LE ROMAN EST en ligne.
Folio classique
, 416 p.

Quatrième de couverture : La Bible de l'esprit décadent et de la "charogne" 1900. À travers le personnage de des Esseintes, Huysmans n'a pas seulement résumé, immortalisé les torpeurs, les langueurs, les névroses vénéneuses et perverses du siècle finissant. Des Esseintes est aussi un héros kierkegaardien, à la fois grotesque et pathétique, une des plus fortes figures de l'angoisse qu'ait laissées notre littérature. Fils spirituel de René et de la génération du mal du siècle, il annonce à bien des égards le Bardamu de Céline et le Roquentin de La Nausée.


Babel, 352 p.

Quatrième de couverture : À Fontenay-aux-Roses, Jean des Esseintes cultive à loisir son ennui et sa névrose, avec pour seuls compagnons un couple de domestiques et une tortue à la carapace incrustée de pierreries. Dans un univers d'artifice et de raffinement où les fleurs rares, les auteurs latins décadents et les tableaux symbolistes nourrissent son imaginaire, il s'adonne aux rêveries, aux cauchemars et aux dérives mystiques qu'il appelle de ses vœux, devenant ainsi le héros emblématique du dandysme et de la décadence. "À rebours peut donc se définir comme une succession d'expériences mettant en jeu un unique personnage, des Esseintes, et les tests auxquels il soumet, à huis clos, son désir", écrit Jean Borie, spécialiste incontesté de J.-K. Huysmans dont il a publié la biographie.


Garnier Flammarion
, 2004, puis nouv. édition, avec une interview de Maylis de Kerangal, 416 p.

Quatrième de couverture : À rebours (1884) exauce les promesses de son titre. Entremêlant au récit d’une rupture avec le monde réel des contes, des poèmes en prose, des considérations intempestives, des pages d’histoire ou de critique, il constitue un remarquable exemple d’"antiroman". En même temps qu’il expose les thèses de la décadence, il s’engage dans les voies de l’expérimentation et ausculte la vie intérieure, ce qui ne l’empêche pas d’exploiter tous les filons du comique, de la grosse blague à l’humour noir.
Dossier : 1.À rebours vu par J.-K. Huysmans 2.L’accueil d’À rebours 3.La place de Baudelaire 4.Variantes


éd. L'Escalier
, 2019, 160 p.

Quatrième de couverture : Plus de deux mois s’écoulèrent avant que des Esseintes pût s’immerger dans le silencieux repos de sa maison de Fontenay; des achats de toute sorte l’obligeaient à déambuler encore dans Paris, à battre la ville d’un bout à l’autre. Et pourtant à quelles perquisitions n’avait-il pas eu recours, à quelles méditations ne s’était-il point livré, avant que de confier son logement aux tapissiers !


La Pléiade
, 2019


Coédition Gallimard / Musée d'Orsay
, 2019, 256 p., 55 ill.

Quatrième de couverture : Cette édition met en regard du texte de Huysmans toute une iconographie qu’il évoque explicitement ou qu’il sous-tend.
Si À rebours, grand roman de l'esthétique fin-de-siècle, affirme le désir de briser les limites que s'imposait le naturalisme des années antérieures, ce "roman mental" n'en est pas moins truffé d'allusions et de références à l'époque. Son héros, des Esseintes, s'est dépris des "peintres de la vie moderne". Entendons Degas, Forain, Manet... Redon, Moreau, Rops et Whistler conviennent mieux à son nouvel idéal de vie. Au-delà des œuvres et des artistes que le texte s'approprie à différents niveaux, d'autres présences, de la tortue endiamantée aux fleurs artificielles commandées sur catalogue, des locomotives érotisées aux virées nocturnes, reposent sur une iconographie d'époque, dont Huysmans était friand. En somme, il faut traiter À rebours comme un imagier où l'auteur aurait déposé ses goûts et ses dégoûts, résumé son parcours esthétique et exprimé l'inflation du visible dans le monde moderne. Un œil, le sien.


Imprimerie nationale Lettres françaises
Lettres françaises, 1981, 384 p.


BNF-Hachette
, 246 p., avec une préface de l'auteur écrite 20 ans après le roman.


éd. originale Charpentier & Cie, 1884, en ligne sur Gallica


Ci-dessus et ci-dessous :
éd. Pour les Cent Bibliophiles,
1903, 220 gravures sur bois ornementant chaque page d'Auguste Lepère
, en ligne sur Bibliothèque numérique mondiale


éd. Ferroud, 1920, illustrations d'Auguste Leroux gravées à l'eau-forte par Eugène Decisy, en ligne sur gutemberg.org : des illustrations à l'esthétique "décadente" touchant au fantastique voire à l'"érotico-morbide", dont certaines rappellent Gustave Moreau ou Félicien Rops
En frontispice, le portrait de Huysmans.

Joris-Karl HUYSMANS (1848-1907)
À rebours (1884)

"Pendant toutes les années de ma triste jeunesse, Huysmans demeura pour moi un compagnon, un ami fidèle"

Michel Houellebecq
Première phrase du roman Soumission
(suite du roman ici)

Nous avons lu ce livre en janvier 2020.
Des infos sur À rebours et Huysmans
en bas de page.
Nos 40 cotes d'amour regroupées
(des deux groupes parisiens, du groupe breton et du groupe de Tenerife)
.
AnneCindy
Françoise H Laura Manuel Monique MNathalie R
Entre et
Audrey
Anne-MarieAnnick AClaireChantal DavidDenisÉdith EtienneHenriKatherineMarie-Thé
Brigitte
ChristineMarie-OdileMonique LNathalie BNievesSéverine GSuzanneYolaine
DanièleFannyFaustine JacquelineJosé Luis Lourdes
Margot
Annick LCatherineChristine GJean
Olivier

Nous avions lu Là-bas en 1990, puis Les soirées de Médan (comportant des nouvelles dont "Sac à dos" de Huysmans) en juillet 1995 et avions visité alors la maison de Zola à Médan où Huysmans retrouvait Zola et ses amis.
15 cotes d'amour du premier groupe parisien
Laura Manuel Nathalie R
Annick AClaireDenisEtienneHenri
BrigitteMonique L
DanièleFannyJacqueline
Annick LCatherine


