Lirelles

Nous avons lu pour le 15 juin 2025

Les Détails, de Ia GENBERG
trad. du suédois Anna Postel Harper
   


Le Bruit du Monde
, 2024, 176 p.

Collins poche
, 2025, 160 p.

Quelques mots sur l'auteure

Ia Genberg, née en 1967, a été journaliste indépendante et apprécie la liberté de travailler quand on veut en étant infirmière. Elle est mariée et a trois enfants.

Elle a publié quatre livres dont trois romans et un recueil de nouvelles, en 2012, 2013, 2019 et 2022.
Les détails, son troisième roman, a été un best-seller suédois immédiat et a été depuis diffusé dans 31 pays.

Presse concernant Les détails de Ia Genberg

Un échantillon divers :
- Quotidiens nationaux : Libération, 20-21 janvier, Le Monde, 2 février 2024
- Hebdomadaire culturel : Télérama, 13 février 2024
- Quotidien régional : Sud-Ouest, 3 mars 2024
- Quotidien suisse : Tribune de Genève, 27-28 janvier 2024
- Quotidien belge : Le Soir, 6-7 janvier 2024, avec un entretien
- Radio : Le Masque et la plume, 11 février 2024
- Télévision : Louisiana Channel, 6 mars 2025, 15 min.

Les lectrices

Ce 15 juin 2025, nous étions 9 à réagir sur le livre :
- présentes : Claire Bo, Marie-Yasmine, Patricia, Véronique
- par écrit : Agnès, Flora, Joëlle, Nelly, Sophie de Paris.
Prises ailleurs : Anne, Aurore, Claire Bi, Felina, Laetitia, Mar, Sophie de Nice, Stéphanie.

Nos tendances concernant le livre

- Déceptions d'Agnès et Flora, accompagnées d'incompréhension : qu'a voulu donc faire l'auteure ? Marie-Yasmine se situent également du côté... bof.
- Avis balancé, mi-figue mi-raisin, de Nelly.
- Impressions TRÈS POSITIVES de Claire, Joëlle, Patricia, Sophie qui donnent envie à Véronique de continuer sa lecture...

Les avis successifs

• Flora (avis transmis)
Voici mon avis sur le livre : je ne sais pas du tout quoi en penser.
Je ne peux pas dire que je ne l'ai pas aimé car je suis allée au bout en ayant apprécié quelques passages, notamment la relation amoureuse avec une femme.
Pour le reste, les autres portraits ne m'ont pas intéressée.
En fait, dans sa globalité je n'ai pas trouvé d'intérêt à ce livre et je me suis demandé jusqu'au bout où l'autrice voulait en venir.
Pour conclure, je dirai que je reste sur ma faim.

Agnès
En refermant la dernière page de ce roman, pour comprendre ce que j'avais lu, j'ai dû relire son résumé sur internet et réécouter les critiques du Masque sur France Inter. Ce livre est pour moi une interrogation, je reste dubitative et vaguement déçue.

Pourtant, en amont de ma lecture, j'avais été attirée par l'histoire d'amour entre deux femmes, bien sûr, que décrit le premier chapitre, et par la construction de l'ouvrage qui permet de découvrir la narratrice au travers de ses relations avec quatre personnes.

Mais ce livre m'a échappé. Les histoires qu'il dépeint n'ont pas suscité mon intérêt. Je n'ai pas compris ce que l'autrice voulait me raconter.

Je sauve tout de même un peu le dernier chapitre, grâce à la surprise de découvrir qu'elle parle de sa mère. Je ne m'y attendais pas.

Pour finir, j'ai remarqué qu'elle répétait souvent le mot "détail" au fil des pages, 20 fois précisément, ça fait beaucoup et justifie certainement le titre…

Bref, ce livre me laisse perplexe…

Nelly (avis transmis)
Je dois dire que, bien que nous l'ayons décidé toutes ensemble la dernière fois, le changement de programme [report d'Edna O'Brien] m'a un peu démotivée et la reprise d'un nouveau livre m'a semblé un peu difficile.

