery O’Connor, raconte dans Holiday magazine, qu'à 5 ans une expérience l'a marquée pour la vie ; Pathé News a envoyé un photographe de New York à Savannah pour photographier sa poule de Bantam qui présentait la particularité de marcher à reculons ; son existence est attestée par un petit film réalisé à l’époque par Pathé News, Do You Reverse? (1932), désopilant. Elle s'étend dans cet article de 1961 sur sa prédilection pour diverses espèces de gallinacés, notamment pour les paons, qui se développera jusqu'à la fin de sa vie, comme le montre cette photographie :

Revenons à l'enfance : elle fréquente les écoles paroissiales de la ville. Les poules sont le sujet préféré de ses dessins et bien qu'elle écrive déjà de vraies histoires fort bien ficelées qui donnent naissance à de petits livres pour enfants, le dessin reste son mode d'expression privilégié.
- 1938 : déménagement à Milledgeville, toujours en Géorgie, dans la maison de la famille maternelle ; le père les rejoint tous les week-ends. Flannery va à Peabody High School, où l'éducation expérimentale y est très libre.
- 1941 : à quinze ans, O'Connor, fille unique, perd son père de 44 ans, d'un lupus érythémateux. "À cette époque, il n'y avait rien à faire, sinon appeler les pompes funèbres. Quand il est mort, ma mère a demandé au docteur si ce mal était héréditaire et l'homme de science lui a répondu qu'il n'avait jamais entendu parler de deux cas dans la même famille. Dix années plus tard, je lui opposais un démenti."
Elle choisit de rester à Milledgeville et suit un programme accéléré de trois ans au Georgia State College for Women (GSCW) :


- 1942-1945 : elle y sera rédactrice en chef de Corinthian, le magazine littéraire de GSCW et également caricaturiste : elle publie des dessins dans presque tous les numéros du journal du campus, pour l'annuaire du collège, ainsi que pour les murs du salon des étudiants. Fiction, essais et poèmes occasionnels dans The Corinthian, démontrent très tôt son penchant pour la satire et la comédie. Voir ici un article "Flannery O'Connor: Cartoonist" et un de ses dessins :
- 1945-1947 : une bourse en journalisme la fait accéder à l'Université d'État de l'Iowa, mais elle estime que le journalisme ne sera pas son métier et contacte Paul Engle, directeur de 1941 à 1965 du désormais célèbre Writers' Workshop d'Iowa, pour s'inscrire au programme de maîtrise en création littéraire dont elle sera diplômée. Elle y fait la connaissance d'écrivains et critiques importants qui interviennent dans le programme : ainsi, Andrew Nelson Lytle Lytle, rédacteur en chef de la Sewanee Review, a été l'un des premiers admirateurs de la fiction d'O'Connor et publiera plus tard plusieurs de ses textes. Paul Engle, qui recherchait la singularité et non le formatage, fut le premier à commenter les premières ébauches de ce qui allait devenir Wise Blood, son premier roman, publié en 1952.
- 1948-1949 : après sa maîtise, elle obtient une résidence d'artistes à Yaddo où elle le travaille. Elle est accueillie par Sally (qui, amie de toujours, publiera des écrits posthumes) et Robert Fitzgerald, qui sera son exécuteur testamentaire, à Ridgefield au Connecticut : chez eux, dans une chambre au-dessus de leur garage, elle trouve de catholiques dévots qui lui fournissent un équilibre entre solitude et communication nécessaire à sa créativité et sa vie intellectuelle et spirituelle ; elle ne sortait que pour aller à la messe quotidienne et à la boîte aux lettres.

