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 |  | Imre KertészÊtre sans destin
Nous avons lu ce livre en janvier 2006. Katell  C'est difficile de parler de ce livre, mais je suis contente qu'il ait 
        été mis au programme du groupe. C'est un auteur majeur et 
        un livre majeur et j'aime quand le groupe me permet d'aller à la 
        découverte de grands écrivains. Je n'avais pas lu Imre Kertész 
        il y a deux-trois ans, lorsqu'il a eu le prix Nobel. Après Être 
        sans Destin, je vais lire ses autres ouvrages.
 Tout d'abord, j'ai beaucoup aimé l'écriture. J'aime cette 
        façon d'ouvrir sans cesse les guillemets pour citer les propos 
        exacts de ses personnages. C'est très journalistique et cela donne 
        à la fois une sensation de proximité (les propos sont rapportés) 
        et de distanciation (l'auteur/narrateur ne se les approprie pas). 
        J'ai été très sensible à son regard d'adolescent, 
        qui éprouve des sensations ou des sentiments parfois inavouables 
        (envers son père et sa mère), face à ses oncles ou 
        aux voisins.
 Je me suis aussi posé la question de l'homosexualité latente 
        (?) avec cette façon très particulière de décrire 
        la beauté et le corps des hommes qu'il croise (notamment les soldats 
        allemands) et qui se révèle (enfin devine-t-on ?) dans 
        la scène du lavabo, où l'autre jeune homme devient également 
        " l'homme " de l'infirmier. Très souvent, on 
        est comme lui, on ne comprend pas bien ce qui se passe. Pourquoi a-t-il 
        été envoyé à l'infirmerie, où malgré 
        la faim et la soif, ce séjour va lui permettre de passer l'hiver 
        44-45 et le sauver ?
 
 Liliane,
 C'est également très difficile de parler de ce livre. J'ai 
        freiné des quatre fers pour le lire. Je l'ai acheté avant-hier 
        et je l'ai terminé il y a une heure. Ce n'est pas encore assez 
        décanté, j'ai du mal à en parler. Et puis, c'est 
        un peu indécent dans le contexte d'un groupe de lecture... C'est 
        un livre qui m'a touchée, secouée...
 Jacqueline
  Moi aussi, j'ai des difficultés. Je l'avais gagné au Salon 
        du livre en 2003. J'étais très contente de lire Kertész 
        parce que je suis en recherche de livres sur la déportation. Cette 
        difficulté que j'éprouve à en parler tient à 
        beaucoup de choses : la chape de silence de ceux et celles qui en 
        sont revenus. Mon père a été à Dachau comme 
        politique (un an) et d'une certaine manière j'étais au courant 
        de son expérience mais il n'a rien raconté. Pour moi, dans 
        cette expérience des camps, il y a quelque chose de sacré. 
        Plus tard, j'ai lu d'autres livres, mais la chape de silence est toujours 
        là. J'avais trouvé Primo Levi extraordinaire mais je suis 
        incapable d'en citer quelque chose.
 Donc, j'ai lu et je l'ai relu. Le début du livre ne me plaisait 
        pas : cette manière de raconter, l'expérience d'un 
        adolescent, ces choses sans sentiment, cette position subjective. Les 
        Boutiques de cannelle racontent les mêmes sentiments, cette 
        étrangeté, cette folie. Cela m'apparaissait pesant. Ces 
        phrases courtes qui reprennent ses sentiments d'enfant, pour moi, cela 
        faisait procédé. A partir de la rafle, j'ai été 
        embarquée. La chose racontée prend le pas sur le procédé. 
        C'est un livre de témoin, précieux, ce n'est pas de littérature...
 C'est assez extraordinaire, il ne comprend rien, il est entraîné, 
        il est mêlé à ça, il vit ça. Il n'a 
        pas de jugement. Pour lui, " il faut bien faire ", 
        puis il apprend à tricher. C'est très touchant. A la fin, 
        lors de la discussion avec le journaliste, on retrouve la pensée 
        toute faite des gens : " C'était l'enfer... "
 Cependant, à cause de cette distance, l'horreur ne passe pas. Je 
        recommande par exemple Le Retour de Charlotte 
        Delbo, qui arrive à rendre mieux le terrible de la situation.
 Brigitte, Je l'ai lu il y a deux ans. Je ne l'ai pas relu, j'écoute vos avis.
 
 Geneviève
 Quand il est sorti il y a deux ans, je n'ai pas voulu le lire. La déportation 
        fait partie de mon histoire familiale, de mon enfance, de mon imaginaire. 
        J'ai lu une tonne de bouquins sur le sujet et j'en ai ras-le-bol de la 
        sacralisation et de l'autopunition.
