Jorge Semprún, L'écriture ou la vie, Folio, 1996, 400 p.

Quatrième de couverture : Déporté à Buchenwald, Jorge Semprún est libéré par les troupes de Patton, le 11 avril 1945.
L'étudiant du lycée Henri-IV, le lauréat du concours général de philosophie, le jeune poète qui connaît déjà tous les intellectuels parisiens découvre à Buchenwald ce qui n'est pas donné à ceux qui n'ont pas connu les camps : vivre sa mort. Un temps, il va croire qu'on peut exorciser la mort par l'écriture. Mais écrire renvoie à la mort. Pour s'arracher à ce cercle vicieux, il sera aidé par une femme, bien sûr, et peut-être par un objet très prosaïque : le parapluie de Bakounine, conservé à Locarno. Dans ce tourbillon de la mémoire, mille scènes, mille histoires rendent ce livre sur la mort extrêmement vivant.
Semprún aurait pu se contenter d'écrire des souvenirs, ou un document. Mais il a composé une œuvre d'art, où l'on n'oublie jamais que Weimar, la petite ville de Gœthe, n'est qu'à quelques pas de Buchenwald.



L'écriture ou la vie
,
Collection Blanche, 1994


L'écriture ou la vie
, Collection Folioplus classiques, 2012


Peter Knapp dessine "L'Écriture ou la vie" de Jorge Semprún, coéd. Gallimard/Chêne, 2012


L'écriture ou la vie
, Soledad Fox, Flammarion, coll. Grandes biographies, 2017

Jorge SEMPRÚN (1923-2011)
L'écriture ou la vie (1994)

Nous avons lu ce livre pour le 5 avril 2024.
Le groupe de Tenerife l'avait lu en février.
Nous avions lu
en 1995 La Deuxième mort de Ramón Mercader.

À PROPOS DE SEMPRÚN, des infos en bas de page : émissions, articles, documentaires...

Nos 15 cotes d'amour
Annick LBrigitteClarisse Etienne Françoise Jacqueline Monique LRozenn
Entre
et Catherine
Fanny Renée Sabine
Entre et
Jérémy
Claire Thomas

Fanny(avis transmis)
Cette lecture m'évoque des ressentis très contrastés.
Tout d'abord, le livre m'a résisté, j'ai pensé que j'allais capituler assez rapidement, mais j'ai tenu bon.
De manière très ordinaire, je n'avais aucune envie de me plonger dans l'horreur des camps le soir au coucher... : pas très courageux comme approche, j'en conviens et c'est peut-être une forme de culpabilité qui m'a poussée à persévérer.
Ce qui est certain, c'est que j'ai manqué de temps, ce n'est pas tant le nombre de pages qui pose souci, mais la densité du contenu et la construction narrative avec des allers-retours multiples. Je rebondis sur les derniers échanges de mails concernant nos choix de lecture, personnellement je trouve que deux semaines, c'était vraiment trop court.
Je l'ai lu en étant consciente que je passais à côté de réflexions philosophiques qui auraient mérité du temps pour s'y attarder.
J'ai trouvé beaucoup d'intérêt à cette lecture, mais en même temps pas de plaisir, autre qu'intellectuel, en tant que lectrice.
J'ajoute aussi que j'ai parfois trouvé Semprún prétentieux, par exemple : "Je ne ferai pas cette digression, pour brillante qu'elle eût pu être (...). Il faut savoir se retenir, parfois, laisser le lecteur sur sa faim." (p. 138 en Folio).
Parmi ce qui m'a marquée, voire saisie, il y a tout ce Semprún écrit sur le regard au début de son ouvrage, sur ce que ces regards expriment d'avoir pu vivre l'expérience de la mort. Je trouve au fil de cette lecture en boucle, dans son rapport à la temporalité, que c'est un témoignage poignant sur la mémoire traumatique.
J'ai été intéressée également par le parallèle qu'il fait entre le rapport à l'écriture de Primo Levi, qui lui permet justement de rester en vie d'une certaine manière en transcendant les atrocités subies, et le sien : pour lui, cet exercice pendant de nombreuses années empêche au contraire d'être dans la vie.
Je trouve aussi intéressante la réflexion sur le mal et l'inhumanité, balayant les formules classiques sur des actes qualifiés d'inhumains, alors même que, malgré leur atrocité, ils sont commis par des Hommes (p. 215-216).
Difficile en fin de compte de trancher sur une ouverture, mais si je me plie au jeu je vais dire que j'ouvre aux ¾.
Je m'aperçois que j'ai oublié de dire que j'avais également été saisie par le récit des discussions philosophiques dans le camp. Quelle belle lutte pour la vie, la dignité et la liberté de pensée !
Hâte de découvrir vos avis !
Sabine(avis transmis de Nîmes)
J'ai lu L'écriture ou la vie à sa sortie, il y a donc presque trente ans. C'est un ouvrage que je juge essentiel, admirablement écrit, mais…
La sortie de ce livre a coïncidé avec les commémorations du cinquantenaire de la Seconde Guerre mondiale : il est, pour ainsi dire, tombé à pic. Semprún avait déjà écrit sur son expérience de déporté (Le grand voyage, Quel beau dimanche, Le mort qu'il faut) ; pourtant, je me souviens que lors d'interviews, Semprún dit explicitement : "Je ne pouvais pas écrire avant". Même si, je le répète, ce nouveau livre est remarquable, il y a comme une forme d'opportunisme.
Oui, L'écriture ou la vie est un grand livre : fluidité dans la syntaxe, richesse lexicale et métaphorique, construction des souvenirs et des récits qui se mêlent, analyse des situations et des sentiments. J'ai été très émue par l'évocation du vieux Juif qui récite le kaddish, la rencontre avec le lieutenant américain, Rosenfeld, sa relation avec la critique littéraire, Claude-Edmonde Magny, la présence de ses deux petits-fils de cœur, Thomas et Mathieu Landman à Buchenwald. L'évocation de l'odeur de la fumée noire des crématoires confirme bien combien cet élément est constitutif de l'extermination de masse. Sans odeur, comment évoquer la Shoah ? Le thème du regard qui ouvre le récit est omniprésent et je retiens quelques exemples : "Ils sont en face de moi, l'œil rond, et je me vois soudain dans ce regard d'effroi : leur épouvante." (p. 13), "La mort faisait la roue, déployant le feu d'artifice glacial de tous ces yeux ouverts sur l'envers du monde, sur le paysage infernal." (p. 36), "j'avais remarqué un tout jeune soldat américain. Son regard, dilaté d'horreur, était fixé sur l'amoncellement de cadavres décharnés, jaunis, tordus, d'os pointus sous la peau rêche et tendue, d'yeux exorbités." (p.112). C'est banal à dire, mais le regard est le lieu de la vie même. L'eau s'échappe de l'œil du moribond, œil qui devient une bille de terre. C'est une image à laquelle je suis très sensible et Semprún y revient souvent. Les moments où il évoque "ses rêves de réalité" et "la réalité de ses rêves" sont forts ; enfin, écrire qu'il n'a pas côtoyé ou croisé la mort, mais bien qu'il "a traversé la mort" me semble juste, vrai.
Semprún révèle à la fin de son récit ce qui lui a permis de rester en vie dans le camp de Buchenwald : il n'est pas enregistré comme "Student", mais comme "Stukkateur", c'est-à-dire plâtrier. Deux déportés que j'ai rencontrés au Musée de la Résistance et de la Déportation m'ont fait part de doutes sur la façon dont Semprún se serait conduit dans le camp. Une biographe l'évoque également. Avant qu'il ne soit déporté, Laure Adler relate la probable culpabilité de Semprún concernant l'éviction de Robert Antelme et de Marguerite Duras du Parti communiste. Il y a des zones d'ombre dans la vie de l'écrivain.
Cela n'enlève rien à la qualité littéraire de son œuvre. J'ouvre donc aux ¾.
Bonne soirée !
Thomas, internaute bientôt participant
J'ai commencé L'écriture ou la vie en repensant au très gai - dans l'écriture du moins - Adieu, vive clarté du même Semprún. Mais là, l'atmosphère est totalement différente ! On retrouve quand même l'écriture fluide et agréable de l'auteur. Un bémol toutefois en ce qui concerne ses nombreux allers-retours temporels, qui, s'ils sont globalement bien amenés, peuvent parfois rendre la compréhension difficile, ou exiger du lecteur d'autres allers-retours ! Je pense notamment à certains personnages secondaires que j'ai pu mélanger certaines fois.
Mes cultures philosophique et poétique étant ce qu'elles sont, j'ai aussi été un peu perdu lors de quelques passages (surtout au milieu du livre) où il y avait force références à l'intérêt que l'auteur portait à ces deux domaines. De même en ce qui concerne les évocations du communisme, qui m'échappaient irrémédiablement dès qu'on entrait dans le détail.
Globalement, j'ai eu l'impression que l'écriture était surtout cathartique, et je n'ai jamais réussi à totalement m'immerger dans le récit - les multiples ellipses et retours en arrière n'aidant peut-être pas. Tout n'est pas à jeter toutefois, cela reste un témoignage précieux et émouvant sur l'horreur des camps, et certains passages (ce guide allemand enfermé dans un placard de la maison de Goethe !) valent le détour. Je reste toutefois un peu sur ma faim. J'hésite entre le quart ouvert et le demi ouvert, mais comme c'est Semprún, que j'avais - vous l'aurez compris - beaucoup aimé son Adieu, vive clarté et que j'ai une collègue espagnole qui ne jure que par lui et ne me pardonnerait pas d'en dire trop de mal, disons ouvert à moitié !
Etienne(à l'écran depuis Rennes)
Je l'ai fini hier soir ras les fesses.
Je m'attendais pas à quelque chose d'éprouvant. J'ai été émerveillé. Je ne m'y attendais pas. Une grande élégance. Une acuité. Un foisonnement des réflexions.
La construction narrative ne m'a pas gêné. J'ai suivi sa pensée. Très riche. Beaucoup de thèmes, et pas seulement le camp. La notion d'apatride par exemple. Pour ce qui est du camp, il est chez lui. Et ce processus d'apatride avait commencé avant : quelle était sa patrie ? Quelle était sa langue ? Je l'ai écouté : on dirait un Français, je suis bluffé.
Je trouve que c'est un des plus beaux livres sur les camps qu'il m'a été donné de lire. J'ai beaucoup aimé l'avis de de Sabine. J'ouvre en grand.

