Stig DAGERMAN, L'enfant brûlé, trad. du suédois Elisabeth Backlund,
préface d'Hector Bianciotti, Imaginaire Gallimard, 350 p.


Quatrième de couverture : "On enterre une femme à deux heures…" C’est par ces mots que commence L’enfant brûlé, le chef-d’œuvre de Stig Dagerman, qui date de 1948.
Une mère vient de mourir, laissant un mari et un fils de vingt ans. Qui était-elle, qu’était-elle en dehors de cette rumeur quotidienne dont elle remplissait la maison ? Trop tard pour le savoir. Son absence va prendre un poids que n’avait pas sa présence, suscitant un trouble entre père et fils, fait de suspicion, de jalousie et d’amour.
Lire Dagerman — ce Rimbaud du Nord qui mit fin à ses jours alors qu’il n’avait que trente et un ans —, c’est lire un écrivain majeur dont la voix a la vertu de raccourcir les distances entre lecteur et auteur, instaurant un lien de complicité des plus étroits.
Ardent et précis à la fois, Dagerman ramène à la surface nos secrets les plus troubles et les moins avouables. Des personnages ravagés de passion se dressent, à jamais inoubliables, comme dans un film d’Ingmar Bergman, ce compatriote de Dagerman, "l’enfant brûlé".



L'enfant brûlé
, Gallimard, coll. "Du Monde entier", 1956

Stig Dagerman (1923-1954)
L'enfant brûlé (1948, traduction en 1956)

Nous avons lu ce livre pour le 22 mars 2024. Le nouveau groupe l'a lu également.
Nous avions lu Ennuis de noce en 1994.

Nous aurons pu voir, adapté du roman, la pièce L'Enfant brûlé, mise en scène de Noëmie Ksicova, au Théâtre de l'Odéon ; et au même théâtre : une soirée sur "L'influence de Stig Dagerman en France".


Nos 15 cotes d'amour
Annick LRozenn Thomas
Annick ACatherine Claire
EtienneJacqueline

Entre
et
Monique L
Brigitte
FannyJérémy Renée Sabine

Françoise D

Thomas, internaute
Moi qui venais de mettre le récit du procès Eichmann par Hannah Arendt de côté, au motif que c'était un peu trop glauque et morbide, j'ai été servi en me reportant sur L'enfant brûlé !
Le ton est donné dès le début, et à part quelques accalmies, l'auteur ne cesse de nous emmener plus loin dans la grisaille, avec ce narrateur fragile, tantôt attachant, tantôt insupportable (notamment dans son comportement vis-à-vis de sa pauvre fiancée).
Mais ça sonne presque toujours vrai, même lorsque cela met assez mal à l'aise, et certaines réflexions m'ont semblé très matures pour un écrivain si jeune.
Surtout, je trouve que le court dernier chapitre, magnifique, justifie tout le reste, en particulier ce passage fantastique qui commence par "Sages, car la sagesse c'est d'être amoureux de la vie, tandis que la bêtise, c'est d'avoir honte de l'amour", et qui va jusqu'à conclure l'ouvrage. Rien que ces deux dernières pages méritent, à mon sens, d'ouvrir le livre en entier, même si j'étais loin d'être de cet avis-là au bout de 200 pages !
Sabine
Les 50 premières pages m'ont donné le sentiment de marcher sur un carrelage très froid : écriture clinique, neutre, blanche, aseptisée. Évidemment, ça me gonfle. Page 66, une phrase retient mon attention, parce qu'elle est forte, crue, mais aussi parce qu'elle me renvoie à la lecture de La jalousie de Robbe-Grillet, où le narrateur interne n'est qu'un œil qui ne cesse de guetter sa femme et le voisin (l'amant, bien sûr !). Citation : "Il se retourne et voit le chapeau d'Alma par terre. Pour qu'il tombe il a fallu que qqn tourne la poignée. Horrible est l'œil qui observe à travers le trou nu de la serrure. C'est un œil laid parce qu'il est nu, qu'il est impitoyable, parce qu'il est terriblement jeune. Rien n'est plus terrible qu'un œil jeune et nu. Il ne sait rien. Aussi comprend- il tout. "
Avant la centième page, l'intérêt dramaturgique est nul (aux deux sens du terme). À la page 94, les rapports se nouent (les mains sur la table, c'est pas mal...). La lecture reste poussive. Je suis étonnée du pluriel : "Je n'ai aucunes économies personnelles". Erreur de traduction ? À la page 223, je souris à l'évocation du pied de la femme : Gun devient Emma B. ? Les réflexions hautement intellectuelles du père sur l'amour (le chat et la souris, p. 245) et l'évocation des filles "ayant le cœur dans le bas ventre" créent un sentiment nauséeux. Je referme le livre à un petit quart, livre dont je qualifie la lecture de lisse et gluante.
Jacqueline
Les bibliothèques parisiennes en ont peu d'exemplaires (auteur peu en vogue ?) ; ils étaient empruntés, j'ai pour une fois acheté le livre et en suis très contente. J'en ai lu à peu près le ¼ et je l'ouvre d'ores et déjà aux ¾.
J'avais d'abord vu la pièce qui m'avait bien intéressée : d'abord, dans le noir, un échange mère-enfant plein de sollicitude. Puis le décor renvoie à la vie ordinaire en appartement de petites gens aux échanges réduits à des paroles très simples. Ça pourrait, en plus pimpant, être un film de Aki Kaurismäki... Le père : j'avais déjà rencontré quelqu'un de semblable. L'acteur jouant Bengt était très bien, il me semblait pourtant qu'il jouait le rôle d'un enfant plus jeune. Puis l'inquiétude s'installe, est-ce un psychopathe ? En tout cas, il est bien seul et les autres aussi face à lui. Il tue le chien, viole sa fiancée… La représentation théâtrale atténue la réalité et l'impact de cette violence. Mais, où cela va-t-il mener ?
Comme la pièce m'a intéressée, j'étais ensuite très curieuse du livre. Dès le début, les phrases minimalistes installent une forte tension. Le climat est pesant, on suit l'enterrement tantôt avec le point de vue du père, tantôt avec celui du fils qui l'observe pour le prendre en faute. Les dialogues sont rares mais ouvrent un peu sur le point de vue des autres. Le tout est très visuel, presque clinique. Ensuite j'ai retrouvé les lettres que la metteuse en scène Noémie Ksicova avait gardées dans la pièce. Mais j'en ai alors découvert toute la richesse pour l'analyse du comportement de Bengt. Ce qu'il en rapporte, son pharisaïsme, m'a fait penser au personnage de Michel dans La boîte noire
d'Amoz Oz que nous avions lu…
Le peu que j'ai lu m'a paru d'une écriture remarquable. Le texte est extrêmement dense et j'attends la suite.
Annick A
C'est un livre difficile, glauque. Le style est sec, distant. Il commence par l'enterrement de la mère de Bengt qui était apparemment une femme de caractère difficile.
Bengt, le fils âgé de 20 ans, ne connaît rien d'elle, si ce n'est que son père la trompait avec une autre femme. Au début du livre, il se brûle à la bougie représentant le décès de sa mère et à cette brulure réelle s'ajoute la brûlure affective de la perte, d'où le titre. Relation d'amour/haine à l'égard de la maîtresse de son père qui vient prendre la place de sa mère avec laquelle une relation sexuelle et amoureuse s'installe.
Bengt est un homme très instable violent, à la limite du psychopathe, et la scène où il tue le chien est très dure. La relation père fils est faite de rivalité, d'amour et de haine. Beau moment très touchant lorsque Bengt ressent de la joie lorsqu'il caresse son père endormi.
Belle fin dans l'apaisement de la relation volcanique entre Bengt et sa belle-mère dans un fantasme de retrouvaille incestueuse avec sa mère :"'Maman', murmure-t-il en la caressant comme un fils".
La fiancée de Bengt, Bérit, avec laquelle il est odieux est inconsistante.
Livre difficile, dur, mais intéressant aussi par sa construction : la voix du narrateur à la troisième personne entrecoupée de la voix du fils qui s'écrit des lettres à lui-même.
Je l'ouvre aux ¾ malgré l'ambiance plutôt glauque.
Françoise D

Je le ferme complètement et définitivement…
Je n'ai pas aimé. Pas aimé le livre, pas aimé l'écriture, l'atmosphère, les personnages. Ça m'a gonflée, je n'ai pas accroché.
Voir la pièce m'a aidée car je n'avais pas terminé le livre : sur l'insistance de Monique, j'ai lu les deux derniers chapitres ; je n'ai pas compris l'avant-dernier, la lettre avec les chiens. C'est péniblos et écœurant.
Je n'ai pas envie d'en lire d'autres. C'est abscons. Insupportable. Misogyne. Cruel. Insupportable.
La pièce - où je ne me suis pas endormie, c'est déjà un point positif - m'a éclairée. Bengt est moins odieux. La présence de la piscine où ils se baignent m'a choquée ; cette eau qui ne sert à rien, je désapprouve !
Etienne
(à l'écran)
Je rejoins Jacqueline car je n'ai pas pu finir, j'en suis à la page 120 : c'est une lecture difficile et je n'ai que de petits créneaux pour lire.
Mais j'ai trouvé ce que j'ai lu assez bluffant.
C'est l'écriture qui m'a dès le départ impressionné : avec des petits coups de pinceaux très nerveux, une ambiance froide.
J'ai fortement pensé au film Festen, avec une tension qui monte. D'ailleurs l'écriture m'a paru très cinématographique. Et au début on va au cinéma.
Après, je suis dans un ventre mou avec les robes de la mère, mon attention est un peu retombée. Mais j'ouvre
aux ¾ (voir ›l'avis d'Etienne, une fois le livre terminé).