Maladie et vie d'écrivaine
- 1950 : elle est frappée à 25 ans par le lupus, maladie incurable et auto-immune qui n'était alors traitée que par l'utilisation de stéroïdes ; elle survit à la première attaque mettant sa vie en danger : "Mon père voulait écrire, mais il manquait de temps, d'argent, d'expérience, ou d'occasions de se lancer, comme j'en ai eu. Pas de danger que je l'idéalise car j'ai hérité de la plupart de ses défauts ainsi que de ses goûts. Physiquement aussi je tiens de lui, puisque j'ai la même maladie : le lupus. Quand mon père est mort, ma mère a demandé au docteur si c'était héréditaire et le docteur a dit que non, il n'avait jamais vu le mal sévir deux fois dans la même famille. Dix ans plus tard, j'étais atteinte, mais aujourd'hui la maladie peut être contrôlée, tout en restant inguérissable. Quoi qu'il en soit ce que j'écris (bon ou mauvais) me procure un supplément de bonheur à l'idée que je fais ce qu'il aurait voulu faire..." La découverte des corticoïdes et de l'hormone ACTH font espérer à Flannery qu'elle s'en sortira : "Je dois mon existence et ma joie de vivre aux glandes pituitaires de milliers de cochons quotidiennement égorgés à Chicago. Si les cochons portaient des robes, je ne serais pas digne d'en baiser l'ourlet. Depuis sept années, ils se sacrifient pour moi !"
Elle assiste à la dégradation progressive de son corps ; elle dit qu'elle devient chauve et que son visage "ressemble à une pastèque". Sa voix s'altère : "On dirait la voix d'une très vieille femme, le nez pris dans une pince à linge et ses dents reposant à côté d'elle dans une soucoupe." À l'hôpital, une infirmière la fait rire : "Cette brave femme ignorait qu'elle était du plus haut comique et que rire me faisait atrocement mal. Je considère qu'elle a augmenté mes souffrances de 100 %." C'est une rare plainte, le ton est plutôt celui-ci : "Je viens de quitter l'hôpital où les chirurgiens se sont baladés dans mon corps. À les en croire, cette virée fut un franc succès." Elle apprend que ses hanches sont en trop mauvais état pour être opérées et qu'elle devra garder ses béquilles : "Et voilà la question réglée." Flannery s'enorgueillissait de posséder les plus belles béquilles métalliques du pays... (citations tirées d'un article horriblement savoureux de Roger Grenier, Flannery O'Connor ou le mystère du génie littéraire, Le Monde, 12 janvier 1985)
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- De 1951 à sa mort en 1964 : elle vit à Andalusia Farm, un domaine familial, juste à l'extérieur de la ville de Milledgeville, avec sa mère : l'une élevait des paons, cygnes, poules faisanes, oies exotiques, l'autre du gros bétail, des mules, des poneys shetland. Elles sont aidées par Louise et Jack Hill, un couple de métayers noirs. C'est aujourd'hui un musée :

Sur la propriété, Hill House est une ancienne habitation d'esclaves.

Son premier roman paraît en 1952. Regina, sa mère, n'est pas vraiment un soutien dans sa création : "Au début de ma carrière, j'ai eu le sentiment que je creuserais la tombe de ma mère en écrivant comme je le faisais, mais je n'ai pas tardé à découvrir que c'était vanité de ma part. Les mères sont beaucoup plus résistantes que nous ne le pensons." Sa mère reste étrangère à sa création : elle lui donne à lire un nouveau manuscrit et la trouve profondément endormie à la page 9.

Elle effectue ce qu'elle appelle des "expéditions gagne-pain", pour boucler les fins de mois : conférences dont certaines sur un même thème qui fait l'objet de plusieurs moutures, remaniées en fonction du public : les principales ont été publiées à titre posthume par Gallimard.
C'est justement dans un Festival de littérature qu'elle fait en 1962 la connaissance d'une écrivaine qu'elle avait lue, Eudora Welty, autre écrivaine du Sud que nous aussi avons lue récemment. Elles partagent le même humour mordant et la connivence est complète quand Eudora raconte une anecdote que Faulkner lui a récemment rapportée : l'une de ses admiratrices, coiffeuse, lui avait envoyé par courrier une scène d'amour et souhaitait recueillir son avis sur sa prose ; le "maître" avait répondu en ces termes : "Mon chou, je ne l'aurais pas écrite exactement comme ça mais continuez, vous êtes bien partie" (relate la biographe Cécilia Dutter, Flannery O'Connor, Dieu et les gallinacées, éd. du Cerf, 2016).

