Celui qui va vers elle ne revient pas
de Shulem Deen, trad. de l'anglais ((États-Unis) Karine Reignier-Guerre, 480 p.

Le texte en anglais
est en ligne ICI

Quatrième de couverture :

Shulem Deen a été élevé dans l’idée qu’il est dangereux de poser des questions. Membre des skver, l’une des communautés hassidiques les plus extrêmes des États-Unis, il ne connaissait rien du monde extérieur, si ce n’est qu’il fallait l’éviter. Il alluma un jour un poste de radio- première transgression. Puis il entra dans une bibliothèque, découvrit Internet, et son système de croyances fut ébranlé à jamais. Il fut exclu pour hérésie par sa communauté. Il nous raconte ce douloureux processus d’émancipation et nous dévoile un monde clos et mystérieux.

Né en 1974, Shulem Deen travaille à Brooklyn, loin de ses cinq enfants. Il anime un blog qui recueille les questions d’autres Juifs hassidiques et écrit pour The Forward, Tablet et Salon. Il a reçu le National Jewish Book Award pour son premier ouvrage Celui qui va vers elle ne revient pas.

Il n'y a pas de table des matières dans le livre :
- Première partie p. 12 : 9 chapitres
(1-9)
- Deuxième partie p. 173 : 6 chapitres (10-15)
- Troisième partie p. 297 : 7 chapitres (16-22)
- Quatrième partie p. 389 : 5 chapitres (23-26 et épilogue)


éd. Globe, 2017, 416 p.


All Who Go Do Not,
Graywolf Press, 2015, 320 p. - Prix 2015 National Jewish Book Award

Shulem Deen (né en 1974)
Celui qui va vers elle ne revient pas
(2015, trad. en français en 2017)

Nous avons lu ce livre en mars 2021. Les échanges ont eu lieu à distance.

Autour du livre
Quelques repères
Radio-Télé
Articles et interviews
L'éditrice
Prix
La traductrice
Le look hassidique

Nos 25 cotes d'amour
  •Chantal •CindyClaireÉdith FannyFrançoiseManuel
Muriel NathalieRenéeRozenn
Yolaine
Entre etLaura
 •Anne-SophieCatherineGeneviève
Entre et BrigitteDanièle
Annick LDenisJeanMonique LSéverineSuzanne
 Jacqueline