Danièle (qui habite loin, en ce vendredi noir de grève)
Je déclare forfait vu l’incertitude sur les transports. Du coup, je ne finis pas le livre que je ne lis pas avec grand plaisir, malgré la beauté stylistique de certains passages, mais un peu trop léchée à mon goût. Trop de culture tue la culture, du moins quand elle s’affiche de cette manière.
Jacqueline(avis transmis depuis les Landes)
Je n'ai pas encore tout à fait fini de lire À rebours qui n'est pas d'une lecture aisée et j'ai bien du mal à rédiger un avis. Je suis impressionnée par les connaissances de l'auteur et la vaine prétention du héros, mais tout cela m'assomme littéralement sans que je puisse ni le prendre au sérieux (je voudrais bien être capable d'émettre le moindre doute sur les jugements à l'emporte-pièce concernant les latins) ni réellement m'en amuser. Je n'arrive pas bien à faire la part d'un humour auquel je ne suis guère sensible. Un portrait d'une société fin de siècle et de l'extinction de l'aristocratie ? Malheureusement — et, il est vrai, plus tard — Proust était autrement convaincant... Comme avec Orlando, j'ai l'impression d'être passée à côté de ce livre malgré ma curiosité et ma bonne volonté. Je l'ouvre un quart pour son style faussement foutraque.
J'aurais bien aimé assister à la discussion qui m'aurait sûrement apporté des éclairages nécessaires. Je lirai avec beaucoup d'intérêt le compte rendu.
Catherine(avis transmis pour cause de garde de nuit)
Je suis finalement arrivée au bout du livre, mais je dois avouer que j'ai lu la fin en
diagonale. Quelle est mon impression finale ? Avant tout de l'ennui. Il est certain que je n'aurais jamais lu ce livre sans vous... Je n'ai pas réussi à m'intéresser au héros (ou anti-héros au choix) de cette œuvre dans laquelle il ne se passe absolument rien — héros désenchanté, riche évidemment, névrosé et hypocondriaque, confiné dans la solitude et le mépris des autres, des femmes en particulier et de leur sottise innée, revenu des plaisirs médiocres de la vie, provocateur, cynique (en particulier lorsqu'il essaie de débaucher et de pousser au crime un enfant), qui massacre une pauvre tortue en la couvrant d'or et de pierres précieuses (il doit y avoir une symbolique, mais je n'ai même pas cherché à l'identifier). J'ai aimé quelques détails : l'orgue à bouche ; la salle à manger transformée en cabine de bateau et ses voyages imaginaires ; quelques passages sur Baudelaire, Poe, le chant grégorien ou Schumann, mais globalement je trouve qu'il y a surtout des énumérations interminables d'œuvres, de plantes... Ça m'a paru extrêmement daté et désuet. Je ne connaissais pas Huysmans ; ça ne m'incite pas vraiment à lire d'autres livres ; j'irai peut-être néanmoins voir l'exposition. Je l'ouvre un quart voire pas du tout.
Fanny (avis transmis de Montreuil)
Je suis à la moitié du livre et je dois dire que ma lecture est laborieuse et ce, dès les premières pages. J'avance pas à pas où plutôt page à page.
Je suis assez décontenancée car je peux à certains moments être sensible au style, en particulier à la tournure des phrases, et, à d'autres, trouver l'écriture empoulée avec des juxtapositions d'adjectifs qui n'en finissent pas.
En général les passages descriptifs ne me rebutent pas, mais avec À rebours j'éprouve régulièrement un sentiment d'ennui qui m'amène à poser le livre. Je reconnais une forme d'humour, notamment avec le passage de l'arracheur de dents et certaines descriptions de ses conquêtes féminines, cela redonne un peu d'attrait à ma lecture.
Je crois que ce qui bloque essentiellement pour moi, c'est que j'ai le sentiment de ne rien comprendre à l'histoire. Peut-être cela fait-il sens à la fin ?
En attendant j'en suis au chapitre X et je cherche toujours le fil narratif.
J'attends avec impatience de lire vos avis qui me donneront peut-être l'envie de poursuivre.
Laura (internaute espérant intégrer un jour le groupe)
En ouvrant le livre, je savais un peu à quoi m'attendre, surtout au niveau de l'écriture, ayant déjà lu Là-bas, l'an dernier. Huysmans a un style d'écriture très spécial à mes yeux, c'est un langage soutenu qui n'est pas lourd pour autant, et qui possède beaucoup de caractère. Avec lui, j'apprends au moins une cinquantaine de mots par chapitre, et pour mon plus grand plaisir. Alors, c'est avec joie que je me suis plongée dans À rebours, livre qui attendait ma bonne volonté dans ma bibliothèque depuis des mois. Il faut dire que j'ai adoré dès les premiers chapitres. Je ne pouvais pas les lire tous à la suite d'un coup (ce que j'aurais aimé faire), mais ils étaient si précis, si intriguants, qu'il me fallait plusieurs heures au sortir d'un chapitre pour pouvoir me plonger dans le suivant. Je ne connaissais pas du tout l'histoire de ce roman, et je m'y suis plongée en toute ignorance. D'ailleurs, je ne sais pas s'il serait possible de donner un résumé linéaire de ce livre, je le définirais plutôt comme un roman labyrinthe. Chaque chapitre peut presque être lu indépendamment des autres. Ainsi, j'ai d'abord été fascinée par les innombrables descriptions (décorations, alcool, livres, peintures), qui ne traînent pas du tout en longueur selon moi, puisque Huysmans jongle avec des passages plus intimes de la pensée de des Esseintes (notamment les souvenirs ou les cauchemars : la Grande Vérole…). J'ai tout de suite pensé à un style très baroque au chapitre des peintures. Le christ crucifié m'a beaucoup perturbée, mais ce n'était rien comparé aux premières pages de Là-bas. Quand je repense au caractère du personnage, je suis à la fois prise d'une crise de rire, et de beaucoup de compassion. Je ris, car on ne peut pas nier que ce personnage est particulièrement comique, avec des lubies… L'odeur envahissante de frangipane, ou le caprice du sandwich en pleine chaleur. Mais à côté de cela, oui j'ai eu beaucoup de compassion pour lui, parce que je m'en suis sentie proche : notamment son ultime réflexion sur la société lors du dernier chapitre, qui illustre avec brio sa misanthropie et son dégoût du siècle (c'est tellement moi…). En bref, ce livre m'a époustouflée, je ne dirai mieux. Et je garderai en tête l'ultime phrase du roman, qui résonne comme un poème en prose : "Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l'incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s'embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n'éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir !"
Grand ouvert !
Claire(avis transmis de Cracovie)
J'avais lu À rebours jadis et gardais un souvenir enjolivateur mais dans un halo limbique. Là-bas, lu avec le groupe, ne m'avait ni conquise, ni séduite, ni ensorcelée. J'ai lorgné d'abord l'expo qui m'a immergeationnée dans l'ambiance. J'ai crépité puis craqué pour la récente édition illustrée (co-édition avec le musée), mais j'exhumai mon antique Folio datant de 30 ans et m'armai également du récent Garnier-Flammarion empruntaillé à la bibliothèque en vue de la consultation fouinarde d'une préface-entretien de Maylis de Kerangal jaspinant sur sa dilection. J'ai navigué telle Florence Arthaud entre les trois : je lisais le texte admirablement dévoilé et illustré (chaque illustration s'avérant un ébahissement pâmoisant), vierge de toute note ; et après chaque chapitre, je me reportais avec fébrilité aux notes des deux éditions de poche, fort différentes, avec même des doubles notes en GF, en bas de page ET en fin de volume : un apparat critique digne du duc des Esseintes. Dans la préface éblouissante de Marc Fumaroli en Folio, je n'ai pas vu comme une coïncidence que soient évoquées l'une de nos lectures récentes et l'autre à venir :
- "Des Esseintes est Huysmans comme Dr Jekyll est Mr. Hyde".
- Il s'éparpille "en don juanisme esthétique, voire en cette boulimie des 'choses' si bien décrite par Georges Perec."