Monique L entreet
Ce n'est pas une lecture ordinaire. Elle n'a pas été plaisante. C'est un livre étrange par son atmosphère. C'est très dépressif. Si cela n'avait pas été pour le groupe de lecture, je me serais sans doute arrêtée en route car la première partie m'a lassée.
Ce livre dépeint toute la douleur d'un jeune homme en quête de pureté.
Une incapacité à parler et communiquer s'installe entre les protagonistes ne laissant place qu'à la douleur.
La narration à la troisième personne se focalise sur les pensées du fils, Bengt, personnage que j'ai trouvé assez détestable. C'est un écorché vif qui est empêtré dans des sentiments qui le dépassent. Il oscille entre haine et amour pour les autres protagonistes : sa fiancée, son père et la maîtresse de celui-ci. Je n'ai ressenti aucune empathie pour lui malgré sa détresse. Il se débat entre un Œdipe non résolu, un état dépressif et un complexe de supériorité. Il a une vision très noire du monde et refuse le monde des adultes qui vivent de compromis et de petites passions et qui n'ont pas d'idéaux.
La lettre qui constitue l'avant-dernier chapitre est explicite quant à ce qu'il ressent et au regard qu'il pose sur le monde.
Je reste très interrogative sur la métaphore des "petits chiens" auxquels le narrateur compare les humains. Je n'y ai pas du tout été sensible. Je n'ai pas compris.
La construction est intéressante avec deux voix : le narrateur à la troisième personne et la voix du fils qui s'écrit à lui-même pour faire le point sur son ressenti.
Certains détails reviennent de façon obsessionnelle : le rouge, les vêtements, les chaussures, les mains…
J'ouvre à moitié.

J'ai ensuite vue la pièce à l'Odéon. Les personnages correspondaient à ceux que j'avais imaginés. La fiancée est néanmoins moins chétive et moins pleurnicharde. La violence de Bengt a été atténuée. Pas vraiment de surprises.

J'ai ensuite assisté à la rencontre organisée à l'Odéon sur l'influence de Stig Dagerman en France. J'y ai principalement apprécié les prises de parole du philosophe Michaël Fœssel qui m'ont fait comprendre ce qu'était la recherche de pureté de Dagerman et sa volonté de ne succomber à aucun procédé lénifiant pour le consoler de sa souffrance. Je n'ai pas eu le temps de relire le roman dans cette perspective, mais je pense que je l'ouvrirai aux ¾.
La lecture par Vincent Dissez de la dernière lettre m'a fait accepter les petits chiens même si je ne comprends toujours pas cette image (je ne sais pas ce qui aurait pu remplacer le mot "chien").
Brigitte
(à l'écran)
Le début est très réussi. J'ai beaucoup apprécié tout ce qui concerne l'enterrement. J'étais admirative de l'écriture, qui n'est pas narrative ; par exemple : la mère est décédée d'une sorte d'AVC, alors qu'elle était dans la boucherie, on le comprend peu à peu à travers quelques allusions. Ce travail assigné par l'auteur au lecteur continue tout au long du texte. À la longue, cela m'a paru trop difficile. Comme Etienne, j'ai renoncé faire ce travail et au bout d'une soixantaine de pages, j'ai interrompu ma lecture. J'ouvre à moitié, car je pense que cet auteur enrichit certainement la littérature.

Jérémy

Avant la lecture : Je n'avais jamais entendu parler de Stig Dagerman. J'ai d'abord apprécié l'objet-livre, dans la collection Imaginaire Gallimard qui donne au lecteur l'impression d'être quelqu'un d'important, de distingué, avec sa jolie couverture, légèrement cartonnée. Je me suis senti privilégié de lire un tel beau livre… J'étais donc impatient de m'y mettre.
Après la lecture : Par la suite, j'ai été impatient d'en finir avec cette lecture. Je l'ai lu très facilement, mais il ne m'a pas plu, je n'y ai pas pris de plaisir. Le style est froid, en retrait, en surplomb. C'est un livre psychologisant, voire "psychanalysant", dans lequel on est en permanence dans l'analyse. Le narrateur coupe les cheveux en quatre, les moindres mots, les moindres gestes sont disséqués, décortiqués. À mon sens, le narrateur décrit lui-même très bien ce que fait l'auteur à la page 170 : "C'est pourquoi il s'agit d'être à chaque seconde sincère envers soi-même, de ne pas se laisser mentir à soi-même. C'est pourquoi il est si important d'être conscient de ce que l'on fait. Et le seul moyen d'arriver à une telle connaissance est assurément d'analyser chacune des moindres parcelles de ses sentiments et de ses actes".
Ce livre d'ambiance très lourd, pesant voire poisseux, m'a fait penser au film de Bergman
Cris et chuchotements. Je l'ai vu il y a très longtemps et seules quelques bribes me reviennent, mais les souvenirs que j'en ai coïncident tout à fait avec le livre : lourd, glauque, malaisant, rance, ça sent le renfermé. Tout est moche, tout est sale, tout n'est que non-dits, retour du refoulé, petitesse, mesquineries, jalousie, rancunes et rancœurs recuites. En définitive, ce n'est qu'une sordide histoire d'Œdipe mal digéré, d'amour-haine et d'inceste (celui de Bengt avec Gun bien sûr, mais aussi celui, brièvement évoqué, de Knut avec l'une de ses sœurs).
Le livre m'a fait penser à celui qu'Etienne nous avait fait connaître : Les Braves gens ne courent pas les rues de Flannery O'Connor : ils ont pour trait commun, dans des styles bien différents cependant, le fait que "Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir". Dans ces deux livres, il n'y a rien ni personne à sauver :
- le père est un pauvre type, il est la dupe de Bengt, celle de Gun, un peu alcoolique sur les bords, il n'ose pas à aller à l'affrontement avec son fils et gêne tout le monde avec ses bouffonneries ;
- ses sœurs sont mesquines et mauvaises ;
- Bengt est bien évidemment imbuvable, méchant, cruel, complaisant envers lui-même (il se fait pleurer en imaginant son propre suicide), vindicatif et en même temps pusillanime : il ressasse et fomente une vengeance sans cesse ajournée et sa violence n'éclate finalement que contre un animal, qui plus est lorsque celui-ci n'est même pas en mesure de se défendre voire de contre-attaquer : c'est d'une lâcheté sans nom ;
- la mère apparaît progressivement comme franchement insupportable et irascible ;
- Bérit, qui passe son temps à pleurnicher et à avoir froid, est un être souffreteux qui ne suscite aucune empathie ;
- quant à Gun, elle est peut-être la moins antipathique de tous, mais elle provoque tout de même l'adultère incestueux...
Si je n'ai pas pris de plaisir à la lecture du livre je dois reconnaître que j'ai coché beaucoup de passages. J'ai noté de belles trouvailles, comme "L'escalier de douleur est terminé", "Et on aime ceux qui nous aiment ou alors on est stupide." ou "La sagesse c'est d'être amoureux de la vie, tandis que la bêtise c'est d'avoir honte de l'amour."
Enfin, si je n'ai pas aimé le livre, je lui reconnais malgré tout une vraie densité, une certaine richesse. Je pense qu'il doit être un beau terrain de jeu et d'analyse pour un étudiant en littérature et a fortiori en psychologie, mais en tant que lecteur, j'y suis resté extérieur.
J'ouvre donc ¼, aussi pour la pièce jouée à l'Odéon dont je retiens le jeune acteur interprétant Bengt : Théo Oliveira Machado, visuellement assez réjouissant.
Rozenn

J'ai eu beaucoup de mal à le lire.

Françoise
Quand tu dis ça, tu as aimé le livre…

Rozenn
Oui !
Quand j'étais shootée, j'aimais.
Le début, j'ai beaucoup aimé. L'enterrement, c'est fabuleux. Je l'ai relu après, et ça reste fabuleux à la relecture.
Bon, les robes, c'est trop long.
Après la page 170, je suis allée feuilleter la fin.
C'est difficile à lire, et c'est ça qui est extraordinaire dans la lecture.
Je suis pour ma part complétement rentrée dans les relations, sans aucun recul, par exemple avec la fiancée. J'attendais qu'il se suicide.
J'ai lu Notre besoin de consolation est impossible à rassasier.
L'enfant brûlé, c'est très difficile à lire, en raison aussi d'obsessions.
Si je résume, j'ai lu avec des hauts et des bas, mais j'ouvre en grand !
Annick L

Les premières pages sont saisissantes de froideur et d'impersonnalité : on découvre "le père", "le fils", "la fiancée", "la sœur laide", une voix au téléphone. C'est très théâtral. Il faut attendre la page 36 pour qu'ils soient nommés. La mise en scène de cette cérémonie mortuaire est elle-même très distanciée. Les personnages présents semblent ne pas avoir d'affects, ils sont gauches, maladroits, ne sachant pas très bien comment se comporter. Ils sont visiblement d'un milieu très populaire (celui auquel Stig Dagerman s'est arraché !) et le regard porté sur eux est glaçant.
Tout cela est très déroutant et ce sentiment m'a poursuivie tout au long de ma lecture, face à ce huis clos familial qui oppose, après la mort d'une mère, un fils à son père, au point de nouer une relation incestueuse avec la maîtresse de celui-ci (on pense aux films de Bergman, dans un tout autre milieu social). On est heurté par la violence des pulsions primaires qui déchirent Bengt - un personnage très pervers, vraiment odieux - jusqu'aux pires extrémités : s'automutiler, tuer son chien, violenter sa fiancée…
J'ai été frappée par le fatalisme qui semble affecter tous les personnages, entraînés dans ce tourbillon morbide sans réagir (la fiancée par exemple). Et cela pèse aussi sur le lecteur, d'autant que les passages à l'acte ne sont jamais expliqués, sauf, de temps en temps dans les lettres que Bengt s'adresse à lui-même. Les scènes violentes sont décrites avec une précision chirurgicale. On subit le poids de cette mécanique obsessionnelle, avec une forte envie de s'en échapper par moments.
Les seules échappées se trouvent dans quelques évocations très belles de la nature et du paysage, lorsqu'ils se retrouvent sur l'île. Et la fin propose une ouverture salutaire, fort inattendue.
Pourtant, malgré le malaise éprouvé, je trouve que c'est une œuvre d'une grande force, remarquablement écrite.
Je salue cette originalité et je l'ouvre en grand. Mais je ne l'offrirai à personne !