 Finalement, je l'ai lu pour des raisons professionnelles. J'ai été 
        un peu déroutée au début, avec ce point de vue. J'ai 
        été fascinée par la distance et par son rapport au 
        temps. Comment il arrive à s'habituer à des choses insupportables. 
        Son retour l'a beaucoup frappé, sa rencontre avec le journaliste, 
        la communication impossible et ce moment où il sort de lui-même, 
        sa colère par rapport aux deux vieux.
 En revanche, à la relecture, j'ai trouvé que la technique 
        à mettre des expressions comme " j'en convenais " 
        faisait un peu procédé. Je trouve fascinant cette impossibilité 
        à communiquer. On raconte cette expérience comme quelque 
        chose de dramatique, mais par exemple, ma mère qui l'a vécue 
        enfant aussi, n'évoquait pas "le drame".
 Dervila
  Je n'en ai lu que la moitié et pour l'instant, je l'ouvre aux ¾ 
        pour le témoignage. J'ai trouvé ça plat et froid, 
        comparé par exemple à La Trêve de Primo Levi. 
        L'écriture m'a gênée. J'ai été gênée 
        d'un point de vue technique. J'ai trouvé le personnage très 
        énervant. Je ne peux pas comprendre qu'il n'ait pas d'émotion. 
        Je trouve ses réactions bizarres vis-à-vis de son père, 
        de sa mère, sa manie de l'ordre. Cette absence donne l'impression 
        qu'il est sous le choc. C'est peut-être son mérite littéraire. 
        C'est un témoignage très froid, mais un témoignage 
        complet.
 Françoise O
  Je n'ose mettre de qualificatif sur ce livre, sur sa construction, son 
        écriture. Je trouve cela déplacé, indécent. 
        Comme ceux qui n'ont pas pu comprendre ce qu'il tentait de faire passer 
        à son retour : ceux qui n'ont pas cru, ceux qui n'ont pas 
        pu entendre, ceux, dont je suis, qui n'ont pas été là-bas. 
        Et qui n'ont donc aucun droit à porter même l'ombre d'un 
        jugement. Je dis simplement "chapeau bas". Je lisais en même 
        temps le livre d'un auteur allemand,  
        Max Sebald, et j'ai trouvé une citation qui s'applique, selon 
        moi, à la lecture de Kertész, qui "se caractérise 
        par une attitude narrative qui (
) reste bienveillante jusque dans 
        la moquerie et ainsi (
) ne tire pas son ironie de la distance prise 
        par rapport au sujet, mais du rendu exact d'images vues de très 
        près."
 Claude
  J'ai lu d'autres livres sur la déportation, comme Soljenitsyne. 
        J'ai été surprise car c'est un jeune homme de quatorze ans, 
        il a l'âge de ma fille aînée. J'ai dévoré 
        ce livre. Au début, j'ai eu un peu de difficulté à 
        le lire. Il prend des distances par rapport à ce qu'il vit. Il 
        est très jeune et ne peut imaginer l'inimaginable. Il s'adapte, 
        il ne peut faire autrement. Il fait preuve d'une certaine petite fierté. 
        Il parle aussi des quelques joies mises en miettes : le terrain de 
        foot à Buchenwald, l'évocation d'un coucher de soleil, lorsqu'il 
        retrouve quelqu'un qui parle sa langue. Pour lui, c'est une joie. Lorsqu'il 
        reçoit de la nourriture, c'est une joie de manger. Il savoure son 
        repos à l'hôpital même s'il meurt de soif et de faim.
 Monique
  Je l'ai lu aussi il y a deux, trois ans et je n'ai pas pu le relire. J'en 
        parle sur mes souvenirs. Pour moi, c'est un grand écrivain. Pas 
        simplement pour le thème mais aussi par rapport à tous les 
        autres livres, il y a quelque chose de très particulier. J'y vois 
        plusieurs fils. Celui de l'expérience d'un enfant que je trouve 
        très difficile. Les premières pages sont capitales pour 
        comprendre son cheminement. Au moment de l'arrestation, ces jeunes garçons 
        avaient tout le temps de fuir... C'est fascinant qu'ils aient suivi sans 
        se poser plus de questions. On sent que c'était un enfant qui n'était 
        pas averti, que personne n'était là pour le protéger. 
        On voit aussi le travail de l'écrivain : il veut restituer 
        son histoire avec sa vision d'enfant.
 Autre fil : je n'ai pas lu beaucoup d'autres documents où 
        sont évoqués la joie et le bonheur au camp de concentration. 
        Il égrène des grains de bonheur. Quand on ouvre ce genre 
        de livre, on a envie de comprendre pourquoi les humains ont été 
        capables de faire ça et comment d'autres humains l'ont vécu 
        et supporté. Tous ces gens voués à mourir et en fin 
        de compte, contre tout attente, le destin fait que certains ont vécu. 