Je n'ai encore rien dit de ce que m'a fait le texte, circonvoluant dans le paratexte, telle une mouche tournant autour d'un pot de confiture mangue-fruit de la passion-gingembre.
Je me suis souvenue que Denis précisa, alors qu'admiratif il "ouvrait" Orlando aux ¾ : "Comme je ne suis pas un fétichiste de la lecture en continu, je ne me suis pas gêné pour grappiller les passages qui me plaisaient" – démarche de lecture opposée à celle d'Henri : "Je suis bien élevé et ai l'habitude de finir mon assiette".
La mouche continue de tourner autour du vacherin fourré au nutella. Entrons dans le vif et crachons notre valda ou plutôt notre Perle des Pyrénées : j'adore ! D'emblée, ce fut un délice gustatif des mots, une mélodie phrastique s'installant en moi sur-le-champ, avec une impression d'ivresse.
Le cher Houellebecq dit "que rien ne se passe et ne peut même se passer dans ce livre, que l’action y est, en un sens, nulle" : désolée, Michel, pas d'accord du tout, ça n'arrête pas au contraire, on va d'aventure en aventure, de découverte en découverte. Le non-départ en voyage est un clou ! Évidemment, le chapitre III sur les auteurs latins est une purge : et alors ? Je suis de l'école Denis.
L'outrance me ravit. L'on va de morceau de bravoure en morceau de bravoure, de provocation en scandale. Je passe même le mépris des femmes. Les fleurs naturelles qui imitent les fleurs artificielles, j'en redemande. Bref, rabrouant d'avance ceux qu'À rebours repousse, tel des Eisseintes qui en vient à "hennir devant l'impeccable jonglerie de la métrique de Hugo", tel Etienne qui avait barri de plaisir devant l'extraordinaire Des jours sans fin de Sebastien Barry, je jappe, je zininule, je dodeldire, je pupule, bref je tonitrue mes ¾ devant ce cabinet de curiosités qui vaut absolument ne serait-ce qu'une petite visite.
Denis(avis transmis à l'ombre de la BNF)
J'avais lu À rebours dans les années 60. Il y avait alors un certain goût, parmi les gens que je fréquentais, pour des œuvres sulfureuses, décadentes, ou bizarrement mystiques. Par exemple, Le Sar Péladan, qui connaît encore ? Le livre de Huysmans était considéré comme la bible de l'esthète décadent. Il fallait se forcer un peu pour trouver ça bien, mais c'était assez snob.
Plus tard, j'ai découvert les multiples visages de Huysmans que j'ai beaucoup appréciés : ses Croquis parisiens, remarquables observations de la vie populaire à Paris — ses explorations des couvents et monastères, pleines d'humour — À vau-l'eau, un court roman racontant la vie épouvantable d'un employé de ministère — avec de savoureuses descriptions des gargotes parisiennes avec leurs menus... C'était un remarquable écrivain de terrain.
Reprenant À rebours pour la première fois depuis ma jeunesse, j'ai eu un choc dès le début, devant la lourde prose, le vocabulaire précieux et prétentieux, l'érudition absurde. J'ai trouvé cela frimeur et détestable.
Et puis je m'y suis fait, me prenant à m'intéresser au personnage, Huysmans introduisant une certaine distance par rapport à cet horrible aristocrate.
J'en conclus que ce livre ne peut être lu comme un livre narratif, mais plutôt comme un recueil de morceaux choisis à prendre à petites doses, comme un Baedeker de la décadence. D'ailleurs, chaque chapitre est plus ou moins clairement identifié par un thème : la peinture de Gustave Moreau, la religion, les fleurs, les parfums, la syphilis, etc. Un ouvrage documentaire, en somme.
Très difficile à noter. A la fois insupportable et passionnant. J'ouvre aux ¾.
Annick L
Je suis venue ce soir par curiosité, pour entendre les avis des autres. Ma lecture fut ennuyeuse et fastidieuse. Je n'en ai rien à faire du récit des états d'âme de ce névrosé, récit entrecoupé par des pages de catalogue sur les collections de cet obsessionnel. Les cauchemars et souffrances physiques de cet aristocrate dégénéré ne m'ont pas intéressée. Il relève plutôt d'un cas psychanalytique. Et son panthéon littéraire, volontairement critique de toute la production de son époque, me semble une pose : il ne suffit pas de vouloir se distinguer de ses contemporains et du naturalisme en particulier pour affirmer son talent. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi À rebours est une référence. Parce qu'il marque une étape en cette fin de siècle ?
Je trouve ce livre, en tout cas, mortellement ennuyeux, avec ses énumérations interminables. Et ça ne constitue même pas un roman, cette juxtaposition capricieuse de chapitres qui donne une impression de quelque chose d'inabouti, de foutraque. L'écriture est recherchée, précieuse même, mais elle tourne à vide. Comment peut-on comparer Huysmans et Proust ? L'un ne s'intéresse qu'à lui-même, porte un regard glauque sur tout ce qui l'entoure, exprime une misogynie insupportable, un dégoût total du monde réel, de l'humanité (je comprends pourquoi Houellebecq l'apprécie tant !). L'autre, à travers le filtre de sa subjectivité, de sa sensibilité et de ses souvenirs, brosse un tableau passionnant (et vivant) de la société mondaine et artistique dans laquelle il vivait. La lecture d'À rebours fut pour moi une punition, je le ferme complètement et je vais vite m'en débarrasser.
Monique L
Très difficile de porter un jugement sur une telle œuvre qui parfois m'a séduite, mais trop souvent m'a assommée.
C'est beaucoup trop long et trop verbeux, mais il y a des descriptions et des critiques caustiques qui sont de véritables bijoux.
La particularité de ce roman est qu'il ne s'y passe presque rien : la narration se focalise principalement sur des Esseintes, un esthète excentrique, un dandy qui est blasé par le luxe et qui cherche à ranimer ses désirs par une excitation intellectuelle et artistique toujours renouvelée. Il tente de s'exiler du monde pour se consacrer à ses plaisirs de l'esprit. Il a besoin d'être singulier, de tourner le dos à la pensée commune, de refuser une conception vulgaire du luxe.
Cela permet à l'auteur de faire étalage de savoirs quasi encyclopédiques dans de nombreux domaines. C'est très documenté et critique. Cela pourrait être intéressant, mais trop c'est trop ! Il faut une culture phénoménale pour suivre les subtilités de la pensée de Huysmans. Je ne l'ai pas, je suis donc consciente d'avoir raté pas mal de choses.
Cette œuvre est considérée comme un manifeste contre le naturalisme et pour un rapprochement vers la sensation, le symbole et le rêve et pourtant elle contient de nombreuses descriptions très réalistes, précises et ciselées.
Dans ses descriptions l'auteur fait appel à tous nos sens : vue, goût, odeurs, sons (sauf au toucher me semble-t-il). C'est très évocateur. Ce qui est étonnant, c'est un goût pour les extrêmes. Par exemple entre l'ameublement extravagant des pièces à vivre comme la cabine de bateau et celui faussement austère de la chambre. L'épisode des fleurs est déconcertant. Il recherche dans la nature ce qui ressemble à l'artificiel. Il y a de très belles pages comme la description de l'Apparition de Gustave Moreau ou les éloges de Baudelaire et d'Odilon Redon. Certains passages sont tragi-comiques comme celui de la tortue.
J'ai été frappée par l'extraordinaire richesse linguistique avec un vocabulaire riche et rare voir inventé. Le style est imagé, varié et imaginatif. J'ai trouvé des longs passages beaucoup trop verbeux.
Ma lecture de À rebours n'a pas été toujours facile. Je reconnais à l'auteur un grand pouvoir d'évocation, mais j'ai été gênée par son côté obsessionnel. Une œuvre étrange, très singulière, parfois rebutante...
J'ai vu l'exposition au musée d'Orsay dont l'intérêt est de voir grandeur nature des tableaux que Huysmans a décrit soit parce qu'il les a aimées, soit au contraire qu'il les a critiquées parfois de façon mordante.
J'ouvre ½.