Renée
(à l'écran)
La première partie m'a exaspérée : cette écriture particulière, ces phrases courtes, factuelles, cette urgence, m'ont donné envie de jeter le livre sans le lire. Heureusement, l'écriture change complètement.
Le vocabulaire m'a aussi agacée : la multitude des mots "brûlé", "brûlant", "la laide". Je ne supporte pas qu'on répète sans arrêt qu'une femme est laide.
J'ai détesté les passage où il bat, puis tue le chien. Oui, j'ai compris que c'est sur d'autres qu'il voudrait exercer sa violence, mais c'est malsain.
Ce jeune qui ne parle que de pureté (à la fin de livre) me semble de la graine de psychopathe.
J'ai aimé le passage sur la première scène d'amour entre Gun et Bengt : lorsqu'il y a dans le sexe de la générosité, l'amour transcende tout, ça devient beau.
Que l'amour et la haine sont proches, on l'a déjà lu, on le sait.
J'ai l'impression de ne pas avoir lu le même livre que les autres. Livre ouvert ¼.
Claire
J'ai été saisie par une voix qui PARLE, par l'impression d'une efficacité des phrases, simples, rythmées, avec peu de subordonnées, par exemple dans ce rêve :

"Les tantes approchent dans la pénombre en marchant. Elles tiennent des bougies allumées. Elles ont le visage très pâle et les yeux fermés. Des manteaux de sang enveloppent leur corps. Elles disparaissent tout à coup, laissant les bougies. Dans cette lumière vacillante, un grand chien noir se dirige sur lui à pas feutrés."

J'ai trouvé que l'alternance de récit et de lettres écrites à soi-même était craignos ; eh bien non, ça marche très bien.
Comme dit Brigitte, c'est une prose presque non narrative. Des événements sont racontés en deux phrases, d'autres sont glissés, par exemple qu'Erik fut amant de la mère.
J'ai aimé les comparaisons, qui insufflent de la chaleur dans la sécheresse du texte.

Liées au corps :
"Son corps est tiède comme un poêle de faïence".
"Il a brossé le chien. Son poil noir brille comme une fourrure de femme."
"Cette partie de l'île est absolument dénudée. Les pierres sont lisses comme des dos."
"Elle porte la cafetière haut et d'un air très digne, comme un cierge".

Ou à la nature :
"Les lueurs de l'hiver s'étendent sur la neige comme un fin papier de soie rouge"
"C'est très agréable de voir tomber la neige. Elle ondoie devant les vitrines, doucement, comme une épaisse draperie."
"La maison est calme. Mais derrière le silence, on entend la mer gronder comme le public impatient d'une salle de théâtre."

J'ai été partagée entre sympathie et détestation pour Bengt. Sa dépression vire à la folie dans la lettre aux chiens, et dans la violence sur sa fiancée, sur le chien, sur lui-même. Le rôle de l'alcool, envahissant, ajoute du danger aux relations déjà bien tendues comme ça.
Mais il y a des moments de tendresse intense entre le père et le fils. Et j'aime bien que le désir surgisse entre la maîtresse de son père et lui. J'ai trouvé surprenant et bizarre qu'il finisse par l'appeler "Maman", dommage…
J'ai aimé des moments de "pensée" subtile, qui pour Jérémy sont des coupages de cheveux en quatre, toujours avec ces phrases hyper courtes :

Les meilleurs jours sont sans conteste les premiers. Les jours qu'ils ont passés ensemble avant de se connaître. Lorsqu'ils se connaissent bien, tout est plus difficile, car il est plus difficile d'aimer celui que nous connaissons bien. Aimer c'est être curieux. N'est beau que ce qui ne nous a pas encore satisfait. N'est beau, peut-être, que ce qui est nouveau. En tout cas nous ne pouvons aimer que ce qui est nouveau. Pour aimer quelqu'un que nous sommes parvenus à bien connaître il est nécessaire de commencer par l'oublier, non entièrement mais beaucoup.
Cela, il leur faut quinze jours pour le comprendre. Ils ne se le disent pas ; ils sont prudents, c'est-à-dire qu'ils mentent. Pour aimer longtemps, on doit mentir : beaucoup à soi-même, plus encore à celui qu'on aime. Une forme de mensonge, c'est le raffinement. Ils l'adoptent très vite. Ils se donnent de nouveaux noms, ils trouvent de nouveaux endroits pour leurs baisers, de nouveaux endroits où ils peuvent s'endormir. Cela amuse un temps, sans pouvoir tromper. Alors ils trouvent d'autres moyens de masquer la vérité. Un des moyens de faire durer l'amour, c'est d'y mêler de la haine ; le meilleur moyen, mais d'une certaine manière, le plus dangereux. L'amour et la haine sont le chat et la souris de nos sentiments.

Et avec des moments bien tordus :

"Alors quelque chose en elle la poussa à dire :
'Pourquoi l'aimes-tu, Bengt ?'
Au moment précis où elle dit ces paroles, pas avant, elle comprit que c'était vrai. Mais elle ne comprit pas comment elle l'avait su. Et quand Bengt lui répondit que c'était faux, elle comprit qu'il mentait, bien qu'alors il ne le sût pas.
'Je la hais', murmura-t-il".

La misogynie qu'Annick a renvoyée directement du narrateur à l'auteur est pénible :

"Dès qu'elle a éteint elle se recouche et se met à pleurer. Il ne s'éveille pas, les sanglots d'une femme n'éveillent jamais un homme, tandis que les sanglots des hommes tiennent les femmes éveillées. Elle pleure jusqu'à ce qu'elle s'endorme, mais même alors elle n'est pas délivrée. Elle sait que désormais elle l'aimera ainsi qu'on aime certains hommes : elle se donnera à lui avec désir mais sans joie, le laissant croire qu'elle est tout pour lui parce que c'est trop compliqué de lui ôter cette idée."

Ma réserve vient de l'incompréhension du terme pur ou pureté : cette notion, très présente et qui ne me parle pas, par exemple :

"Ceux qui aiment comme nous sont purs. J'ai compris seulement maintenant ce qu'est la pureté. Être pur c'est ressentir en soi un feu auquel ne résiste aucun doute, aucune lâcheté, aucun scrupule. On est entier et fort. On va droit au but, sans hésiter. On devient aussi courageux. Être pur c'est pouvoir tout sacrifier excepté ce pour quoi on vit".

La barbe !
Mais j'ouvre ce livre que j'ai trouvé très prenant aux ¾.
Quant à la pièce, elle m'a plutôt plu (avec des moments de ventre mou comme dirait Etienne, dus aux changements à vue de décors qui ralentissent, font perdre temps et attention), avec un acteur incarnant horriblement bien l'étrangeté de Bengt et un chien très bon acteur... Je me suis demandé pourquoi la metteuse en scène avait adapté le roman, alors que l'auteur l'a fait lui-même. Dans la chouette soirée Dagerman à laquelle nous avons assisté à l'Odéon, nous avons eu la réponse : elle n'apprécie pas le théâtre de Dagerman, tout le contraire de sa prose concise qu'elle aime : verbeux ; alors elle a bien fait...

Fanny(à l'écran)
J'ai été saisie par le premier chapitre, son écriture froide, saccadée, qui permet de rester à l'extérieur, de garder une distance.
Le premier chapitre aurait pu former à lui tout seul une belle nouvelle.

Une voix fine mouche qu'accompagnent des hochements de tête approbateurs
On te voit venir...
Fanny

En effet ! Mais j'ai lu le livre jusqu'au bout. Plus ça allait, moins j'en pouvais. J'ouvre en grand le premier chapitre. Le reste est insupportable. Très dérangeant. Glauque. Insupportable. Et la scène avec le chien ! Sans parler de ce qu'on fait subir à Bérit !
Je peux trouver de l'intérêt à des horreurs. Seulement là, je n'y ai pas cru ! On le voit venir. Coucher avec sa belle-mère ? On le voir venir ! Son suicide ? On le voit venir !
Comme Etienne, je pense à
Festen. Et Festen, c'est autre chose ! Un pavé dans la société bourgeoise.
L'écriture est cliché. Dans le chapitre "Le tigre et la gazelle", on touche le fond ! "L'amour et la haine sont le chat et la souris de nos sentiments. Parfois le chat poursuit la souris, parfois aussi la souris poursuit le chat. Mais lorsque à la fois le chat et la souris sont las de se poursuivre, il ne reste plus grand-chose à faire." Pitié !
J'ai beaucoup soupiré, mais je ne l'ai pas laissé tomber. Il y a dans le coté décalé de la créativité. J'ouvre 1/4. Mon énervement a été crescendo et j'ai été rapidement dans le ventre mou dont parle Etienne. Je suis très curieuse de connaître la suite de votre lecture, Etienne et Jacqueline.