Catherine(avis transmis)
Ce livre m'a beaucoup intéressée. Je croyais connaître l'univers hassidique via des films et récemment la série Netflix Unorthodox, mais l'univers dans lequel a vécu Shulem Deen est encore plus extrême ; la vie de cette communauté, totalement ou presque coupée du monde "normal", à l'écart des moyens de communication, de l'actualité, l'enseignement (des garçons uniquement bien sûr) dévolu uniquement à l'étude des textes sacrés, la langue anglaise et les rudiments des mathématiques, de l'histoire, des sciences... n'en faisant pas du tout partie, l'absence de contrôle des naissances, l'asservissement des femmes... C'est assez effrayant au bout du compte.
Il s'agit d'un récit ou d'un témoignage plus que d'un roman pour moi, il me semble qu'ici le narrateur et l'auteur se confondent presque, mais je ne me suis pas vraiment documentée. La lecture n'est pas toujours aisée pour quelqu'un qui n'est pas familier de cette religion et du yiddish..., mais je pense que c'est une volonté de l'auteur et peut-être de la traductrice de nous immerger dans cet univers et, de ce point de vue, j'ai trouvé ça assez réussi.
Je n'ai pas grand chose à dire sur l'écriture ; j'ai quand même trouvé le livre un peu long, mais cette longueur reflète aussi tout le cheminement et les difficultés du narrateur pour se défaire de ses croyances, quitter sa famille et le monde dans lequel il vit.
Je l'ouvre aux ¾, je ne regrette pas de l'avoir lu.
Anne-Sophie(avis transmis)
Passionnant ! J'ai apprécié ce livre comme un documentaire qui ouvre les yeux sur un recoin du monde dont j'ignorais quasi tout. En plein dans ma zone d'inculture totale. Incroyable, effrayant, de découvrir l'existence de ces sectes fermées, installées au milieu de la civilisation, et au plus près de son pouls battant.
Des amies m'ont parlé au même moment de la courte série Unorthodox, traitant du même sujet mais vu du côté féminin. Intéressant de voir le film en parallèle de la lecture, les deux se répondent. Le film pour mettre plus précisément en images les rituels (les téfilines, le shtreimel…) découverts d'abord sur Internet. Et le livre pour préciser le contexte - la scène introductive de la série, avec la rupture de l'érouv qui bloque la sortie de l'héroïne, aurait été pour moi incompréhensible sans le livre.
Pour revenir à ce dernier, la dernière partie m'a beaucoup touchée, la rupture cruelle imposée avec les enfants, et aussi le passage sur les "expériences paroxystiques" que Shulem cherche à retrouver, comme le dernier point d'attachement à la communauté hassidique. Résonance étrange avec notre vie d'aujourd'hui. Le manque qui nous étreint de l'intensité de ces moments de communion avec le groupe, que chacun peut trouver là où il veut selon ses goûts. ¾ ouvert.
Nathalie (avis transmis)
Diable, comme il est chou sans ses papillotes mon petit hassidique ! Ce sera la première remarque que je ferai après l'avoir regardé (et écouté) évoquer de nouveau son parcours sur une radio locale (RCJ). Comme il est craquant ! Comme il a l'air doux à croquer !
Bon, il a de grandes dents aussi ! Ça lui retire un peu de son charme et ça lui donne aussi un petit air de loup auquel il ne faudrait pas se frotter. En même temps, je me dis qu'il faut sûrement un sacré caractère ou une sacrée force de caractère pour se sortir d'un tel lavage de cerveau.
Ça m'interpelle régulièrement, cette idée ! En quoi, ce que l'on est devenu relève de notre propre volonté, en quoi n'est-ce que le résultat de ce bain dans lequel nous avons été plongé.es. Dès notre plus tendre enfance ? Quelle liberté de pensée avant nous vraiment ? Qu'est-ce qui relève de notre propre ressort ? Ai-je déjà utilisé ma propre force un jour pour lutter contre les préjugés du groupe auquel j'appartiens ?
Quoi qu'il en soit, j'ai adoré ce bouquin. Je l'ai lu avec passion et enthousiasme au moins sur les trois premières parties. J'étais dans le bain, et j'y étais bien au chaud, avec une joie féroce. C'est bien écrit, le récit est construit de façon très intéressante, c'est précis, bien visuel ! Ça fonctionne très bien. La seule chose que j'avais du mal à réaliser c'était sa "jeunesse" ! Il parle comme un homme adulte alors qu'en vérité, c'est un gamin. Quand il part, il commence à peine sa trentaine. J'ai souvent ri à la lecture de certaines anecdotes (mais je n'ai pas pris de notes). C'était un rendez-vous de lecture très joyeux !
J'aime tout ce qui est juif. Tout. J'aime la culture arabe, mais pas autant. J'aime cette idée de (c'est moi qui souligne volontairement) communauté, j'aime cette idée de durée dans le temps, cette sensation que me procurerait le fait d'appartenir au peuple élu. J'en aime les rituels rassurants, la fraternité, la sororité. Tout ce qui fait cruellement défaut à la société contemporaine dans laquelle je vis. J'ai eu la chance de suivre une formation universitaire sur la langue et l'histoire d'Israël à Montpellier et l'un des professeurs qui animaient ce cursus était un type vraiment incroyable qui savait vraiment y faire. Il rendait ses cours passionnants et j'en étais arrivée à vouloir me convertir (si... si...). J'étais obsédée par ce projet. Je ne pensais qu'à une chose : me rendre en Israël et surtout j'avais l'impression qu'il y avait en moi quelque chose qui me rattachait à eux.
Au fur et à mesure de ma lecture, j'ajouterai que finalement, contrairement à ce que j'avais cru dans un premier temps, je pense que c'est bien un livre pour le groupe de lecture et qu'il ouvrira les débats. Car, même si en postface, l'auteur précise bien que si l'on a tous une histoire à raconter, il est rare qu'on en soit "les seuls protagonistes" et que "nous sommes souvent enclins à ne voir que ce que nous voulons voir", j'avoue qu'assez rapidement, le peu de place que le narrateur a accordée à Gitty et le portrait qu'il en a fait m'ont souvent agacée. Ce serait bien qu'on sache un peu ce qu'elle en a pensé elle, du virage à 180 degrés de son homme, la pauvre qui "aurait l'impression d'être nue si elle n'était pas enceinte ou en train de manœuvrer une poussette" p. 255 (sic). C'est sur le rapport qu'il entretient avec elle que j'ai grincé des dents et que le livre a soudain pris une couleur qui m'intéressait moins. J'ai eu l'impression qu'il n'était quand même pas très présent à la maison et que souvent, quand il rentrait, elle était déjà couchée ! Je me trompe ? Il en brosse un portrait tellement coincé que j'ai eu envie d'aller chercher à quoi elle ressemblait, mais je n'ai rien trouvé. Peut-être que Claire y remédiera-t-elle ?
Bref, j'avais beau ne pas confondre auteur et narrateur, je me suis un peu étouffée par moments et j'avais envie de lui rentrer dedans.
Il me tarde de savoir ce que vous en pensez ! Mais moi, j'ouvre en grand !
Katell (avis transmis)
C'est certainement un des livres qui m'a le plus marquée ces dernières années. Je l'ai lu en 2019, avec un autre petit groupe d'amies. Et ça été une révélation. Depuis quelques temps, la fiction avait du mal à me captiver : je trouvais les situations déjà vues, convenues, les livres me tombaient des mains. Est-ce parce que j'avais déjà beaucoup lu ?
Je ne me souviens plus comment nous avons découvert ce livre (un article dans Le Monde ?). Mais j'ai été captivée. Cet homme de ma génération, aussi ignorant de tout, cette façon de vivre. La transgression et les dernières pages poignantes où il perd tout. Ce microcosme à côté de la mégalopole new-yorkaise, ces hommes qui ne parlent pas anglais, occupés à étudier la Torah, ces familles qui vivent de l'aide sociale et des bons alimentaires... Ce sont quelques uns des éléments que j'ai retenu de ma lecture il y a déjà deux ans.
C'est un livre que je recommande et que j'offre et à chaque fois, les gens sont enchantés par cette découverte.
Je suis curieuse de découvrir ce que la traductrice a dit à Claire.
Peut-être aussi certaines (ains) d'entre vous ont vu la mini-série Unorthodox sur Neftlix ?
J'ouvre en grand.
Danièle entre et (avis transmis)
J'ai appris, à contrecœur, beaucoup de choses sur les Juifs ultra-orthodoxes dans ce livre. Pourquoi à contrecœur ? Dès le début du roman, je me suis senti plonger dans un univers qu'il ne me plaisait pas d'aborder, un univers étouffant et souvent ridicule avec ses interdits rituels, ses coutumes ancestrales et intangibles, sa vision du monde figée et hors du temps. Comme je n'avais pas voulu lire la quatrième de couverture, je ne savais pas si j'avais affaire à un documentaire nostalgique de cette religion et de ses rites. J'ai esquissé un premier sourire à la lecture de la nuit de noces. J'ai compris alors que notre narrateur n'allait pas longtemps faire l'apologie d'un tel système. Il lui a fallu bien du courage et de l'audace pour briser les tabous et chercher à découvrir par lui-même le monde extérieur, jusqu'à accepter, la mort dans l'âme, de se séparer de ses enfants. Les instruments dont il s'est servi pour s'émanciper sont avant tout Internet et les réseaux sociaux, dont, curieusement, nous commençons à voir maintenant les dangers : délations anonymes, fake news, incitation à la haine raciale... Mais apparemment l'auteur a bien montré les deux versants de ces outils de communication, conçus pour le meilleur et pour le pire, comme la langue d'Ésope.
La manipulation par les adultes de jeunes enfants que l'on fanatise n'existe pas que chez les Juifs ultra-orthodoxes. Je connais aussi des adultes qui sont passés par les Jeunesses communistes et ne veulent plus en entendre parler, de catholiques qui ne veulent plus mettre un pied dans une église. Mais là, les frontières du supportable sont vraiment dépassées, car elles concernent la vie intime de toute une société plongée dans l'arbitraire jusque dans les moindres détails. Je viens de lire dans un article de L'Obs, que la directrice d'un centre ultra-orthodoxe pratiquait sur les jeunes filles des sévices sexuels sous couvert d'apprentissage de la sexualité. On sait aussi ce qu'il en est de l'Église catholique, où les jeunes ne peuvent pas imaginer que, sous couvert d'autorité bienveillante, les adultes utilisent leur pouvoir à leurs propres fins. J'ai donc oscillé, pendant tout le temps de la lecture, entre la critique ciblée de la pratique juive ultra-orthodoxe et la critique universelle de toute institution religieuse ou des systèmes politiques dictatoriaux qui veulent votre bien.
Et pourtant, l'auteur le montre bien, il reste toujours une nostalgie de ces moments où l'on se sentait bien ensemble à danser, chanter ou prier. Par exemple aussi, il ne peut se résoudre à se débarrasser des vêtements qu'il portait au temps de sa foi. Tout en voulant changer de look et de mentalité, il cherche le soutien des anciens membres de sectes orthodoxes, qui sont passés par les mêmes épreuves mais aussi par les mêmes sentiments d'appartenance. Ils se mettent à former une communauté basée sur l'appartenance à la judéité, malgré leur perte de la foi.
Cette perte de la foi est d'ailleurs très bien décrite, comme un gouffre qui s'entrouvre vers le vide, même si, au-delà, l'horizon paraît plus lumineux et semble mener vers la liberté. L'auteur pose assez subtilement les bases de la réflexion sur la liberté et la tolérance, laissant à chacun le soin de voir comment il envisage de gérer les situations qui en découlent, avec les sacrifices et la souffrance qui les accompagnent.
Concernant la biographie de l'auteur, je me suis demandé comment il pouvait encore admirer son père qui l'avait poussé dans cette communauté hassidique alors que lui-même semblait plus ouvert d'esprit et n'en faisait pas partie.
Ce livre est à mon avis plus un témoignage comme support de discussion qu'une œuvre de littérature. Je l'ouvre entre demi et ¾.
Fanny(avis transmis)
J'ai dévoré le livre. J'ai été choquée bien sûr, mais pas étonnée par ce récit d'un système autoritariste qui nie les libertés individuelles, mais même au-delà, je trouve, l'existence même de chacun dans sa singularité. Pendant le premier confinement, j'avais regardé la mini-série Unorthodox, c'est un peu le pendant dans une version féminine, inspirée d'une histoire vraie.
J'ai été frappée tout au long de la lecture par ce décalage entre cette micro-société repliée sur elle-même et le reste du monde à quelques rues de là. Les repères temporels figurent régulièrement et m'ont permis à chaque fois de me rappeler la temporalité du récit. Je suis de la même génération que l'auteur, quel décalage dans le rapport à la culture, aux médias, aux sorties. J'ai été très touchée par la scène où il regarde des films en cachette avec son ami, et comment, à plus de 20 ans, Beethoven prend un caractère transgressif.
Je trouve le récit bien écrit, poignant, direct mais sans en ajouter au pathos, ce n'est pas nécessaire d'ailleurs, au vu du contenu, notamment lorsqu'il perd le lien avec ses enfants.
Enfin j'ai été sensible à la modération des propos de l'auteur, telle qu'il l'exprime d'ailleurs dans l'épilogue. Il prend soin de n'accabler personne et souligne que son point de vue n'est pas univoque ; j'ai beaucoup apprécié le respect qu'il témoigne malgré tout à son ex-épouse, je pense que tout le monde n'est pas capable d'une telle modération, d'autant plus avec le prix que ce départ de la communauté lui a coûté.
Je partagerai très volontiers ce récit avec mes proches. Merci pour cette riche découverte. J'ouvre en grand.
Bel échange à vous en attendant de vous lire (question au passage : les avis vont-ils être unanimes et si oui, est-ce un livre pour le groupe de lecture ?...)
Denis
J'ai eu un certain plaisir à le lire, mais je ne le trouve pas très intéressant. L'auteur est bien sympathique et touchant, et j'ai volontiers joué le jeu du petit suspense "comment va-t-il arriver à s'en sortir ?" Ses affres sont assez bien rendues, et le livre est un hommage à l'internet libérateur. De ce point de vue, il serait intéressant de chercher s'il existe d'autres exemples de "sortie de secte" grâce aux blogs ou forums de discussion.
Mais j'ai regretté de ne rien apprendre (ou presque) sur cette communauté stupéfiante, ni son histoire, ni ses relations avec les autres communautés, ni sa théologie. La dimension politique n'est qu'à peine évoquée, alors que des communautés similaires jouent un rôle important aussi bien dans la politique américaine qu'israélienne. C'est par Wikipédia que j'ai eu quelques informations sur le hassidisme (l'article est très étoffé). J'ai également pensé au film Kadosh, d'Amos Gitaï (1999), qui montre bien les contraintes des rituels traditionnels et les conflits qu'ils engendrent pour les jeunes qui veulent se tourner vers la modernité. J'avais beaucoup aimé La famille Moskat de Bashevis Singer, très intéressante fresque sur le sionisme, les émigrants, les disputes entre dynasties rabbiniques, etc. Ce fonds culturel manque dans Celui qui... J'admets que ce besoin de relier l'œuvre à son contexte culturel ou historique est un biais personnel, mais cela me semble justifié quand l'œuvre a le caractère d'un témoignage. En outre, l'écriture est plutôt plate, sans relief ni style autre que le journal intime. C'est très répétitif, on pourrait bien le raccourcir d'un tiers.
Je pense qu'il y a quand même largement de quoi discuter et que c'est un bon livre pour le groupe lecture!
Au total, j'ouvre à moitié.
Annick L
Mon avis est assez proche de celui de Denis. Ce témoignage m'a beaucoup intéressée, en particulier à la fin, avec ce parcours douloureux d'émancipation et le prix terrible à payer (séparation d'avec ses enfants). Shulem Deen n'est jamais vindicatif, s'efforçant de présenter le point de vue de ceux qui, pourtant, l'ont fait souffrir et il conserve le souvenir des aspects positifs de sa vie dans cette communauté unie par la foi et les habitudes. Certaines scènes sont même racontées avec humour.
Ce récit m'a fait penser au film Les Éblouis - dans une secte catholique cette fois - qui laisse bien voir ce qui peut séduire et rassurer des personnes en quête de sens, à travers cette existence au sein d'un "cocon" communautaire.
Shulem Deen montre bien, toutefois, à quel point cette existence est une forme de régression choquante, non seulement par rapport à notre mode de vie contemporain (pauvreté, rusticité archaïque), mais aussi sur le plan moral (hypocrisie, obscurantisme, privation de toute forme de liberté de pensée) et en matière d'éducation (réduite à un minimum d'apprentissages fondamentaux, soumise à des maîtres brutaux et ignares, condamnant les filles à un statut mineur). À bas les fanatismes religieux !
J'ouvre à moitié pour la découverte de cette culture si particulière. C'est étonnant, dépaysant, assez touchant, grâce au regard sensible porté par l'auteur-narrateur. Mais le récit lui-même, bien mené, n'a rien de remarquable.
Monique L
J'ai lu ce livre comme un témoignage et non comme ne œuvre littéraire même si je n'ai rien à dire contre le style.
C'est la description d'une communau
té avec ses lois, ses coutumes qui m'est complètement étrangère et j'ai en partie lu ce livre comme la découverte d'un monde éloigné et étrange. Je n'ai pas appris grand chose mais ce qui m'a surprise, c'est que cela se passe près de New-York.
Ce qui est intéressant c'est la description de la sortie de Shulem de cette "secte".
Cela m'a fait réfléchir à l'éducation que l'on donne aux enfants en fonction de ses propres croyances et dans le but de les rendre conformes à la société qui les entoure. Dans le cas de cet ouvrage, c'est extrêmement violent mais cela reste une question très réelle.
Une autre question posée est le besoin rassurant d'appartenir à un groupe.
J'ai trouvé ce témoignage très émouvant car la douleur de l'auteur malgré sa détermination est palpable.
L'émancipation par la culture est revigorante.
J'ai apprécié la recherche d'honnêteté de l'auteur face à lui-même et face aux autres.
J'ouvre à moitié.
Claire
Je me suis demandé pourquoi Françoise qui a proposé ce livre avait dit que c'était un essai. Il est vrai qu'il a eu le prix Médicis essai.
Pour moi, comme je n'ai pas regardé la quatrième de couverture, je l'ai considéré d'abord comme un roman. Après, cessant d'être naïve, je me rends à l'évidence, ce n'est pas une œuvre d'imagination (mais ce n'est pas visible tout de suite). Donc, c'est un livre autobiographique, un reportage sur sa vie, une autofiction (d'ailleurs dans une interview il dit "c'est ce que vous appelez autofiction"). Quel que soit le genre, c'est pour moi une œuvre littéraire - comme Annie Ernaux. L'étiquette non-fiction n'est-elle pas la meilleure ? J'ai trouvé intéressante l'interview de l'éditrice de Globe qui ne publie que ça. La lecture parallèle de L'idée de littérature m'a confortée - dans l'idée… justement, ou plutôt dans l'affirmation - qu'il s'agit bien de littérature. Bon d'accord, je ne parle pas du livre… : je l'ai ÉNORMÉMENT aimé. Ce n'est pas une fable, c'est une tragédie. C'est un livre initiatique, pour le héros comme pour le lecteur.
J'ai aimé le mélange narration/documentaire, avec parfois de mini-exposés courts et éclairants, par exemple l'origine du hassidisme.
J'ai été étonnée à répétition : par exemple les nouvelles du monde, telles que l'invasion du Koweit par Saddam Hussein, arrivent "par des moyens démodés (…) en même temps que les plats de farfel ou de kugel de nouilles", les rôles attribués : "Gitty et moi devrions désormais 'jouer au papa et à la maman'". Le combat avec la femme est terrible, devient sanglant.
Le récit de l'émancipation est génial, grâce au savoir, grâce à la bibliothèque, grâce à l'autoformation sur ordinateur (merci Saint Internet !) et grâce au fait d'avoir un travail ("je me sentais un homme pour la première fois de ma vie"). La conquête de la liberté est une aventure passionnante.
Il y a des moments où l'émotion était là : la naissance de l'enfant est une merveille, la découverte du mensonge salvateur par lequel passer, la perte de la foi qui est un vrai deuil ("ivre de chagrin, en deuil de la foi perdu") l'arrachement des enfants qui s'éloignent c'est poignant. Il y a des moments drôles, par exemple quand il sollicite l'autorisation d'un moyen de contraception de la part du rabbin : "'le problème du gel, c'est qu'il peut gâcher l'ambiance. Vous voyez ce que je veux dire ?' Les Grands Sages de Jérusalem accrochés au-dessus de la tête du rabbin, me regardaient d'un air grave" : c'est un humour particulier, discret, fait de la juxtaposition d'éléments hétérogènes.
J'ai apprécié la distance, une espèce de bienveillance, toujours tenue, par rapport aux êtres parfois vraiment détestables qu'il mentionne.
Mais pour moi, ce qui fait tenir l'intérêt tout au long de ce gros livre, et c'est en cela qu'il est pour moi une œuvre littéraire, c'est l'art de narrer, de tenir en haleine, grâce à la composition du récit. Ça commence par un super flashback créant le suspense, il y a aussi un flashforward (frimeuse !) pas mal (un coup de théâtre narratif "que vous est-il arrivé ?" Telle est la question que me poseraient, bien plus tard, les inconnus qui demanderaient à voir ma pièce d'identité"), il y a aussi d'autres flashbacks quand on retourne au Canada et à ses parents lorsqu'il a 13 ans.
Le livre raconte aussi, discrètement, l'histoire d'une vocation littéraire (plus développée p. 307 à 311). Je suis sensible au travail de la langue tenue, qui se lâche rarement pour le plaisir de la comparaison quand il évoque l'état de sa foi "telle une tasse en porcelaine qu'on a brisée, patiemment recollée et prudemment remise en service".
La fin est très émouvante, douloureuse et frustrante.
C'est pour moi un grand livre, marquant, que j'ouvre en grand.