Annick L

C'est une lecture marquante pour moi, de celles qui laissent une trace indélébile. J'ai d'ailleurs lu deux fois cette œuvre. D'abord parce qu'elle ne se laisse pas parcourir facilement avec ses va-et-vient chronologiques incessants, ensuite parce que le fil du récit est entrecoupé en permanence de digressions littéraires et philosophiques (quelle culture ! quelle vie intellectuelle et artistique !), parfois en lien avec sa méditation du moment, mais parfois aussi un peu vaines. L'occasion pour moi de revenir sur certains passages dont j'ai pris note.
L'écriture ou la vie m'a rappelé d'autres œuvres qui tournent autour de l'expérience des camps de concentration organisés par les nazis pour y enfermer des prisonniers politiques de toute l'Europe : par exemple Buchenwald, structuré en commandos avec des responsables politiques, où s'est retrouvé Jorge Semprún, ou Gandersheim, dirigé par des droits communs, dans le cas de Robert Antelme (L'Espèce humaine), à côté des camps de la mort, comme Auschwitz, destinés à l'extermination des Juifs (Si c'est un homme de Primo Levi, Etre sans destin de Kertesz). Sans oublier ces autres camps mis en place massivement par Staline, qui ont fait aussi des millions de victimes, ce Goulag dont témoigne Soljenitsyne dans Une journée d'Ivan Denissovitch.
"Je cherche la région cruciale de l'âme où le Mal absolu s'oppose à la fraternité" (A. Malraux). Autrement dit "Das radikal Böse" (Kant).
Cependant Jorge Semprún aborde ce sujet avec des partis pris singuliers. Il veut à la fois faire œuvre littéraire en écrivant un récit autobiographique tout en dépassant le simple témoignage, et l'étoffer de réflexions (comme dans un essai philosophique et politique) à large portée, qui font la synthèse de ses autres expériences : l'exil en France de sa famille qui avait choisi le camp des Républicains, son engagement dans la résistance en France, dans un réseau anglais, son travail de militant comme dirigeant clandestin du Parti communiste espagnol sous le règne de Franco, etc.
L'ancien dirigeant communiste exclu et apostat peut affirmer ainsi : "Marx liquide la philosophie comme activité autonome et la met au service du pouvoir, de préférence absolu, pour transformer le monde". Ou, à la fin : "Retour à Buchenwald : le seul lieu au monde que les deux totalitarismes du 20e siècle, le nazisme et le bolchévisme, auront marqué de leur emprise".
Mais le plus original, et le plus touchant humainement dans ce livre, à partir du traumatisme initial et de l'amnésie qu'il s'est imposée, c'est l'évocation du long cheminement qui l'a conduit, des décennies plus tard, à trouver enfin les mots et la forme d'écriture qui lui convenaient pour témoigner à son tour de cette "expérience concentrationnaire".
D'où le travail de déconstruction de la chronologie, qui explore le champ de la mémoire et de l'oubli, des scènes récurrentes et obsédantes : la première, inaugurale, lors de la libération du camp, face aux trois officiers des forces alliées - "Ils sont en face de moi, l'œil rond, et je me vois soudain dans ce regard d'effroi : leur épouvante" -, l'appel dans la cour du camp enneigé, la voix de l'officier SS "Krematorium ausmachen", les dimanches de repos dans "les latrines" avec les camarades, la mort de certains proches, le chant du kaddish d'un juif agonisant, etc. Et des images purement sensorielles : l'odeur de la chair brûlée, la pluie de cendres du crématorium, comme les flocons de neige sur la fête du 1er mai… un ressassement dans lequel le lecteur est lui-même happé.
Mais l'enjeu central de ce récit est commun à ceux des autres survivants qui ont témoigné : "Le malheur qui m'étreignait ne provenait d'aucun sentiment de culpabilité. Pas de mérite à avoir survécu. Pas de mérite à être vivant. Il n'y en avait aucun non plus à être mort. C'était une question de chance. (...) J'ai compris d'où venait la tristesse physique qui m'accablait (...) c'est que je n'étais pas vraiment sûr d'être là, d'être vraiment revenu". La tentation de la mort est forte…
Un beau passage fait aussi écho à l'impossibilité où il s'est trouvé, comme d'autres rescapés, à l'époque, de partager cette expérience indicible : "Odile était d'évidence venue au monde pour y apporter de la joie, de la vivacité. Elle n'y était pas venue pour écouter les voix de la mort, ses murmures insistants. Encore moins pour les prendre à son compte, les assumer, au risque de sa propre tranquillité d'esprit, de son propre équilibre. Mais qui aura été disponible, autour de nous, en ces temps-là du retour à une écoute inlassable et mortelle des voix de la mort".
D'autres n'y résisteront pas comme Primo Levi. Mais Jorge Semprún, lui, a trouvé dans l'amnésie et dans l'engagement militant au côté des communistes une possibilité de renaissance. Avant de rompre aussi avec cette idéologie mortifère.
L'écriture ou la vie est également un très bel hommage au pouvoir des mots et de la littérature, nourri de références et de citations (des poèmes, des chansons qui ont pu nourrir son âme et son esprit dans ces moments dramatiques). D'autant plus remarquable que cet auteur d'origine espagnole, devenu apatride, a choisi notre langue pour son travail d'écrivain.
Je l'ouvre en très grand.
Jacqueline
Un ami psychologue m'avait offert ce livre à sa parution. De cette lecture ancienne, je n'avais retenu que le rôle de soutien que peut avoir la culture dans l'expérience concentrationnaire, quelque chose d'un peu analogue à Proust contre la déchéance que nous avions lu autrefois
À propos de ce que Semprún dit de Proust et de La Recherche, j'ai beaucoup aimé ce que Claire a mis sur le site : dans Le grand voyage, il est beaucoup plus positif (bien qu'écrit auparavant, il se réfère sans doute à une période postérieure) et nuance le jugement premier, un peu abrupt qu'il donne dans L'écriture ou la vie.
Le grand voyage avait bouleversé ma belle-sœur qui y retrouvait les trains du récit de son père, réfugié espagnol, déporté à Neuengamme, pour acte de résistance dans les Landes.
Je suis très contente donc de l'avoir relu et sûrement différemment. C'est une relecture à la lumière du temps qui a passé et de la distance historique, qui apparaît dans les célébrations de ces 80 ans. Dans mon avis sur La zone d'intérêt, je parlais d'Eysses où était mon père avant Dachau, mais il y a eu aussi la panthéonisation des Manouchian… C'est intéressant de lire un témoignage sur cette période. Ma mère m'avait parlé du 1er mai 45 enneigé à Paris. Pour Semprún, cette neige, c'est retrouver quelque chose du camp.
J'ouvre en grand, malgré parfois une certaine fatigue non pas des allers-retours présent/passé ou de la construction très élaborée, mais de toutes les références qui mériteraient qu'on s'y attarde : il y a cette culture de normaliens et de polyglotte, tout le poids aussi d'une expérience d'engagement. J'aimerais pouvoir approfondir. Ce monde de Semprún n'est pas exactement le mien : c'est un monde où, imprégné de poèmes on peut se les réciter, un monde de livres (il y a même une bibliothèque à Buchenwald !), un monde où l'on peut tenir des discussions philosophiques ou littéraires... J'aurais bien voulu que Laura soit là pour m'expliquer Heidegger ou Wittgenstein. Mais, un peu comme Semprún, elle se passionne maintenant pour la poésie...
Je pense, maintenant, que l'on peut entendre le ou du titre de plusieurs manières : j'avais retenu de ma première lecture un ou inclusif : l'écriture, c'est la vie. Parce qu'effectivement il me semble qu'il en est ainsi pour Semprún. Mais Semprún insiste sur un ou privatif : ne pas pouvoir écrire sur cette traversée de la mort comme s'il y avait un choix à faire : "Il me fallait choisir entre l'écriture et la vie, j'avais choisi celle-ci (...) pour survivre." Survivre par ailleurs, ce n'est pas exactement vivre !...
Une grande partie de ce livre parle de mort. Il y a le beau récit des trois morts : celle du maître Halbwachs, celle de l'ennemi que l'on tue (alors qu'il chante la Paloma et avec qui il faudrait pouvoir partager une culture commune), celle de Morales le compagnon... Il y a le chapitre du kaddish, la lente traversée du bloc où monte par-delà un entassement de cadavres au regard mort (je pensais aux images de Nuit et brouillard), la prière d'un dernier agonisant et c'est aussi, dans ce livre, la présence de la Shoah...
À côté de cette mort côtoyée, il y aussi les enjeux de pouvoir comme avec le personnage de Nicolaï plus prosaïque que le Pougatchev de La fille du capitaine dont il n'a pas l'étonnante magnanimité, mais aussi un portrait intéressant.
Pour conclure, j'ouvre en très grand.
Renée
(à l'écran depuis Narbonne)