Claire
C'est anecdotique, mais il y a deux écrivains cités :
- Stefan Zweig (lu à deux reprises dans le groupe) "L'autre soir d'ailleurs il s'est passé une chose qui en dit plus sur elle que toute longue description. J'étais étendu sur l'ottomane de papa et je lisais un assez bon roman de Stéphan Zweig"
- Marryat : "Bengt, couché à l'avant, lisait un livre de Marryat ; la mère, assise près du moteur, reprisait des chaussettes."
Jamais entendu parler de ce Frederick Marryat (1792-1848) : capitaine de navire et romancier anglais, il est considéré comme l'un des pionniers du "roman maritime" ; ses romans suscitèrent l'admiration de Conrad et Hemingway. Il a écrit aussi Comment écrire un livre de voyage que j'ai commandé, vu le sujet alléchant : il y dévoile quelques techniques imparables pour écrire un livre de voyage sans bouger de son fauteuil...
Catherine (après la séance)
Je n'avais jamais rien lu de Stig Dagerman. J'ai lu le livre avant de voir la pièce.
Ça n'a pas été une lecture facile, c'est un livre très noir et assez plombant et j'ai eu besoin de faire des pauses de temps en temps. En même temps, j'ai été scotchée dès la scène de l'enterrement, la descente de l'escalier, le fils devant la fosse : "il n'y a plus de consolation, plus de refuge, plus de fin et plus de commencement. Il n'y a plus qu'une réalité, vide comme un tombeau : sa mère est étendue là, morte, irrémédiablement absente" ; "pleurer quelqu'un c'est avoir un grand trou vide qu'aucune larme ne peut remplir".
La scène au restaurant a un côté comique, grinçant, le père qui s'assoit à la place de la morte, les faux amis qui s'en vont quand il n'y a plus rien à manger. On retombe dans le drame quand Bengt se brûle volontairement les mains avec le cierge qui symbolise la présence de sa mère, après l'appel téléphonique d'une femme inconnue. On ressent sa solitude face à la perte de sa mère, qu'il est le seul à véritablement pleurer.
On enchaîne ensuite un quasi huis-clos, entre le père et le fils d'abord, et la morte qui rôde entre eux, ses vêtements, ses chaussures, les non-dits, les mensonges, un mélange de haine et d'amour. Ensuite, 4 personnages sont face à face, le père et Gun, Bengt et Bérit, puis tout dérape. Les personnages sont complexes, Bengt, qui ne trouve pas de consolation, qui aspire à la pureté et à l'absence de compromission, découvre les mensonges de son père et même de sa mère, mais ment lui aussi en permanence ; son chagrin le rend violent contre tout le monde, y compris lui ; il brutalise sa fiancée, brutalise le chien et finit même par le tuer. On est touché par son chagrin, mais difficile tout de même de le trouver attachant. J'ai trouvé le personnage de Bérit irritant, assez caricatural, elle a froid, elle subit et elle pleure. On aimerait qu'elle se rebiffe.
Je ne sais pas s'il était vraiment nécessaire que Bengt couche avec la compagne de son père ; on peut évidemment trouver des explications, de type psychanalytique, mais je n'ai pas été très convaincue par cette partie.
On sent évidemment que ça va finir mal, et paradoxalement Bengt se sent revivre après sa tentative de suicide, qui est plutôt un appel à l'aide d'ailleurs. Tout a l'air de s'apaiser ensuite, mais on ne croit pas vraiment à ce semblant de calme retrouvé.
J'ai beaucoup aimé les lettres, surtout la dernière, la lettre d'adieu déchirée et le refus de vivre dans le monde des petits chiens.
Au final, un livre sombre, tragique même, complexe. Je ne suis pas sûre de l'avoir totalement compris, mais je ne l'oublierai pas. Il s'en dégage une grande impression de solitude, c'est magistralement écrit ; le malaise que j'ai ressenti à la lecture m'empêche de l'ouvrir en grand. Donc ¾.
J'ai assez aimé
la pièce (et le chien), l'atmosphère y est, malgré tout moins violente et moins oppressante.
J'ai aussi été très intéressée par la table ronde. J'ai lu ensuite
Automne allemand que j'ai trouvé très intéressant. Rien à voir avec L'enfant brûlé, ce sont des articles de journaux sur l'Allemagne et les Allemands après la défaite, dans un pays en ruine. C'est saisissant aussi et ça vaut la peine d'être lu. Peu de témoignages ou de romans sur ce sujet. Le fait que Stig Dagerman l'ait écrit témoigne bien d'une personnalité hors du commun.
Etienne
(quelques jours plus tard)

Ce fut donc une étonnante lecture en deux temps pour moi : après avoir mis presque deux mois à lire les 120 premières pages, j'ai terminé les 170 restantes en moins de trois jours. Mon avis intéressera donc certainement Fanny qui se demandait si ceux qui avait apprécié leur début de lecture ne finiraient pas tout compte fait par se lasser. Moi-même je déclarais au cours de la séance avoir l'impression d'être arrivé dans une sorte de ventre mou. La suite m'a donné tort. Si j'avais été impressionné par la qualité de l'écriture, son coté pictural nerveux, métallique, j'avais surtout été tenu en haleine par la tension narrative de l'enterrement puis de repas de funérailles, le secret familial qui commençait à poindre. Ce dernier révélé, la partie d'espionnage de son père commençait à m'ennuyer. La séance m'a paradoxalement revigoré et je suis reparti, grand bien m'en a pris.
Le passage du récit à l'air libre, sans mauvais jeu de mots, redonne du souffle à ce dernier. Un peu comme si les éléments naturels faisaient écho à l'ambivalence voire la perversité de toutes dynamiques amour/haine, père/fils, mère/fils etc. Le récit est devenu aussi plus dynamique, Bengt assume ses actions et ses sentiments, aussi étrange soient-ils, et le suicide raté ne me fait pas du tout l'effet d'un pétard mouillé. La tonalité très apaisante et lumineuse du dernier chapitre ne m'a donc pas surpris. À a façon d'un héros grec, Bengt a surmonté les épreuves et semble en ressortir plus fort, plus sage. Le délire de pureté semble terminé, pour arriver à une sorte de consolation finale très lucide. Pas d'apaisement existentiel sans avoir vécu, semble nous dire Dagerman.
Je reviens à froid sur quelques réflexions entendues pendant la séance : je m'inscris en faux contre l'idée que les protagonistes soient tous médiocres, c'est une lecture superficielle ! Knut, Brit sont capables de grands moments de tendresse, de courage. Quant à Gun, c'est la figure purificatrice centrale du livre, capable de tout endosser, absorber, celle qui par qui advient une sorte de rédemption. Jérémy faisait le rapprochement avec Flannery O'Connor (que j'avais proposé l'année dernière) et j'avoue ne pas vraiment voir le lien. Pour le coup, ses personnages sont en effet réellement médiocres, le regard est sans aucune complaisance mais, et c'est important, ce dernier est empli de miséricorde (et d'humour). Non, vraiment pas…
J'ouvre donc L'enfant brulé aux ¾.

Claire
Le rapprochement liait les ambiances noir c'est noir...

Etienne
J'avais bien compris pour les ambiances, mais pour moi ni l'un ni l'autre n'ont ni une ambiance noire ou déprimante, j'ai vraiment du mal à les lier de quelque façon. Ce n'est pas Sylvia Plath pour donner un exemple personnel de ressenti "noir" que l'on a pu lire.


Les 7 cotes d'amour du nouveau groupe
réuni le 22 mars 2024
François
Anne Lahcen Monique M
    KatherineNathalie B
Jean-Paul