Denis
J'aimerais bien avoir lu le livre que tu as lu...
Manuel
Ce livre est essentiel. Je découvre que les schismes n'existent pas seulement dans les religions chrétienne et musulmane, mais aussi dans la religion juive avec ses mouvements plus ou moins radicaux, ses dynasties de rabbins. Contrairement à Denis, je ne suis pas intéressé par les origines de l'hassidisme, ce n'est pas le projet de Shulem Deen. Je ne suis pas du tout intéressé par les coutumes ou les superstitions.
Son projet est de décrire son éveil, la perte de sa foi et dénonce le fanatisme. Je cite p. 302 :

Le zèle compense la peur. L'instructeur pousse le soldat au déchaînement patriotique avant la bataille - comment, sinon, pourrait-il affronter la peur de la mort ? Le fanatique religieux qui hurle, frappe et tue n'est peut-être pas celui dont la foi est la plus solide, mais celui qui craint tant les remises en question, qui a conscience du caractère changeant de ses convictions qu'il n'a pas d'autre choix que de les renforcer en usant du roulement de tambour d'un fanatisme irréfléchi.

Comme Claire, j'ai aimé la construction littéraire de son récit (cf. sous-titre de la couverture).
Son éveil commence dans une médiathèque, puis la télévision et enfin Internet. Les librairies sont en effet un bien nécessaire.
Le livre donne une autre lecture de la permissivité de la société américaine, avec cette communauté coupée du monde, où des gens installés depuis toujours ne parlent pas anglais mais seulement yiddish. Les hommes passent dix voire vingt ans à étudier la Thora et le Talmud. Des juges sont soudoyés. "Nous avons les moyens de le détruire, affectivement et financièrement". Je n'ai pas été ému par la fin mais outré : on prive un père de famille de voir ses propos enfants. Je n'ai pas envie de connaître Gitty qui fait un choix pour ses enfants.
Je connais bien New York et je revois le magasin de photo B&H qui est tenu par des orthodoxes. Tous les vendeurs ont des papillotes et sont habillés en noir. En lisant ce récit, je me figure leur quotidien. La violence de l'éducation m'a rappelé Riad Sattouf.
Comme Claire, j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup d'humour. Par exemple la première fois où il fait l'amour avec sa femme. Shulem Deen "associe ces premières nuits d'intimité conjugale à ce que nous endurons tous lorsque nous devons monter un meuble préfabriqué : on a beau lire les instructions, vérifier, la forme des pièces et la manière dont elles doivent être agencées, l'ensemble nous résiste", ou bien lorsqu'il cherche à boire et rentre dans un bar gay. Toutes les scènes à New York sont très réussies.
Je n'ai pas trouvé du tout le style plat, c'est truculent, j'ai eu un vrai plaisir de lecture, avec ces allers-retours, le long flash-back, et plusieurs passages très réussis : le père, les conflits avec Gitty, les enfants, son entretien avec Bloomberg par exemple - ah bon il s'intéresse à moi - pour moi, ça appartient à la littérature, c'est aussi cinématographique et pourrait facilement être adapté au cinéma. J'ai pensé à Americanah où le blog de l'héroïne joue aussi un rôle important.
Ce serait bien que ce livre soit lu dans les écoles. J'aime les récits de transfuge de classe, et c'en est un. J'ai ADORÉ, c'est un livre nécessaire, j'ouvre en grand.
Muriel
Schema Israël Adonaï Elohei Nou !
J'ai été embauchée pendant 25 ans pour chanter pour les fêtes juives à la Mutualité (Yom Kippour et Roch Hachana), le tout en hébreu, mais pas chez les orthodoxes, au MJLF (Mouvement juif libéral de France) où Delphine Horvilleur est rabbine. Je ne suis pas juive, mon grand-père l'était, et j'ai chanté pour toutes les religions professionnellement... Bref. Ce livre m'a énormément plu.
L'histoire de ce type qui arrive à sortir de cette ambiance éprouvante, cette folie ! Comment y arrive-t-il ? Ses parents étaient hippies, ce qui explique peut-être quelque chose dans cette fuite loin de ces fous - folie dont il y a maints exemples : ces mascots par exemple qui ne doivent pas être faits à la machine mais à la maison. Cela fait réfléchir au bourrage de crâne : ça me fait penser à ces adultes mariés à une personne de leur sexe qui se rappellent que leurs parents les emmenaient aux manifs contre le mariage pour tous. Le fait qu'ils ne parlent pas anglais à trois quarts d'heure de New York est sidérant.
J'admire ce type qui perd tout, il n'a plus rien, c'est très impressionnant. Il voit ses enfants 6 fois par an ; le mec qui lui annonce est à tuer. Et sa femme, je ne me serais pas gênée...
Le style, bon, n'est pas extraordinaire, la fin est un peu en queue de poisson. Mais j'ai été tellement accrochée ! J'ouvre en grand bien sûr.
Brigitte, entre et
Ce n'est pas un roman, mais un témoignage. Je ne connaissais rien de l'auteur ni du livre.
J'ai d'emblée apprécié le premier chapitre, le second m'a paru sans intérêt, et j'ai failli abandonner; puis, j'ai enfin compris de quoi il s'agissait. A partir de là, j'ai été captivée par la description des mœurs de cette communauté de juifs hassidiques intégristes, qui, au XXIe siècle en plein New York, vivent comme on vivait au Moyen Orient, il y a plus de 2000 ans. Tout est impressionnant : l'ingérence des rabbins dans la vie intime de chacun, le refus de parler anglais, l'enseignement de la Torah comme unique programme scolaire… et tout paraît vrai.
Je n'en revenais pas que ce genre de communauté existe. L'écriture est simple, l'organisation des divers chapitres permet de soutenir l'intérêt.
Merci au groupe de m'avoir fait découvrir ce monde incroyable.
J'ouvre entre ½ et ¾.
Rozenn
J'ouvre en très grand, plus qu'en entier. Et pourtant je l'ai donné à lire à une amie qui me dit j'arrête à la moitié, qu'elle s'ennuie.

Françoise et Claire, surenchérissant
Arrête cette fréquentation… ça peut pas être une amie… tu renonces à cette amitié non mais !