Tout au long de sa vie, elle a entretenu une énorme correspondance, avec des personnes très variées, y compris sa mère. Après sa mort, une sélection de ses lettres, éditées par son amie Sally Fitzgerald, a été publiée sous le titre L'habitude d'être.

Place de la religion dans sa vie, dans ses textes
Même lorsqu'il lui est devenu de plus en plus difficile de marcher, Flannery O'Connor va à la messe presque tous les jours à l'église catholique à Milledgeville :

En 1958, une vieille cousine entreprend d'emmener Flannery à Lourdes, ce qui provoque cette réaction : "Je ne compte pas me baigner. Je fais partie de ces gens qui consentiraient à mourir pour leur religion plutôt que de prendre un bain pour elle." Elle précisera au retour : "J'ai prié pour le roman auquel je travaillais à l'époque, pas pour mes os dont je me soucie moins."
À Rome, elle sera bénie par le Pape Pie XII. Elle ira aussi à Milan et Lisbonne. A Paris, elle rencontrera Gabrielle Rolin avec laquelle elle entretient une amitié épistolaire de longue date, et qui traduira ultérieurement l'ensemble de sa correspondance.
De ce voyage elle dira : "Nous sommes allées en Europe et j'ai survécu, mais mon aptitude à rester chez moi a maintenant atteint un point de quasi perfection, je pense que cela va m'être utile jusqu'à la fin de mes jours. Je n'ai pas trop souffert des foules, mais tout était trop rapide. Les béquilles ont été un atout formidable : dans tous les avions, on me faisait passer en premier."

On peut être surpris par l'absence relative de catholiques dans son œuvre. Quand ils apparaissent, ils sont ignorants, grossiers. O'Connor présente des protestants, persuadés qu'ils ont "la Sagesse dans le sang", titre de son premier roman : Hazel, le héros de ce roman, refuse Dieu, mais fonde la secte nouvelle de "l'Église-sans-le-Christ" et, sous couvert de moralisme, donne libre cours à ses instincts.
Maurice Edgar Coindreau, son premier traducteur, qui la "découvrit" pour Gallimard, est l'auteur d'une étonnante introduction à son roman La sagesse dans le sang, fondée sur une documentation que lui a en partie fournie Flannery elle-même ; elle s'ouvre ainsi : "En présentant La sagesse dans le sang au public français, je ne me dissimule pas l’étendue de ma responsabilité ni les risques auxquels j’expose Miss Flannery O’Connor. Il ne s’agit pas, en effet, d’un ouvrage où de simples innovations de technique menaceraient de rebuter les lecteurs enclins à la paresse. Nulles audaces n’y pourraient effaroucher les prudes. Le récit est nerveux, mené bon train ; l’horreur s’y mêle agréablement au comique, et l’inattendu tient sans cesse l’esprit en éveil. L’ennui, par suite, n’est pas à craindre. Le danger est ailleurs, dans la nature même du sujet, et le lecteur français serait d’autant plus excusable de se méprendre sur la signification de La sagesse dans le sang qu’il ignore tout – ou à peu près – du milieu dans lequel se déroule cette étrange histoire. En effet, les évangélistes, faune toujours burlesque, parfois tragique et souvent dangereuse, ne figurent pas dans notre cheptel national ; aussi, certains lecteurs seront-ils tentés de crier à l’invraisemblance et, peut-être même, de prêter à Flannery O’Connor des intentions sacrilèges et blasphématoires qu’elle n’a pas. Car Miss O’Connor est profondément religieuse".

Flannery O'Connor avait lu Bernanos, Léon Bloy, François Mauriac, mais aussi Teilhard de Chardin.