Lahcen (avis transmis)
Dagerman aborde les thèmes de la souffrance, de la violence et de la détresse psychologique : son écriture dépouillée accentue prodigieusement les émotions troubles et complexes du personnage principal.
Ce livre m'a heurté de plusieurs manières.
J'ai été fasciné par la limpidité de son écriture et la radicalité de ses propos.
En revanche, à certains moments la violence de Bengt, notamment avec Bérit et le chien, m'a terriblement gêné, j'ai ressenti un inconfort presque insupportable.
C'est pour cela que j'ouvre ce livre aux ¾.
François(avis transmis)
Un très grand roman suédois bien dans la lignée de Strinberg pour tenter de situer les choses. Mais on peut aussi convoquer Bergman dont je viens de revoir Les scènes de la vie conjugale pour mieux m'en convaincre. L'enfant brûlé tient d'une danse infernale à l'intérieur d'un huis-clos étouffant dans lequel la lumière a du mal à pénétrer. On y retrouve bien l'expression d'un malaise insurmontable au sein du couple, de la famille et d'une société longtemps présentée comme le paradis sur terre. Mais c'est bien dans un enfer que nous plonge Stig Dagerman. Un enfer que son écriture au scalpel nous rend immédiatement palpable.
Le roman est organisé autour de quelques temps forts qui s'enchaînent à partir de l'enterrement de la mère du jeune homme qui est au centre de l'histoire. Faut-il lire cette histoire comme celle d'une passion dévorante qui continue de les unir au-delà de la mort avec les effets ravageurs que le récit va implacablement dérouler ? L'enterrement de la mère fait d'emblée ressortir les relations mortifères du père et du fils qui semble ne pouvoir lui pardonner l'existence de sa maîtresse. Il montre également le vide abyssal de l'entourage qui ne pense qu'à boire et à s'empiffrer, à quoi s'ajoute l'insignifiance du sermon du pasteur incapable d'apporter la moindre consolation. Impossible à cause de cette l'indifférence et de cette absurdité de ne pas penser malgré les différences à l'enterrement de la mère dans L'Étranger de Camus.
À ce propos, c'est sans doute, l'écriture, qui fait que ce roman ne s'efface pas de la mémoire du lecteur. "Une écriture blanche" ou froidement objective bien faite pour dire le pire... Les premières lignes sont presque dignes de celles de L'Étranger : "On enterre une femme à deux heures, et à onze heures et demie le mari est dans la cuisine, devant le miroir fendu au-dessus de l'évier." Car c'est un destin implacable qui va enfermer les survivants dans une sorte de huis clos existentiel qui rappelle l'angoisse et le pessimisme que l'on retrouve chez Bergman. Comme chez lui d'ailleurs, le tragique n'exclut pas la vitalité, l'énergie, la sensualité et le désir de vivre : "Le deuil lui-même est bordé de joie". Même si c'est toujours la solitude et l'impossibilité de communiquer qui semblent l'emporter dans un monde où chacun semble enfermé dans son personnage ou son histoire, qu'il s'agisse du père et du fils (qui sur les conseils de sa mère s'écrit à lui-même) ou des femmes enfermées dans des relations vouées à l'échec, tant le malentendu entre les sexes paraît insurmontable. Dans cet univers profondément marqué par le protestantisme, la soif de pureté confine à la destruction. Comme si personne ne voulait que l'autre soit heureux. Pourtant, malgré ou à cause de son pessimisme foncier, je trouve qu'il émane de L'enfant brûlé une force incroyable. Sans doute celle du désespoir, qui anticipe sur le suicide de l'auteur. (Souvenir encore d'une magnifique représentation de Père de Strinberg à la Comédie Français, il y a quelques années et pour les plus anciens... de Maria Casarès et Alain Cuny (que je verrais bien dans le rôle du père) dans La danse de Mort du même Strinberg. Mais encore une fois, ce qui fait que ce roman ne s'efface pas de la mémoire c'est sa très belle écriture...
J'ouvre en grand.
Anne
J'ai apprécié énormément l'écriture. Le style m'a portée tout au long du roman, que, sans lui, j'aurais peut-être posé, fatiguée par la complexité psychologique de Bengt, car je souhaite actuellement lire des livres plus ouverts sur l'espoir. Néanmoins, la façon dont la famille est décrite est saisissante, comme la jalousie des sœurs et l'hypocrisie de l'entourage amical. Puis la relation de Bengt avec son père et avec la maîtresse de celui-ci est très forte. Les sentiments de Bengt, leurs cheminements, leurs évolutions, car ce protagoniste change, sont très bien sentis. L'auteur développe remarquablement bien une "anatomie" des états d'âme de ce jeune homme troublé. L'écriture est dynamique. Elle présente avec une extrême simplicité toutes les avancées de l'action, sans oublier la beauté des descriptions visuelles, sonores. Elle est parfois hachée, je dirai presque syncopée à la manière du jazz. Dans certains passages, j'entendais la voix des personnages, comme mues dans une mise en scène quasiment cinématographique.
C'est peut-être ce qui a tenté une certaine metteuse en scène à monter une pièce de théâtre sur la scène du théâtre Berthier, à partir de ce livre, dont la réussite m'a semblé veine, car sans l'écriture ce scénario devient assez banal. D'ailleurs, comment mettre en scène des voix qui "changent de couleur" ? Comment mettre en scène "l'énigme de la présence des objets" ? Tout est dans la façon de dire et le style de Dagerman réussit remarquablement bien à montrer la profondeur des situations. J'ai aussi été renvoyée à Marguerite Duras en raison de la souffrance de Bengt devant son exclusion formée par le couple de son père et de sa maîtresse, sa douleur le renvoyant à une violente jalousie, et aux sentiments complexes de trahison envers la mère morte. Il y a aussi l'impossible communication entre lui et sa fiancée qui, avec un chien (appartenant à la maîtresse), de par son fait, devient dans le groupe familial une sorte de bouc émissaire. Il y a de très beaux passages, quand le père trie les vêtements de sa femme décédée, quand il les donne à sa maîitresse, quand Bengt les voit portés par celle-ci, quand il se met à l'aimer en place de la haïr. La scène érotique autour des chaussures et des pieds de la femme est très belle, leur amour aussi, jusqu'au moment où il se rend compte qu'elle est vieille, qu'il la perdra, que cet amour est vulnérable. La situation, alors, se pervertit et devient violente, prend une forme de thriller rendant les personnages de plus en plus antipathiques. C'est un livre, néanmoins, où circule une grande écriture qui parvient à décrire la vérité sordide des sentiments ambigües d'amour et de haine d'un jeune homme peu mature, torturé, qui toutefois se transforme et grandit grâce à cette relation passionnelle. J'ouvre le livre aux ¾ . L'écriture est trop belle pour l'ouvrir à moitié, mais le manque d'humour m'a fait, un instant, hésiter.
Monique M
C'est un roman étrange, récit initiatique brûlant d'émotions, de sensations fortes, poétique et onirique aussi dont j'ai beaucoup aimé la première partie du récit ; la seconde révèle un personnage égoïste, pervers, assassin de surcroît, qui m'a profondément déplu. L'écriture est très belle, l'évocation des intérieurs, des atmosphères, extrêmement bien restituée. Il y a des passages magnifiques : la cérémonie de l'enterrement de la mère, les sentiments des différents personnages, le cérémonial du repas qui suit, la place vide réservée à la mère, le cierge qui se consume et emporte une nouvelle fois sa vie avec elle, la méchanceté de la sœur laide, les faux amis qui partent vite, l'appel téléphonique de la maîtresse du père, le fils qui brûle ses mains à la bougie. J'ai pensé aux tableaux du peintre danois Hammershoï, aux films de Bergmann, c'est à la fois intense et austère.
Le récit se poursuit de façon haletante en succession de phrases courtes, relatant toutes sortes de micro-événements avec une précision photographique. C'est très cinématographique. Il y a une atmosphère de thriller, une poursuite d'indices dont les différents voiles se lèvent les uns après les autres. La fiancée est quasi inexistante, pas même le témoin, elle est le personnage extérieur qui attend comme un signe, un appel qui ne sera jamais entendu. Bengt est ailleurs, à la poursuite de ses fantasmes, dans tout ce qui s'est forgé autour de sa douleur, de la perte de sa mère, de la trahison du père. Il est le détective de ses propres souffrances, où le père, la maîtresse, sa fiancée, sont les pions, les éléments de poursuite de son jeu. Il est à la fois absent à lui-même et incroyablement lucide, comme un voyant. C'est aussi très onirique : les rafales de neige, le brouillard, la nuit qui enveloppe ; les signes invisibles des livres, des clefs de la bibliothèque, de la garde-robe, du tiroir où sont consignées les lettres d'Alma, les stores levés ou baissés pour maintenir le secret d'un échange, ou selon l'état de tension, les fenêtres ouvrant sur le vide… On se déplace dans son imaginaire, sa vision du monde, sans savoir où est la réalité. On voit sans voir, tout est fugitif : les filles qui fument devant le cinéma, la personne âgée croisée aveugle qui ne l'est pas, la caissière du cinéma dont il ne sait si elle le regarde ou pas, la fiancée qu'il dit désirer sans jamais concrétiser. Tout est flottant, difficilement dicible, formulable. C'est un récit en forme de psychanalyse, une sorte d'introspection, un univers de signes : la bougie omniprésente sur la table le jour des obsèques de la mère, la chaise vide et le couvert de la défunte ; et le jour où la future belle-mère arrive à la maison, la même bougie sur la table où le thé est servi, les fleurs rouges symboliques offertes à Bengt, son combat intérieur entre révolte et acceptation.
La très belle scène, lente et intense, de séduction de Gun par Bengt est superbe, mais il découvre ensuite qu'elle est vieille et son désir décroît, il se sent souillé, il réagit comme si on lui avait pris son jouet ou que celui-ci était cassé ; c'est un enfant capricieux dont les préoccupations de pureté sont toutes relatives, il habille le présent pour le rendre honorable à ses yeux : pour ne pas faire de mal au père, à la fiancée (s'en soucie-t-il vraiment ?), Gun et lui vont jusqu'à leur envoyer des lettres mensongères avec l'impression de jouer et non de commettre un crime. C'est un être enfantin, cruel, pervers, et une âme d'assassin. La mort du chien est un passage terrible qui ajoute à la complexité du personnage. Ce me semble être le parcours initiatique d'un jeune homme exalté, recherchant la brûlure d'émotions fortes, qu'il maquille de pureté, et qui se perd dans ses contradictions. Sa tentative de suicide elle-même semble truquée, il l'explique comme la certitude que "si on a fait ça, ce n'était pas pour mourir, ni pour être sauvé non plus, c'était pour établir la paix". Sortir de la confusion en quelque sorte. Temporairement cependant puisque à la toute fin du récit, lorsque le téléphone sonne, Gun et lui savent que c'est le père, puis la fiancée, qui appellent, mais ils ne répondent pas.
J'ai aimé ce livre pour la subtilité de l'analyse de la situation dans laquelle sont plongés les personnages de ce récit, et pour la beauté de l'écriture ; les descriptions de la mer, son eau brillante et noire qui fait penser à la mort et reflète les sentiments et intentions de vengeance de Bengt, son immensité glacée, en hiver ; les images insolites du ciel, la lune rôde derrière les nuages lourds semblable à une pale lueur ou encore des nuages glissent lentement, semblables à des dirigeables noirs ; et la beauté poignante des échanges entre père et fils à la fin du livre : "Mon garçon" murmure le père, "Mon garçon" répète-t-il. Et ces deux mots contiennent tout : toutes les questions, toutes les réponses, toute le tendresse, toute l'inquiétude. Ils se communiquent leur propre joie ; la chaleur devient brûlante. Plus ils sont chauds, plus le silence devient profond. Les mots ne peuvent plus exprimer ce qu'ils éprouvent, seuls leurs yeux le peuvent et leurs mains qui reposent l'une dans l'autre."
Jean-Paul
Je n'ai pas aimé cette narration à trois voix : le père, le fils, le narrateur. Je n'ai pas été séduit par le style. J'ai trouvé ce roman cynique, désespéré, désespérant. Je ne suis pas rentrée dans ce récit et ce que vous avez décrit ne me tente pas davantage.
Katherine      
J'aime beaucoup les écritures simples comme celle-ci. Il n'y a pas un mot inutile. C'est vrai, je suis d'accord avec Anne, c'est une écriture très cinématographique. L'auteur n'est pas dans la description. On imagine les personnages mais pas de corps ; leur apparence est évanescente.
On parle de relations entre l'obsession du père pour le beau et celle du fils pour le père. Bien que le fils ait un jugement sévère sur la relation du père avec sa mère qui manquait de beauté, il reproduit le schéma avec sa fiancé, une femme qu'il n'aime pas, qu'il traite mal.
Pourtant il y a beaucoup d'introspection, de lucidité sur lui-même, et pourtant il essaie de raisonner et justifier ce qu'il ressent. C'est ce qui le rend effrayant. Il traite sa fiancée avec méchanceté. Ce sont des petites méchancetés qui ne la détruisent pas mais qui éclairent sa personnalité. Il se transforme.
Je pense qu'il faut aller jusqu'au bout de ce roman pour savoir vraiment ce qu'on en pense. C'est un récit très sombre, très épuré. Ce n'est pas difficile à lire, il n'y a pas d'effort de lecture. C'est un objet littéraire très intéressant, les personnages sont très intéressants. Mais je ne peux pas dire que j'ai éprouvé du plaisir à le lire, malgré la beauté de l'écriture. Je ne le recommanderai pas.
Nathalie B    
Les premières pages m'ont beaucoup séduite du fait de cette écriture, mais au bout du compte elle m'a lassée. Les images restent, comme celle du père qui contemple les robes de la mère, les étend sur un fauteuil… J'ai préféré les intermèdes que nous offrent les lettres que Bengt s'écrit à lui-même. Je trouve ses analyses très intéressantes. Il nous rend sa mère attachante, au contraire de ce qui est dit par le narrateur sur elle, décrite comme une personne laide et malade que les gens n'aimaient pas. Cette formulation d'ailleurs m'a fait réfléchir. Est-ce qu'ils ne l'aimaient pas dans le sens où ils la détestaient ? Ou ne l'aimaient pas parce qu'ils n'éprouvaient pas d'affection pour elle ? Au fur et à mesure de la lecture, on penche pour la seconde proposition. Mais la traduction peut porter à confusion…