Rozenn
J'ai regardé la série Unorthodox
et j'ai lu le bouquin : ça n'a rien à voir ; elle chante admirablement, mais les portes sont ouvertes pour elle, le livre est bien plus intéressant.
Après, j'ai lu Les déserteurs de Dieu, je ne suis pas arrivée aux témoignages car je suis partie sur autre chose, mais c'est un thème qui me fascine.
Denis, je ne comprends pas quand tu dis qu'on n'a pas assez d'explication : on vit avec eux, au milieu d'eux, on voit tout l'absurde de leur façon de vivre, coincée dans des règles, des interdits, des contraintes. Le moment qui m'a le plus frappée, c'est quand il doit remplir un CV : il n'a rien fait, pas d'école, pas de travail. Il n'y a pas d'école ou c'est une fausse école : vive la laïcité à la française ! Vive l'école obligatoire ! Toutes les religions fanatiques mènent à ça, c'est une question actuelle.
Si ce livre m'a plu, c'est parce qu'il est bien écrit, qu'il est bien construit. Il y a beaucoup d'humour, et beaucoup de tendresse (moi je serais en colère contre cette épouse obtuse...)
Justement je m'intéresse en ce moment à l'étude des sorties de groupe ; Hirschman distingue trois possibilités : exit, voice, loyauty (la sortie tu fuis, l'interpellation tu prends la parole ou la loyauté tu restes par soumission).
Seule la littérature peut faire sentir : c'est finement qu'on suit son cheminement, on va en avant, puis on revient en arrière pour mieux comprendre. C'est un livre remarquablement subtil. Je suis emballée. Je dis à tout le monde de lire ce livre très actuel ; je me suis pincée pour me dire que c'est maintenant que ça se passe.
J'ai relu Le lys de Brooklyn qui raconte la vie d'une petite fille irlandaise pauvre à New York - c'était ma vision de New York - eh bien alors que ça se passe en 1945 la vie y est bien plus moderne que dans le livre de Shulem Deen qui se passe récemment. J'ai adoré ce livre. Je le trouve très vrai ; c'est un livre important. J'ai envie de le relire tout de suite.
Renée (qui porte un couvre-chef car elle s'est rasée pour être dans l'ambiance du livre...)
Le livre me semble plus nécessaire que littéraire. C'est vrai qu'il faudrait le faire lire dans les écoles.
J'ai trouvé l'écriture assez froide, c'est l'écriture qui ne m'a pas emballée, je me suis intéressée à ce qui se passait. Je savais que le créationnisme se développait, mais j'ignorais qu'il pouvait y avoir un tel obscurantisme.
C'est un peu plat. J'ai eu du mal à avoir de l'empathie pour ce personnage qui décrit de façon un peu mécanique. J'ai eu peu d'émotions, sauf par rapport aux enfants.
C'est un inadapté social : ce genre de secte crée des inadaptés de la vie
La nuit de noces où il téléphone au rebbe, il aurait pu en faire une scène cocasse, mais c'est d'une tristesse...

Manuel
Moi ça m'a fait rire.

Renée
J'ai cherché l'humour.

Muriel
On ne lui a rien appris, il ne bande pas…

Renée
Il faudrait qu'on aille leur offrir Le zizi sexuel que nos enfants ont lu à 8 ans.

Claire
Tu "l'ouvres" comment finalement ?

Renée
J'ouvre ce livre complètement.

Annick, étonnée
Ah quand même…

Renée
Oui, car c'est un livre nécessaire, j'en parle à tout le monde. Il faut le lire. J'ajoute que l'on ne parle dans les médias que du "bourrage de crâne" des sectes ou des musulmans intégristes mais ces communautés sont aussi destructrices pour leurs membres. Heureusement, ils font moins de prosélytisme.

Jacqueline
Ce livre m'a énormément pesé et je l'aurais laissé tomber sans le groupe.
Il m'a rappelé un livre sur les Amish que je n'ai pas retrouvé où l'héroïne part de sa communauté : c'était peut-être plus facile pour elle, car, chez les Amish, il y a une période ritualisée au cours de l'éducation, où l'on va dans la vie normale. J'étais, moi aussi, frappée par cette capacité américaine à accueillir des communautés au mode de vie très particulier et le livre me laissait sur mon envie de comprendre.
C'est un témoignage et, en tant que témoignage, malheureusement dépendant de celui qui le fait et du regard que je porte sur lui : ce garçon, tout ce qu'il raconte, c'est factuel. Il dira qu'il ne porte pas de jugement. Il se borne à donner le regard de l'enfant qu'il a été et qui s'est trouvé projeté là-dedans. Le regard rétrospectif de l'adulte m'a manqué. On ne sait pas grand-chose de ses parents, à part qu'ils ont été hippies - ce qui suscite l'intérêt - il est orphelin de ce père qui faisait la liaison entre deux mondes (extérieur et intérieur). Il va chez les Skver parce que les études sont plus faciles ; ses parents l'ont laissé faire ; il semble passif. J'aurais aimé en savoir plus sur lui, sur ses parents, sur son trajet, alors qu'on en reste au concret, au factuel Je suis contente que Claire ait mis des photos sur le site (papillotes, etc.), car il parle de choses sans qu'on sache ce que c'est, de même pour les plats dont les nombreux noms sont cités : je me suis demandé à qui ce livre s'adressait.
J'ai aimé, c'est très bien vu, la venue du rabbin et les cérémonies où, enfant, il est subjugué, où chacun a son rôle pour recevoir le rebbe et où on essaie de le convaincre de céder son rôle pour être celui qui gardera la Bible utilisée par le grand rebbe. L'ensemble m'a évoqué le décorum des cérémonies religieuses de la restauration vues par Julien Sorel.
Sur Internet, je n'ai qu'en partie trouvé l'histoire du fondateur de New Square, Twersky, qui descend d'une dynastie rabbinique de Twersky remontant au grand rabbin de Tchernobyl, et qui après la seconde guerre mondiale, séjourne en Roumanie avant d'émigrer à New York.

Françoise
T'"ouvres" comment Jacqueline ?

Jacqueline
Il s'en est quand même bien sorti et reste plus ou moins dans une communauté juive (son livre a eu un prix 'juif" d'ailleurs) où il joue le rôle de passeur comme son père.

Claire
Il a quand même perdu la foi.
Jacqueline
Pour ça, ça paraît l'inverse de son père, mais il se veut, comme lui, un passeur entre deux modes de vie...
Je ferme car je n'ai pas réussi à m'intéresser à cette histoire sauf à chercher ce qui n'était pas dit dans le livre.

Muriel, commentant les moues et onomatopées sidérées
Stupéfaction dans l'auditoire !

Jacqueline
Je pourrais l'ouvrir un petit quart pour les questions qu'il me posait.

Plusieurs
Te force pas !...
Laura entreet
Quand je lis un récit de ce genre, autobiographique, le plaisir que j'en tire est indéniablement différent de celui que je peux tirer des autres lectures. À mes yeux, l'autobiographie est aussi différente du roman que l'est la poésie en vers. Alors, j'ai du mal à me situer et à donner un avis. Il est certain que j'ai particulièrement apprécié l'œuvre, je l'ai lue très rapidement, sans la survoler. Je l'ai véritablement mangée, en lisant jusqu'à 4h par jour parfois. Le récit et l'histoire, cet univers et ce vrai monde construits en autarcie m'ont d'abord rebutée. Je fais partie de celles (oui je sais c'est mal, pas éthique, pas moral blabla) qui se disent "ah ! Encore un livre sur le judaïsme !", mais en réalité plus en riant qu'autre chose. Néanmoins, le monde décrit est tellement éloigné du mien, tellement différent en tout, mais surtout tellement extrême, que j'ai eu du mal à rentrer dans le bouquin. Finalement, je me suis surprise à avoir de nouveau le besoin de lire dans le métro. Il faut dire aussi que depuis quelques semaines j'avais, je ne sais pourquoi, perdu un peu le goût de la lecture, rejetant tout ce qui m'approchait, même la philosophie (Nadja n'avait pas aidée). Bref. Tout cela pour dire, que, étonnamment, c'est ce livre précisément, ce récit, écrit simplement, sans manières, rien d'hautain, racontant juste une histoire comme l'on raconte un conte à un enfant avant de le coucher, qui m'a redonné goût à la lecture. Ici ce serait plutôt un conte pour la liberté, même si je ne peux pas dire s'il se finit bien… Pourtant, je n'ai plié aucune page (ce qui est en général un signe de mon amour inconditionnel pour une phrase précise). Je n'ai pas vraiment de raison. Ce livre m'a simplement emportée comme je n'avais pas été emportée depuis cet été avec Powers. Je l'ouvre aux ¾, pour la simple raison qu'il n'est tout de même pas un chef-d'œuvre. Mais disons plutôt entre ¾ et grand ouvert.
Séverine
Je rejoins Annick car je crois qu'on a le même avis. C'est intéressant et comme dit Laura, ça se lit très bien. On connaît la fin, mais on a envie de savoir comment il chemine. C'est tellement aberrant cette façon de vivre ! Et au fur et à mesure on progresse dans le pire - très surprenant ! J'ai beaucoup appris avec ce qui se rapproche en effet d'un documentaire. Littérairement ? C'est pas mal écrit, c'est plat. C'est un peu trop long, il aurait pu ramasser.
J'ouvre à moitié et je suis vraiment surprise que nombreux soient ceux qui ouvrent en grand. C'est au point que je me demandais pendant ma lecture si c'était pour le groupe lecture.... Mais ça se lit bien, ça m'a tenue en haleine.

Annick
Ce qui m'a aussi tenue en haleine c'est l'intérêt du sujet.
Et c'est beaucoup mieux écrit que le livre qu'on avait lu Ami de ma jeunesse.