"J'écris comme je le fais parce que je suis catholique et non bien que je le sois. C'est ainsi. Il n'y a pas à tortiller. Mais je suis une catholique particulièrement concernée par la conscience moderne, ce phénomène que Jung décrit comme solitaire, coupable, échappant à l'histoire.
"

Le Clezio évoque la dimension religieuse dans son article "L'univers de Flannery O'Connor", La Nouvelle Revue Française, n° 153, septembre 1965, qui commence par ces mots : "Pour l'être religieux, il y a pire que l'athée : c'est le faux prophète".
Voyons un article dans la prestigieuse revue jésuite : "Flannery O'Connor : la nouvelle comme parabole", Marie Liénard, Études, n° 5, 2005, p. 657-666.
Ne lésons pas, au profit de Dieu, les amis des bêtes : "Le cri du paon dans la gueule du dragon : les autres voix dans les nouvelles de Flannery O’Connor", Claudia Desblaches, Cahiers de littérature orale, 2014.
Et quand "Amen" et les paons se rejoignent... : "Pour déployer sa queue, le mâle se secoue violemment jusqu’à ce qu’elle s’ouvre telle une corolle autour de lui. Puis, avant même qu’on l’ait vu faire, il pivote sur lui-même pour ne plus montrer que son dos. Certains croient voir là une insulte, d’autres une lubie. L’explication est simple à mes yeux : c’est que le paon est aussi satisfait des deux côtés de sa personne. Quand le paon se présente de dos, le spectateur essaie souvent de le contourner pour l’observer de face, mais le paon continue à pivoter, si bien que c’est impossible. La seule chose à faire est de ne pas bouger et attendre qu’il se retourne de son plein gré. Quand il le veut bien, il vous fait face. Alors vous pouvez voir, auréolés sous la voûte vert-bronze qui l’encercle, toute une constellation de soleils qui dardent sur vous leurs flammes.
'
Amen ! Amen !' s’est écriée un jour une vieille femme noire, et j’ai souvent entendu des exclamations analogues à cet instant où l’inadéquation du langage humain est flagrante. Certains sifflent, d’autres pour une fois se taisent. Un camionneur qui conduisait un chargement de foin a lancé en voyant un paon pivoter sous ses yeux au milieu de la route : 'Zyeutez-moi c’t enflé là !', freinant si brutalement qu’il a failli renverser sa cargaison de foin. Un paon qui fait la roue n’a jamais bougé d’un pouce devant un camion, un tracteur ou une voiture. C’est au véhicule de lui céder le pas. Aucun des miens ne s’est jamais fait écraser."

Découvrir la personne de Flannery
Un article permet vraiment de l'imaginer, tout en tissant le lien avec l'œuvre : "Flannery O'Connor : Un paon pour ange gardien", Marie-Claire Pasquier, Les cahiers du GRIF, n°39, 1988, "Recluses vagabondes", pp. 39-48.

RADIO : des émissions qui valent la peine

La plus longue et la plus ancienne, rediffusée dans les Nuits de France Culture : "Une saison en enfer avec Flannery O'Connor", 19 février 1982, 1h29.
L'émission commence par la lecture de la première nouvelle que nous lisons. Le témoignage de Gabrielle Rolin qui a connu Flannery est formidable, notamment le portrait qu'elle en fait. Hector Bianciotti intervient également.

Le plaisir de la lecture de ses textes : "Quand Flannery O'Connor décrit le grotesque de la nature humaine", Ça peut pas faire de mal, Guillaume Gallienne, France Inter, 26 octobre 2013, 47 min.
Ne pas manquer le premier texte sur les paons ! De nombreuses lectures qui permettent d'élargir l'expérience de la lecture des nouvelles que nous lisons.

Le plaisir de découvrir Flannery par deux de ses biographes passionnées : "Flannery O'Connor", Matthieu Garrigou-Lagrange, La Compagnie des œuvres, France Culture, trois émissions d'une heure, 11 au 14 septembre 2017 :
- 1er épisode qui vaut la peine : "L'habitude d'être" (allusion à son livre L'habitude d'être), avec Cécilia Dutter, auteure une biographie au titre évocateur, Flannery O'Connor, Dieu et les gallinacées, éd. du Cerf, 2016.