Quels auteurs suédois avons-nous déjà lus ? Ils ne sont pas nombreux... :
- Selma Lagerlöf (1858-1940) : Le cocher et La légende de Gösta Berling
- Ingmar Bergman (1918-2007) : Laterna magica
- Per Olov Enquist (né en 1934) : Blanche et Marie
- Henning Mankell (né en 1948) : Les chaussures italiennes

LES ŒUVRES, toutes disponibles en français

Dagerman écrivit quatre romans, quelques pièces de théâtre, des nouvelles, de nombreux petits poèmes intitulés dagssedlar (billets du jour) publiés dans le journal Arbetaren ; il fut en effet journaliste : un reportage en Allemagne en 1946 sera à l'origine de son livre Automne allemand.

• Romans
Dans l'ordre des publications en France :
- L'Enfant brûlé, Gallimard, trad. Élisabeth Backlund, 1956 ; L'Imaginaire, 1981, avec une préface d'Hector Bianciotti
- Le Serpent, trad. Carl Gustaf Bjurström et Hervé Coville, Denoël, 1966 ; Gallimard, coll. L'Étrangère, 1993 ; L'Imaginaire, 2001
- L'Île des condamnés, Denoël, trad. Jeanne Gauffin, 1972 ; Agone, 2009
- Ennuis de noces, trad. Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini, Maurice Nadeau-Papyrus, 1982 ; 10/18 ; Ennuis de noces, rééd. avec en préface "Comment j’ai écrit Ennuis de Noce”, Maurice Nadeau, 2016.

•Nouvelles
- Dieu rend visite à Newton, trad. Élisabeth Backlund et Carl Gustaf Bjurström, Denoël, 1976 ; rééd. sous le titre Tuer un enfant, Agone, 2007 ; rééd. sous le premier titre Dieu rend visite à Newton, ill. Mélanie Delattre-Vogt, éd. du Chemin de fer, 2009
- Les Wagons rouges, trad. Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini, Maurice Nadeau,1987
- Le Froid de la Saint-Jean, trad. Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini, Maurice Nadeau, 1988
- Notre plage nocturne, trad. Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini, Maurice Nadeau, 1988.

Chroniques
- Automne allemand, trad. Philippe Bouquet, Actes Sud, 1980 ; Babel, 2004
- Printemps français suivi de Poèmes satiriques avec deux lettres de l'auteur, trad. Philippe Bouquet, Ludd, 1995.

Essais
- Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, trad. Philippe Bouquet, Actes Sud, 1981, en ligne ›ici
- La Dictature du chagrin et autres écrits amers (1945-1953), trad. Philippe Bouquet, Agone, 2001 (dont, en ligne, "L’anarchisme et moi").
- La casquette du musicien, trad. Philippe Bouquet, préface Lo Dagerman, éd. Belloni, 2021 (texte radiophonique).

•Théâtre
- Le Condamné à mort, trad. Philippe Bouquet, Actes sud, 1983 (adaptée sous le titre Les Rescapés, mise en scène Véronique Widock, Théâtre Gérard-Philipe, 1987)
- L'Ombre de Mart, trad. Gunilla Kock de Ribaucourt, Presses universitaires de Caen, 1993
- L'Arriviste suivi de Le Jeu de la vérité, trad. Philippe Bouquet, Actes Sud, 1991.

Poésie
- Billets quotidiens, trad. Philippe Bouquet, éd. Cent Pages, 2002
- Suite Birgitta, trad. Claude Le Manchec, éd. Centrifuges, 2019 ; nouvelle traduction Philippe Bouquet & Claude Le Manchec, éd. Aencrages & Co, 2023.

Correspondance
- Lettres choisies, trad. Olivier Gouchet, préface Claude Le Manchec, Actes sud, 2024 (v
oir aussi à ce sujet un article suivi d'une interview du traducteur dans La Revue des deux mondes, mars 2024)

À PROPOS DE STIG DAGERMAN et ses livres

• Sa vie
- Sur Wikipédia :
›ici
- En images fixes et en 5 min, #Patrick Esteve sur youtube ›ici
- En quelques mots : Stig Dagerman, pseudonyme de Stig Halvard Andersson, est né en 1923 à Àlvkarleby, village situé au nord de Stockholm. À sa naissance, il fut abandonné par ses parents auprès de ses grands-parents paysans.
Ecrivain à partir de 1945, il eut beaucoup de succès. Il partage le thème de l'angoisse dans son œuvre avec beaucoup d'autres écrivains suédois de sa génération, qui s'intéressaient aux grandes questions existentielles. Dès 1912, Pär Lagerkvist, prix Nobel en 1951, avait publié un recueil de poèmes intitulé Àngest (Angoisse).
Après un silence de quatre ans, pendant lequel il n'a publié aucun ouvrage, il est mort à Stockholm à l'âge de 31 ans.


• Un film
Stig Dagerman, de Pierre Beuchot,
Archipel 33/La Sept, 1989, 26 min, à visionner ›ici : deux compagnes de Dagerman en parlent, notamment quand il écrivait L'Enfant brûlé en Bretagne...

• Émissions sur France cuculture
-
"Mon ami Stig Dagerman", par Christophe Fourvel, 2 octobre 2022, 58 min : un documentaire très personnel sur les traces de Dagerman, par un groupie
- "Stig Dagerman et le recours au poème", avec Claude Le Manchec, spécialiste et traducteur de Dagerman, 29 janvier 2023 : pas du tout limitée à la poésie, une émission éclairante sur Dagerman.

• Un site
Lo Dagerman, auteure d'un livre sur ses parents Stig Dagerman et Anita Björk, Himlen nära, gère le site dagerman.us

• Des livres concernant Dagerman (du plus récent au plus ancien)
- Christophe Fourvel, 31, c'est peu : Stig Dagerman 1923-54, éd. La fosse aux ours, 2023
- Claude Le Manchec, Le Rire caché de Stig Dagerman, préface de Lo Dagerman, Ginkgo, 2023
- Claude Le Manchec, Stig Dagerman : la liberté pressentie de tous, éd. du Cygne, 2020
- Stig Dagerman et l'existentialisme, Georges Perilleux, Presses universitaires de Liège, 2020, en ligne
- Les ombres de Stig Dagerman : Paris 1947, Lo Dagerman, Nancy Pick, Maurice Nadeau, 2018
- Karin Dahl, La réception de l'œuvre de Stig Dagerman en France : La consécration d'un écrivain étranger, L'Harmattan, 2010 (suite à une thèse en Sciences du langage La mythification d'un écrivain étranger : la réception de l'œuvre de Stig Dagerman en France et en Italie)
- Georges Ueberschlag, Stig Dagerman ou l'innocence préservée : une biographie, L'Élan, 1996 (épuisé)
- Georges Périlleux, Stig Dagerman : le mythe et l'œuvre, préface Baroche Christiane, De Bœck, 1993 (épuisé).