Annick A
J'ai été séduite par la magnificence de l'écriture, la richesse des descriptions qui m'ont parfois évoqué Proust, la somptuosité du vocabulaire, des dizaines d'adjectifs pour une fleur, une pierre précieuse, une grande érudition. Bien des passages me sont passés au dessus de la tête particulièrement celui sur le latin.
Quant à des Esseintes, grand esthète décadent, il est â la fois pathétique et détestable, très méprisant pour le petit peuple. Désabusé des hommes et du monde, il se crée un paradis artificiel.
Des passages sont très drôles par leur outrance, notamment autour de Saint-Vincent de Paul et l'avortement.
J'ai lu la préface rédigée par Huysmans en 1903, où il explique pourquoi il a écrit ce livre. Il cherche à s'éloigner du naturalisme et souhaite introduire des notions d'histoire, d'art, de littérature, ce que Zola n'a pas compris. Le livre a été reçu de façon critique.

Etienne
Il est un peu parano dans cette préface : l'accueil était plutôt bienveillant.
Annick A
À part le chapitre VI assez sadique donc l'auteur dit qu'il n'écrirait plus ce genre de choses, il maintient son point de vue concernant tout le reste, bien qu'il manque, dit-il, la dimension symbolique religieuse. Le débat intérieur de des Esseintes sur la foi est intéressant. Il est écartelé. Il aimerait croire, mais tout ce qu'il est l'en empêche. Huysmans dira que c'est à partir de ce livre qu'il se mettra lui même à douter et trouvera plus tard la grâce, la foi. J'ouvre aux ¾. C'est une découverte. Il faut le lire à petite dose pour ne pas passer à côté de la richesse de l'écriture.
Manuelouou ouou
J'ai lu 100 pages et je rejoins Annick A. Au début, des Esseintes m'a paru franchement pénible. J’ai pas mal sauté le chapitre sur la bibliothèque. Toutes les références latines sont pompées chez Ebert. Ses théories sur la religion versus les barbares, j'ai sauté... et puis finalement je m’amuse beaucoup. Et en écoutant vos avis, j'ai de plus en plus envie d’y retourner. J'ai beaucoup ri au passage de la dent. Je vais continuer ma lecture. Les descriptions des tableaux de Moreau sont remarquables. Mais où est-ce qu’il a été trouver cette histoire de tortue qui doit être assortie à un tapis ! Énorme ! Je ne peux ouvrir le livre... il faut que je termine ! (voir ci-dessous).
Etienne
Prenant l'auteur au pied de la lettre, je suis d'abord allé à Orsay visiter l'exposition consacrée à Huysmans, ce qui m'a permis de faire l'acquisition du roman avec dossier et surtout d'exciter un peu ma curiosité. Tout comme Claire, je crois que j'ai été un peu déçu par la dernière salle de l'exposition. Mais venons-en au roman !
Ce qui m'a fait tout d'abord séduit dans À rebours, c'est son humour grinçant. Des Esseintes est désopilant, tout le monde en prend pour son grade et le jeune hobereau n'y échappe pas non plus. On entre ainsi dans une sorte de farce tragi-comique et l'on se pose, en permanence, la question du degré auquel les faits sont énoncés. Je m'attendais à un ton déprimé et j'y ai lu du pathétiquement drôle. Mention spéciale pour les descriptions psycho-physiologiques des symptômes névrotiques qui ont acquis un charme désuet.
Ce comique trouve aussi sa prolongation dans la structure du livre. À rebours, véritable anti-roman où l'on a l'impression que Huysmans a d'abord brisé son jouet avant de le recoller méthodiquement et ostensiblement. On n'est pas pris en traître et le narrateur joue au gratte-poil avec notre connivence. J-Karl serait-il l'ancêtre du troll ?
Et là encore, souscrivant parfaitement au programme, nous sommes pris à contre-pied par Huysmans : arrive l'érudition. Des descriptions minutieuses à n'en plus finir, parodie de naturalisme. Sorte de savant fou, l'auteur nous concocte à l'aide de son orgue à bouche un mélange de liqueurs littéraires, picturales, auditives, rendant le breuvage à la limite du buvable. Ces chapitres, il faut les digérer…
Mais la gélule passe remarquablement bien car JKH n'est pas le dernier des gratte-papiers. Un raffinement extrême permet à la langue de pleinement s'épanouir ; on a l'impression de toucher aux limites du langage tant la précision est de mise.
Enfin, le dernier tour de force est cette structure troublante Des Esseintes-narrateur-auteur. En appliquant deux couches de vernis, JKH peut tout se permettre et prendre du recul… Je note que cette astuce est habilement reprise par Houellebecq et ce dernier a dû abondamment puiser dans la mine d'or d'À rebours.
Je terminerai par de minimes réserves. Premièrement l'effet de surprise du ton s'émousse un peu au fil de la lecture, mais reste puissant pour qui y est sensible. J'ai aussi un gros problème avec le chapitre VI. Des Esseintes génie du mal, pervers lubrique ? C'est drôle mais on n'y croit plus et c'est poussif.
J'invite Huysmans dans ma bibliothèque et j'ouvre son "drôle de bouquin" aux ¾.
Post-scriptum : vous commencez à me connaître, j'ai tout lu du dossier de mon édition et ma lecture s'éclaira. Des correspondances avec Zola aux parallèles baudelairiens jusqu'à sa relecture téléologique 20 ans plus tard, ce fut un délice : À rebours réussit le pari fou d'être un roman ancré dans son époque et intemporel.
Henri
Je ne connaissais rien avant de le lire. J'ai été scotché par le livre. Super, il ne va rien se passer. Super, il n'y a qu'un seul personnage. Je n'ai pas cherché à savoir s'il était véridique ou sympathique. Pour moi c'est une matière, la capacité de description est décuplée, il ravive tout. J'ai adoré la perversité du chapitre VI, par exemple ce jeune couple qui possède des meubles ronds pour habiter dans un appartement qui est carré. Le passage sur les Latins m'a donné envie de lire Pétrone. C'est un personnage d'ermite à l'envers qui recherche la solitude étouffée par les objets. Tout est à rebours. Ce n'est pas véridique, ce n'est pas un roman. Il y a une ambivalence autour de la religion : il y est attaché et il la critique violemment. On ne peut pas en lire trop à la fois. Je n'ai pas pensé à Proust. C'est du Lovecraft. C'est en apesanteur, c'est chimérique. J'ai beaucoup aimé. Ça ne suscite pas d'émotion, mais cela fait penser à Gracq. J'ouvre ¾ car il me reste ¼ à lire.
Nathalie R
On lit Huysmans comme on pourrait lire Flaubert. Je n'imaginais pas qu'il puisse y avoir un tel pendant à celui que j'aime : la recherche du mot juste, la sonorité de la phrase, la moquerie, la précision, le rythme.
J'avais bien entendu parler de Huysmans lors de mes discussions au lycée, mais je n'avais jamais rencontré une personne qui m'en parle comme un incontournable. Les questions sont venues très vite : comment le lire ? comment le réceptionner ? l'accueillir ? Car "sans histoire", la lecture allait être longue si je ne me penchais pas sur le projet de l'auteur. J'ai commencé ma lecture avec passion, ne cessant de me répéter que ça, oui, c'était de la littérature ! et avec une profusion de points d'exclamation. J'ai ensuite feuilleté les notes et les commentaires de l'édition, découvrant les copains : Zola, Mallarmé, le groupe de Médan. J'avais tout autant envie de lire les notes et surtout les lettres de Huysmans évoquant les difficultés à dépasser que de suivre les inaudibles tribulations de l'unique personnage.
Pourtant, assez vite fatiguée par la difficulté de l'exercice, j'ai récupéré le livre audio et du fond des âges, alors que je me rendais au travail et que j'en revenais, une voix cacochyme, grave et précieuse s'est mise à "psalmodier" le texte tel un texte sacré.
Malgré ma première réaction de rejet à cette voix terrible, je réalisais que chaque mot, chaque expression devenait comme une extension de celui qui les avait écrits. C'est une langue à entendre ! Et cela pour moi, la rapproche encore plus étroitement de celle de Flaubert. Bien sûr on peut être lassé par les accumulations répétitives, par les longues énumérations ! C'est une médication qu'il faut prendre à petite dose ! Mais quel vocabulaire ! quelle précision ! quelle recherche ! Et quelle pauvreté que notre propre langage, nos infimes capacités à dire les choses, à les nommer, à les décrire de façon précise. Ce livre est, pour moi, une sorte d'encyclopédie d'une époque, à un moment T, dans un microscopique milieu donné. Il me semble qu'il a valeur de témoignage, que c'est une œuvre qui vaut de l'or.
Je me suis interrogée sur la place de l'argent dans l'œuvre et pour quelle raison, elle est à peine évoquée. Le lien entre ennui et oisiveté ne me semble pas avoir été évoquée, en regard à la lassitude du monde et des êtres. L'œuvre n'a pas vocation à être réaliste ne serait-ce que dans la notion de temps : accumulation de choses très rares (comme les papiers) ou guérisons invraisemblables (épisode des dents, du malaise).
J'ai été marquée par la tortue bien évidemment, par la fantaisie du cabinet maritime, par la capacité à disserter sur la fabrication d'un "bouquet". Et quand le principe m'a semblé répétitif (surtout pour le passage des vins), j'ai décidé de le lire dans n'importe quel ordre et j'ai laissé tomber la linéarité pour picorer au fil de mes envies. Du coup, ce soir, je n'ai pas encore lu le dernier chapitre.
J'ai été amusée par le passage dans la maison close. Amusée à l'idée qu'un homme puisse décider de façon expérimentale et grotesque de provoquer la décadence d'un jeune homme. Cela m'a fait penser à Hugo et à ses thèses sociales et à la modernité pour l'époque qui postule que ce que l'on devient est davantage dû à une succession d'actes qu'à une forme d'atavisme familial, chère à Zola.
J'ai été très étonnée de voir que le "pianocktail" de Vian serait une forme de plagiat de celui de Huysmans !
Mais mon passage préféré est celui du voyage avorté vers Londres. J'ai relevé quelques passages qui me ravissent, la vision de Paris boueuse (p. 161 GF), les descriptions mordantes et drôles des Anglais établis à Paris, des passages critiques à l'égard de la religion et du peuple "que des philanthropes excitaient, en guise de consolation à réciter des versets et à chanter des psaumes" p. 62 ; des merveilles de mots "en papier bleu perruquier et vert chou gaufrés" p. 163, "des sandwichs cachant sous leurs fades enveloppes d'ardents sinapismes à la moutarde" p. 165, des passages moqueurs sur la prose féminine (p. 179).
Je conclurai en supposant que, même si son projet était très difficile comme il le mentionne dans sa lettre à Mallarmé en novembre 82 ("je suis plongé jusqu'au col dans ma terrible nouvelle qui me donne un terrible mal et de recherches et surtout de vocables un peu rares. Comme consolation ça sera compris par dix personnes et ça fera un four"), je me dis en souriant qu'il a quand même dû sacrément se gondoler à écrire certains passages !
J'ouvre en grand.
Brigitte
Qu'est-ce qu'un livre pour le groupe lecture ? Ici on en tient un. Nous avions déjà lu dans le groupe Là-bas, dont je ne garde pas un bon souvenir. La lecture est ici ardue, on est débordé par la quantité d'informations. Pourquoi ce livre difficile est-il si important ? Pourquoi est-ce une référence dans la littérature française ? D'autres grandes œuvres littéraires (Don Quichotte, par exemple) ne sont pas aussi difficiles d'accès. J'ai aimé le passage traitant des auteurs latins. Ces derniers temps, je me suis beaucoup intéressée à cette époque (de Virgile à Charlemagne), mais jamais je n'avais trouvé de développement sur ce sujet. Je suis vraiment rentrée dans le livre à partir de ce moment. C'est parfois burlesque. À certains moments, l'auteur se moque de ses lecteurs : comment peut-on se nourrir à l'aide de lavements ? J'ai aussi aimé le passage de la tortue, qui est très amusant. J'ai lu la préface de Fumaroli : un autre personnage très brillant, très cultivé ; toutes ses lectures sont présentes à son esprit, comme si elles dataient de la veille ! Selon lui (et je partage son avis), le grand thème de À rebours, c'est l'ennui ; notre but à chacun est de lutter contre l'ennui, pour donner un sens à notre vie. J'ai aussi aimé la description du voyage par la ligne de Sceaux, puis le trajet en fiacre de Denfert à la gare Saint-Lazare. Nous fréquentons les mêmes lieux aujourd'hui, mais tout est extrêmement différent. Huysmans est un virtuose de l'écriture. Ce livre m'a rappelé un commentaire de Richard qui disait : un grand artiste jongle dans plusieurs domaines, il sait tout faire, et peut ainsi innover. En raison de la grande difficulté de lecture, j'ouvre à moitié.
Manuel
(trois mois plus tard, en plein confinement)
Je révise mon avis depuis notre réunion. Je n'avais lu que cent pages et mon avis rejoignait celui d'Annick A. J'ai repris ma lecture après avoir lu Martin Eden et pendant le confinement. Des Esseintes me paraît toujours franchement pénible. En n'ayant lu que 100 pages, je ne pouvais pas savoir que la bibliothèque serait à plusieurs reprises évoquée. Le chapitre sur la décadence des Latins m'a paru très pénible. J'ai lu À Rebours dans l'édition Folio et à cause des notes, j'avais l'impression que tout a été pompé sur Ebert. L'émergence de la religion versus l'arrivée des Barbares ne m'a pas convaincu. Et puis finalement j'ai adoré ce livre qui est plein d'humour (noir). J'ai beaucoup ri au passage de la dent. Le chapitre sur le voyage imaginaire à Londres est un morceau d'anthologie ! La bibliothèque et ses livres ont une part importante dans la vie de des Esseintes. Je cite : "À quoi bon bouger, quand on peut voyager si magnifiquement sur une chaise 
?" Les descriptions des tableaux de Gustave Moreau sont magnifiques. Les chapitres sur les auteurs contemporains (je me suis accroché), la musique, sont remarquables par leur analyse. Mais où est-ce qu'il a été trouver cette histoire de tortue qui doit être assortie à un tapis ! Bien qu'à plusieurs reprises, j'étais à deux doigts d'abandonner, le livre mérite la découverte par ses descriptions d'une époque, de des Esseintes (jardinier, parfumeur, musicien, malade) qui est un antihéros et d'admirer le critique qu'étais Huysmans. Le livre parlait de confinement !