        C'est vivifiant malgré l'horreur. Il a fait son chemin pour construire 
        sa vie. Le retour est désespérant : personne ne l'attend. 
        J'ai lu deux autres ouvrages, notamment Kaddish pour l'enfant qui ne 
        naîtra pas, où il évoque son refus de donner la 
        vie à un enfant. Kertesz est un très grand écrivain 
        pour sa vision humaine.
 Florence
  J'avais lu le livre au moment où Kertész a reçu le 
        Prix Nobel. Il m'avait beaucoup marquée et je m'en souviens bien. 
        Je l'ai en partie relu pour le groupe, ce soir.
 J'ai ressenti la même stupéfaction à la deuxième 
        lecture, lorsque le narrateur décrit des horreurs en les qualifiant 
        "d'assez pénibles" ou de "bien désagréables". 
        Lorsqu'il annonce la rafle dont il va être victime d'un laconique : 
        " Le lendemain, il m'est arrivé quelque chose d'un peu 
        étrange. " J'éprouve véritablement de l'effroi 
        lorsqu'il parle de sa "joie" d'arriver au camp
 Ce narrateur qui semble ne s'émouvoir ni ne juger de rien, comme 
        si ce qui lui arrivait ne le concernait pas vraiment, comme s'il était 
        à l'extérieur de lui-même, c'est la grande réussite 
        du livre, je crois.
 De la quasi impossibilité à raconter l'horreur des camps, 
        Kertész dit : "La langue est limitée
 
        Celui qui veut vraiment dire ce qui s'est passé à Auschwitz, 
        on ne le comprendra pas." Lui, réussit, non pas à 
        nous émouvoir, mais à nous plonger dans un état d'hébétude 
        horrifiée face à cette "plaisanterie, cette blague 
        de potaches" que fut l'invention de la solution finale. Son ironie, 
        scandaleuse, nous mène au plus près de la monstruosité.
 Françoise D
  Je partais du postulat : après avoir lu Primo Levi, il n'y 
        a plus rien. J'ai lu Robert 
        Antelme, mais ce n'est pas de la littérature.
 Encore un livre sur la déportation... Mais que peut-il m'apprendre ? 
        Au bout de 20 pages, j'ai été accrochée par ce ton 
        original que je n'avais jamais lu ni entendu ailleurs, l'expérience 
        d'un enfant. Ce livre dépasse le stade du témoignage. C'est 
        un grand livre, un talent, une écriture. Il a mis quinze ans à 
        l'écrire, il y a longuement et mûrement réfléchi, 
        on le voit à la manière dont c'est écrit. J'ai trouvé 
        que le ton, cet understatement (euphémisme, minimisation) révèle 
        beaucoup de l'état d'esprit de cet enfant. Son humour, son ironie 
        m'ont bluffée. Je recommanderai ce livre. On peut faire de la littérature 
        avec la Shoah.
 Liliane
  Le terrain où j'aimerais m'aventurer de manière confortable... 
        Comme il y a de la vie dans un camp de concentration, il y a du camp de 
        concentration dans la vie. Dans son point de vue, j'ai toujours senti 
        l'adulte et ce point de vue d'adulte m'a percutée et m'a amenée 
        sur le terrain de ma propre vie. C'est une langue très descriptive. 
        Quand j'animais un atelier d'écriture, lorsque quelqu'un avait 
        des difficultés à aborder un sujet, le mieux, conseillais-je, 
        c'est de décrire ce sujet avec la langue la plus neutre possible. 
        Décrire au plus près permet la juste distance. C'est ce 
        qui va le plus loin dans la transmission. C'est ce qu'a fait Kertész.
 Brigitte
  J'avais besoin de faire le point, c'est un peu une seconde lecture pour 
        moi de vous avoir écoutés. J'ai découvert des choses. 
        Quand j'avais quatre ou cinq ans, j'ai croisé une femme qui revenait 
        des camps. Ça m'a marquée même si je n'ai rien compris 
        à ce qui lui était arrivé. J'avais seulement compris 
        que c'était important.
 Pour moi, c'est l'histoire d'un enfant très respectueux : 
        tout se passe bien s'il reste bien obéissant. Et dans ce contexte, 
        il applique son mode de vie habituel. Il est opérationnel pour 
        aller en camp. Le monde qui est le sien, c'est un monde chaotique. Il 
        est habitué à subir des événements incompréhensibles 
        de par sa vie familiale, donc il est mieux adapté à vivre 
        l'incohérence du camp parce que son monde est déjà 
        incohérent. Il n'a pas de sentiments car c'est déjà 
        semblable à son monde habituel. Cette expérience est amplifiée. 
        Il a une manière d'aborder ce sujet : il a trouvé un chemin 
        pour mieux aider le lecteur à toucher cette chose qu'on ne peut 
        mettre en mot.