Le propos de ce récit est de nous faire comprendre pourquoi Semprún a été incapable d'écrire pendant 15 ans. Écrire, c'était raconter à travers une fiction ce qu'il avait vécu pendant sa déportation : donc rester dans ces souvenirs et exprimer l'indicible, "à n'être plus que le langage de cette mort, à vivre à ses dépens, mortellement. (…) Seul l'oubli pourrait me sauver."
Le jeune homme qu'il était a choisi : il a choisi la vie, la vie à 20 ans, ce sont les amours, les filles, les amis, la culture, et l'action.
Ce texte s'apparente à l'écriture du "flux de conscience" (comme chez Joyce), d'où des allers-retours permanents entre le passé et le présent. Ceci ne m'a pas gênée, mais j'ai été agacée par les nombreuses répétitions. Bien entendu, dans sa tête, on ressasse, mais deux ou trois fois les mêmes phrases, ça allonge inutilement un texte.
Semprún aime aussi étaler sa culture, qui est fort étendue. Il est formidable, et il m'agace : il est trop parfait. Son attitude envers les femmes est également déplaisante : sa culture espagnole où l'homme est roi réapparait (n'oublions pas qu'à l'époque seul les aînés hommes héritaient de leur famille) : "un grand con d'officier (...) est venu la reprendre. Elle avait l'air d'être à lui."
Le plus intéressant, ce sont les passages où ils se demandent comment ils pourront raconter la vie à Buchenwald, cette vie qui "n'est pas aisément crédible… Elle est même inimaginable…" C'est uniquement par "l'artifice de l'œuvre d'art" qu'ils pensent y arriver.
Comment décrire ? "Il faudrait une fiction, mais qui osera ?". Plutôt un film ? Ou bien "les récits littéraires (...) qui dépasseront le simple témoignage, qui donneront à imaginer (…) L'enjeu en sera l'exploration de l'âme humaine dans l'horreur du Mal".
Cependant j'ai appris des choses, donc j'aime bien ça. Ainsi, les officiers américains ont quasiment obligé les habitants de Weimar à visiter le camp, alors que des montagnes de corps n'avaient pas encore été ensevelis. En 1945, Buchenwald a été rouvert par l'URSS de Staline et le KGB.
J'ouvre aux ¾.
Clarisse
(présente pour la première fois)
Ma lecture a été
continue, complète et rapide, en une semaine.
C'est une découverte, je ne savais rien du livre ni de l'auteur. Je pensais qu'il s'agissait d'une traduction, que je trouvais excellente...
Même si les vies ne sont pas comparables, j'avais l'impression de me reconnaître dans le livre : mêmes études et culture que ce jeune homme ; bon, je n'ai pas été torturée - si ce n'est par mes parents ; et dans mon métier, j'ai affaire à la compréhension du traumatisme.
Ce qui m'a frappée, c'est non pas une description de l'horreur des camps, mais du sentiment d'un être humain qui vit dans les camps.
J'ai retenu l'importance de la chance dans la survie.
L'écriture ou la vie ? Comment survivre à l'horreur ? Comment renouer avec la vie sans se perdre soi-même ? Comment intégrer ce psychotraumatisme ? Pour évoquer ces questions de fond, la forme est une écriture magnifique : c'est presque tragique de décrire aussi magnifiquement le mal. Avec l'omniprésence de l'odeur de chair brûlée, de la fumée, des oiseaux, de la neige, du jazz. Et le visage de Levinas. Le regard.
La narration fait l'aller-retour entre plusieurs temporalités, pendant le camp, avant le camp, après le camp. J'ai beaucoup aimé ce style sautillant, très pertinent parce qu'il témoigne aussi de l'effet de l'horreur sur la mémoire. L'auteur essaye de situer les moments, de se souvenir mais il n'y arrive pas. À la fin, c'est la seule chose qui m'a un peu lassée : surtout lorsqu'il nous dit qu'il ne va pas nous raconter certains passages et en fait il le fait.
Venant pour la première fois dans le groupe, je me suis dit : vraiment ce groupe a bon goût...
J'ouvre en très grand deux fois !
Brigitte
(à l'écran)
C'est le troisième livre assez horrible que nous lisons après La zone d'intérêt et L'enfant brûlé : où allons-nous ?
Pourtant, l'écriture fait que ce livre m'a beaucoup plus plu que les deux livres précédents. Nous avions lu dans le groupe La deuxième mort de Ramón Mercader de Semprún, que j'avais moins apprécié que celui-ci.
L'écriture ou la vie est un livre de philosophie. Le but de l'auteur est d'expliquer que l'expérience de grande proximité avec la mort qu'ont vécue les "survivants", ceux qui sont revenus des camps de concentration, est terriblement difficile à transmettre à ceux qui ne l'ont pas vécue. L'auteur-narrateur passe à peu près 18 mois au camp de Buchenwald (de septembre 1943 à avril 1945) alors qu'il a une vingtaine d'années. C'est cette expérience qu'il tente de transmettre ici. Il l'a vécue, alors qu'il était jeune, en bonne santé et parlait allemand. Selon lui, si ces trois conditions étaient remplies, on avait un peu plus de chances de survivre, ce fut son cas.
Pour s'adresser à ses lecteurs, il a recours à une écriture qui n'est pas abstraite, il n'emploie pas de mots compliqués ; son texte est toujours facile à comprendre. En fait, c'est un ouvrage de philosophie qui met le lecteur dans la position théorique qu'il souhaite évoquer, mais ne s'exprime jamais dans le langage technique de cette discipline. L'exploit de l'auteur est de nous rendre accessibles des concepts subtils. C'est vraiment exceptionnel et j'apprécie beaucoup.
Dans les mois qui suivent immédiatement la libération des camps, il renonce à écrire par crainte de sombrer dans un marasme proche du risque suicidaire. Il attend que son propre équilibre psychologique soit devenu capable d'affronter la mémoire de tous ces épisodes dramatiques. Il tient aussi compte de la situation mentale de celui à qui il s'adresse : il laisse passer plusieurs années pour que le phénomène des camps soit entré dans l'histoire commune des pays occidentaux.
Le déroulement de son récit est fait de diverses péripéties reprises un peu différemment chaque fois ; elles décrivent très adroitement le fonctionnement de sa mémoire. Nombreuses sont les références à la littérature et à la poésie de ces années d'après-guerre, qu'il manie avec une grande aisance, au profit du récit.
J'ai cependant une petite réserve : cet ouvrage laisse de côté la description des personnages parfois très déplaisants, qui, eux aussi, peuplaient les camps.
Pour terminer, je précise que j'avais alors 4 à 5 ans. Comme pour Jacqueline, il y avait autour de moi des gens qui rentraient des camps. Ainsi, cette époque n'est pas pour nous seulement de l'histoire.
J'ouvre en grand.
Catherine entre
et
Je l'avais déjà lu il y a longtemps. J'avais gardé le souvenir d'un grand livre. Je me souvenais du début, le regard de Semprún suscitant l'effroi des officiers qu'il croise, du vieux Juif chantant le kaddish pour lui-même, pas très bien de la suite.
Je l'ai donc relu et je garde globalement le même avis. J'ai aimé le fond et j'ai aimé la forme. Ça ne se limite pas à un témoignage, à une description de la vie de Buchenwald, c'est bien plus que cela ; mais il y a beaucoup de scènes poignantes, outre celles que je viens de citer, la mort de Maurice Halbwachs, le témoignage du survivant du sonderkommando, la scène finale au cours de laquelle Semprùn apprend que le détenu qui l'enregistre n'a pas noté "étudiant" mais "stucateur" et lui a ainsi sauvé la vie. C'est un livre riche en réflexions sur l'expérience de la mort vécue, la mémoire, la difficulté du retour à la vie, la nécessité pour Semprùn de choisir entre vivre et écrire ses souvenirs qui lui impose d'attendre des années, la nature du Mal, la difficulté de transmettre une expérience telle que celle des camps et la possibilité de l'entendre pour ceux qui ne l'ont pas vécue. Toutes ces problématiques m'ont à la fois touchée et intéressée. Tout ce qui concerne la mémoire est particulièrement bien évoqué : les cauchemars récurrents, la neige, qui le renvoient à Buchenwald, lui donnant l'impression que sa vie est un rêve et que seul le camp est réel.
De façon peut-être plus anecdotique, j'ai trouvé intéressant l'aperçu que Semprùn nous donne sur le fonctionnement de Buchenwald. Ça n'est pas un camp d'extermination, il n'y a d'ailleurs pas de Juifs sauf à la fin, ceux qui sont évacués d'Auschwitz ; on y découvre la fraternité entre les déportés, les dimanches avec l'importance de la culture, de la musique. J'ai apprécié le fait que ça ne soit pas un récit linéaire, qu'il y ait des va-et-vient, des digressions littéraires, philosophiques, un mélange entre le présent et le passé ; on suit le cheminement de sa pensée et c'est toute l'originalité de ce livre.
J'ai tout de même quelques réserves. J'ai trouvé le livre parfois un peu trop érudit, sans doute parce que, n'ayant pas fait d'études littéraires, je ne le suis pas assez, mais ça m'a semblé par moment un peu gratuit et superflu. D'autre part, j'ai trouvé Semprùn parfois un peu complaisant avec lui-même.
Malgré ces réserves, au final, c'est un livre important, marquant, très bien écrit. J'ouvre entre ¾ et en entier.
Françoise