Muriel
Mais vous passez votre temps à vous demander si le livre que vous lisez est pour le groupe lecture !...
Geneviève
Si c'est pour le groupe de lecture ? On ne le sait qu'après si chacun tourne autour du livre avec des points de vue différents, ce qui permet de le voir autrement : et là c'est le cas. Je partage la plupart des réactions entendues. J'ai commencé à lire, extrêmement intéressée, parce que j'ai une allergie vis-à-vis de l'intégrisme et un fort sentiment de rejet, jusqu'à avoir du mal à lire les articles sur le sujet. Quand je pense au rôle de la communauté juive à New York dans la propagation de l'épidémie parce qu'ils refusent les précautions ou quand je vois qu'en Israël les orthodoxes sont exemptés de service militaire, j'en suis à ressentir de la haine.
Ce qui est intéressant, c'est le regard extrêmement respectueux de l'auteur et non de rejet de sa communauté. C'est notamment le cas dans sa relation avec sa femme. C'est très intéressant, on n'attendrait pas spontanément ça. Et j'aime beaucoup dans le livre sa relation avec ses enfants, c'est très fin. J'admire aussi le côté inébranlable de sa résolution à braver les lois de la communauté pour découvrir le monde.
J'ai eu les réactions qu'on eues certains : je l'ai commencé comme un roman, puis je me suis dit, non il faut que tu le prennes comme un documentaire. Mais à un moment, j'ai décroché, en raison d'un problème de manque d'épaisseur chez les personnages, par exemple chez Gitty, sa femme. Hormis le narrateur, il n'y a pas d'autres réels personnages - son père peut-être en creux - les autres sont des silhouettes.
Je ne suis pas d'accord avec Renée qui dit que c'est un inadapté social : au contraire, il a des capacités d'adaptation extraordinaires.
Au milieu du récit, j'ai un peu décroché, mais l'intérêt est revenu à la fin avec la description de la douleur de la séparation avec les enfants, exprimée avec un grand respect pour toutes les parties.
Je m'interroge sur le rapport du narrateur à ses parents, partageant ainsi la frustration d'autres lecteurs, ses parents qui ont choisi cette communauté par besoin d'appartenance. Rozenn a parlé des problèmes que pose la sortie d'un groupe. Un exemple étonnant est le moment où les "défroqués" en rupture avec la communauté vont au festival Rainbow et y cherchent la communauté juive parce qu'ils ont un sentiment d'appartenance envers et contre tout. Et la scène où ils chantent ! Ça me renvoie au fait que j'ai une mère d'origine juive mais très anti-religion, j'ai connu le scoutisme laïque et mixte et je me rappelle les chants qui jouent un rôle énorme dans le sentiment d'appartenance - ça c'est très intéressant.
On se protège dans le groupe. Je suis pas mal allée au Maroc où la journée est rythmée par le chant du muezzin : c'est très sécurisant, on se réveille ensemble, on va se laver ensemble le même jour, on s'endort ensemble, on a une raison de vivre. Sans religion, il y a plus de risques et de doutes.
Plusieurs ont dit que c'était à lire à lire dans les écoles. Mon édition anglaise se termine par "Questions et sujets pour une discussion" avec des questions moralisantes du genre "Qu'est-ce que le livre vous dit sur la tolérance de la société vis-à-vis des communautés extrémistes ?" - ce qui est une prise de position, déjà engagée. Ou "Notre société a-t-elle à protéger les jeunes gens de telles pratiques ?"
J'ouvre aux ¾. Je suis très contente de l'avoir lu, d'être rentrée dans une communauté, dans une manière de penser, sans jugement malgré le choix d'en sortir.
Françoise(qui avait proposé le livre)       
J'ai été agréablement surprise. Ce n'est pas un objet littéraire, je suis d'accord. Mais je ne suis pas déçue de ne pas trouver ça.
Cette découverte m'a complètement scotchée et j'ai appris beaucoup. Ça a été une grande découverte.
Laura dit comme Katell que le livre est tombé à un moment où elle n'avait plus envie de lire, et qu'avec lui elle a retrouvé le goût de la lecture. Pour ma part, je n'ai pas trouvé de baisse de tension au cours du récit. Tout au long, on a envie de savoir, comment il va s'y prendre, on le suit dans se démarche.
Pour moi ce fut un choc. C'est emblématique, le rejet dont il est l'objet dans sa communauté. Il n'a plus rien y à faire, il en est rejeté et même est coupé de ses enfants. Et c'est un livre tout à fait actuel qu'on peut comparer à toute forme d'extrémisme religieux. Je suis contente que le groupe l'ait découvert.  

Claire (rendant compte de son dialogue avec la traductrice)
Je l'ai contactée par son adresse électronique sur un site de traducteurs littéraires et elle m'a proposé un échange par téléphone, prête à répondre à nos questions ainsi, plutôt qu'à l'écran devant lequel elle traduit toute la journée. Un grand merci pour cet échange qui a duré une heure.
J'avais rassemblé différentes questions du groupe. Les premières questions furent les suivantes : comment a-t-elle été amenée à traduire ce livre ? A-t-elle été en contact avec l'auteur ? L'univers décrit lui était-il étranger ou non ? De plus, alors que nous venons d'apprendre que le politiquement correct sévit au point qu'aux Pays-Bas, le choix d'une autrice blanche pour traduire la poétesse noire Amanda Gorman découverte à la cérémonie d’investiture de Joe Biden a dû être abandonnée, sous prétexte qu'une Noire saurait mieux la traduire, on finit par se demander s'il faut être juive pour être légitime pour traduire Shulem Deen... Notre traductrice Karine Reignier-Guerre est bien d'accord quant à l'aspect choquant des situations auxquelles on en arrive... Elle traduit justement une autrice jamaïcaine noire : va-t-on y voir un problème parce qu'elle est blanche ? Les éditions Fayard, qui ont - ça tombe bien - choisi une slameuse de couleur pour la traduction en français d'Amanda Gorman, ont reçu des propositions de Michel Volkovitch que relate Karine à notre intention (puisque nous avons reçu ce traducteur) : il recommande un traducteur vieux et alcoolique pour une nouvelle traduction de Bukowski et un traducteur aveugle pour un traduction de l'Odyssée.

Revenons à la traduction de notre livre : c'est une commande de l'éditrice. Valentine Gay, depuis la création de Globe en 2013 (voir le portrait et une interview de ici de l'éditrice, pas banale) a constitué autour d'elle une équipe de traducteurs pour publier la "narrative non fiction" qui est la caractéristique de la maison : dans le monde anglo-saxon c'est très développé et en France il y a maintenant une appétence. Il s'agit de publier des livres ni universitaires, ni de lecture "facile".
Pour la traductrice, Karine donc, tout a été en quelque sorte merveilleux de bout en bout. Valentine a découvert le livre par son agente à la Foire de Francfort : elle l'a lu dans le train et a appelé Karine depuis le train pour savoir si elle le traduirait si elle l'achetait. Alors qu'avec les autres éditeurs, elle lit le livre avant d'accepter la traduction, avec Globe, les livres sont tellement bien qu'elle dit oui avant de lire ce qu'elle a à traduire (elle en a traduit quatre). L'éditrice a remporté les enchères alors qu'il y avait déjà du mouvement autour de ce livre. C'était un gros livre, 700 feuillets, et Karine y a passé une partie de l'année.
Quand Shulem Deen est venu en France, elle l'a accompagné dans sa tournée de promotion. "Il y a des traducteurs qui ne font pas cela, je ne suis pas interprète, dit-elle, mais le traducteur est celui qui connaît le mieux le livre, n'est-ce pas". Et donc, oui, la traductrice a rencontré l'auteur. Mais les contacts avec lui remontent avant, pendant la traduction, comme on va le voir.
Le prix Médicis essai a été bien sûr une très bonne nouvelle, d'autant qu'une mention a été attribuée à la traduction. Oui c'est un essai. Et traductrice et éditrice sont heureuses que ce soit dans cette catégorie qu'il soit récompensé.

La question est revenue parmi nous : la traductrice connaissait-elle l'univers décrit ? Pas du tout. L'éditrice elle-même a estimé que c'était mieux que ce soit une "non juive" qui le traduise, justement dans l'objectif que ce livre soit lu par "tout le monde".
Comment a-t-elle procédé, notamment par rapport à tous les termes yiddish ? D'une part, elle a effectué de très nombreuses recherches. Ensuite, elle a l'habitude d'ouvrir un fichier pendant qu'elle traduit, en listant toutes les questions à adresser à l'auteur qu'elle contacte à la fin en général. La plupart sont contents de cette demande de contact, et c'était le cas de Shulem Deen, de plus ému que son livre soit traduit. Enfin, un ami israélien pratiquant, connaissant le Talmud et la Torah, pendant deux jours l'a aidée à rechercher en hébreu, avec son clavier hébraïque, les références des textes religieux.

Pourquoi ne pas faire figurer un glossaire ? s'est demandé Chantal (qui est également curieuse des autres livres qu'elle traduit => voir ici son CV avec toutes ses traductions). La traductrice s'en était fait un et elle a posé la question à Shulem. Il l'avait refusé dans le texte d'origine et ne le souhaitait pas dans la traduction : son idée est que le lecteur soit plongé dans cet univers insulaire, dans un profond dépaysement, dans une terra incognita. Y compris pour les Français juifs, certains termes yiddish ont comme un accent étranger : par exemple le tribunal religieux où il est convoqué au début du livre, "en français" le beth din est chez les skver le bezdin.
Dans la version américaine que j'ai trouvée en ligne, il y a une bibliographie, présentant des livres à propos de la religion. Geneviève qui a lu en anglais a dans son édition une annexe qui propose une série de questions pour une discussion éventuelle des thèmes abordés dans le livre, questions qui lui paraissent très moralisantes : "Est-ce le cas dans la version française et sinon pourquoi ?" Autant Shulem Deen est parvenu à ce que l'éditeur n'introduise pas de glossaire dans l'édition américaine, autant l'éditeur a imposé d'autres éléments, en particulier à l'intention de book clubs, très nombreux aux USA, pour lesquels sont préparées des questions de débat par exemple.

Et le titre ? Anne-Sophie serait curieuse de savoir comment on y arrive. "All who go do not return" qui devient "Celui qui va vers elle ne revient pas", ce n’est pas immédiat ! Pourquoi, demande Anne-Sophie, ne pas avoir juste traduit "Tous ceux qui partent ne reviennent pas" ? la référence à la Bible et au Talmud est explicitée en début de deuxième partie : elle imposait donc d’évoquer une destination – vers "elle", l’hérésie – qui n’est pas pourtant pas présente dans le titre anglais ? et un singulier plutôt que le pluriel ?
Voici des réponses : la phrase du Talmud citée au début de la deuxième partie en anglais était "All who go to her do not return" où Shulem a enlevé "to her" renvoyant à la femme adultère puisqu'il souhaite élargir à l'hérésie (qui demanderait un neutre en anglais) : en français "Celui qui va vers elle ne revient pas" renvoie aussi bien aux deux féminins (femme adultère et hérésie), mais en enlevant certes le pluriel de "all". La traductrice avait pensé à ce titre "Ceux qui partent ne reviennent pas", qui est la traduction du verset, mais l'éditrice a craint que le lecteur potentiel voit là un livre sur les camps et la Shoah. C'est à l'éditeur que revient la décision du titre, et il n'est pas rare que les services commerciaux aient un poids dans la décision.

Françoise avait une question tatillonne, faisant l'hypothèse d'une "erreur de traduction" :
- chapitre 3 p. 53 (poche), p. 48 (première édition), un grand repas traditionnel est décrit : "des soupières remplies de bouillon de poule, une montagne de pilons et de cuisses de volailles rôties, des piles des carottes luisantes de beurre."
- Chapitre 13 p. 240 (poche), p. 211 (première édition), il s'agit de la cérémonie de la circoncision de son fils : "le traiteur préparait des assiettes composées qui seraient servies aux invités : poulet rôti, carottes glacées au beurre."
Outre la constatation que les menus ne varient pas beaucoup..., Françoise s'est étonnée que soient servis en même temps viande et produits laitiers, ce qui est totalement prohibé dans la religion juive, a fortiori dans une secte aussi ultra... J'avais cherché l'expression anglaise : "glazed carrots" (qui ne mentionne pas le beurre) et la recette juive des carottes glacées : avec de la margarine évidemment. Karine, notre traductrice, confirme : c'était une erreur - la seule qu'on lui ait signalée - qui a été rectifiée dans l'édition de poche, les carottes glacées n'ayant par ailleurs pas de secret pour elle car elle a en plus fait des études de cuisine (elle a un CAP) !