Synthèse des AVIS DU GROUPE BRETON réuni le 16 janvier 2020, rédigée par Yolaine (suivie de trois avis détaillés)

9 cotes d'amour : Cindy Chantal Édith Marie-Thé
Marie-Odile •Suzanne •Yolaine
•Christine •Jean


Difficile de parler de ce roman qui ne raconte rien, et que, par sa rupture avec le réalisme et le naturalisme en vogue défendu par Zola, on pourrait mettre dans la catégorie fourre-tout des antiromans. Les aspects négatifs ont paru rédhibitoires à certains au point de provoquer un rejet total du roman, de son auteur et de son héros, tandis que les qualités d'écriture ont séduit la majorité de l'assistance. C'est donc dans un certain consensus sur le fond, mais dans une adhésion à géométrie variable, que nous avons réfléchi à l'originalité de cette œuvre et essayé de comprendre en quoi elle paraît si importante dans l'histoire de la littérature, pourquoi aussi elle évoque avec une telle résonance notre propre actualité, alors même qu'elle apparaît si "datée" dans les tendances littéraires de la fin du XIXe siècle.
Au nombre des reproches :
- l'érudition jusqu'à l'ennui et l'indigestion du catalogue des savoirs de l'époque, littérature latine, religieuse, philosophie, botanique, peinture, parfums, décoration, qui nécessiterait le recours constant à un dictionnaire. On traverse les chapitres comme on visiterait une exposition, guidé par l'excellent critique d'art que ne peut s'empêcher d'être Huysmans ;
- le côté énervant du personnage des Esseintes, aristocrate raffiné et décadent, dandy et névrosé, qui n'évolue pas et s'enferme dans la solitude, le désespoir, la victimisation ;
- son ambiguïté : odieusement machiste mais fasciné par le féminin, blasphémateur mais obsédé par le religieux, constamment "à rebours" et dans la provocation.
On a aimé :
- le recours permanent à l'ironie pour décrire le vide existentiel de cette fin de siècle qui bascule dans la décadence (et nous y avons tous retrouvé des affinités avec Michel Houellebecq) ;
- l'amour de la langue et de son évolution, de la poésie, la quête de l'essence de la littérature, la richesse et la précision des descriptions, qu'elles soient littéraires, picturales ou médicales ;
- le côté délirant, extravagant, onirique, subversif, et même l'attirance pour la perversion et le satanisme dont certaines d'entre nous se sont avouées friandes.
En conclusion, comme souvent, une découverte pour la plupart d'entre nous, qui ne serions pas allés chercher cet auteur sans Voix au chapitre, mais qui ne nous a pas laissé indifférents. Que serions-nous sans le latin et sans Huysmans ?
Marie-Odile
Je ne connaissais de cet auteur que sa place dans Soumission de Houellebecq et un lointain souvenir du… Lagarde et Michard ? Je ne crois pas à travers ma lecture avoir découvert un auteur mais plutôt un personnage, cet affreux des Esseintes égocentrique, misanthrope, pessimiste, antipathique, etc., qui a décidé de vivre à rebours ne se contentant pas de se couper du monde, mais faisant du laid avec du beau, de l'artificiel avec le naturel, du masculin avec du féminin et inversement, dans un but qui, je dois l'avouer, m'a échappé. Sa quête de l'essentiel suggérée par son patronyme ne m'a pas vraiment convaincue. Cependant, ses propos sur le poème en prose qu'il considère comme la quintessence du roman ne sont pas loin de me convaincre.
Son rapport à l'art qui ne le sauve de rien mais qu'il ne veut pas partager m'a déplu. "La promiscuité de l'admiration était un des grands chagrins de sa vie". Son goût pour "le faisandé, le morbide, le talé, le blet" a fait qu'aucune des références littéraires ou autres qu'il présente ne m'a donné envie de découvrir une œuvre nouvelle. Or, pour moi l'intérêt d'un texte plein d'érudition, c'est d'ouvrir vers de l'inconnu, de faire rebondir vers d'autres œuvres.
M'ont déplu également ses propos sur la "bêtise innée des femmes", l'idée que toutes les valeurs se perdent (Tout fout le camp, l'hostie n'est plus que de la fécule !).
En écrivant ceci, je perçois toute l'ironie du texte qui m'a un peu échappé à la lecture. Tout dans ces citations me semble maintenant excessif, caricatural donc risible.
Et ouf ! Huysmans n'est pas des Esseintes, quoique ce cheminement commun vers le catholicisme n'a-t-il pas quelque chose de suspect ?
Ceci étant, j'ai été fascinée par l'abondance des sujets abordés et dont je ne ferai pas la liste. "Chaque chapitre devenait le coulis d'une spécialité, le sublimé d'un art différent". Ce côté catalogue m'a rappelé Bouvard et Pécuchet, mais l'enthousiasme, la naïveté et la bêtise de ces deux personnages tentant d'expérimenter tous les champs du savoir m'avaient paru bien plus sympathiques.
J'ai été très intéressée par certaines questions abordées par des Esseintes, par exemple le rapport entre l'évolution d'une langue (le latin) et l'essor d'une religion ou la fin d'un empire.
J'ai apprécié le rythme des phrases, la richesse inouïe du vocabulaire, l'abondance de termes spécifiques qui ouvrent sur un univers différent à chaque fois. J'ai eu parfois en lisant, l'agréable impression de visiter une exposition (et pas seulement lors de la description des tableaux de Gustave Moreau). J'ai parfois pensé à Zola, mais il me semble que ce dernier transfigure ses descriptions par quantité de métaphores alors que Huysmans colle au plus près de la réalité.
Le côté petite madeleine de Proust ne m'a pas séduite (exemple : le bonbon Perle des Pyrénées support de souvenirs avec les femmes), trop facile.
L'orgue à bouche m'a semblé plus original, précurseur du pianocktail de Boris Vian dans l'Écume des jours.
Bref, un texte très riche dont je me suis demandé vers quoi il va, comme ce personnage artificiel qui n'évolue pas vraiment.
Qu'on ne s'y trompe pas, la longueur de mes propos ne doit rien à l'intérêt, faible, que je porte à cette œuvre, mais plutôt au spleen d'un jour de pluie…
J'hésite entre ¼ et ½, allez va pour ½ en raison des bons échanges et interrogations qu'il a suscités.
Chantal