Je l'avais lu déjà et j'avais été éblouie. Je me souvenais de cet éblouissement. C'est l'écriture qui m'avait éblouie.
C'est important comment il explique le lien - pour lui - entre l'écriture et la vie ; il a eu cette intuition qui l'a maintenu du côté de la vie. Et il l'explique magistralement. J'ai beaucoup pensé à Primo Levi. On pense souvent qu'écrire libère. Eh bien non : quand on pense à Primo Levi qui s'est suicidé. Lui il l'a senti.
Oui, il y a de l'érudition, mais je n'ai pas trouvé cela pédant. C'est vrai, c'est un intello pur, mais il me ramène à un milieu, une époque que j'ai connus, non pas de près, mais de ma jeunesse.
Parfois il se répète, il est un peu bavard : j'ai envie de lui dire ça tu l'as déjà raconté, ça va bien !
Mais globalement je suis très admirative.
Oui, il s'appesantit un peu sur ses conquêtes féminines. Mais il était très beau, il avait beaucoup de charme et était séducteur, je me serais laissé séduire…
J'ouvre en grand. Ce livre fait partie de ceux qui ont fait date. Et ça n'a pas vieilli d'un gramme. On le prend dans l'estomac.
Monique L

Un vrai plaisir de lecture dès le tout début.
J'ai trouvé le ton très juste lorsqu'il parle de sa vie à Buchenwald. Il décrit avec pudeur tout ce qui faisait le terrible quotidien de la vie d'un camp de concentration.
Un moment très marquant, c'est lorsqu'il prend conscience à travers le regard des officiers britanniques de son apparence presque cadavérique.
J'ai particulièrement apprécié de suivre le cheminement de la pensée de l'auteur, avec ses redondances, ses digressions, ses sauts incessants dans sa mémoire. Cela ne rend pas la lecture très facile, mais tellement riche et convaincante.
Après avoir partagé son expérience, Jorge Semprún analyse son besoin d'écrire pour ne pas oublier. Il n'a pas pu le faire à la sortir du camp, car cela le replongeait trop dans la mort et l'horreur. Il avait alors adopté une stratégie de survie consistant à ne rien lire, ne rien écrire sur le sujet honni, à rechercher la compagnie de personnes ignorant tout de ce passé maudit et tenter de devenir un autre. Il n'a pu écrire ce livre que plus de 40 ans après la libération du camp. C'est sans doute ce recul qui explique un tel livre. Jorge Semprún se rend compte qu'il ne peut donc pas raconter Buchenwald car ses interlocuteurs ne le comprennent pas ou le comprennent mal. Il essaie de trouver une nouvelle façon de parler quand même de cette expérience obsédante.
Dans cette seconde partie du livre, Semprún évoque le devoir de mémoire et explique comment sa vie restera à jamais marquée par les démons de son passé. Il explique comment la sensation d'être traversé par la mort l'accompagne régulièrement. Il est hanté par des images qui surgissent même aux moments de bonheur : la neige qui tombe sur Buchenwald, l'odeur de la fumée du four crématoire, la mort de ses amis, le petit camp...
J'ai été conquise par l'érudition et la hauteur de vue de l'auteur. Tout au long du récit, les évocations de la littérature, de la philosophie, de la poésie m'ont intéressée, même si j'ai été gênée par ma méconnaissance de l'allemand. Heureusement qu'il y a des traducteurs sur internet...
La découverte sur le tard de l'aide que lui a apportée le communiste allemand, en ne l'inscrivant pas comme étudiant, est émouvante.
J'ai eu l'impression d'écouter Semprún réfléchir à haute voix, d'être à ses côtés. C'est un récit magnifique, Semprún a trouvé la bonne façon de raconter l'indicible.
J'ouvre en entier.
Rozenn
(à l'écran)
Je l'avais déjà lu et j'ai soutenu ce choix.
Je me souvenais d'une construction spiralée. Mais ce sont plutôt des spirales et non une seule. J'aime comment il revient, car c'est comme cela quand on cherche à se souvenir, on s'accroche à des choses et on y revient.
Je suis actuellement dans un grand trip Shoah. Je devrais être à Auschwitz ce week-end. Je n'aime pas les tombes, les mémoriaux, les commémorations. C'est sec, froid et dur. Et là, parce que c'est écrit comme c'est écrit, ça permet de ressentir des choses.
J'ai écouté des interviews et je le trouve insupportable. Il n'a aucune chance de me séduire. Trop macho.
Dans la deuxième partie, il y a un certain étalage.
Je regarde une série documentaire en quatre épisodes sur Arte : Exterminez toutes les brutes (phrase prononcée par un personnage du récit de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres). C'est construit de la même façon sur des sujets analogues. C'est certes complétement woke, l'accusé c'est le monde occidental. Mais j'en parle, parce que c'est la même construction pas linéaire, d'évocation avec des associations et des reprises. La grande force de conviction ne vient pas du linéaire et de l'argumentatif, mais c'est comme si on était à côté, ça rend très vivant, ce n'est pas distancié.
Et je lis aussi
Le grand voyage qui n'est pas linéaire non plus : c'est moins fort, mais super.
J'ouvre en très grand, c'est un livre important concernant l'écriture et la mémoire.
Et oui, il y a des scènes fabuleuses. Et on passe d'un livre à l'autre.
Jérémy entre
et
Avant la lecture