• Le contexte littéraire à la sortie du livre L'enfant brûlé
Karin Dahl, dans son livre sur la réception de l'œuvre de Stig Dagerman en France, fait une analyse détaillée de celle de ce roman. Elle indique d'abord le contexte littéraire alors, dominé par trois courants :

"D'abord celui du Nouveau Roman qui venait de naître. Plusieurs romans, signés Nathalie Sarraute, Claude Simon, Robbe-Grillet etc., avaient déjà été écrits. Robbe-Grillet publia en effet un roman, Le Voyeur, au moment de la parution de L'Enfant brûlé et, comme nous le verrons, les critiques font souvent un lien entre ces deux livres.
Un autre courant littéraire dominant pendant cette période était l'existentialisme ; l'essentiel des œuvres existentialistes avait déjà été écrit en 1956. Simone de Beauvoir avait publié, en 1954, soit deux ans avant la sortie de L'Enfant brûlé, Les Mandarins, roman sur lequel une étude de réception a été effectuée par Larsson en 1988, une étude qui nous intéresse tout particulièrement étant donné que cette réception est si proche, dans le temps, de celle du roman de Dagerman.
Le troisième courant important était celui du Théâtre de l'absurde ; Ionesco a écrit quelques-unes de ses pièces les plus importantes au début des années cinquante.
Cela donne une idée du climat littéraire qui régnait en France lors de l'arrivée du roman de Dagerman, et dans quel cadre d'associations pouvaient opérer ses critiques."

Elle souligne le rôle qu'a pu avoir un reportage intitulé "Visite à un ami mort", publié dans la revue en vogue alors Roman, un an après le suicide de Dagerman et un an avant la publication de L'Enfant brûlé en France. Cet article donne une première introduction touchante de Dagerman en France. Célia Bertin qui dirige la revue rend visite à sa veuve et raconte ses souvenirs de voyage de façon détaillée dans l'archipel de Stockholm, où habitait le couple. La description de la nature et de la maison où a vécu Dagerman contribue à créer une impression d'étrangeté - terme qui reviendra... (voir le détail de cet article ›ici).

• Le rôle des éditeurs dans le succès de Dagerman
- Gallimard, malgré le succès de L'Enfant brûlé, ne publie pas rapidement un autre livre de Dagerman. Il faut attendre 10 ans pour que Denoël publie Le Serpent qui fit connaître Dagerman en Suède ; Denoël a été rachetée par Gallimard en 1951, il ne s'agit donc pas d'un changement d'éditeur mais de collection éditoriale.
- À partir de 1980, Actes Sud, sous la direction d'Hubert Nyssen, prend le relais, avec le traducteur Philippe Bouquet.
- Le dernier des quatre romans de Dagerman à être traduit en français est Ennuis de noce, qui paraît en 1982 chez Maurice Nadeau qui joue aussi un rôle important pendant cette période car il est connu pour son flair littéraire et ses choix éditoriaux judicieux ont souvent précédé ceux des jurys littéraires.

• Les traducteurs
L'œuvre de Dagerman a été publiée en France par 8 traducteurs différents :
- le traducteur suédois Cari Gustaf Bjurström (1919-2001), installé dès 1948 à Paris où il fut directeur de l’Institut suédois, fut le traducteur de Céline, Camus et Michaux, du Nouveau Roman (Nathalie Sarraute, Michel Butor Claude Simon). Il a fortement contribué à ce que la littérature suédoise soit lue et appréciée en France : 158 traductions en suédois, 253 traductions vers le français ! (Voir son éloge dans Le Monde ou celui de Mathieu Lindon dans Libération : "les littératures scandinaves en France ne seraient pas ce qu'elles sont, de même que la littérature française en Scandinavie"). Les 6 livres de Dagerman qu'il a traduits le sont en duo dans le but que le deuxième traducteur travaille vers sa langue maternelle ; parmi les tandems figura Lucie Albertini, femme du poète Guillevic, qui a traduit entre autres les livres d'Ingmar Bergman en français, dont celui que nous avons lu dans le groupe.
- L'enfant brûlé fut traduit par Élisabeth Backlund qui traduisit trois livres dont deux avec Bjurström.
- Claude Le Manchec, spécialiste de Dagerman, en a traduit deux récemment.
- Ne traduisirent qu'un livre : Hervé Coville, Jeanne Gauffin, Gunilla Kock de Ribaucourt, Olivier Gouchet.
-
Le grand traducteur, à partir des années 80, est Philippe Bouquet, décédé deux semaines avant notre séance, qui, raconte Karin Dahl, joue un rôle notoire :

"Bouquet occupe quasiment la fonction d'ambassadeur de Dagerman en France : il fait publier ses livres, écrit des articles à son sujet et donne, à de nombreuses occasions, des conférences consacrées à l'auteur. En Belgique, le chercheur Georges Périlleux publie trois ouvrages et organise, en 1990, un colloque international sur Dagerman. Vers la même époque, la maison Maurice Nadeau fait également paraître quelques livres de Dagerman en traduction de Cari Gustaf Bjurstrôm et de Lucie Albertini. En 1996, Georges Ueberschlag publie une biographie de Dagerman en français. Il fait désormais partie des écrivains étrangers connus dans le monde francophone, c'est un écrivain sur lequel on a publié un grand nombre de textes et dont les pièces de théâtre attirent régulièrement l'attention de la presse lors de leurs représentations."

On peut lire un long entretien avec lui sur le site d'À contretemps, n° 12, juin 2003, avec Freddy Gomez et Monica Gruszka qui lui posent la question suivante : concernant "les évidents traumas familiaux vécus par Dagerman, ne peut-on penser qu’il s’en est en quelque sorte servi comme d’un matériau littéraire ?"

On peut le dire, mais seulement à partir de L’Enfant brûlé, qui est un livre très œdipien où Dagerman donne l’impression de se payer un bon petit inceste par procuration et sans problème, puisqu’il s’agit de sa belle-mère. Alors, là, quel rapport avec la réalité ? Difficile à établir. Dans le même ouvrage, le père apparaît comme un repoussoir. Or, nous savons que le père et le fils étaient idéologiquement très proches. Quelles conclusions en tirer ? Aucune, à part l’existence, chez Dagerman, d’un gros nœud familial dont il s’est aussi servi pour faire de la littérature. J’insiste, cependant, sur le fait que, pour moi, cela n’apparaît qu’à partir de L’Enfant brûlé. Dans les œuvres qui précèdent, c’est plus vague, moins personnel. (Philippe Bouquet, traducteur, dans l'entretien déjà cité)

Et ces phrases courtes dans le roman ? Karin Dahl raconte que le traducteur suédois de Boccace, Sven Ekblad, lui a expliqué comment il a souvent dû découper les longues phrases de Boccace en trois ou quatre phrases courtes en suédois. Traducteur célèbre de Dagerman, Philippe Bouquet formule ainsi les différences entre le suédois et le français : "De toute façon nos deux langues sont à l'opposé l'une de l'autre : l'une est synthétique, l'autre analytique ; l'une concrète, l'autre abstraite ; l'une évocatrice, l'autre discursive ; l'une musicale, l'autre atonale..."

L'enfant brûlé a été écrit en France !
En 1946, Dagerman part en Allemagne en reportage : il publiera Automne allemand.
En 1947, il part en France en vue d'un reportage qui doit s'intituler Printemps français : il écrit alors la pièce L'Ombre de Mart. Il revient l'année suivante de janvier à août. Il renonce à son projet de livre sur la France au profit de l'Enfant brûlé qu'il rédige à Kerné, dans la presqu’île de Quiberon, l'été, en six semaines. Il est avec sa femme Annemarie et son fils de trois ans René :
"Ce qui est important pour moi, c'est que lorsque l'échec inévitable survient, il ne me frappe pas comme une douleur mais comme une libération car cela me donne aussi le courage de m'évader dans la créativité et l'art d'écrire. Au cours de l'été 1948, je voyageais sans but d'un endroit à l'autre dans le nord de la France, emportant avec moi un lourd devoir d'écriture pour une publication suédoise : une série d'articles sur les agriculteurs français. Mais le pays tout entier m’était fermé comme une palourde et je ne possédais aucun couteau. Ma grâce salvatrice est devenue une évasion dans L'enfant brûlé, dans l’écriture d’un roman où, aussi longtemps que cela a duré, j’étais indisponible à la honte et au découragement", racontera-t-il.

Stig Dagerman à Kerné (été 1948), photo de Annemarie Götze

• Articles

À l'occasion du centenaire
- "Stig Dagerman, à la lueur du centenaire", par Stéphane Massonet, En attendant Nadeau, 5 octobre 2023
- "Stig Dagerman, morceaux choisis", Florence Noiville, Le Monde, 13 octobre 2023
- La revue Europe consacre un cahier dans son numéro de mai 2023 à Stig Dagerman à l'occasion du centenaire de sa naissance, avec des articles sur son engagement anarcho-syndicaliste, sur son théâtre, ses poèmes et ses projets pour le
cinéma, auxquels s'ajoute une longue interview de J.M.G. Le Clézio.

Deux écrivains et Dagerman
Deux écrivains ne sont pas pour rien dans sa notoriété.
- Un prix Nobel :
› suite à la publication du roman
Le Serpent en 1966, dans un article de 10 pages, "Hé, Stig Dagerman!", qui n'est pas un simple compte rendu du livre, Le Clézio raconte sa première expérience de lecture de Dagerman, décrivant le livre en détail (l'aspect de la couverture, le texte écrit sur la deuxième de couverture, etc.), explique comment il a abordé ce livre et comment il l'a lu jusqu'au bout : "Toucher le livre, sentir le livre, lire, écrire, déchirer le livre. Seul l'objet peut nous sauver. Il est la part friable du message, la douceur, la maladresse, la fragilité. À cause de lui, on peut essayer de dire, comme si c'était vrai que la porte puisse s'ouvrir et que Scriver [un personnage] vienne s'asseoir avec son verre de bière devant le soi-disant critique littéraire : 'Hé Stig Dagerman !'" (texte repris dans Lettres nouvelles, mars 1972)
› Le Clézio cite Dagerman une dizaine de fois dans son discours du Nobel en 2008 : "C’est la pensée pessimiste de Dagerman qui m’envahit plutôt que le constat militant de Gramsci ou le pari désabusé de Sartre." Il emprunte à Dagerman l’expression de "forêt des paradoxes", soulignant les prétentions de l’écrivain qui pense agir par la seule force de son écriture, alors qu’il n’est bien souvent qu’un simple observateur posté à l’écart et ne s’adressant qu’aux gens qui partagent la même culture et le même langage élitiste que lui. D’où l’amertume de la question initiale : "Alors, pourquoi écrire ?" (voir ici les passages où Le Clézio se réfère à Stig Dagerman).
- Un Argentin devenu académicien, Hector Bianciotti :
› il écrit une préface à L'enfant brûlé lors de la réédition du roman en poche en 1981
› il loue "Stig Dagerman, le Suédois magnifique", Le Monde, 17 février 1989.