Je l'ouvre, après grande réflexion, à ¾.
Je n'aime pas des Esseintes ! Tout au long du livre il m'a agacée, énervée au plus haut point. Je lui parlais, je lui disais : "si tu travaillais, si tu devais gagner ta vie, tu ne resterais pas là à contempler ton nombril, à t'inventer des occupations absurdes pour passer le temps..." et puis son mépris des femmes est insupportable ! De même son balancement entre luxure et religion (religiosité plutôt), tout ça ce sont des postures !
Mais : quelle écriture ! Quelle merveille d'écriture ! Et justement la description magistrale de ce des Esseintes : rarement la névrose a été si bien décrite. J'allais dire "description médicale". Bon, je suppose que l'auteur sait de quoi il parle, le personnage et l'auteur sont-ils différents ?
Et puis quelle érudition ! Les auteurs de la bibliothèque de des Esseintes, les auteurs latins cités, analysés, m'ont mise en face de mon ignorance.
Et j'ai véritablement apprécié, goûté, ses descriptions, ses mots, concernant aussi bien les pierres précieuses, les fleurs, les parfums... ses mises en scène de son appartement, avec une précision telle qu'on s'y croirait ! La tortue recouverte d'or et de pierres précieuses…
Et mon coup de cœur, vraiment, ce sont les mots, tous ces mots inconnus, beaux à lire et à prononcer, "gouleyants", quel plaisir ! Moi qui vais trouver les mots du dictionnaire médical quand j'ai besoin de me calmer, eh bien je vais désormais y ajouter Huysmans !! J'ouvre ce livre aux ¾.
Édith