J'avais acheté ce livre il y a quelques années dans la librairie "La Parisienne" à Saint-Raphaël, un indescriptible capharnaüm dont je vous recommande la visite si vous passez dans le coin. J'y ai acheté il y a quelques jours La mort est mon métier de Robert Merle dont vous aviez parlé à propos de La zone d'intérêt. C'est donc ma librairie "spéciale Shoah". J'étais impatient de lire ce livre qui m'attendait sur son étagère depuis un bout de temps.
Après la lecture
Au moment de rédiger mon avis, je pense à ces mots de Christophe Bourseiller à propos du film Une famille de Christine Angot dans Le Masque et la plume : "C'est pas un film, c'est un reportage sur la souffrance d'une femme. Qui suis-je pour juger de la souffrance d'une femme ? " Je me suis un peu posé la même question : n'y a-t-il pas quelque chose d'incongru, voire d'un peu indécent à dire "j'ai aimé", "je n'ai pas aimé" à propos de ce livre ? Et puis finalement non, après tout c'est une œuvre présentée au public et qui donc par ce seul fait s'expose à la critique.

Ce qui m'a intéressé et plu dans l'œuvre :
- L'explicitation du titre : l'auteur explique pourquoi il a mis tant de temps à écrire et pourquoi, pendant si longtemps, il ne pouvait écrire que sur l'avant ou sur l'après, mais pas sur le "pendant". J'ai trouvé intéressante cette réflexion sur l'amnésie délibérée qu'il a choisie pour pouvoir survivre
, sur le refus d'écrire pour se protéger et ne pas sans cesse revivre cette expérience mortifère. Pour autant, j'ai trouvé les explications un peu redondantes : il revient à plusieurs reprises sur le sujet par des voies détournées et avec des mots différents, mais au bout d'un moment, "on a compris".
- La thématique du regard : celui des trois officiers horrifiés par son regard d'outre-tombe, la manière dont une femme qu'il séduit reçoit le regard qu'il pose sur elle : "Je l'ai regardée, elle avait les yeux grands ouverts. (...) Mais elle s'est agitée soudain, elle devenait fébrile. - Ne me regarde pas comme ça, a-t-elle dit dans un souffle. Je ne la regardais pas comme ça. Je la regardais, sans plus." (p. 143). Et enfin le regard des déportés, qui m'a fait penser à ce qu'en dit également le Sonderkommando Szmul dans La zone d'intérêt : "Depuis bientôt deux ans, je vivais entouré de regards fraternels. Quand regard il y avait : la plupart des déportés en étaient démunis. Éteint, leur regard, obnubilé, aveuglé par la lumière crue de la mort." (p. 29)
- Certains passages, vraiment très beaux, dont certains ramènent encore à cette question du regard :
"De semaine en semaine, j'avais vu se lever, s'épanouir dans leurs yeux l'aurore noire de la mort." (p. 31)
"Nous étions passés, Albert et moi, gorge serrée, marchant le plus légèrement possible dans le silence gluant. La mort faisait la roue, déployant le feu d'artifice glacial de tous ces yeux ouverts sur l'envers du monde, sur le paysage infernal." (p. 41)
"Je n'étais rien d'autre, pour l'essentiel, qu'un résidu conscient de toute cette mort. Un brin individuel du tissu impalpable de ce linceul. Une poussière dans le nuage de cendre de cette agonie. Une lumière encore clignotante de l'astre éteint de nos années mortes." (p. 161)

Quelques réserves :
- Il y a un côté trop distancié, trop intellectualisé et intellectualisant. Je pense que cela s'explique par le fait que le livre a été publié près de 50 ans après la libération de Buchenwald. Je pense que ce n'est pas tout à fait le livre que j'attendais et auquel je m'attendais. J'aurais peut-être préféré Le grand voyage. Ici, on en revient finalement à ce qu'il dit sur son blocage au moment de décrire le "pendant" car on se situe soit dans l'après, soit juste au moment de la libération, mis à part ce qui concerne la description des dimanches et celle de l'agonie de Halbwachs et de Maspero. Le seul moment où j'ai été réellement ému est celui, page 381, où il explique que ce n'est pas la profession "Student" qui a été inscrite sur sa fiche d'enregistrement au moment où il est arrivé dans le camp, et que c'est certainement ce qui lui a épargné le camp de Dora et lui a sauvé la vie.
- Certaines fioritures, des coquetteries, des préciosités et des jeux de mots de khâgneux. Par exemple à propos de la décision qu'il a prise de ne pas écrire pour survivre : "Ou plutôt, c'est là que j'avais commencé à la prendre. Mieux encore : qu'elle avait commencé à être prise, à se prendre, sans que j'eusse à intervenir pour infléchir le cours des choses. À prendre, donc, comme on dit de la glace qu'elle prend ; à cristalliser, comme on dit d'un sentiment qu'il cristallise." (p. 270) J'ai vraiment eu l'impression de me retrouver en face de mon prof de khâgne, qui était très friand de ce genre de jeux de mots un peu ampoulé et puéril. J'ai également été un peu agacé par des fioritures du type "Je veux dire", "Ou plutôt". J'ai l'impression qu'il cherche devant nous la formule juste. Mais il est écrivain et il a mis presque 50 ans à écrire ce livre. J'estime qu'il a eu largement le temps de trouver les mots idoines et je n'ai pas envie qu'il me fasse visiter son arrière-cuisine.
- Certains passages non traduits. J'ai trouvé cela dommage car il y a tout de même beaucoup d'extraits de poèmes en allemand et j'ai eu l'impression de manquer quelque chose.