À la question de Christian "quelle est la marge de création et d'interprétation que s'autorise la traductrice ?", Karine répond que dans le cas de ce livre il n'y avait aucune incohérence factuelle (que les traducteurs doivent d'ordinaire rectifier). Les dialogues sont vivants, il y a des scènes d'humour, un regard tendre, ironique.

À la question "cela vous arrive-t-il d'apporter un livre à un éditeur que vous avez découvert dans le but de le traduire ?", Karine répond que si dans les "petites" langues les traducteurs peuvent le faire, fournissant une fiche de lecture à l'éditeur qui ne lit pas la langue (on dit alors que le traducteur est "apporteur" du texte), dans le monde anglo-saxon tout passe par les agents ; de plus, les éditeurs lisent en anglais ou ont des "scouts", des têtes chercheuses.
Une autre précision éditoriale : Globe n'a pas de collection de poche. Par conséquent quand un livre passe en poche, ici en Points, Valentine cède ses droits : le nouvel éditeur choisit la quatrième de couverture, le visuel, elle n'a plus de pouvoir ; il ne touche pas en revanche à la traduction.

J'étais presque gênée de poser la question de Renée qui quittait un peu le livre : "Si vous avez rencontré Shulem, pensez-vous qu'il pourra être heureux un jour ? La vie de cet homme a été dévastée par son enfance, je le plains, mais il raconte ça avec une telle froideur que je n'arrive pas à avoir de l'empathie pour lui. Est-il capable d'aimer ?" La question est intéressante, répond la traductrice, car cela veut dire qu'il a réussi dans son écriture. Il a laissé plusieurs années pour atteindre cette froideur ou plutôt un détachement de ses émotions, pour être sans acrimonie, sans haine, sans colère, sans rage, c'est très beau, émouvant ; alors qu'il est allé jusqu'au suicide puisqu'il a fait plusieurs tentatives de suicide. Son éducation, le mariage arrangé, l'avaient empêché de savoir ce que c'est qu'aimer. Sorti, projeté dans un monde laïque, il lui a fallu apprendre à aimer. La traductrice rassure Renée : il a une vie amoureuse, et même une relation stable avec une femme médecin, juive.

J'ai évoqué nos contacts avec les traducteurs (Fanchita Gonzales Batlle, Bernard Lortholary, Myriam Chirousse, Michel Volkovitch, Marcel Barang, Brigitte Duzan) et le fait que c'est beaucoup plus facile (par rapport à l'œuvre même) et finalement intéressant de rencontrer le traducteur plutôt que l'auteur lui-même.
Karine Reignier-Guerre dit qu'en effet les rencontres autour d'un livre avec le traducteur se développent. Elle ajoute : "Mes auteurs me disent parfois, s'apercevant du travail, qu'ils sont effrayés : j'ai l'impression que tu es dans ma tête"...


SYNTHÈSE DES AVIS DU GROUPE BRETON
rédigée par Yolaine, suivie des avis individuels

Les cotes d'amour du groupe breton réuni par Zoom
avec deux Parisiennes de passage sur l'écran
 
 
 •Chantal •Cindy ClaireÉdithMurielYolaine


JeanSuzanne


Difficile de rendre compte d'un débat qui n'a pas vraiment pu avoir lieu, faute de trop grande unanimité. Jean et Suzanne ont reçu les félicitations du jury pour l'originalité de leurs avis.
Loin d'être complètement négatifs, ils ont cependant exprimé leur relatif manque d'intérêt pour cet ouvrage, peut-être dû à leur répugnance pour le côté glauque du monde hassidique.
Pour tous les autres, la découverte de cet univers exotique et inconnu a suscité un enthousiasme presque délirant. Sans les limites imposées par l'utilisation de la version gratuite du logiciel Zoom, nous serions encore en train de nous extasier sur les mœurs étranges des ultra-orthodoxes, qui réussissent à échapper à tous les dangers du monde moderne grâce à une vie en vase clos et à une éducation directement calquée sur le XVIIIe siècle en Ukraine. De la préparation de la carpe farcie lors des fêtes juives à l'organisation des mariages arrangés et à l'art de faire des enfants sans se toucher, l'étonnement et la curiosité envahissent le lecteur à chaque page de ce document fascinant, même si Shulem Deen n'est pas le seul à avoir fui ce genre de secte et à en témoigner. Certaines d'entre nous éprouvent le désir de se documenter davantage sur ce phénomène, d'autres se sont jetées sur le dictionnaire pour comprendre le jargon volontairement hermétique de ce ghetto (une espèce de créole yiddish ?) et regrettent l'absence d'un glossaire, oubliant que le but de l'auteur n'était pas de faire du prosélytisme. Titre énigmatique, texte extravagant qui dévoile les secrets d'une société cachée qu'on voit fonctionner de l'intérieur rendent la lecture excitante, avec un léger ressenti d'impudeur de la part de l'auteur, à moins qu'il ne s'agisse du voyeurisme du lecteur ? La cerise sur le gâteau nous fut offerte par Muriel qui, tout en chantant des chants de fête aux paroles mystérieuses pour accompagner notre initiation à la religion juive, nous mit en garde sur l'amalgame que nous pourrions faire entre juifs pratiquants "normaux" et ultra-orthodoxes.
Le livre s'efface-t-il derrière le sujet et n'a-t-il qu'un intérêt documentaire ? La majorité plébiscite la qualité littéraire de ce récit bien écrit et bien construit, qui nous a accrochées et "embarquées", avec de savants allers et retours et un réel suspens : va-t-il réussir à s'en sortir ? Cette tragédie rédigée à la première personne exprime et suscite une réelle émotion. Elle comporte aussi une dimension philosophique sur la perte de la foi et la recherche du sens que l'on doit donner à sa vie. Ce parcours initiatique nous fait partager une expérience universelle.
Pour ne rien gâcher, nous avons trouvé l'écrivain sympathique et même admirable. Dans ce chemin parsemé d'embûches et de souffrances, il a réussi à défendre chèrement sa liberté de pensée. Le rôle des livres, des journaux, des bibliothèques, de la culture et sa dévotion à la littérature ont joué un rôle salvateur dans son émancipation. C'est une passion que nous partageons avec lui.
Suzanne