Néanmoins je n'ai pas eu de mal à m'y plonger dès les premières pages car l'écriture est fluide, les personnages sont toniques et originaux bien que "limite" parfois, et les considérations de l'autrice autour de ce qu'elle a vécu avec elles ou eux sont plutôt piquantes.

Le premier portait (Johanna) m'a bien accrochée : le parallèle avec Paul Auster que j'aime beaucoup, l'intensité de l'histoire entre les deux femmes et la chute inattendue du récit m'ont touchée.
Dès le deuxième, j'ai commencé à douter de la crédibilité du personnage de Niki, car trop extrême.
Son beau musicien Alejandro, troisième héros, m'a peu intéressée.
Quant au rapport de Ia Genberg avec Birgitte, je l'ai trouvé froid et presque clinique.
J'aurais souhaité un lien qui permette un suivi plus classique de l'histoire personnelle de l'autrice.

Pour conclure sur une impression générale, je suis mi-figue mi-raisin : donc, le livre ne m'a pas déplu, mais il ne me laissera pas un souvenir impérissable.

Joëlle (avis transmis)
Quand il m'est arrivé de dire, autour de moi, que je lisais un bouquin suédois, ça ne manquait pas, on me commentait d'un "ah, tu lis un polar" et j'étais plutôt contente de pouvoir répondre "non, pas du tout".
Je suis très contente d'avoir lu ce livre suédois qui n'était pas un polar.
D'ailleurs, la narratrice me le confirme : "j'ai été en couple avec des hommes et des femmes (…) qui aimaient le mauvais genre de littérature (uniquement des polars)."

Dès le début, j'ai été bien embarquée par le phrasé, le flux de parole comme un flux de conscience, mieux qu'un classique monologue intérieur. J'avais l'impression que la narratrice s'adressait à moi, directement, et me branchait sur la progression de sa pensée.
Ça démarrait très proustien, avec des "méandres du temps", une atmosphère de fièvre qui évoquait l'état de demi-sommeil du début de La Recherche et un récit pas du tout linéaire, avec des allers-retours temporels quasi permanents. Tout cela m'a captivée.

Après, j'ai apprécié le dispositif en quatre personnages qui ont compté dans la vie de la narratrice. Elle nous raconte ses souvenirs liés à ces personnes, mais plus encore fait son autoportrait en parlant des autres.
J'ai aimé que l'histoire soit parcellaire, avec de grandes ellipses. J'aime quand un récit laisse des obscurités, des points que je suis libre d'éclairer ou pas, sur lesquels je peux broder ma version des faits non-dits. Cela m'a rappelé ce que faisait Virginia Woolf, notamment dans Les Années.

J'ai été particulièrement impressionnée par le dernier chapitre, Birgitte. J'ai trouvé ce portrait brillant d'intelligence et de pudeur, incroyablement puissant, bouleversant, mais sans pathos. J'ai admiré.

Véronique
J'ai lu la première partie il y a quelque temps et n'en ai gardé aucun souvenir. Dans la deuxième que je n'ai pas terminée, à propos de Niki dont le côté borderline ne m'a pas gênée plus que cela, j'ai aimé le rapport au livre "avec un livre, je fais ce que je veux (...) nous disions que nous allions 'chercher' des livres rue Drottninggatan, et non 'acheter', comme si les ouvrages et leur contenu d’une certaine manière nous appartenaient déjà (...). Or, même lorsque nous avions rapporté les livres, que nous les avions lus, commencé à les lire ou posés quelque part pour les ouvrir ultérieurement, nous ne considérions pas qu’ils étaient à nous à cent pour cent. La propriété des livres diffère des autres types de propriétés, cela ressemble plutôt à un prêt qui peut cesser à tout moment ou être transféré à d’autres, par exemple dès que quelqu’un témoigne d’un authentique intérêt pour l’œuvre ou l’auteur en question [ainsi pour un livre où se plonge un visiteur dans l'appartement].
Le roman lui appartenait, je l’avais senti immédiatement, cela ne faisait aucun doute. Mon domicile n’avait été pour cette œuvre qu’une zone de transit." Ce que vous dites me donne envie de le continuer.