En revanche, contrairement à certain.es, je n'ai pas été gêné par les multiples références, au contraire. Pour moi, ce qui compte est qu'elles soient bien amenées, à propos et utiles. Je crois que c'est presque toujours le cas. Par ailleurs, je ne peux pas reprocher à un auteur d'être plus cultivé que moi et de développer des références que je n'ai pas et qui seraient donc excluantes. Si je ne suis pas assez cultivé pour tout comprendre, tant pis pour moi. Je prends au contraire les références comme des cadeaux, de nouveaux horizons qui s'ouvrent : La trêve de Primo Levi, Charlotte à Weimar de Thomas Mann, etc.
J'ouvre entre ½ et ¾.

Rozenn, réagissant à un exemple de jeux de mots khâgneux (voir le passage ici)
Je trouve que la glace qui prend, ce n'est pas une coquetterie. C'est tout à fait ce que je ressens quand on prend une décision.
Claire
Je ne connaissais pas grand-chose de Semprún, quand nous avons envisagé de le lire sans avoir encore fixé de titre (j'ignorais avant que Brigitte ne le rappelle que nous avions lu un livre de cet auteur dans le groupe et j'ignorais que je l'avais lu...). J'ai vu alors le documentaire sur Arte sur Semprún qui m'a beaucoup impressionnée par son parcours stupéfiant et j'ai commencé à lire Adieu, vive clarté, espérant échapper à un livre sur les camps, avec un récit de formation à travers des lectures, des rencontres, la découverte de Paris. J'ai été immédiatement frappée assez agréablement par l'aspect non chronologique et le ton, retrouvés tous deux ici. Mais j'ai vite dû le lâcher, et c'est en traîant les pieds que je me suis dirigée vers Buchenwald.
Mais bon, j'ai trouvé que cette lecture était plutôt une promenade allègre. J'ai trouvé le ton assez léger et les poses avantageuses. Vous comprendrez que j'ai ressenti un zest d'agacement. Le narrateur est en première ligne, certes, mais on dirait qu'il est seul à régner dans le camp, notamment quand parmi les libérateurs le lieutenant Rosenberg, que j'imagine beau et fringant, arrive pour causer littérature et philosophie et faire une petite visite touristique chez Goethe. Jorge a la pêche, nulle allusion à une petite faiblesse physique après ce séjour au camp pendant plus d'un an.
J'ai lu le livre en moins de deux heures en sautant des passages, oui, en lecture très rapide... : je ne ressentais pas la sacralité, le ton me démotivait.
J'ai trouvé intéressant et agréable le tissage souligné par Sabine.
Je n'ai pas trop compris le rôle de Semprún dans le camp et des lectures complémentaires (notamment la première biographie assez récente disponible en France L'écriture et la vie - admirez le et), m'ont éclairée sur le fait qu'il faisait partie d'une sorte de nomenklatura communiste et qu'il recevait des colis de sa famille (tant mieux pour lui).
Outre la scène avec le maître qui meurt dans ses bras, je donne un exemple de son ton qui me permet, à côté de vos admirations, de me sentir out : "Ai
nsi, le regard fou, dévasté, qui avait provoqué le malaise chez trois officiers d'une mission alliée, le 12 avril 1945, à Buchenwald, à l'entrée d'un bâtiment administratif de la division S.S. Totenkopf, où se trouvaient des dossiers qu'ils voulaient consulter, ce regard me donnerait accès à la beauté des femmes, à leur tendresse, leur fougue et leur langueur, qui ont rendu mon âme de nouveau habitable. Du moins pour quelque temps et par intermittence. De quoi emmagasiner le souvenir de quelques minuscules bonheurs déchirants. J'en jouai sans scrupules, ayant découvert ce pouvoir." Ce n'est pas le contenu, c'est la manière distanciée qui me met à distance : "ce regard me donnerait accès à la beauté des femmes", ça ne passe pas bien...
J'ai trouvé intéressante l'étude de Corinne Benestroff qui a en tant que psychologue travaillé sur le lien chez Jorge Semprún entre résistance et résilience et qui met en relief la figure de style représentative de la résilience (résilience dont Semprún est un magnifique représentant) : l'oxymore, qui donne un titre à un livre du spécialiste de la question Boris Cyrulnik Un merveilleux malheur. Des exemples dans notre livre : "patrie étrangère", "éblouissante pourriture", "cadavres vivants". Je terminerai donc par un oxymore de Semprún que j'ai relevé à propos des femmes :"Chacune d'entre elles réveillait en moi la mort que je voulais oublier, mais dont le sombre rayonnement était à l'origine de ces plaisirs", phrase qui accompagne pleinement ma déception admirative.

Quant aux nombreuses références culturelles, elles apportent un décorum. Puisqu'il en parle dans le livre, j'ai beaucoup aimé découvrir la Lettre sur le pouvoir d'écrire que lui a écrite sa copine Claude-Edmonde Magny avec une densité étouffante de références, c'en devient presque comique.
J'ouvre ½ par respect pour tout ce que vous avez dit d'élogieux...
Je suis la seule présente ce soir à être si futile et réticente. Par contraste, j'invite à lire ci-dessous l'avis de José Luis, à la phrase proustienne, passé de l'enthousiasme à l'acerbe relecture.

Le groupe de Tenerife
s'est réuni le 21
février 2024

Nieves, outre son avis, donne la note d'ambiance.

"On était sept et l'opinion majoritaire sur le livre a été très favorable, à l'exception de José-Luis qui l'a lu pour la deuxième fois et a été déçu par rapport à la première impression qu'il avait eue antérieurement.
On s'est tous accordés sur la difficulté du texte, étant donné que l'auteur, grand intellectuel de son époque, fait mention d'un tas de personnages du monde de la culture, de la politique, de faits historiques, d'événements, parmi lesquels il n'est pas toujours facile de se repérer...
Par contre, lui, grand philosophe, écrit des passages sur des aspects humains qui aident le lecteur à la réflexion, ce qui serait la partie intéressante de la lecture.
D'autre part, on a beaucoup parlé aussi de son rôle dans le parti communiste, puisque ça connecte très bien avec des expériences vécues dans notre pays...

Et pour la prochaine fois, on a choisi un texte qui nous a conseillé José Luis : Voie négative de Valère Novarina, en particulier la première partie où il est question de langues. C'est parce qu'on a aussi beaucoup parlé du langage (la seule patrie de Semprún) dans la réunion..."