Quand j'ai commencé, ça m'a un peu barbée, tous ces préceptes, rites, croyances. Puis quelque chose à commencer à se fissurer dans ses convictions, trois ans après son mariage. Or on ne remet rien en question dans "cette communauté" - j'ai envie de dire "cette secte" - qui a aussi un rôle protecteur, avec toujours quelqu'un à qui se référer. À travers la lecture, on découvre un monde inconnu.
Ce qui m'a semblé important, est qu'il est le fis de gens qui viennent "de l'autre monde", ce qui a dû avoir une influence.
Le grand chambardement, c'est qu'il perd la foi et se dit ma place n'est pas là. Il découvre les livres interdits. Et le prix à payer est très lourd pour cet apikorus - mot rigolo qui m'a fait penser à apiculteur….
Ce qui m'a frappée, c'est qu'il souffre plus du jugement des hommes que du jugement de Dieu.
Il reste attaché à la culture de cette communauté. Il s'agit pour lui de donner un sens à sa vie. Et à travers le blog, il retrouve des semblables.
La découverte est intéressante. Ce livre qui est bien écrit a une valeur de témoignage. Je l'ouvre à moitié. On y voit les idées à l'épreuve de la vie.
Jean
J'ouvre aussi à moitié ce livre instructif à propos de cette communauté juive où on rejette le différent. Au sein de cet extrémisme, ils sont humains, superstitieux, misogynes, j'aimerais bien pouvoir discuter avec eux. Le livre traite de l'importance de faire des choix et son auteur a le courage d'en faire, quoi qu'il lui en coûte.
Yolaine
Pour moi, c'est aussi une œuvre littéraire, c'est bien écrit. Même si ce n'est pas un roman. S'il écrit un roman, comme il l'envisage, qui se passe chez les hassidiques, j'aurais envie d'aller voir…
Ce qui m'a surprise, c'est qu'il va très loin dans ses sentiments, dans son introspection, ça m'a presque gênée, ce n'est pas une absence de pudeur, non, mais il se déshabille beaucoup, ça m'a surprise.
Moi j'ouvre en entier. Oui, c'est d'abord un témoignage. J'ai vu un reportage sur les Juifs orthodoxes en Israël qui m'a fait froid dans le dos ; ce n'est pas un petit groupe, ils sont un million en Israël, c'est la même culture qu'à New York. Shulem Deen va très loin pour nous montrer comment ils fonctionnent. Le reportage que j'ai vu était extrêmement complémentaire, ça donne vraiment froid dans le dos. Contrairement à Jean, je n'ai pas envie de discuter avec eux, il n'y a pas moyen d'ailleurs de discuter et c'est même dangereux. Ça donne le tournis. Une femme, dans le reportage, ne pouvait plus voir ses 6 enfants. Ce n'est donc pas simplement une histoire personnelle.
C'est intéressant sur le plan de l'écriture, le rôle thérapeutique qu'elle peut avoir car c'est une bouée pour sa vie, pour lui trouver un sens. Il y a quelque chose à la fois de tragique et d'actualité. Sa façon d'en rendre compte est poignante. Il nous fait part d'une expérience humaine : comment penser par soi-même là où l'on est privé de liberté, liberté de penser, alors que tous n'ont pas forcément la foi. En plein New York, ils ne parlent pas anglais, c'est tout à fait étonnant Sa démarche pour raconter comme il s'en est sorti, comment trouver une raison d'exister, force l'admiration. C'est très fort, complètement estomaquant. Et il a une aptitude littéraire pour nous faire partager cela et en même temps dominer son expérience Ce n'est pas seulement une analyse psychologique, il s'agit de partager en une œuvre de montrer un chemin pour penser par soi-même. Aujourd'hui c'est une tendance lourde de s'enfermer et c'est important de prendre la plume pour faire réfléchir, c'est un rôle de la littérature. C'est vraiment admirable.
Chantal
J'ouvre en grand. Je ne me suis pas ennuyée une seconde. Pendant ma lecture, je ne me suis pas posé la question du genre littéraire, ou pas. Il m'a emballée moi, lectrice, dans tout son cheminement d'enfant, de jeune homme, d'époux, de père de famille.
Ma fille a travaillé à Brooklyn dans un chantier de déco chez un juif orthodoxe ; j'avais impression de connaître de l'extérieur (perruque, poussette avec 5 ou 6 enfants, papillotes), mais là j'ai découvert le fonctionnement de l'intérieur. On est en 2021, on est sur une autre planète ou dans des temps anciens. C'est une grande découverte. Plein d'aspects m'ont vraiment frappée : on est marié à un clan et pas un individu, ils doivent faire l'amour le mardi et le vendredi, la femme est enceinte et tous deux se demandent comment le bébé va sortir et par où. C'est incroyable d'être enfermé à ce point. M'ont frappée la violence, l'hypocrisie (vis-à-vis du gouvernent américain par rapport à l'éducation pour avoir la subvention). Huit heures par jour on leur assène le talmud, il ne faut pas poser de questions, on tape sur les gamins. Et ne parlons pas des filles qui n'ont pas l'enseignement de la torah et du talmud, font des enfants, point barre. C'est une grande découverte. On mange traif, nous…
C'est une fois fini que je me suis posé la question littéraire : c'est littéraire oui, car il m'a embarquée, carrément.
À la fin j'étais frustrée : quid des enfants ? Dans leur rapport à leur père, comment ils vont évoluer par rapport à la religion, par rapport à leur père ?
Je suis curieuse de voir ce qu'il écrira maintenant. De la fiction ? J'attends. J'irai voir.
P. 26-27 ces pages resteront pour moi sur les questions qu'il se pose sur la foi. Ma foi est-elle plus juste que celle d'un autre ? Ça m'a ouvert plein de questions. Et c'est son métier d'écrivain qui fait cet effet. J'ouvre en grand. Merci à Voix au chapitre, cette lecture est quelque chose de fort.
Cindy
Je suis encore émue en parlant, car si c'est un livre qui m'a beaucoup plu, il m'a bouleversée aussi. Pour moi, ce récit a une dimension littéraire, c'est un véritable roman qui m'a captivée. Il a aussi une dimension philosophique qui questionne beaucoup : on y retrouve des valeurs philosophiques qui permettent de se poser des questions.
C'est un livre fort, singulier, poignant par son histoire, à partir d'une réalité. Il y a trois phases et ce sont les deux dernières qui m'ont impressionnée par le processus d'émancipation extraordinaire. J'ai pensé au livre de Denise Bombardier Une enfance à l'eau bénite qui m'avait marquée à l'époque, avec le défi pour cette femme de sortir de l'emprise de cette éducation ; mais avec Shulem il y a une dimension plus forte, littéraire, passionnante.
J'ouvre en grand ce livre qui m'a apporté des connaissances que je n'avais pas, avec le vocabulaire qui contribue à rendre ce monde d'avant. Ce qui m'a plu aussi, c'est le rôle qu'internet a joué : on a d'un côté la vie à l'époque moyenâgeuse et de l'autre cette modernité. Je suis allée au Belize où il y a des Amish, mais cela ne semblait pas si extrême ; et de plus ils sont très pauvres.
Le récit est précis, méticuleux. Il a quelque chose d'intime, de presque impudique, on rentre dans sa vie, c'est aussi cela qu'a bouleversée.
Et il a également beaucoup d'amour. C'est une leçon de vie. On a tous voulu s'émanciper de quelque chose. Je me suis posé la question : comment aurais-je réagi ? Aurais-je été captable de partir, d'avoir ce courage ?
C'et un livre douloureux : il est allé jusqu'au bout, jusqu'au sacrifice. Il y a des phrases très fortes, notamment quand il commence à douter ; ce rebbe, est-ce qu'il croit à ce qu'il dit ? On est dans son esprit. Je me suis interrogé sur ses parents, qui n'étaient pas au départ dans cette vie extrême ; comment ont-ils pu l'y laissé, sans s'intéresser à ce qu'il vivait vraiment après ? Il y a de belles images de Shulem, sa peine qui se dégage de la personne, où il pleure.
C'est un livre unique, à conseiller. Merci à Voix au chapitre. J'ouvre en grand : XXL !
Édith(avis rédigé avant la rencontre)
Grand OUVERT pour le fond mais aussi pour la forme. Épilogue et postface compris.
C'est un récit au titr
e énigmatique dont le sens nous est donné (phrase de la Bible) au cours du récit, récit probablement autobiographique et que j'ai lu comme un roman (voir l'épilogue et la postface)… 470 pages… embarquée par les faits, les détails surprenants sur les "membres des skver une des communautés hassidiques les plus extrêmes des États-Unis". J'ai été "embarquée" dans le récit très minutieux et circonstancié des 15 ans de la vie de Shulem Deen. Récit qui couvre ses jeunes années, donc son milieu, sa vie dans la communauté, son mariage, les cinq naissances, puis la perte de la foi concomitante à son ouverture au monde extérieur. Nous sommes fin XXe siècle !
La nécessité de travailler pour survenir à ses obligations familiales grâce à un travail plus rémunérateur l'amène à s'intéresser à "l'extérieur" et à des doutes de plus en plus forts sur sa croyance.
Ainsi, j'ai été très attentive et émue à la lecture des lignes qui décrivent la lente mais irrémédiable progression du doute puis, du gouffre que représente pour Shulem Deen cet état nouveau et sans repères liés à la perte de sa foi, p. 283-284.

"Mon questionnement intérieur me laissait ivre de chagrin, en deuil de ma foi perdue. J'aurais tout donné pour la retrouver. Et voir reparaître avec elle le sentiment d'extase que je ressentais en récitant le Nichmat Kol Haï ou en chantant Yedid Nefesh. Je voulais à tout prix retrouver l'impression que les mots de la Torah brûlaient, selon l'expression du Talmud, comme du "feu noir" sur du papier blanc ; retrouver la joie que j'éprouvais en étudiant les textes fondateurs du hassidisme ; l'euphorie qui me gagnait quand j'entonnais "Dieu, maître de toute création" avec des milliers d'autres hassidim ; et le vertige qui me saisissait quand je croyais sentir la présence du sublime à mes côtés.
Mais j'avais tout perdu.
"

La rigidité "vitale" de sa femme Gitty est intéressante. Protection pour ne pas interroger sa foi ? Pour elle juste une curiosité légère et coupable pour écouter la radio, puis s'étonner à la découverte de l'ordinateur des moyens possibles. Très vite, elle se remet d'un doute et d'une curiosité possible en invoquant le rabbin. Pour Shulem Deen : achat d'une voiture, inscription à la médiathèque et surtout rencontre avec "l'ami" qui le fera douter sans retour.
Le père de Shulem Deen apparaît dans le récit comme un homme ouvert qui fréquente des séminaires interconfessionnels (Shulem en a le souvenir et il a 12 ans.) Mais père qui affirme cependant à la p. 207 "que la foi échappe à la raison".
Personnellement émue tout au long du récit, je ne pouvais pas imaginer la fin du récit. Années pour l'auteur d'un désarroi total, si triste de son exclusion du monde de ses enfants, dévastateur et totalement "irrécupérable". Ainsi, si j'avais admis le divorce (étonnement pour la démarche qui l'acte et le décrit) impossible à éviter de la part de sa femme, je ne pensais pas que ce fût au prix de la perte totale de lien avec ses cinq enfants. Bien qu'ils fussent jeunes au moment du divorce ces derniers font rapidement silence total… pas même de la colère, des reproches, silence et refus d'échanges, refus de contacts physiques et fuite… Ce récit est un bloc pour lequel chaque phrase compte et, de ce fait, difficile de relever tel ou tel passage. Toutes les idées, anecdotes, explications amenées sont autant d'étonnements et de découvertes.
Je savais - à l'occasion de vagues recherches sur la religion juive - et par le fait d'avoir été éduquée dans la religion catholique et son rapport au Nouveau Testament (donc aussi vers l'Ancien) que la religion juive était très ritualisée et codifiée. J'ai découvert, par ce livre, l'ultra-orthodoxie racontée par Shulem Deen : obligations et rituels s'attachant à tous les actes du quotidien nuit et jour ! Des dictats impressionnants et acceptés par les fidèles m'étonnent et renvoient à la définition de "sectes ?" En fait non, car le récit nous informe que la liberté de quitter existe (exclusion) quand la foi est partie. Reste que la procréation, la "pudeur" et l'ignorance du corps…, les repas, les mets, les vêtements, TOUT est réglé et uniformisé !
Tout un vocabulaire à définir (Kabbale, Talmud, Torah, casher, mitsvah…) qui éclaire un peu cette religion.
Ce livre m'a passionnée par son objet si "extravagant", mais fait réfléchir aux dangers d'une telle emprise qui, mise au service d'un dictateur ou d'un illuminé, nous en laisse deviner les conséquences MAIS, NOUS EN VIVONS, HÉLAS, CERTAINS ASPECTS en ces temps quand une interprétation d'une religion dérive vers la soumission violente des adeptes consentants... Livre que je vais partager.
J'ai grand désir d'échanges.


DOC autour du livre
  Quelques repères
Radio-Télé
Articles et interviews
L'éditrice
La traductrice
Prix
Le look hassidique

Celui qui va vers elle ne revient pas.
Tels sont les mots de la Bible envers la femme adultère.
Tels sont ceux du Talmud envers l’hérésie.

(début de la deuxième partie)


Shulem Deen, avant et après : "que vous est-il arrivé ?" Telle est la question que me poseraient, bien plus tard, les inconnus qui demanderaient à voir ma pièce d'identité (...) : le cliché qui figurait sur mon permis de conduire montrait un Juif ultra-orthodoxe, mais devant eux se tenait un autre homme, dépourvu de barbe et de papillotes, vêtu d'un jean et d'un tee-shirt. Ils regardaient la photo, puis moi, puis la photo. Et ils me demandaient : "C'est vous, ça ?" (p. 279)

Quelques repères

1974 : Naissance à New York
1993 : Mariage avec Gitty
2003 : Se met à bloguer sous le pseudonyme "Hasidic Rebel"
2007 : Divorce. Ses cinq enfants ont de 6 à 14 ans.
2015 : Publie All Those Who Go Do Not Return: A Memoir

Le site actuel, "professionnel", de Shulem Deen : shulemdeen.com/

Radio-Télé

- Radio : Entretien avec Shulem Deen, Par les temps qui courent, Marie Richeux, France Culture, 7 décembre 2017, 58 min :

En sortant de New Square, Je ne crois pas que je voulais partager ce que j'avais appris là-bas. Je voulais surtout apprendre, ce qu'il y avait en dehors de ce monde-là et puis, depuis tout jeune, j'avais l'ambition d'être écrivain. J'ai commencé d'abord au sein de la communauté ultra-orthodoxe, mais quand j'ai commencé à remettre les choses en question, je me suis demandé ce que ce serait d'être écrivain au dehors...