 Claire
  Pour moi, c'est un livre comme un autre : je l'ai lu il y a déjà 
        un ou deux mois et j'ai déjà tout oublié, c'est comme 
        pour les autres livres. Et pour me soutenir, j'ai Kertész lui-même :
 "Après Auschwitz, on ne peut écrire que de la fiction 
        (
) comment peut-on imaginer que l'art puisse faire abstraction d'un 
        tel événement historique, d'une telle tragédie ? 
        D'un autre côté, il serait absurde d'imaginer qu'un poète 
        qui ressent le besoin d'écrire sur Auschwitz ne répondrait 
        pas aussi à une exigence esthétique. Il y a une esthétique 
        d'Auschwitz." (Lire, avril 2005)
 Au début, j'étais assez irritée, je ressentais un 
        énervement devant cette sorte de naïveté, cette absence 
        de sentiment d'horreur. Les choses arrivent " naturellement "... 
        Je me suis dit pendant un bon moment : une nouvelle aurait suffi 
        et puis je suis entrée dans l'horreur, je n'y ai plus pensé. 
        Florence le trouvait autiste, je trouve qu'il ne l'est pas assez pour 
        nous faire passer au début - début que je trouve mal 
        foutu - cette inconscience. C'est un peu comme une pose, un procédé, 
        disent certaines. Après, cette impression est dépassée. 
        De Si c'est un homme, de Primo Levi, je retiens les échelles 
        de la souffrance : avoir faim, c'est horrible, mais il y a pire qui 
        fait disparaître la première, avoir froid. Là, je 
        me souviendrai de la possibilité de ressentir du bonheur dans cette 
        maltraitance systématique. A certains moments, le corps complètement 
        souffrant devient pour lui un objet, il n'est plus qu'une conscience. 
        Je me souviens d'avoir lu La Douleur de Duras, en grand partie 
        en pleurant. Là, c'est une tout autre lecture. Je recommanderai 
        ce livre, c'est un classique. Je suis certaine d'aller voir le film. Je 
        trouve les interviews de Kertész très intéressantes 
        (voir tout en bas de cette page).
 
 SandrineJai lu Être sans destin il y a quelques années 
        et cette uvre ma laissée sans voix. Tant de films, 
        de livres traitant de cette tragédie ont, année après 
        année, émoussé la sensibilité du spectateur 
        ou du lecteur, qui croit tout connaître de ce drame... et pourtant... 
        Jai été profondément touchée par limmense 
        pudeur, le respect et la profonde humanité qui émanent dImre 
        Kertész à travers cette uvre. Plutôt que dinonder 
        le public avec des uvres plus ou moins réussies, plus ou 
        moins véridiques sur le même sujet, cest de tels témoignages 
        quon devrait parler : lécriture est extrêmement 
        simple et sobre. Pas deffets de phrases, de grandiloquence déplacée, 
        de commentaires « à faire pleurer dans les chaumières ». 
        La description nue des faits. Ni plus, ni moins. Des hommes, des femmes, 
        avec leurs grandeurs, leurs forces et leurs bassesses. Leur bonté 
        et leur mauvaiseté. La force de la survie. Une certaine honnêteté 
        intellectuelle aussi en évitant la facilité de lamnésie 
        sur certains sujets délicats. Un récit dune grande 
        dignité humaine. Cette uvre ma beaucoup impressionnée... 
        beaucoup plus que tout ce que javais pu lire ou entendre jusquà 
        présent sur le même sujet.
 Il y a quelques mois, je nai pas manqué découter 
        une interview quImre Kertész donnait à la télévision 
        française... cet intellectuel qui se fait rare sur notre petit 
        écran. Cet homme était dune impressionnante simplicité 
        et dune immense profondeur. Linterview se passait à 
        Berlin et en langue allemande à sa demande... parce quil 
        aime cette langue qui est celle décrivains quil admire 
        et apprécie, disait-il les yeux pétillants dune lumière 
        que ni Auschwitz, ni le régime communiste hongrois nont réussi 
        à éteindre...
 Dervila (plus tard)Mon avis s'est quelque peu modifié depuis que j'ai lu la seconde 
        moitié du livre. J'ai trouvé cette moitié beaucoup 
        mieux faite du point de vue narratif/"littéraire", et 
        beaucoup plus forte.
 Et mes idées ont (un peu) changé aussi depuis que j'ai réfléchi 
        sur l'avis de Monique, en me souvenant que les garçons mûrissent 
        moins vite que les filles. Donc à 14 ans, un garçon peut 
        être un vrai enfant. Pourtant, le contraste avec Anne Frank s'impose 
        (sauf que nous n'avons que ses écrits d'avant sa déportation, 
        j'en suis consciente).