J’ai été contente du choix du groupe, de ce livre sorti en 1884.
J'avais, du personnage de Huysmans, l'idée d'un homme troublé par le mal et attiré par l'église et la foi. Du fait de mon ancienne activité bouquiniste, je l'avais souvent en rayon et satisfait la demande de clients, mais je n'avais jamais vraiment lu cet auteur, ni d'ailleurs beaucoup échangé avec ces derniers.
Je l'avais "classé" parmi les auteurs de fin du XIXe siècle travaillés par les thèmes de l'église et l'anticléricalisme, de la laïcité, du mal, du sexe et ses "tracas", et le rapport à la mort.
Edgard Poe, Villiers de L'Isle-Adam, Barbey d'Aurevilly, les peintres Gustave Moreau, Odilon Redon… Autant d'auteurs et créateurs déposés sur étagères, rapidement ouverts, trop rapidement. Cette fin de siècle m'attirait par ses préoccupations, me faisant ainsi une idée inexacte, vague, de cette littérature et de ses créations, faute d'approfondissements. Époque machiste et dévergondée sous l'honorabilité du pouvoir financier, de la classe bourgeoise et du mépris par ces derniers assez souvent des classes défavorisées. Ce sont les dessins de Daumier et autres caricaturistes de cette fin de siècle, livrant des femmes légères et parfois pauvres à la merci de ces hommes. J'aime aussi beaucoup regarder les documents, les affiches, les photos de cette époque.
Merci donc à Voix au Chapitre.
A propos, je souhaiterais lire une œuvre de Flaubert...
De ce fait, je me suis lancée dans ce livre dont je n'imaginais pas la densité…Heureusement divisé en chapitres, chacun d'eux apportant un éclairage très personnel par des Esseintes (cet homme est la voix de Huysmans, c'est du moins ainsi que je l'ai compris). Il dote son personnage, dans la notice en début du livre, d'une biographie expliquant sa détermination à s'enfermer dans une maison à Fontenay-aux-Roses. S'ensuit une description méticuleuse du lieu et de ses transformations, elles sont celles d'un esthète. Voilà installé, jusqu'au dernier chapitre, ce personnage à la fois déconcertant de gougnaferie, de prétention, de raffinement, de dédain, d'égoïsme, un rêveur fou, un savant rigoureux et grotesque, prétentieux, de culture ancienne et de préoccupations de son siècle, pédant et aussi de fuyard devant la vie. La mort est en toile de fond ; ses recherches "maladives", ses exclusions sans nuances seraient-elles autant de façons de s'abstraire de la vie au sens classique et ainsi de fuir interrogation et angoisse suscitées par cette idée, celle de la fin de vie, de la maladie de la perte de la jeunesse ?
J'ai savouré à plusieurs reprises le détail de ses potions et des plats préparés avec la diligence de ses deux serviteurs totalement aliénés à son service. Dans l'épisode de la tartine des enfants pauvres et de son désir de manger la même… j'ai honte pour lui de son rejet de ces mômes… De même, sa déclaration par rapport aux naissances des pauvres et parfois leur abandon… à rougir de stupéfaction, résolument provocateur. Il est vrai, je crois, qu'à la même époque des théorise eugénistes existaient. Sa prétention d'homme supérieur, son angoisse de la mort et ses lubies médicinales et esthétiques… au chapitre dernier cela le rattrape et il doit quitter son havre. La névrose est évoquée à plusieurs reprises.
L'évocation de son départ vers Londres et la mise en place de ce voyage en passant (s'arrête) à Paris est drôle… et je dois dire que je pars un peu avec lui dans la minutie et l'humour des descriptions, en me réjouissant quelque peu de ses remarques parfois rosses à l'égard des Anglais. Justesse du propos incarné par une bonne connaissance de l'Angleterre et de son climat humain : il connaît la littérature anglaise et ses héros…
J'ai beaucoup aime le chapitre entier sur les pierres et la façon dont il martyrise la tortue en l'accablant de pierres précieuses sur la carapace…, c'est totalement surréaliste (couverture du livre choisie par l'éditeur). La minutie avec laquelle il élabore cette mise en place pourrait évoquer la manie d'un fou psychotique ou d'un maniaque : construction surréaliste aussi perverse que le souvenir que j'ai de certaines histoires d'Edgard Poe.
Chaque chapitre — et il y en a 16 — livre un état de connaissances encyclopédiques. Il a dû rechercher de la documentation sans douter toutefois de son érudition. Cette dernière était certes différente à cette époque. Mais le vocabulaire précis pour chaque description laisse admiratif. Richesse et amusement de découvrir les définitions de certains termes. Il y a du LITTRÉ, homme original, son contemporain ; beaucoup de mots ont disparu et notre richesse de vocabulaire a aussi considérablement diminué. Et évolué.
J'ai acheté l'édition
Garnier Flammarion avec dossier et de ce fait j'ai aimé aller voir rapidement — en m'arrêtant à ce qui me frappait le plus — les notes concernant chaque chapitre. Pour le plaisir, je relève certains mots dont j'oublierai vite la signification faute d'usage… : eccamineux, glutineuse, testateur, sauré, éréthisme, perspicuité, hypogées, lendores...
Des noms savants d'objets et de matières (cinabre, santonine) et puis tous les mots correspondants à décrire les fleurs, les parfums, les bois, les alcools, les tissus, les matières et, pour enfin, être étourdie par tous l'énumération savante des auteurs latins grecs et moyenâgeux. Quant à lire ses remarques sur ses auteurs contemporains, je me suis sentie dans Lagarde et Michard ! Il m'est arrivé de lire tout haut certaine énumération pour le plaisir des sonorités.
J'ai lu avec plaisir la critique de Zola (ami fidèle de Huysmans) dans le dossier. J'ai lu attentivement la seconde préface de Huysmans en éprouvant "à parcourir ses lignes" la satisfaction d'avoir lu les 16 chapitres. Cette lecture m'a fait visiter l'ensemble des titres de son œuvre, pas certaine d'ailleurs de les lire. Je constate néanmoins que je possède de mon ancienne bibliothèque Être bien dans le mal : Baudelaire, Huysmans, Bataille d'Anne Bihan, aux éditions du Champ lacanienédition du champ… Alors lecture à venir ?
J'ai ainsi compris le projet de Huysmans : celui de sortir de la littérature dite "naturaliste" pour plonger dans un ouvrage qui reste à mon regard comme une allégorie d'un homme souffrant du siècle, une somme de critiques acerbes et parfois justes du monde en général, et aussi des femmes, une volonté d'aller vers une autre forme de littérature et sortir du roman façon Zola.
J'ai lu ce livre en France et en voyage et à nouveau en France. J'ai donc eu une lecture découpée, morcelée, mais le goût que j'ai de cette époque fin XIXe me remettait facilement dans l'ambiance, j'avais désiré très fort lire ce livre et le partager.
Pourquoi seulement ¾ ? N'est-ce pas le sentiment d'un "monstre" d'écrivain qui m'a fait redouter et désirer le lire. L'édition avec dossier était trop pour ma "gourmandise" et pourtant j'y ai pioché...
Marie-Thé
Le jour de la rencontre Voix au chapitre-Morbihan, j'avais dit que je l'ouvrais à ½ : en cheminant dans À rebours, j'ai très souvent été émerveillée par l'écriture de Huysmans, par les descriptions qu'il fait d'œuvres d'art, de livres, de lieux, par les portraits souvent caustiques et si bien brossés de personnages parfois méprisés, souvent rejetés. J'ai aussi été éblouie par l'érudition de l'auteur, par l'importance accordée à chaque mot, par la multitude des sujets et des détails apportés.
MAIS : toute cette érudition, toutes ces énumérations qui n'en finissent pas, tous ces auteurs (chrétiens en particulier), que je ne connais même pas, tout ce vocabulaire, ces mots inconnus aussi, tout cela m'a vraiment lassée, menée à l'indigestion... J'ai dû sauter des lignes et des lignes pour m'en sortir.
Aujourd'hui, je rédige mon avis, plus d'une semaine après avoir terminé ma lecture. Depuis, le livre où j'avais cheminé a cheminé en moi, pour qualifier ceci, deux mots : à rebours. Résultat, je ne l'ouvre plus à ½, mais aux ¾. Je ne rejette rien de ce que j'ai dit plus haut, j'y ajouterai que À rebours m'apparaît comme un grand livre et Huysmans comme un génie. J'admire cette écriture recherchée, ciselée, ce travail d'orfèvre, une œuvre d'art en quelque sorte. Je suis très impressionnée par la force qui se dégage de cet ouvrage évoquant entre autres la décadence d'une époque et le "mépris de l'humanité" éprouvés par Jean des Esseintes réfugié dans "une thébaïde raffinée". Et toutes les couches de la société y passent, mentions particulières tout de même pour les femmes, les enfants (avec le jeune Auguste emmené chez madame Laure, il est diabolique) et même les fleurs... ("une certaine pitié pour les fleurs populacières"). Je suis effarée, quelle horreur et quel talent…
Lorsque ce personnage haineux, névrosé, hypocondriaque… en arrive, après avoir rejeté la langue latine, à louer Pétrone et son Satyricon, à être sensible aux Confessions de Saint-Augustin, j'apprécie de croire voir émerger chez lui une forme de quête spirituelle. Quête de la beauté aussi, mais quel désastre, avec la tortue par exemple : "on lui avait pavé le dos comme un ciboire." J'y vois une forme de sacrilège.
Dans ces pages, je vois surtout délire et extravagance, mais j'ai aimé voir des couleurs presque partout ; par contre le repas de deuil rappelle peut-être la mère qui ne supportait pas la lumière...
La description de Salomé de Gustave Moreau a retenu mon attention, Salomé et l'"indestructible luxure", parée comme la tortue. Huysmans érudit et critique d'art n'est pas loin…
On est bien sûr souvent à rebours, de la nature à l'artifice par exemple. Mais avec le rêve on passe de la végétation au virus (apparition de la grande vérole). L'évocation des sens malgré, quelques longueurs, m'a intéressée, en particulier "les illusions de l'ouïe".
De ce livre provocateur, j'ai beaucoup aimé le dernier chapitre, formidable, tout y est, c'est le passage que je préfère. Critique impitoyable du monde de l'argent, des financiers, c'est aussi "la mort de tout art", l'hypocrisie du milieu littéraire, etc., etc. Résonnances avec aujourd'hui…
Et enfin ces toutes dernières lignes : "Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l'incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s'embarque seul, dans la nuit…"
Voici un livre que je conseille… même s'il m'a parfois assommée, dérangée aussi. Actuellement, on ne peut plus dire ce qu'on veut : gare à la censure. Eh bien, lisons A Rebours !
J'ai par ailleurs beaucoup pensé à Houellebecq, mais aussi à Baudelaire, et même à Proust.


AVIS DU nouveau groupe parisien réuni le 31 janvier 2020

13 cotes d'amour
Anne Françoise H Monique M
Entre et
Audrey
Anne-MarieDavidKatherine
Christine Nathalie BSéverine G 
     