Nieves
Pour moi, cette lecture a été dense et complexe, due au type d'écriture circulaire où l'auteur fait et refait des détours tout le temps, certains passages revenant à plusieurs reprises au long du récit. Pourtant, cela n'a pas l'air d'être un hasard, mais la volonté de Semprún de voir et de revoir certains aspects de sa vie qui l'ont marqué en particulier, et qui lui ont servi à écrire L'écriture ou la vie, un des livres qu'il a écrit sur son séjour à Buchenwald, tâche qui lui a pris plus de quarante ans …
Ainsi donc, dans la première partie, on assiste à la lutte intérieure de quelqu'un qui est passé par un camp nazi et un jour, sans trop y croire, on lui dit qu'il peut retourner à la vie, à sa vie quotidienne de jeune et brillant étudiant à Paris où les amis, les lectures et le débat politique sont ses activités habituelles. Pourtant, ce retour à la vie n'est pas évident du tout, car ce qu'il ressent ce n'est pas "d'avoir échappé à la mort, mais de l'avoir traversée (ou) d'avoir plutôt été traversé par elle".
Comment peut-on transmettre cette expérience si poignante aux gens qui ne l'ont pas vécue ? Parce que dans ce trou des horreurs qui est Buchenwald, il y a aussi des relations humaines : "Nous tous qui allions mourir avions choisi la fraternité de cette mort par goût de la liberté", donc, on est capable de fraterniser dans les latrines en échangeant des paroles, en respirant la pudeur répugnante des déchets humains, on est capables de réciter un poème, d'évoquer une musique, difficile à transmettre cette expérience invraisemblable… D'où l'incapacité de retourner à la routine de la vie en venant de quitter la mort, en ayant été "traversé par elle". Non, ce n'est pas facile de revenir aux plaisirs d'avant, car quand il essaie de le faire, il sent qu'ils ne l'ont pas rattaché à la vie, ils "m'en ont au contraire éloigné... renvoyé dans la mémoire de la mort".
C'est cela qui constitue l'axe narratif du récit. En effet, oublier le vécu dans le camp va être un dilemme permanent qui va continuer à le tourmenter jusqu'à la fin de l'ouvrage, puisqu'il ne se sent pas vraiment impliqué dans la soi-disant vie ordinaire d'avant, sa tête revenant tout le temps à Buchenwald sur quoi il voudrait, d'une part, écrire, expliquer les horreurs vécus pour s'en libérer, et, d'une autre, trouver l'état d'esprit approprié et la "formule adéquate" pour le faire, question très ardue aussi.
La conclusion à laquelle il arrive finalement, c'est, donc, que "la vérité essentielle de l'expérience du camp n'est pas transmissible ... ou plutôt, elle ne l'est que par l'écriture littéraire, par l'artifice de l'œuvre d'art, bien sûr".
On est devant un texte décrivant des va-et-vient entre OUBLIER ou NE PAS OUBLIER pour s'en débarrasser ou même pour essayer de faire comprendre aux autres l'horrible expérience d'être passé par un camp de concentration.
Mais on peut aussi imaginer que, par rapport à d'autres camarades du camp, pour lui il y a une autre difficulté à s'adonner à pleine joie aux plaisirs de la vie du fait que lorsque ceux-ci retournent à la patrie après la libération, lui, il n'a pas de patrie - "ma seule patrie est le langage, dit-il" - donc, il ne peut pas être rapatrié étant espagnol et d'ailleurs il se dit "De risquer ma vie... l'enjeu n'en avait jamais été la patrie". Cela dit, L'écriture ou la vie est un long parcours où après avoir été libéré, il va continuer à subir les aléas de la vie (rencontres avec des amis, des femmes, des intellectuels, des endroits déjà connus…) où, cependant, le retour au camp revient ponctuel et régulièrement, jusqu'au moment où il commence enfin à écrire le texte longtemps après, juste après avoir quitté la militance dans le parti communiste.
Et à propos de son engagement politique, il est vrai que ses allusions à cette époque ont un sens spécial pour les Espagnols, étant donné que la lutte contre la dictature de Franco a été menée avant tout par le parti communiste où Semprún a été l'un des dirigeants les plus importants. Or, dans le livre, surtout à la deuxième partie, il y évoque son adhésion au parti, son époque de clandestin sous le nom de Federico Sánchez et son exclusion à la suite d'un entretien avec Dolores Ibarruri à Prague. C'est juste à partir de ce moment qu'il va se consacrer au métier d'écrivain : "j'ai abandonné la peau de serpent de la vie clandestine pour entrer dans la peau tout à fait publique de l'écrivain." Cela a été une libération que lui a permis cette fois-ci de trouver la formule littéraire pour rédiger L'écriture ou la vie.
Bref, livre d'un intellectuel à culture exceptionnelle dont les livres, comme celui-ci, aident le lecteur à réfléchir sur des sujets multiples, mais livre aussi d'un témoin et acteur des événements du XXe siècle où l'Europe a vécu des secousses importantes dont leur souvenir nous effraye encore aujourd'hui, étant donné qu'on assiste à de nouvelles secousses annonçant de nouveaux bouleversements dans le monde.
Invitée par Claire à préciser mon avis, j'ajoute que ce que j'ai aimé, ce sont les passages plus philosophiques, les passages invitant la réflexion et les pages consacrées à son étape communiste.

José Luis
J'ai lu L'écriture ou la vie pour la première fois lors de la sortie du roman, il y a une trentaine d'années, et j'avais gardé, de cette lecture, un souvenir éblouissant. Pourtant cette nouvelle rencontre avec le roman de Jorge Semprún a été souvent une épreuve, et là où autrefois j'avais trouvé des qualités, j'y ai trouvé souvent des défauts. Cela est sans dû à l'évolution des modes d'écriture, d'une part (celle de Semprún apparaissant à l'époque - par ses répétitions, ses digressions, ses allers-retours et ses exercices d'explicitation du travail d'écriture jusqu'à en lui donner parfois un certain air de working in progress - d'une grande modernité, aujourd'hui elle a pour moi, une apparence vieillie et, donc, sans aucune capacité de surprendre positivement un lecteur plus ou moins averti), et, de l'autre, à ma propre évolution personnelle qui ne me permet plus d'admirer, comme jadis, l'exhibition épatante que l'auteur fait de ses connaissances littéraires et culturelles, non seulement des œuvres, mais aussi des auteurs eux-mêmes, et de son action politique, au point que je n'y vois plus qu'un exercice de vanité.
En effet, j'ai l'impression que Semprún semble avoir un malin plaisir à épater ses lecteurs par l'étendue de ses connaissances et de ses contacts et par son domaine des langues étrangères qu'il jette à la figure des lecteurs dans moultes citations dont il ne donne ni les références ni les traductions. Et puis il y a cet événement central dans le livre, sur lequel il revient sans arrêt, de la mort de Halbwachs (éminent psychologue et sociologue d'obédience durkheimienne, qui était l'un de ses camarades - mais pas n'importe lequel, puisqu'il est cité dans le livre plus d'une cinquantaine de fois - dans le camp de la mort de Buchenwald, près de Weimar), qu'il aurait accompagné jusqu'au dernier moment de son humiliant trépas. Le récit de ce fait dégage une puissante émotion, en même temps qu'il donne à penser au rôle consolatrice - discutable ! - de la culture. Je le reprends ici, dans sa version la plus complète :

Il a soudain ouvert les yeux. La détresse immonde, la honte de son corps en déliquescence y étaient visibles. Mais aussi une flamme de dignité, d'humanité vaincue mais inentamée. La lueur immortelle d'un regard qui constate l'approche de la mort, qui sait à quoi s'en tenir, qui en fait le tour, qui en mesure les risques et les enjeux, librement, souverainement.
Alors, dans une panique soudaine, ignorant si je puis invoquer quelque Dieu pour accompagner Maurice Halbwachs, conscient de la nécessité d'une prière, pourtant la gorge serrée, j'ai dit à haute voix, essayant de maîtriser celle-ci, de la timbrer comme il faut, quelques vers de Baudelaire. C'est la seule chose qui me vienne à l'esprit :
Ô mort, vieux capitaine, il est temps, levons l'ancre…
Le regard de Halbwachs devient moins flou, semble s'étonner. Je continue de réciter. Quand j'en arrive à "
nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons", une mince frémissement s'esquisse sur les lèvres de Maurice Halbwachs.
Il sourit, mourant, son regard sur moi, fraternel.