 Jean-Pierre
  Je vais essayer de faire court, c'est promis. Ca ne va pas être 
        facile car j'aurais tant de choses à dire sur ce livre. Le sujet 
        d'abord ne peut que m'atteindre au plus profond. Le nazisme et ses crimes, 
        les camps de la mort en constituent l'arrière-plan. Et c'est là 
        que le bât blesse, car ils sont très peu évoqués. 
        L'auteur a pris le parti de raconter son périple personnel en occultant 
        la situation générale dans laquelle il se déroule.
 Dès la 4e de couverture, on est certes prévenu : "... 
        le mythe d'un univers concentrationnaire manichéen. " 
        Vous avez dit mythe ? Les premiers, les révisionnistes de 
        tout poil se sentiront peu touchés car ce n'est pas cette histoire 
        individuelle qui les convaincra davantage que les preuves matérielles 
        des camps, de la barbarie nazie, du génocide et de la shoah. Quant 
        aux seconds, ils risquent de culpabiliser d'avoir fait le tri entre les 
        bourreaux et les victimes, aveuglés par leur soi-disant manichéisme. 
        Dans ces conditions extrêmes de l'inhumanité, il faut cependant 
        choisir son camp, quitte à laisser de côté les pauvres 
        moments de sérénité que les uns et les autres ont 
        connu probablement, tant les heures et les minutes sont longues.
 En outre, le livre fourmille de passages où les monstres sont si 
        gentils et les instants si heureux. C'est un comble.
 Quant à la forme, le livre ne commence véritablement qu'au 
        départ du train pour Auschwitz. Tout le début m'a fait l'effet 
        d'un verbiage sans importance dans le cadre de ce récit, à 
        part la critique du fatalisme religieux et celle du respect de l'ordre 
        et de la bienséance. Et alors, le style ! c'est déprimant. 
        Que de redites ! que de chevilles sempiternellement répétées 
        : en définitive, pour ainsi dire, d'une certaine manière, 
        au fond, en fait, quand on y pense, somme toute...., sans parler de choses 
        carrément risibles comme : "tout cet évènement 
        a du prendre environ 3 à 4 minutes pour être précis". 
        C'est insupportable.
 Bref, pour l'histoire dans l'Histoire, ça peut aller, mais pour 
        la petite histoire et l'écriture, zéro.
 Claude
  Puisqu'on en connaissait le thème, on pouvait imaginer un livre 
        oppressant et difficile. Je ne l'ai pas trouvé tel. Il n'y a pas 
        de pathos, c'est un livre pudique sans doute d'autant plus fort. On voit 
        l'évolution dans les situations, l'installation de la "vraie" 
        faim.... le regard qu'il porte sur le corps de son ami, le sien et on 
        ne peut douter de l'affreuse pente. Je l'ai lu trop rapidement, par souci 
        de le terminer pour ce soir, et par intérêt d'une lecture 
        qui a envie de se poursuivre. J'ai besoin de relire ce livre ou de vous 
        écouter pour remettre en place des faits, des personnages, des 
        situations. Je retiens d'une première lecture un grand souffle 
        et une grande sympathie pour cet adolescent, pas seulement de la compassion, 
        mais de l'admiration. Sa jeunesse, sa fraicheur, son envie de bien faire, 
        sa façon de tenir compte du point de vue de l'autre, son obstination, 
        sa faculté de voir le beau et le bien.
 Lil
  Ce qui m'a beaucoup touchée dans ce livre, c'est qu'il offre à 
        voir toutes les nuances de la nature humaine, de la plus claire à 
        la plus sombre. Il évite le piège du manichéisme 
        (tout comme Primo Levi dans Si c'est un homme) et, installe avec 
        ce récit linéaire, une distance essentielle tout en renforçant 
        l'horreur lue en transparence, derrière la banalité de la 
        forme. Toujours dans le même esprit, la galerie de portraits du 
        début est décapante. Merci aussi au talent de l'auteur de 
        me faire comprendre comment l'on peut aller, pas à pas, vers l'indicible, 
        chaque pas servant à s'adapter à la minute présente, 
        au vécu présent, pour ne retrouver, au bout du chemin, dans 
        l'horreur (que l'on n'avait jamais soupçonnée !). J'ai 
        été très sensible au cheminement naïf de cet 
        adolescent, plein de bonne volonté et qui garde cet il nuancé 
        jusqu'au bout, sans jamais se plaindre. Bien sûr que le bonheur 
        existe au milieu du malheur, en même temps que le malheur, et c'est 
        ce qui donne la force de rebondir, de survivre. D'autres l'ont affirmé 
        (Lydie Violet, par exemple) et je souscris tout à fait à 
        cette idée, même si, évidemment, ce bonheur, dont 
        il est question dans ces situations extrêmes, doit être redéfini, 
        peut-être comme une halte dans le malheur. J'ai, également, 
        été très sensible à la notion de liberté 
        intérieure, cette liberté extraordinaire qui, avec la libération 
        de toute peur, de tout attachement, rend transparent, indifférent, 
        détaché, totalement libre (Etty Hillesum en parle aussi 
        très bien).