- Vidéo : Shulem Deen sur RCJ (Radio de la Communauté juive), Invité du 12/13, Laurence Goldmann, 8 décembre 2017, 27 min :

Je n'ai pas le sentiment d'avoir trahi quelque chose, mais d'avoir dit la vérité. Je pense avoir été bienveillant, avoir eu de la compassion pour les personnes avec lesquelles je n'étais pas d'accord, en tout cas j'ai essayé très fort, de trouver la façon de comprendre et de trouver la compassion y compris pour des gens qui m'ont fait énormément de tort, j'essaie de comprendre où ils se placent, d'où ils viennent, je ne crois pas que les gens soient unidimensionnels à part les sociopathes.

- Télé : "Itinéraire d'un juif hassidique", TV 5 Monde, 4 déc. 2017, 12 min, avec de images de la communauté hassidiques :

L'écriture m'a tout apporté. Il n'y a rien au monde qui ne me donne plus de plaisir aujourd'hui. Pas forcément l'écriture, mais le fait d'avoir écrit. En fait, le moment où on écrit, c'est difficile, mais le résultat, la production, il n'y a rien qui soit plus agréable au monde qu'il s'agisse d'un livre ou d'un essai plus court. Je ne dirai pas que c'est ma religion..., mais c'est de cela que je tire le plus de satisfaction.

Articles et interviews

-- L'article mentionné dans le livre sur le blog de Shulem Deen, Hasidic Rebel, "The Sharer of Secrets" (Le partageur de secrets), The Village Voice (son nom n'est pas mentionné par précaution), William O'Shea, 15 juillet 2003.

- "Ultraorthodoxes : la communauté des ex", Albertine Bourget, Le Monde, 12 octobre 2015 : un reportage très intéressant avant que le livre soit traduit en France, et une rencontre avec Shulem Deen :

Le livre de Shulem Deen s'inscrit dans une succession de textes autobiographiques récemment publiés par ceux que l'on appelle les off the derech dans la communauté orthodoxe, c'est-à-dire ceux qui se sont éloignés du chemin (derech en hébreu) officiel.

En 2007, Shalom Auslander déboule sur la scène littéraire américaine avec Foreskin's Lament (La Lamentation du prépuce, Belfond, 2008), dans lequel il évoque, avec un humour féroce, ses jeunes années dans la communauté orthodoxe de Monsey, dans l'État de New York.

Mais c'est Unorthodox de Deborah Feldman (Simon & Schuster, 2012, Hlab 2021) qui se hisse dans les best-sellers du New York Times en 2012 : le public est fasciné par le portrait au vitriol  que fait la jeune femme de la secte Satmar de Williamsburg dans laquelle elle a grandi.

À son tour, Leah Vincent raconte son parcours chaotique dans Cut Me Loose (Libérez-moi, Plon, 2014). Elle grandit, cinquième d'une fratrie de onze, dans la communauté yeshivish de Pittsburgh, où son père est un rabbin influent. Mais Leah est une adolescente curieuse et déterminée. Devant son envie de poursuivre ses études, sa mère menace de l'envoyer en clinique psychiatrique. Lorsque Leah est surprise en train de correspondre avec un garçon orthodoxe, c'en est trop. Face à l'opprobre des siens, elle les quitte pour Brooklyn, à 17 ans. Désespérément seule, naïve et perdue, elle cherche du réconfort auprès d'inconnus, se scarifie, finit par se prostituer. "Toute mon enfance, le message que j'ai reçu était que ma sexualité était ce que j'avais de plus important, et qu'il me fallait préserver ma pudeur." Lorsqu'elle tente de mettre fin à ses jours, ses parents refusent d'entendre son appel au secours. Grâce à la rencontre avec un professeur et à une volonté acharnée, la jeune femme s'accroche. Libérez-moi se termine alors qu'elle apprend qu'elle a été acceptée à Harvard.

- "Les tribulations d’un juif impur", Bernadette Sauvaget, Libération, 1er mars 2017 :

Car ce n’est surtout pas un énième témoignage au cœur de l’extrémisme religieux. Encore moins un reportage au milieu de curiosités désuètes et inquiétantes.

- "Shulem Deen, le prix de la liberté", Clémence Houdaille, La Croix, 24 avril 2017 :

Aujourd’hui, Shulem Deen vit à Manhattan de son métier d’écrivain. S’il achète encore de la viande casher, lui qui se dit incroyant, c’est pour sa petite amie, juive libérale.

- "Une saga hassidique", propos recueillis par Kerenn Elkaïm, L'Arche, 9 novembre 2017 (L'Arche est le magazine trimestriel du judaïsme français publié par le FSJU, le Fonds social juif unifié) :

Il ne s’agit pas d’une exploration, mais d’une narration. Je voulais devenir écrivain, or il se trouve que mon histoire forte valait la peine d’être racontée de l’intérieur. Ce projet littéraire incarnait un défi. Celui de relater le récit d’un choix et de ses conséquences. En Occident, on valorise énormément la liberté, mais elle comprend un prix. Que se passe-t-il une fois qu’on choisit une voie ?

- "Portrait : Shulem Deen, converti à l’hérésie", Albertine Bourget, Le Temps, New York, 24 avril 2017 :

La première fois, qu’adulte, il pousse la porte de la bibliothèque du coin et apprend qu’il peut emprunter des livres : "c’était comme de s’entendre dire qu’on peut avoir tous les beignets du magasin de beignets, et soudain ne pas savoir quoi faire de tous ces beignets."

Le succès de son livre, récompensé par le National Jewish Book Award, a dépassé ses espérances. Il a été surpris par l’intérêt de la communauté juive dans son ensemble. "Bien sûr, il y a eu des livres sur les communautés ultra-orthodoxes avant le mien. Mais j’ai vraiment essayé d’emmener le lecteur au cœur de ce monde, dans le ventre de la bête, si j’ose dire." Il travaille actuellement sur un roman "qui se passe dans le monde ultra-orthodoxe". C’est par là qu’il aurait voulu commencer, mais il savait "qu’un récit autobiographique, cet enfant bâtard de la littérature, aurait plus de chance d’être publié", glisse-t-il avec une franchise déconcertante. Son frère, dont il est resté proche et qui vit toujours à New Square, se refuse à lire son livre. "C’est pour lui une manière de se protéger. Et je le comprends."

- "Shulem Deen, confessions d'un rebelle hassidique", Capital, 29 décembre 2017 :

Sans surprise, son histoire intéresse des producteurs et il a déjà reçu plusieurs propositions pour l'adapter sur grand écran. "On discute mais ça ne m'emballe pas du tout. Écrire ce livre correspondait à un projet artistique. Ce n'était pas par besoin de raconter mon histoire au monde entier". Pour ça, "j'ai des amis et un psy !", conclut-il en bon New-Yorkais.

L'éditrice

Le livre a été publié en France par une maison d'édition, Globe, qui ne publie que de la non-fiction littéraire, créé en 2013. Voir :
- l'intéressant entretien en 2017 avec sa directrice, Valentine Gay, "La non-fiction littéraire pour défricher le monde" par Addict-Culture en 2017.

L’ambition de Globe, c’est aussi de montrer les coulisses des choses, et que cela soit porté par des plumes, par une écriture.

- son portrait et son parcours d'éditrice dans Livres Hebdo en 2018 "L'art du pas de côté", évoquant ses "multiples vies".

Celui qui va vers elle ne revient pas de Shulem Deen. "Ce livre illustre ce qui sous-tend ma ligne éditoriale : la littérature comme manière de connaître et de comprendre le monde".

Nous avons lu dans le groupe un seul livre paru chez cet éditeur, en 2019 : Ami de ma jeunesse d'Amit Chaudhuri.

La traductrice

Voici une présentation et la liste d'une trentaine de livres qu'elle a traduits ICI.
Contactée, Karine Reignier-Guerre a accepté de répondre à toutes les questions que Claire avait rassemblées (compte rendu ici).

Prix

L'année 2017 où Shulem Deen a eu le Médicis essai, le Médicis étranger a été attribué à un livre que nous avions lu Les huit montagnes de Paolo Cognetti.

Le Médicis essai a été attribué à cinq autres livres que nous avons lus :
- 2013 : La fin de l’homme rouge de Svetlana Alexievitch
- 2011 : Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson
- 2010 : La Couleur de nos souvenirs de Michel Pastoureau
- 1998 : Une histoire de la lecture d'Alberto Manguel
- 1996 : L’Horreur économique de Viviane Forrester

Le look hassidique
- Pour les femmes
Jupe au-dessous du genou, collants opaques, pas de décolleté et, surtout, pas de cheveux apparents pour les femmes mariées, une perruque (sheitel) avec l'usage de se raser les cheveux.
- Pour les hommes

Shulem Deen, à 16 ans (Collection Shulem Deen)
› tenue noire : long caftan (habit traditionnel des rabbins hassidiques depuis le 18e siècle, inspiré des vêtements alors à la mode dans la haute société polonaise) et chapeau noirs
› toque de fourrure (schtreimel)
› des papillotes le long du visage
› une barbe
cette coutume vient de l'interdiction de se tailler les cheveux "en rond" (Lévitique 19, 27), interprétée comme une interdiction de raser les tempes
› châle de prière (talit)
› téfilines reçus lors de sa bar-mitzvah : ce sont des boîtiers en cuir renfermant des parchemins écrits à la main par un scribe et comprenant la même prière, reliés à des lanières ; les hommes ont l'obligation d'en entourer leur bras gauche et leur front tous les jours lors de la prière matinale, sauf le shabbat, à l'aide de lanières de cuir.
Un mode d'emploi
pour mettre les téfilines
ICI avec schémas

et mieux encore : un tutoriel !

- Un article très intéressant : "Histoire, rites… Ce qu'il faut savoir sur le hassidisme avant de regarder Unorthodox", par Macha Fogel, Le Monde, 5 mai 2020. La bande-annonce ICI.
- Outre la série Unorthodox, un documentaire, sorti en 2017 : One of us (L'un des nôtres), de Rachel Grady et Heidi Ewing : le film suit la vie de trois anciens membres de la communauté hassidique de New York. Bande-annonce ICI.


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                    
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

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