Marie-Yasmine
Cette lecture a été une courte pause, plutôt agréable, mais dont je n'ai pas emporté grand-chose une fois la liseuse éteinte.

J'ai apprécié la découpe avec les quatre portraits. J'ai trouvé que les deux premiers se répondaient particulièrement, présentant d'abord une femme dans l'hyper contrôle de ses émotions, puis une femme complètement débordée par les siennes.

Le style n'est pas désagréable, les histoires intéressantes, surtout la dernière qui montre de façon particulièrement touchante, parce qu'à travers les yeux de sa fille, les stigmates sur une vie d'un trauma.

J'ai également trouvé bien rendue, dans la première histoire, cette sensation de ne pas concevoir sa vie sans une personne qui ensuite devient un simple souvenir.

Je n'ai aucun reproche à formuler à ce roman, mais je l'ai vite laissé derrière moi.

Sophie (avis transmis)
Je suis heureuse que le programme (modifié) de Lirelles m'ait donné l'occasion de relire ce livre que j'avais lu pour la première fois à l'automne dernier.
À l'époque, je venais de vivre une rupture soudaine et le premier chapitre, "Johanna", avait résonné dans ma vie à tel point que les autres chapitres avaient laissé dans ma mémoire un souvenir confus. Je me souviens avoir aimé le livre mais peut-être était-ce simplement parce que j'y avais trouvé un écho très intime dans les 30 premières pages ?

Ces dernières semaines, en le relisant, j'ai redécouvert l'ensemble du livre avec une attention plus homogène et je suis "entrée" dans chacun des 4 chapitres, dans les portraits des 4 êtres évoqués par l'autrice et aussi - et peut-être surtout - dans le portrait de l'autrice (ou de la narratrice si ces histoires ne sont pas autobiographiques) qui se dessine en creux tout au long du livre.
C'est peut-être la richesse psychologique du livre qui me marque le plus aujourd'hui : 4 parcours, 4 personnalités, et leurs interactions avec ceux de la narratrice dont le profil subtil, complexe, apparaît au fil des pages. Sans parler des nombreux personnages pas si secondaires que ça comme Sally.
J'ai aimé le fond et la forme, intrinsèquement mêlés.
Nous découvrons à la fin, dans "Birgitte", le contexte familial dans lequel elle a grandi et cette fin éclaire a posteriori ce qui affleure dans les chapitres précédents, ses relations, ses choix, ses attitudes, ses réactions.
La complexité et la diversité de la narratrice (autrice ?) - et la façon dont elles sont révélées progressivement et dans le désordre chronologique - m'ont plu.
Je ne reviens pas sur ce que j'ai pensé de "Johanna", description parfaite d'une relation éphémère, intense, probablement toxique et brutalement interrompue. Ia Genberg décrit parfaitement ce que vit celle qui est quittée, au moment où ça arrive et après.
Dans "Niki", elle nous fait partager le vertige et la douleur vécus par une personnalité borderline et par ceux qui l'aiment. C'est le chapitre qui m'a le plus touchée, cette fois. Ce chapitre m'a fait penser au titre du livre d'Hélène Giannecchini, Un désir démesuré d'amitié.
"Alejandro" est une histoire de peau, d'attraction sensuelle, elle aussi parfaitement décrite. Un "ouragan" qui ne s'explique pas, que l'on vit et après lequel on passe à autre chose.

J'ai aimé la mélancolie qui se dégage de ce livre. La nostalgie de ce qui n'est plus mais qui reste là, dans des rêves, des pensées, des manques… et ce qu'on continue de trimballer au fond de soi, qui nous façonne.
J'ai aimé la lucidité avec laquelle la narratrice regarde le monde et se regarde elle-même.