 
   NicoleJe n'ai pas pu lire cet ouvrage : je suis incapable de lire les livres 
        traitant des camps de concentration.
 Marie-Thé
  Jouvre ce livre à moitié : lecture terrifiante. 
        Nous lavons tous lu, je ne reprendrai donc pas ce long récit 
        douloureux et inoubliable. Me vient en tête ce « Was ? 
        du willst noch leben ? » (Comment ? tu veux vivre 
        encore ?), ou lincompréhension devant un corps réduit 
        à létat de déchet, doù une voix 
        balbutie : « Je... Pro... teste... » et ne 
        veut pas mourir. Puis ce passage parmi tant dautres : « Je 
        voudrais vivre encore un peu dans ce beau camp de concentration. » 
        Le corps nest pour ainsi dire plus, mais la vie et le désir 
        dy vivre, y sont, intacts. Je pense aussi à ce moment où 
        lauteur se débarrasse de Bandi Citrom comme dun fardeau. 
        Ce dernier laura « porté » jusquaux 
        limites du possible. La vie nest-elle pas ainsi ? On peut être 
        aidé, porté, jusqu'à un certain point, il faut à 
        un moment lâcher la main, et finir seul le chemin... Seulement ici, 
        le soutien était devenu « fardeau ». A méditer 
        aussi, les « pas » : « Tout le monde 
        avançait pas à pas, tant que cétait possible... ». 
        Et le fait qu "il ny a pas de sang différent... 
        Il y a seulement des situations données et les nouvelles possibilités 
        quelles renferment...", "Ce nétait pas mon 
        destin, mais cest moi qui lai vécu jusquau bout...". 
        Et ceci, qui me fait encore et toujours réfléchir : 
         "Il mest impossible de nêtre ni vainqueur 
        ni vaincu... De nêtre ni la cause ni la conséquence 
        de rien... Je ne pouvais pas avaler cette fichue amertume de devoir nêtre 
        quun innocent." Quen pensez-vous ? Enfin quand 
        jai lu la dernière page où lauteur parle de 
        sa "vie invivable", puis du bonheur qui le guette 
        "comme un piège incontournable", et de ce "quelque 
        chose qui ressemblait au bonheur"dans les camps ; quand 
        jai refermé le livre, jai pensé à ces 
        mots de Vladimir Jankélévitch : "Ce qui 
        a été ne peut pas ne pas avoir été". 
        Par moment jai pensé à Hannah Arendt parlant de ces 
        moments douloureux de lhistoire, quelquefois encore à J R 
        Tolkien, etc.
       MartineAu départ, une irritation, rien quà voir lillustration 
        de couverture avec les barbelés : « Encore un témoignage 
        sur la déportation !... » Et puis, très 
        vite, ce sentiment a été gommé par plusieurs atouts 
        du livre. Dabord, le personnage, sans jugement au plus près 
        du ressenti dun adolescent au fil des expériences mais garde 
        son regard « distancié ». Comment va la vie, 
        celle de la conscience dans ce temps arrêté de lenfermement 
        et de la persécution ? Que faire avec un ado dune telle 
        candeur, prêt à coopérer au début ?... 
        Une part du suspense repose dailleurs sur les questions que je me 
        suis posées quant à lévolution du ressenti 
        du jeune homme. Drôle de posture pour lindividu qui raconte 
        et se raconte ainsi, avec une étrange neutralité. Et puis, 
        de minterroger sur le singulier (et non pas le pluriel) choisi ici 
        pour l « Être » (titre), car, de 
        se vivre ainsi par lécriture et la conscience, unique et 
        en même temps entraîné dans une aventure de masse (notamment 
        dans les moments de confusion), nest-ce pas cela un « dédoublement » 
        qui fait que lon dépasse le témoignage ? Il ny 
        a quà la fin, lors du terrible retour non attendu, que jai 
        réalisé à quel point il y avait eu un travail sur 
        lexpression, ou la retenue des émotions pour lécrivain.
 Ensuite, deuxième atout du livre pour moi : La langue, même 
        sil sagit dune uvre traduite du hongrois, une 
        écriture au service de cette forme de psychologie, comme si écrire 
        était un travail sur la vision du monde ou quelque chose comme 
        ça (première personne et style indirect ; déictiques...). 
        Jai eu comme limpression que je navais pas forcement 
        une place de lecteur, que le récit se déroulait comme pour 
        aider le récitant à se débrouiller lui-même 
        avec son vécu, à sobserver, plus encore que pour sadresser 
        à un public quelconque. Ça ma un peu rappelé 
        Une journée dIvan Denissovitch de Soljenitsyne.