La réception de L'enfant brûlé
Au service de son analyse détaillée de la réception de ce roman, Karin Dahl, dans son livre La réception de l'œuvre de Stig Dagerman en France, étudie 18 articles publiés durant une période de 7 mois dans des périodiques qui n'existent plus ou au contraire sont toujours là 70 ans plus tard : Le Monde, l'Humanité, Le Figaro littéraire, L'Express, Études, mais aussi Le Bulletin Paris, Le Temps de Paris, La Liberté de Clermont-Ferrand, Tribune des Nations (hebdomadaire international publié à Paris), Les Lettres Modernes, Information, Notes Bibliographiques, Bulletin Bibliographique, H. et M., Bulletin Critique du Livre français, et en Suisse et Belgique : La vie littéraire de la Tribune de Lausanne, Peuple de Bruxelles, La Libre Belgique.

DES CRITIQUES STARS
Trois des articles, par la notoriété et de leurs auteurs et de leur journal, par leur longueur et leur talent aussi, marquent la réception, en donnant en quelque sorte le ton :
- Le critique littéraire du Monde, Marcel Brion, pas encore académicien, est non seulement un romancier reconnu, mais aussi un essayiste et un spécialiste de l'histoire de l'art. Il
dirige pendant plus de 20 ans la rubrique "littérature étrangère" du Monde (de 1948 au début des années 70) et contribue à faire connaître au public français des auteurs tels que Rainer Maria Rilke, James Joyce (il commente Ulysses en 1928, un an avant la traduction française du roman), Robert Walser... Marcel Schneider le décrit ainsi : "Marcel Brion, c'était l'Europe avant la lettre. Il connaissait sept des langues principales parlées en Occident, et il les connaissait en découvreur de talents. Il a su choisir et il ne s'est pas trompé". Voir son article à la sortie de L'Enfant brûlé.
- Michel Mohrt, qui fait le compte rendu du livre pour Le Figaro littéraire, est lui aussi romancier, historien de la littérature et, à l'époque, éditeur chez Gallimard qui publie Dagerman... (dans le département de littérature anglophone).
- François-Régis Bastide, qui écrit dans L'Express, est lui-même écrivain ; il crée Le Masque et la plume en 1955 ; il a épousé une Suédoise et publié en 1954, deux ans avant la publication de L'Enfant brûlé, un livre intitulé La Suède... Les titres des chapitres sont des mots suédois traduits : un chapitre s'appelle par exemple "Grubbla-Méditer en ruminant". Le critique du Figaro Michel Mohrt y fait une référence directe : "L'Enfant brûlé est un exercice de grubblage entrepris dans la longue nuit nordique, à la lumière des bougies et avec le secours de l'aquavit".

LE SUICIDE
Gallimard insiste d'ailleurs sur la mort spectaculaire de l'écrivain, qui va jusqu'à prendre la fonction de stratégie de vente pour la maison d'édition... Tous les comptes rendus du livre sauf un parlent abondamment de la mort de l'écrivain, avec ce type de commentaires :
- "Stig Dagerman qui crut en Sartre et Kafka se suicida." (Libre Belgique)
- "trouvant plus que dans le suicide l'occasion d'un dernier chef-d'œuvre" (Le Bulletin Paris)
- "le couronnement véritable de cette existence traquée qui fut la sienne, dévorée par une inquiétude sans remède" (Le Monde)
Certains critiques évoquent le suicide de l'auteur par rapport à celui du personnage :
- "l'auteur, lui, a réussi le sien à 31 ans" (Bulletin Bibliographique)
- "Stig Dagerman terminera L'Enfant brûlé par un double suicide manqué. Lui-même, six ans après avoir écrit cette œuvre d'une extraordinaire intensité, se donna la mort, à l'âge de 31 ans, en 1954" (Tribune de Lausanne)
- "Quant à l'auteur de ce livre (...) il a réussi son suicide" (Bulletin Critique du Livre français).
- "Cela fit un malheureux de moins, et une belle œuvre de plus, tout se paye" (H. et M.)

Seul l'article de Lettres Modernes cherche à élucider le motif des tentatives de suicide de Bengt en le liant à la relation entretenue par Bengt avec Gun, la maîtresse du père. Il analyse la relation malsaine avec Gun en termes d'obsession et d'envoûtement, sans parler explicitement d'inceste, terme que certains autres critiques associent à cette relation. Voici le résumé du livre qui en est fait : "Obsédé par le souvenir de sa mère, le fils en vient à identifier Gun à la morte, et sa jalousie même le conduit à renforcer cette identification et, en devenant l'amant de Gun, il se venge tout autant qu'il prend conscience de posséder sa mère. Cette obsession le poursuit encore après son propre mariage et, par désespoir de ne pouvoir rompre cet envoûtement il tentera de se suicider."

LE STYLE
L'évocation du style dans les articles met en avant l'aspect concis, rapide, avec des détails, une précision des descriptions, allant jusqu'à faire un parallèle avec le cinéma :
"L'Enfant brûlé est un livre étonnamment cinématographique. Si l'on devait étudier l'influence du cinéma sur la littérature, on trouverait dans ce roman un exemple typique de cette psychologie par images, dont le cinéma est indiscutablement le meilleur instrument." (L'Information). Le critique ajoute : "Cela tient sans doute au style bref, saccadé, fait de phrases très courtes et précises, qui permettent la juxtaposition immédiate de deux images sans lien apparent entre elles, mais qui est toute la richesse, parfois, du cinéma."

Michel Mohrt, dans Le Figaro littéraire, définit l'écriture de l'écrivain ainsi : "écriture précise, brève, linéaire parfois". Il rapproche également L'Enfant brûlé d'un autre roman, Le Voyeur de Robbe-Grillet : "Cette précision méticuleuse dans la description des objets et des mouvements, cette minutie appliquée, nous les avons récemment vus dans un roman français qui a fait quelque bruit. C'est la même lueur froide, également distribuée sur les visages et les choses : le même hiératisme des gestes. À mesure que nous avançons dans notre lecture, nous remarquons la réapparition obsédante de détails identiques."

Karin Dahl, dans son livre, fournit cette précision dont ne disposent pas les critiques : "Dans les langues nordiques, la brièveté peut quasiment être considéré comme un idéal d'écriture. L'expression suédoise kort och koncist (court et concis) témoigne de cette attitude : il s'agit de s'exprimer d'une façon condensée et sans trop de fioritures."

LE GENRE
Une majorité de critiques qualifient le roman de "réaliste" ; quant à Jean Mogin, le critique de L'Humanité, il se sent presque agressé par le livre, "victime d'une agression du néonaturalisme"...
Pour un autre, le livre est à mi-chemin "entre le contes de fées et le roman noir" (Bulletin Paris). Il est aussi considéré comme un "roman d'amour" ; ainsi François-Régis Bastide écrit-il : "Qu'un romancier, à notre époque, ait réussi à écrire à la fois un 'roman du langage' et un 'roman d'amour' me paraît tout à fait exceptionnel. Puissent, de même, pour une fois, les deux publics, se rejoindre.".
On trouve les termes de "drame", "tragédie de la pureté" ou encore "épopée" : "Malgré son atmosphère lourde et âpre, sa sordide amertume existentielle où l'on peut reconnaître la marque de Sartre et de Kafka il se dégage du roman de Stig Dagerman un climat que nous pourrions qualifier d'épique. De l'épopée, nous retrouvons en effet cette qualité unique et pour ainsi dire cette force d'archétype que possèdent tous les personnages. Chacun est représentatif d'une entité déterminée, presque abstraite en dépit du cruel réalisme des descriptions" (Tribune de Lausanne).

LES COTES D'AMOUR
La plupart des articles sont favorables, tout en exprimant des réserves, par exemple :
"Ce roman, tout traversé d'obsessions, de retours, de rappels et de réponses qui tissent la trame inextricable d'une signification supérieure et qui touche à l'universel est marqué par une lourde angoisse, par un sauvage affolement devant la vie. Il y règne une indicible nausée." (Tribune de Lausanne)

Le lecteur reçoit des avertissements, par exemple de L'Humanité, qui est le plus vache : "Le souverain ennui qui règne dans les premiers chapitres de L'Enfant brûlé, risque de décourager le lecteur nerveux. Poussé par je ne sais quel avertissement, j'ai poursuivi au-delà de la description des funérailles d'une ménagère arrachée à un foyer citadin de Suède. Je n'avais ressenti qu'une morne indifférence pour le mari de la défunte, homme mûr au chagrin mesuré".

Louis-Chevrillon mentionne carrément dans Études l'"immoralité" du roman et estime que le lire constitue une menace pour "les lecteurs déséquilibrés". Notes Bibliographiques prévient à propos du livre : "L'atmosphère en est malsaine, et le sujet tout à fait immoral. À déconseiller". La Libre Belgique conclut : "Pour lecteurs très avertis"...



Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !


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