Que doit-on penser, comment juger ce passage qui a été écrit - par quelqu'un qui avait été disciple de Halbwachs - sans doute pour embellir la mort qui n'a pu être qu'immonde de son maître… et pour s'embellir soi-même, alors jeune futur écrivain, sans encore le savoir quand il raconte le fait presque cinquante ans après avoir eu lieu ? Que c'est un morceau de littérature qui n'a pas dû avoir grande chose avec la réalité ! Un morceau de littérature et un geste de vanité.
Je suis là de l'avis de François Maspero, qui dans son très beau livre Les abeilles & la Guêpe dédie quelques pages (lui qui était bien placé pour le faire, puisque son propre père - important sinologue et orientaliste - est mort aussi à Buchenwald, que Semprún cite au passage et puis s'oublie de son sort) à ce moment de L'écriture ou la vie, dont je me contenterai de citer quelques lignes :

Mais enfin quand même, il faut que je le dise aussi et, je sais, oui, je n'en ai pas le droit peut-être, mais enfin quand même, depuis que j'ai lu ces lignes de Semprún, trois ans déjà, je m'interroge et je me répète : n'est-ce pas trop beau ? Non que je doute de son récit, ou du moins je ne doute de ce qui fonde ce récit, de ce qui lui donne son sens, même si j'ai quelques raisons de douter de sa stricte véracité en tant que témoignage consigné comme le serait un procès-verbal - mais j'accorde à Semprún le droit d'affirmer comme il l'a fait : "À quoi bon d'écrire des livres si on n'invente pas la vérité ? Ou, encore mieux, la vraisemblance ?" Non, mon interrogation n'est pas là. Elle est : et les autres ? Tous les autres ?

Tous les autres, et en particulier Henri Maspero qui occupait le grabat qui côtoyait celui de Halbwachs :

Parce qu'enfin nous voyons bien, nous les lecteurs, Semprún penché fraternellement sur Halbwachs, nous voyons bien le sourire fraternel de Halbwachs, nous entendons bien les vers de Baudelaire, et peut-être, en tendant l'oreille, le souffle de Halbwachs. Mais moi, qui vois cela, je ne distingue rien d'autre, sinon une forme vague, couchée à côté de Halbwachs, qui doit voir et entendre aussi, et dont nul ne m'a dit s'il a eu, lui aussi, un sourire fraternel.

Quant au récit de Semprún - qu'il présente sous formes différentes, plus brèves, et parfois seulement de manière implicite le long du roman - il est, en effet, trop beau, trop enjolivé, trop littéraire, et donc fictionnel, pour être vrai.
Et c'est ce même type de gestes, que je dirai élitistes, que j'ai rencontrés souvent, par rapport aussi à d'autres événements, dans ma relecture de L'écriture ou la vie. Gestes élitistes auxquels, pourtant - immature encore, malgré mon âge, et trop près aussi, par le temps et par la pensée, de mon étape politique de lutte contre la dictature franquiste - je m'étais identifié dans ma première rencontre avec ce roman qui, sans laisser de m'intéresser, est loin aujourd'hui de me sembler, comme ce fut le cas autrefois, un chef-d'œuvre.
J'avais décidé de terminer mon rapport de lecture par ces mots, mais une démangeaison qui m'a accompagné depuis le commencement de la lecture, depuis le titre, pour être précis, m'en empêche. C'est que je n'arrive pas à m'en départager sur le sens de ce titre : L'écriture ou la vie. S'agit-il d'une identification de l'une, l'écriture, avec, l'autre, la vie, ou plutôt d'un choix à faire entre, l'une et l'autre ? Je n'ai pas ici l'espace pour être ni plus précis ni plus explicite. Mais, selon la réponse qu'on donne à la question tout le sens du livre change.

À PROPOS DE SEMPRÚN, on peut :

• Lire ou plutôt consulter



- Wikipédia détaille longuement vie et œuvres littéraires et cinématographiques ›ici.
- Cliquez pour voir tous ses livres publiés chez les éditeurs suivants 
 : ›Gallimard (surtout), ›Grasset, ›Flammarion, ›Fayard.

• Écouter sur France Culture

 

- À voix nue, par Jean Lacouture, 5 entretiens avec Jorge Semprún de 27 min, du 20 au 24 mai 1996 :
› entretien 1/5 : Des souvenirs politiques et historiques
› entretien 2/5 : De l'exil à l'engagement politique
› entretien 3/5 : Survivre au fascisme de Buchenwald
› entretien 4/5 : La Culture comme ministère
› entretien 5/5 : Au service du 7e art.
Ces entretiens ont été publiés : Si la vie continue... : entretiens avec Jean Lacouture, Grasset, 2012.

- La Compagnie des œuvres, par Matthieu Garrigou-Lagrange, 4 épisodes de 58 min, du 20 au 23 février 2017 :
› épisode 1/4 : Le ministre de personne
› épisode 2/4 : La mémoire L’oubli
› épisode 3/4 : De la Résistance à la résilience
› épisode 4/4 : Jorge Semprún, de l'écriture au cinéma.

• Regarder des documentaires



Deux films accessibles en ligne alors que nous lisons ce livre :
- Les mille vies de Jorge Semprún, par Albert Solé, Arte, 2023, 54 min : film qui parcourt toute la vie de
Semprún
- Jorge Semprún, la plume au poing, par Patrick Rotman, France 5, 2023, 57 min : film centré sur le parcours politique, avec
Semprún qui est encore vivant.

• Observer le name dropping

 

- Kafka, García Lorca, Primo Levi, Soljenitsyne, Borges, René Char, Wittgenstein, Aragon, Dostoïevski, Louis Armstrong, Victor Hugo, Rimbaud, Lamartine, Mallarmé, Apollinaire, Breton, Heidegger, Husserl, Levinas, Hegel, Nietzsche, Schelling, Malraux, Merleau-Ponty, Hemingway, Bakounine, Marx, Velázquez, Goya, Ribera, Picasso…, ce sont quelques noms évoqués par Semprún.
Et Proust, bien sûr ! Voir ce qu'il en dit › ici.

- L'écriture ou la vie détaille des rencontres avec Claude-Edmonde Magny : elle lui écrit et publie une Lettre sur le pouvoir d'écrire : à lire › ici.

• Découvrir qui en parle doctement

 

On retrouve les noms suivants dans les émissions de radio ou télévision citées précédemment.

- La Lecture et la vie : œuvre attendue, œuvre reçue : Jorge Semprún et son lectorat de Françoise Nicoladzé, Gallimard, 2002, qui a fait la première thèse en 1996 sur Semprún, suivie de cet ouvrage : La Deuxième vie de Jorge Semprún : une écriture tressée aux spirales de l'Histoire, Climats, 1997.

- Jorge Semprún : entre résistance et résilience de Corinne Benestroff, CNRS, 2017, préface de Boris Cyrulnik, prix spécial du jury de L'Évolution psychiatrique. Un article donne un aperçu : "L'Écriture ou la vie, une écriture résiliente", Littérature, n° 159, septembre 2010. Corinne Benestroff, psychologue clinicienne, avait fait une thèse de littérature en 2012 avec Pierre Bayard.

- Ivo et Jorge de Patrick Rotman, Grasset, 2021 ; rééd. Points, 2023 : portrait croisé de Semprún et Yves Montand.

- L'écriture ou la vie de Soledad Fox, Flammarion, 2017 : première biographie disponible en français, publiée aux USA en 2016.

- La mémoire de toutes pièces, Marta Ruiz Galbete, L'Harmattan, 2017, suite d'une thèse soutenue en 2017.


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
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