4e de couverture : L'Amérique. Le Sud. Les Blancs, les Noirs et comme un goût d'Apocalypse. C'est dans ces lieux âpres et retirés que se déroule la vie de Flannery O'Connor (1925-1964), écrivain parce que catholique, catholique parce qu'écrivain.
Avec cette biographie littéraire, Cécilia Dutter nous fait entendre la voix d'un auteur qui disait "crier pour que les sourds entendent", et jette une lumière inédite sur cette femme qui aura lutté sans faiblir contre la maladie. Ce combat quotidien et sa foi sans faille lui feront écrire des romans et des nouvelles dont les titres en disent long sur l'existence : Les braves gens ne courent pas les rues, La sagesse dans le sang, Et ce sont les violents qui l'emportent, Mon mal vient de plus loin...
Mais la grâce et le rire sont là, toujours, nécessaires, mystérieux, et ce sont eux qui donnent aux textes de Flannery leur singularité, une grandeur qui la place à la hauteur d'un Dostoïevski ou d'un Bernanos.
Auteur d'une dizaine d'ouvrages, Cécilia Dutter est un écrivain qui compte. Son roman Lame de fond (Albin Michel, 2012, Prix Oulmont de la Fondation de France) et son essai sur Etty Hillesum (Robert Laffont, 2010) ont été des succès critiques et de librairie. Elle a tenu pendant deux ans une chronique très suivie dans le journal La Vie.
Présentation vidéo par l'auteure du livre et de Flannery O'Connor, sur le site de l'éditeur, 5 min

- 2e épisode très intéressant : "Une lettre à la mère" (allusion à sa correspondance), avec Geneviève Brisac, auteure d'une biographie intimiste de Flannery O'Connor, Loin du Paradis, initialement parue chez Gallimard en 1991 et rééditée aux éditions de l'Olivier en 2002.

 
4e de couv : "Toute sa vie elle explique qu’elle est avant tout une catholique, exilée au milieu des évangélistes sudistes, et une Sudiste, exilée comme les autres, parce qu’ils ont perdu la guerre. Double exil, comme les deux droites qui forment angle de vue, double foyer optique pour percevoir la réalité distordue, grotesque, baroque, et magnifique des gens du Sud."
Flannery O’Connor (1925-1964) est considérée comme le plus grand écrivain du Sud depuis Faulkner. Son œuvre brève et intense – cinq ouvrages de fiction, un recueil d’essais et un volume de correspondance – est pourtant méconnue en France.
En mêlant sa propre voix à celle de Flannery O’Connor, Geneviève Brisac nous rend infiniment proche cette femme qui consacra sa vie à scruter le mystère de la Grâce et la folie des mœurs, sans jamais perdre son sens de l’humour.

- 3e épisode, moins intéressant : "Flannery à la folie", avec Guy Goffette, auteur de la préface à l'édition Quarto en 2009 des Œuvres complètes de Flannery O'Connor (2009) et Jean Rolin (dont nous avons lu deux de ses livres) qui a écrit Savannah, un voyage sur les traces de Flannery O'Connor (2015) ; il était le compagnon de la photographe Kate Barry, fille de Jane Birkin et du compositeur John Barry, et il refait après sa mort le voyage déjà fait avec elle (voir quelques photos ici et là l'expo qui lui fut consacrée, avec pour titre un des livres de Flannery, The Habit of being).

VIDÉOS et DIAPORAMAS en anglais

- Une biographie illustrée, 11 min.
- Un film documentaire récent : Flannery the storied life of the writer from Georgia, de Elizabeth Coffman et Mark Bosco, 2019 : en ligne, juste la bande annonce ici.
- Un documentaire en ligne : Flannery O'Connor documentary, 2004, 20 min.
- Uncommon Grace: The Life of Flannery O'Connor, de Bridget Kurt, site PBS (Public Broadcasting Service), 2017, 58 min.
- La voix de Flannery O'Connor qui lit en 1959 la première nouvelle de notre livre : "A Good Man Is Hard to Find", 37 s.

QUI A DÉCOUVERT EN FRANCE Flannery O'Connor ?

Comment le livre de Flannery O'Connor que nous lisons, publié en 1955 à New York, arriva-t-il jusqu'à nous... ?

C'est grâce au grand traducteur Maurice Edgar Coindreau, dont Sartre disait : "La littérature américaine, c'est la littérature Coindreau."