Pour finir, un mot sur la traduction d'Anna Postel, très réussie, qui garde certainement intacts le style et l'écriture de Ia Genberg.

Patricia
Inutile de vous dire que j'ai beaucoup aimé ce livre, en premier lieu parce que j'aime particulièrement les romans psychologiques et l'analyse psychologique, proche de l'autofiction. J'ai envie de croire que ce livre est autobiographique, même si l'auteure dit que tout ne l'est pas, que les personnages sont inventés. Mais, ce livre résonne tellement en moi, il semble si réel, que j'ai l'impression que l'auteure raconte ma vie (ou presque). Ce qui explique, à mon avis, le succès de ce livre, chacun s'y projette.

J'ai aimé l'écriture, la fluidité ; malgré la simplicité dans certains cas, il y a de la complexité dans la construction notamment. J'y ai trouvé aussi par moment des pointes d'humour.

La narratrice y dresse l'histoire de sa rencontre avec quatre personnages, à différentes époques, qui ont marqué sa vie. Elle se présente sous forme de quatre nouvelles ; on retrouve dans chaque histoire des moments heureux, car ce sont des personnages qu'elle a beaucoup aimés, mais aussi des moments très tristes et amers, souvent liés à la fin de ces relations, traumatisantes car elle se fait souvent quitter de façon brutale. Chaque personnage est intéressant psychologiquement. On y retrouve des sentiments toujours universels, très bien décrits. Elle y fait un parallèle avec sa carrière d'écrivaine souvent liée aux rencontres.
La première relation est son premier grand amour. Rapidement on apprend que c'est une relation fusionnelle à l'extrême, mais qu'elle sera quittée ("nous nous installâmes l'une dans l'autre", "elle était mon personnage principal" - ce qui veut tout dire. En parallèle, c'est Johanna qui l'encourage à écrire et à prendre l'habitude de le faire tous les jours. La littérature est liée à elle, de même que les livres qu'elle lui a offerts. Cette relation est déterminante pour le reste de ses relations. Il y a une progression dans la description de sa relation avec Johanna, avec quelques sorties de route pour expliquer progressivement la fin de cette relation et sa suite. Elle décrit bien le sentiment d'échec et celui de se retrouver libre après une passion : "Jamais plus je n'aurai confiance en quelqu'un, jamais plus je n'aurai quelqu'un à moi". Finalement, elle s'en remet mieux qu'elle ne le pensait. Sans doute parce qu'elle savait que la fin était inéluctable, par la froideur parfois soudaine de Johanna. Elle apprend plus tard que Johanna n'a jamais aimé Paul Auster, son auteur préféré. C'est la douche froide encore une fois.
La deuxième relation, Niki, c'est l'histoire que j'ai le moins aimée, c'est une folle, voire psychotique, à laquelle elle s'attache, malgré les accès de colère. D'ailleurs elle ne la comprend pas et n'aime pas son auteure suédoise préférée, Birgitta Trotzig. C'est une relation incompréhensible, on ne sait pas pourquoi elle s'attache à cette fille, peut-être faute de mieux, peut-être en raison de son côté protecteur qu'elle s'est construit avec la quatrième histoire, sa mère. Par rapport au voyage, encore un livre où le voyage (la recherche de Niki) lui permet de faire un point sur cette amitié toxique. Malgré cela elle se refuse de critiquer Niki. "La disgrâce existait dans notre relation depuis ses prémices, tout n'avait été qu'une promenade sur une glace extrêmement fragile." : en ce qui me concerne, je dirais une perte de temps terrible avec quelqu'un qui vous méprise en fait.