 Enfin, les problématiques philosophiques sous-jacentes au récit : 
        la question du bonheur et de ses conditions, celle du destin et du hasard, 
        de la fragilité de la vie donnée ou reprise, ainsi que celle 
        du bien et du mal... Pourquoi lun ou lautre se retrouvent-ils 
        qui dans la file de gauche, qui dans celle de droite... Jai repensé, 
        à propos du « bonheur des camps de concentration » 
        (car cest faux quon shabitue) à la thèse 
        du Nirvana au-delà du désespoir. Sinon, que reste-t-il de 
        lhomme limité à son instinct de survie ? (Autre 
        ouvrage Un si fragile vernis dhumanité). Comment aurais-je 
        composé moi-même avec linacceptable ? Cette question 
        mest possible dans ce livre, alors que la claque et la distance 
        sont si énormes et brutaux dans dautres témoignages 
        que je ne pouvais aller avec ceux-ci jusquà cette question.
 Lona
  Ce roman a été écrit 30 ans après les faits 
        vécus. Je lai lu comme un récit dun adolescent. 
        En voyant la couverture du livre et le titre, jai imaginé 
        une histoire de vie, derrière les barbelés dun camp 
        de concentration, avec toutes les exactions possibles et déjà 
        décrites. Car dès les premières pages lhistoire 
        semble toute tracée : une famille juive, dont le père 
        partant au STO, confie son entreprise, sa famille, ses biens à 
        son employé. On devine quil ne reviendra pas et sera spolié... 
        Mais lhistoire ne sera pas seulement celle là ! Ce livre 
        écrit lhistoire de la déportation dun garçon 
        de 15 ans, ma impressionné par la précision des 
        détails de la vie dans les camps : lorganisation des 
        détenus, les rituels qui rythment le journalier, les actes barbares 
        pour lexemple (pendaisons), les stratégies de survie, les 
        alliances, les amitiés, la philosophie de la liberté. Trente 
        années plus tard, rien ne semble avoir été oublié : 
        aucun détail, aucun nom, aucune odeur, aucune couleur, aucune sensation 
        de froid, de faim, de peur. Ce jeune a été interné 
        pendant un an (jallais dire « seulement un an »). 
        Pourtant en lisant ce récit, jaurais pu penser que cette 
        tranche de vie portait sur des années et des années. Comment 
        a-t-il fait pour se souvenir de tous ces détails 30 ans après ? 
        Comment fait-on pour se remémorer avec autant de précisions 
        et continuer à vivre avec le poids de ces souvenirs ? Comment 
        fait-on pour que cette charge devienne, à un certain moment salvatrice 
        et constructive, sans tomber dans le mélo, sans être maso ? 
        Comment peut-on parler de liberté dans un camp dextermination ? 
        La liberté serait donc avant tout intellectuelle et non pas physique ? 
        Cette forme de liberté permettrait donc de se construire une carapace, 
        vivre une vie intérieure, se détacher de la réalité, 
        toucher le fond de la déchéance et rebondir, guérir 
        ses plaies et sinscrire dans le futur, rester gestionnaire de ses 
        pensées et de ses rêves ? Lécriture ne 
        ma jamais parue misérabiliste, ni pleurnicharde. Cest 
        un récit uniforme, très détaché. Jy 
        trouve une certaine banalité, un détachement dans la retranscription 
        des faits dhorreur et de malheur, une résignation, jallais 
        presque dire une sérénité, voire, une espèce 
        de paix  je nose pas dire une espèce de bonheur ! 
        Ce livre ma semblé plein de dignité. Il nest 
        ni agressif, ni rempli de haine, même si la haine est exprimée, 
        à son retour comme une haine thérapeutique qui a sa place 
        et son utilité dans sa reconstruction. Mais je reste convaincue 
        que sa vraie thérapie sera la parole : malheureusement à 
        son retour, il est seul, sans aide, sans argent, les gens de son entourage 
        ne le comprennent pas, car restant eux-mêmes scotchés dans 
        leur propre histoire de gens opprimés. Lauteur ressent douloureusement 
        sa solitude, lincompréhension, lapathie des autres. 
        Lécriture sera sa vraie thérapie. Tout comme Primo 
        Lévi (qui avait 25 ans à son internement). Je retiens ces 
        phrases, que je pense être des phrases-clé du livre : 
        « Sil y a un destin, la liberté nest pas 
        possible. Si la liberté existe, alors il ny a pas de destin. 
        Nous sommes nous-mêmes le destin ». Tout serait donc 
        « écrit » dès le départ ? 
        Ou alors est-on soit soi même responsable de son destin ? Le 
        destin, serait lornière, le chemin tout tracé, où 
        il y aurait un vainqueur/un vaincu, un innocent/un coupable ! Pour 
        moi cest un livre plein despoir et de liberté. Il fallait 
        pouvoir écrire un livre sur la liberté en retraçant 
        la vie quotidienne dun camp de concentration.