Il a alors découvert William Goyen et traduit pour Gallimard La Maison d'haleine en 1954 et
Le Fantôme et la chair en 1956, alerte alors l'éditeur : "Si cette faune vous plaît tellement, vous devriez lire Flannery O'Connor : il y a des évangélistes dans tout ce qu'elle écrit et les portraits qu'elle trace vous enchanterait". L'éditeur acquiert aussitôt les droits de Wise Blood de Flannery O'Connor, roman publié en 1952.

On est en 1956 et Coindreau se réjouit qu'un contrat ait été signé pour Wise Blood et demande à Dionys Mascolo (directeur du service des droits étrangers à la NRF et par ailleurs mari de Marguerite Duras) de s'assurer également des droits de A Good Man is Hard to Find, ce recueil où l'on trouve "les meilleures nouvelles écrites ces dernières années", paru aux États-Unis en 1955. Mascolo suit ses recommandations et, tandis que Coindreau s'occupe personnellement de la traduction de Wise Blood, Michel Mohrt (en charge des traductions et du domaine anglo-saxon de Gallimard), se met en quête d'un traducteur pour les nouvelles. Dès juin 1957, il propose en prépublication la nouvelle "A Good Man is Hard to Find" ("Les Braves gens ne courent pas les rues", alors traduit par "On ne peut se fier à personne") à La Revue de Paris. Jugée "un peu trop macabre pour les lecteurs de cette estimable revue", selon les termes de Michel Morht, la nouvelle est refusée. Ce qui n'entame en rien la détermination de l'éditeur à publier une œuvre "peut-être un peu 'osée', mais assez typique d'une jeune littérature américaine". Maurice Edgar Coindreau prendra cependant le soin d'écrire une introduction à l'édition française de Wise Blood : confiant dans la qualité littéraire d'un récit où "l'horreur s'y mêle agréablement au comique", il craint en revanche qu'un malentendu avec le lectorat français, peu au fait des particularités de la société du vieux Sud américain, ne desserve à la fois le livre et son auteur.

Le 31 janvier 1959, Flannery O'Connor écrit avoir "reçu des nouvelles de M. Coindreau" à ce sujet (son traducteur était entré en contact avec elle par l'intercession de la romancière Caroline Gordon, épouse du poète Allen Tate rencontré à l'université de Princeton où Coindreau était professeur) : "Il dit que je ne dois pas m'en faire pour l'introduction. Ce qu'il lui faut, c'est une sorte d'article qu'il espère écrire et publier avant la sortie du livre traduit. Il s'agit de présenter les évangélistes et les prêtres itinérants, de montrer le rôle qu'ils jouent dans le Sud et dans la littérature américaine […] Il vient ici le 1er avril pour parler de ces questions avec moi. Je me demande ce que je vais faire d'un vieux monsieur français pendant quelques jours." C'est ainsi qu'en avril 1959 Coindreau se rend à Andalusia, le domaine familial où Flannery vit le plus souvent recluse en raison de la maladie qui l'emportera en 1964. Elle lui confie à cette occasion la documentation qui lui permettra d'écrire la fameuse introduction qui vaut vraiment la lecture (›ici)...
"Les Français portent Erskine Caldwell aux nues, peut-être m'aimeront-ils donc aussi, si la traduction est assez infidèle", écrivait Flannery O'Connor à ses amis Sally et Robert Fitzgerald en 1955.
Le roman paraît sous le titre La Sagesse dans le sang en novembre 1959. Il sera non seulement bien reçu, mais le succès critique en France contribuera aussi à la notoriété du roman outre-Atlantique, où il fut plutôt mal accueilli à sa parution en 1952 : "M. Coindreau, le traducteur de La Sagesse dans le sang, vient de passer quatre jours avec nous. Il a apporté des comptes rendus des journaux français, une pleine page dans L'Observateur, illustrée de la photo de Billy Graham. On y parle de mon livre et de celui de Nelson Algreen (La Rue chaude) ; je m'en tire mieux que lui…" observe Flannery O'Connor en 1960 (d'après un document sur le site de Gallimard ; voir aussi un portrait de Coindreau à sa mort ici).


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