Le profil psychologique de la narratrice
Ce qui est intéressent aussi dans ce roman, c'est qu'à travers chaque histoire, on en apprend beaucoup sur la narratrice, sur son profil psychologique : notamment, elle se sous-estime beaucoup par rapport à l'écriture, et en plus, elle est tellement peu sûre d'elle-même qu'elle sait d'avance que chaque relation ne va pas durer. Je la vois très passive, qui se fond dans le décor, peu de personnalité ; elle pourrait se rebeller, se mettre en colère, mais elle ne le fait pas, elle est très raisonnable ; elle est entière et généreuse et ne veut surtout pas faire de mal ; elle se laisse faire et elle reste dans ces relations toxiques ou étouffantes alors qu'elle sait très bien que ça ne peut durer, qu'elles ne lui conviennent pas ; mais elle demeure malgré tout lucide depuis le départ, malgré tout ce n'est pas pour elle matière à rupture, c'est comme si, elle angoissait à l'idée de l'issue inéluctable.
Elle est capable aussi, mais très rarement, de folie, comme quitter son compagnon avec qui elle est depuis longtemps sur un coup de foudre pour une sorte de saltimbanque instable qui lui a fait un enfant et qui part sans donner de nouvelles. C'est la troisième histoire du livre.
La peur de l'abandon, le fait qu'elle se mette souvent, comme elle l'indique, à la recherche d'amis, d'amants anciens ("quête vaine d'une chose à jamais perdue"), peuvent s'expliquer en partie, à mon avis, par le dernier portrait, mis volontairement à la fin, qui est celui de sa mère, névrosée à un point extrême ; la narratrice a dû passer son temps à vouloir épargner sa mère, la ménager, la protéger. J'ai trouvé particulièrement émouvante cette dernière histoire, celle de sa mère. De plus, en réaction, la narratrice se rebellait souvent contre son père qui était pourtant un homme bon. Je pense qu'elle n'a pas pu, ni su trouver une stabilité affective auprès de ses parents, même si elle a été aimée.

Le parallèle entre la carrière d'écrivaine de la narratrice et le roman
Toutes ces rencontres ratées vont en parallèle de sa carrière d'écrivaine ratée sur laquelle elle s'apitoie souvent, en lien avec ses relations.
On comprend aussi pourquoi elle a eu du mal à avancer dans la vie, l'échec de sa carrière d'écrivaine ; elle était très influençable, j'y ai vu une sorte d'autodestruction, avec également la drogue, l'alcool.
L'anecdote de l'atelier d'écriture où son prof lui dit qu'elle avait "une attention mélancolique aux détails" et "d'une précision inexacte" n'est pas un détail... Je pense que ce commentaire, si elle ne l'a pas compris tout de suite, a été déterminant, et donc par ce roman elle s'ouvre enfin sur ces détails amers, en les rendant le plus précis possibles. Le titre "Les détails" est mieux compris à ce moment-là : chaque rencontre est un détail, mais à chaque rencontre elle reprend des détails sans importance apparente, mais qui marquent une vie. Elle conserve les livres qu'on lui offre pour l'aider à se souvenir. C'est souvent au moment où elle a de la fièvre qu'elle se remémore. Ce sont dans des circonstances négatives, douloureuses. On ressent, fortement, une sorte de nostalgie, mais aussi d'amertume, comme si on avait nous aussi la fièvre. Dans la troisième histoire, le mot "détail" est cité un nombre incalculable de fois. Peut-être cette troisième histoire avait-elle été nécessaire pour qu'elle trouve enfin la stabilité, et qu'elle se sorte de tous ces échecs. Ou peut-être la naissance de sa fille a-t-elle été le déclencheur nécessaire.
Car apparemment, elle s'en sort : bon métier, trois enfants, devenue écrivaine, etc. Elle a enfin trouvé sa voie. Et elle a une véritable amie Sally car dans chaque histoire, elle parle de Sally, à qui elle se confie et qui ne la juge pas. Ce n'est pas un des personnages principaux, mais elle est très importante tout le long du livre.