 
 Extrait d'une interview de Kertész : S'agissant de la Shoah, il est impossible d'écrire sans blesser, 
        parce qu'on en transmet le poids sur les épaules du lecteur. Il 
        faut que les mots aient un effet, au sens de "Wirkung", qu'ils 
        entrent dans la chair. En même temps il y a là un paradoxe. 
        Le roman qu'on est en train d'écrire doit "plaire" au 
        sens où le lecteur doit vouloir tourner la page. C'est un piège 
        dans lequel on l'attire pour qu'il soit réceptif. Si je suis trop 
        cruel ou odieux, je ne peux pas obtenir ce que je veux.Mais c'est une réflexion que je me fais a posteriori. Il est évident 
        que je n'avais pas ça en tête quand j'ai écrit Être 
        sans destin. Pas du tout. Ce qui m'obsédait, c'était 
        d'éviter la pose littéraire. Je pensais à la toile 
        de tente qui couvrait les tables des librairies hongroises - une 
        toile grossière où étaient posés les livres 
        que l'on pouvait acheter par cinq ou par dix pour quelques forints seulement. 
        Je voulais retrouver le grain brut de cette étoffe, quelque chose 
        de fruste comme dans certains romans populaires ou policiers. Pour cela, 
        il fallait faire passer les détails au premier plan : devant 
        un gradé en uniforme, mon narrateur ne pense qu'au pou qui le démange. 
        C'était aussi une manière de montrer l'impossibilité 
        d'écrire avec des moyens rationnels sur ce monde-là.
 
 Votre appréhension de la musique n'exerce-t-elle pas aussi une 
        influence sur la manière dont vous avez reconstruit la langue ?
 
 C'est exact. J'en écoute toujours avant d'écrire. En ce 
        moment, je suis avec Haydn et Mozart. A l'époque d'Être 
        sans destin, j'étais hanté par la musique atonale : 
        Berg, Schoenberg... De la même façon, j'ai voulu créer 
        une langue atonale. L'atonalité, c'est l'annulation du consensus. 
        Plus de ré majeur ou de mi bémol mineur. La tonalité 
        est abolie, comme les valeurs de la société. La basse continue 
        elle aussi est détruite, ce qui signifie que le sol (pas la note, 
        mais le sol sur lequel vous marchez) n'est plus fixe et que disparaît 
        ce socle de références qui donnaient un fondement à 
        l'action. Des notions comme honneur ou bonheur deviennent risibles. Tout 
        est en mouvement, rien n'est certain. Du point de vue de la langue, voilà 
        ce que je pense avoir créé dans Être sans destin. 
        Après, j'ai continué à jouer avec ces trouvailles. 
        Dans Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, la perspective n'est 
        pas aussi aliénée : c'est un homme qui parle, quelqu'un 
        qui est au clair avec les lois de la vie et qui n'a commis qu'une erreur, 
        tomber amoureux.
 
 Comment vous situez-vous par rapport aux auteurs qui ont décrit 
        l'univers concentrationnaire ?
 
 Je hais la peinture des horreurs. Ce qui m'intéresse, c'est la 
        distance. La langue est limitée et ses limites sont infranchissables. 
        Il faut donc les briser de l'intérieur. J'admire les auteurs qui 
        réussissent à travailler avec les moyens de la littérature 
        pour dépasser les frontières du dicible. Récemment, 
        j'ai relu La Douleur, de Marguerite Duras : rien de spectaculaire 
        et pourtant tout est exprimé de ce que Duras appelle le " désordre 
        phénoménal de la pensée et du sentiment ". 
        On voit cette femme qui retrouve son mari rescapé du camp. On le 
        voit lui : " Dans ses pantalons, ses jambes flottent comme 
        des béquilles. " (
)
 
 D'où vous vient cette distance sarcastique, cet apparent détachement 
        qui est la marque de tous vos livres ?
 
 J'ai été très influencé par Camus. Pour moi, 
        le grand exemple de cette " distance " dont vous parlez, 
        c'est L'Étranger. J'avais 25 ans lorsque je suis tombé 
        sur ce petit livre. Je me suis dit qu'il était si mince qu'il ne 
        devait pas coûter trop cher. J'ignorais tout de son auteur et j'étais 
        loin de soupçonner que sa prose allait me marquer à ce point, 
        pendant des années. En hongrois, L'Étranger était 
        traduit par " L'Indifférent ". Indifférent 
        au sens de détaché - détaché du monde, 
        détaché de lui-même. Mais aussi au sens d'affranchi, 
        c'est-à-dire d'homme libre.
 (Le Monde du 10 juin 2005)
 
 
    
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