Bref, tout ce que j'aime dans un livre. Bouleversant. Envie de le relire, car il y a sûrement des "détails" que je n'ai pas captés.
Le dernier paragraphe du livre est très mélancolique et très beau, et nous fait comprendre, que seule la mélancolie la fait écrire et lui permet de rassembler les pièces du puzzle.

Claire
J'ai beaucoup aimé ce livre quand je l'ai découvert l'été dernier. Je l'ai relu 10 mois plus tard : épreuve que la relecture pour un livre... Je l'ai autant apprécié et ai mieux compris pourquoi.
D'abord en raison d'une construction très fluide, habile et faussement simple : j'ai aimé cette idée de parcours non chronologique d'une vie, racontée en se centrant sur quatre relations fortes - j'ajouterais une cinquième, que tu évoquée Patricia : Sally (Sally 60 occurrences, Johanna 40, Niki 116, Alejandro 23, Birgitte 55). J'ai immédiatement pensé à un film que je venais de voir cette semaine, Fragments d'un parcours amoureux de Chloé Barreau, qui a quelque chose de commun : le portrait de l'auteure du film est fait au travers d'entretiens, en son absence, avec une dizaine de relations amoureuses qui se sont égrenées au cours de sa vie ; le film que j'ai également beaucoup aimé a en commun également avec le livre la bisexualité. Je rapprocherai même l'image des deux femmes... :
 Chloé Ia
J'ai également aimé la balade dans le temps, l'entrelacement des temps : dans une même page, on revient en arrière, ou à un présent de l'écriture dont on ne sait rien et tout à coup est signalée la présence d'un enfant.

Ce qui m'a plu à moi aussi, c'est la finesse psychologique, l'analyse des relations à travers des situations - sont-ce des détails ?... -,
par exemple la différence entre rester attachée et s'attacher ou dans le système des cadeaux entre Johanna dominatrice et la narratrice - dont, au passage, on ne connaîtra pas le nom - on cerne bien la "violence latente des dons".
J'ai aimé le prix des mots, que ce soit à travers l'importance de la parole - la conversation est essentielle pour la narratrice -, des livres - en particulier partagés - et de l'écriture dans la vie de la narratrice et, dans une moindre mesure, de Niki. Cette importance a ajouté de l'intérêt au livre et aux relations qu'ils évoquent.

(J'ai découvert, car elle est citée plusieurs fois, l'existence de Birgitta Trotzig, apparemment célèbre en Suède. Pour le fun, j'ai lu qu'en 1951, une bourse permet à Birgitta et son mari Ulf d'aller étudier à Paris où leur chambre rue Richer est bien trop petite pour une écrivaine, un peintre et un jeune enfant ; aussi l'utilisent-ils alternativement : les jours pairs Birgitta promène l'enfant de l'aube au crépuscule dans les rues de Paris pendant qu'Ulf transforme la chambre en atelier d'artiste, et les impairs c'est au tour d'Ulf tandis que Birgitta écrit. Plus tard, les Trotzig reviendront s'installer pour 14 ans à Villiers-le-Bel où elle rédigera ses premières œuvres).

J'ai aimé que les relations soient très fortes, différentes les unes des autres, constituant une série d'histoires intenses, romanesques. S'agit-il d'un roman ? En tout cas d'une œuvre littéraire. Je le rapprocherai d'un livre prétendument de nouvelles, jouant aussi sur les temps, Territoire de la lumière de Yûko Tsushima, avec le même personnage d'une nouvelle à l'autre, convaincant qu'on penche vers le roman.
Un autre aspect du livre lié à l'entrelacement des temps, c'est la façon de caractériser à petites touches, à travers les relations, les époques (avec des détails, oui, comme l'arrivée du mobile), les modes de vie, notamment baba-cool, dans une certaine précarité ("Deux valises suffirent à transporter l’ensemble de mes possessions") - petits boulots, drogue, musique -, mais aussi le mari lobbyiste au parlement, puis dans une organisation environnementale ; est évoqué le scandale de l'inceste, le passage à l'an 2000 : on traverse des contextes sociaux, voire politiques - j'ai aimé l'attitude du père de la narratrice sur le communisme, drôle.
Il y a de l'humour d'ailleurs.

Dans ma première lecture, j'ai ressenti une légère gêne concernant la question que me posait le texte : est-ce autobiographique ou pas ? Après la deuxième lecture, j'ai écouté des entretiens avec l'auteure : le point de départ est autobiographique, avec la situation de fièvre et d'un livre retrouvé avec une dédicace, mais tout le reste serait fiction, nourrie par des impressions vécues. Pourquoi me semble-t-il utile de le savoir ?...
La traduction m'a semblé avoir des partis pris souvent agréables, un peu osés, mêlant termes familiers et utilisation des passés simples qu'on n'utilise plus ("nous nous retrouvâmes", "discutâmes") et des subjonctifs très nombreux qui passent très bien pour la plupart, quelques fois limite, on aurait pu s'en passer : "J'attendais que le serveur qui m'avait tendu les bulles me donnât un verre", "je tressaillais, comme secouée par leur seule existence, par le fait que ses mains
fussent là, accrochées à son corps".
Le dernier personnage et le dernier chapitre tranchent avec les précédents : d'une part il y a une surprise en cours de chapitre, en découvrant qu'il s'agit de la mère de la narratrice, et d'autre part le récit est d'un autre ordre, on n'est pas en direct avec au sein de la relation, c'est distancié, et c'est vraiment un récit, plus linéaire, moins prenant pour moi.
Pour compléter mes réserves qui sont vraiment légères, il y a le titre, "Les détails", qui m'a incitée à relever toutes les occurrences du mot ; si le titre sonne bien, je ne vois pas si clairement que ça à quoi il renvoie. Par exemple, est évoqué "un bonheur sans nom, un tout dans lequel les détails sont préservés, inséparables, et pourtant distincts, comme placés les uns à côté des autres." Ou encore :
"S'attacher, pour moi, revenait à se faire tatouer, tout perdurait, les détails étaient préservés, toutes les personnes dont j'avais été amoureuse ou pour qui j'avais éprouvé de l'amitié." Et puis surtout, à propos de son professeur : "mes textes possédaient, ce qu'il appelait 'une attention mélancolique aux détails', doublé d''une précision inexacte'".

Pour finir - et Joëlle l'évoque - ce qui m'a frappée avant tout, c'est la voix dans le livre, qui narre, sa langue vraiment très présente, très forte, très délicate en même temps. Grâce à la traduction, que Sophie souligne aussi.

Je voudrais répondre à Agnès qui dit ne pas comprendre ce que l'auteure a voulu raconter et à Flora qui se demande où elle voulait en venir. Il me semble que c'est expliqué au début du dernier chapitre : "
Nous vivons tant de vies à l’intérieur de la nôtre, des vies plus petites avec des personnes qui vont et qui viennent, des amis qui disparaissent, des enfants qui grandissent, et je ne suis pas sûre de savoir laquelle de mes vies est le cadre dans lequel s’inscrivent toutes les autres. Quand je suis fiévreuse ou amoureuse, tout semble évident, mon 'moi' se retire et laisse la place à un bonheur sans nom, un tout dans lequel les détails sont préservés, inséparables et pourtant distincts, comme placés les uns à côté des autres. Après coup, je me rappelle cet état comme un état de grâce.
C’est peut-être ainsi que le tout peut être raconté, avec des individus qui, de façon désordonnée, entrent et sortent à travers mon visage. Ni 'début', ni 'fin'. Aucune chronologie particulière, juste des instants et ce qui y advient
." Il me semble que le projet du livre est là.


Accueil Présentation du groupe – Livres lusProgramme actuel
Programmation des années précédentes – LiensNous contacter