Faustine
Margot      Olivier

Margot
Comme ce soir je ne pourrai vous rejoindre pour partager avec vous À rebours de Huysmans, voici mon tout bref commentaire sur cet ouvrage.
Une très grande perplexité à la lecture de l'œuvre que je n'ai pas tout à fait terminée.
Oui, une très belle langue et presque un ou des colliers de joyaux très surprenants que l'on voudrait retenir, mais qui se suivent et s'annulent.
Un roman centré sur une "fin de race", le rejeton d'une "fin de lignée" qui s'ennuie, avec lequel le lecteur s'ennuie également diablement et s'étiole, le tout dans un luxe de culture, une gabegie même, qui est destinée à s'éteindre avec lui ?
Ou encore un brillant exercice de style qui amène, pousse l'auteur (mais dans quel objectif et quelle motivation ?) à faire montre de son savoir.
Ce serait là le livre de l'auteur savant, l'auteur puit de science ?
Une trajectoire a retenu mon attention, un petit point de bascule qui semble être le corps — à partir de l'incident de la rage de dents — ou le chemin ne suit plus les affres ou les aléas du monde extérieur, mais où l'aventure s'insinue dans le corps, la rage de dent, l'alcool et le goût de l'alcool, les malaises et la maladie. Et nous voila plongés dans l'intériorité du corps.
J'hésite à fermer un livre complètement, alors je le laisserai ouvert à 1/3.
Audrey, entre et
Je comprends pourquoi Huysmans plaisait à Houellebecq : je vois dans ce personnage qui est à rebours, qui cherche à provoquer, qui affirme une certaine immoralité, un auteur qui est un "chef littéraire". J'ai trouvé que c'était un texte très raffiné, qu'on entre dans un univers ; chaque tissu, matière, couleur, est subtilement choisi et étudié. Le vocabulaire évoque ce raffinement : précis et détaillé. Je mesure à quel point un mot signifie quelque chose dans le détail. J'ai la chance d'avoir une édition avec le vocabulaire expliqué. C'est une langue pointue, acérée, élégante, recherchée, érudite. Il y a de l'humour dans ce texte : la scène du dentiste montre un sens du récit, une petite nouvelle dans le texte, elle a un rythme extraordinaire. Il y a un passage assez poétique : il ouvre la fenêtre et décrit le contraste de la neige sur le ciel de la nuit. J'ai aimé le travail autour des correspondances, très proustien, entre goût et musique, littérature romaine et période historique, voyage et puissance de la pensée, couleurs et caractères des gens. C'est un aristocrate qui méprise en permanence, une misanthropie rôde lourdement. Le style souligne ça aussi, ce n'est pas accessible à tous. Tout ce que la masse commence à apprécier perd de la valeur à ses yeux. Il y a dissociation entre un homme qui fouille, qui recherche et parfois c'est plus provoquant. C'est plus une succession d'essais qu'une œuvre de fiction. Je me demande comment le livre a été reçu. Il y a une liberté de ton, c'est moderne. Ça me fait penser à Baudelaire (dandy, amoral) et à Sade.
Françoise H
J'ai beaucoup ri, mais je ne saurais pas vous dire pourquoi. C'est très baudelairien dans sa distinction assumée, son anticonformisme. C'est aussi un homme qui vit la révolution industrielle, un grand pourfendeur de la bourgeoisie dans la matérialité, la consommation, l'ostentation, l'arrivisme. J'ai du mal à distinguer personnage et auteur. Qu'est-ce qu'a pu être l'essor de la bourgeoisie et de la modernité ? C'est un homme du passé avec un regard complètement réactionnaire, dans le refus du présent. Son esprit est trop vaste pour ce monde trop étriqué du 19e siècle. C'est un fou intégral : maniaque le plus poussé. On n'est pas dans un délire, mais plutôt avec une taupe qui creuse, qui s'abstrait du monde. Il se le fabrique, il n'en sort pas. C'est un monde clos, à contre-courant des valeurs contemporaines de l'auteur. C'est très intéressant du point de vue psychiatrique. C'est très jubilatoire. J'ai lu En rade où il introduit du fantastique. Le livre est moins heureux, j'ai laissé tomber, lassée.
Anne-Marie
J'ai trouvé que ce n'était pas un roman, il n'y a pas d'histoire. Le contexte est intéressant : dernier de sa lignée, du fait de la consanguinité il est dégénéré physiquement, faible, et il a abusé sans que l'on sache vraiment de quoi il s'agit. C'est presque lovecraftien, il y a de l'indicible. On a l'impression qu'il s'est isolé du monde du fait de son impuissance. Il est devenu misanthrope, mais il n'a pas plus d'estime pour les gens de sa caste que les autres. Personne ne trouve grâce à ses yeux. Il s'isole à la campagne et est fatigué du monde et de la débauche. Il s'étourdit de raffinement à son usage unique. Avec un vocabulaire raffiné, et certains des mots que je ne connaissais pas et n'avais jamais vus. Il y a des énumérations : auteurs latins, couleurs, étoffes. On sent le critique d'art, ce n'est pas du fantasme, c'est pointu et érudit. Ça contraste avec son côté onirique, il s'évade dans le rêve. C'est sa seule distraction. Il n'a pas assez de mépris pour la populace et les femmes en prennent plein la figure. Et en même temps il a une fascination pour Salomé, la tentatrice. Sans attirance non plus. On n'y croit pas trop, c'est rhétorique. Il est sadique aussi, pervers (histoire avec le petit garçon). Il s'est mis hors de l'humanité. C'est soit pour choquer soit par pari avec lui-même. On sent qu'il cherche des sensations et des stimulations, mais ça n'aboutit pas. Le style est très beau, il y a une vraie poésie dans certaines descriptions. On retrouve le naturalisme à la Zola dans certains passages. C'est très réussi mais laisse une impression de malaise. C'est intéressant, mais je n'adhère pas au personnage.
Nathalie B
J'ai cherché les référence, recherché les auteurs latins, regardé les images des fleurs et plantes mentionnées, des pierres aussi... Huysmans montre le nombre d'auteurs oubliés ou totalement inconnus, le vocabulaire que nous n'avons pas, c'est érudit et il nous le fait savoir. J'avoue que la vie du personnage qui s'isole du monde, autocentrée, ne m'intéresse pas particulièrement. Il a un côté dandy qui ne m'attire pas non plus. Sans compter sa misanthropie et sa misogynie insupportables. L'auteur, de par son écriture, nous tient à distance du personnage, sans doute d'ailleurs parce qu'il a mis beaucoup de lui chez son des Esseintes. Il y a de jolis moments : un chapitre que j'ai bien aimé et qui m'a fait rire, c'est celui du voyage pour l'Angleterre, ainsi que les descriptions des tableaux de Moreau. Sa lecture m'a permis de me réinterroger sur le 19e siècle : la bourgeoisie matérialiste qui s'érige et l'aristocratie qui s'éteint. Il n'aime pas ce monde, ni le monde dont il est issu. Mais je me suis ennuyée en le lisant. Si parfois le roman m'a fait sourire, il ne m'a rien fait ressentir. Or ses chapitres sont décomposés en autant de sens qu'il se complaît à décortiquer pour nous montrer tous les mots rares qu'il connaît. Par exemple, le chapitre sur les odeurs, les parfums. J'ai pensé au livre Le parfum de Patrick Süskind où tu ressortais du roman avec un nez plus développé, avec le désir de humer tout ce qui t'entourait, où les odeurs étaient tellement bien décrites que tu les ressentais à l'instant. Là, rien. Des noms, une liste d'odeurs et de parfums, mais aucune sensation. C'est cérébral, intellectuel, mais pas de sensation. Ce sont des listes. Richesse du vocabulaire, des mots magnifiques. A ce titre, la lecture est intéressante mais elle ne t'emporte pas.
Anne
J'ai trouvé le personnage très émouvant. C'est un maniaco-dépressif très émouvant de par sa tentative de s'accrocher aux plus beaux mots. Je n'ai pas tout lu, j'ai passé certains passages. Il lutte désespérément contre quelque chose qu'on a dû lui faire vivre, des désillusions fondamentales et effondrantes. Il essaie toujours de se recréer des illusions jusqu'au mépris. Son raisonnement n'est pas faux car il ne peut pas faire de compromis, c'est sa spécificité. On est tous confrontés à la différence et il ne veut pas ça. Ça l'effondrerait. Le passage sur Londres est fabuleux. Il est drôle tout le temps : les fleurs, ce sont des mots extraordinaires, des fleurs qui copient les monstres que nous sommes. Il lutte contre l'horreur de la vie. Les mots ne sont que de la futilité mais parlent de l'essentiel. Apologie de l'art de pervertir et de pousser l'esthétique comme on fait mourir une héroïne en fin d'opéra. Il fait tout mourir : fleurs, tortues. Beauté de la parole. Homosexualité effacée mais on la sent.
Olivier
La critique du tableau envoyé précédemment était très drôle, donc j'avais un a priori positif. Première désillusion : la préface. C'est d'une prétention. Il se regarde écrire tout le temps. Ampoulé, prétentieux, j'ai détesté. Tout le temps je voyais l'homme qui écrit. Le personnage est pervers oui, mais je m'en fous. Je ne vois que l'homme qui écrit. Ce n'est pas de la littérature. Ça doit nous emporter un livre, tu ne peux pas le fermer, tu vas jusqu'au bout, tu le vénères. Ça m'ennuie à mourir, ça ne m'apporte rien. Il y a des moments, des nouvelles bien écrites. Il devrait écrire dans Figaro magazine et pour Côté déco. J'ai creusé sur l'auteur : antidreyfusard, il massacre Zola pour le J'accuse. Un livre n'a pas d'âge, pas de siècle. Si c'est un plaisir intellectuel, je n'ai pas de plaisir de lecture. J'attends plus de la littérature, j'attends qu'elle me parle de la vie, de l'homme. Il en parle de manière pédante, prétentieuse. Je perds l'image à cause du vocabulaire qui nécessite un dictionnaire à côté. Le bonhomme qu'il décrit ne me fait rien ressentir. S'il faut attendre Houellebecq pour parler d'un gars du 19e... De temps en temps, pour trois quarts des pages, j'ai été scotché : nouvelles, description des tableaux. Mais je n'ai pas tout lu.
Faustine
Je me suis un peu ennuyée en lisant ce livre. Certains passages m'ont captée : contexte et famille, passage sur le voyage à Londres, emménagement... Mais pour le reste, je n'arrivais pas rester concentrée, trop de descriptions thématisées : bibliothèque, tentures, couleurs..., au début avec plaisir. J'ai sauté de nombreux passages. Mon attention n'était pas dans le livre. Je n'aime pas m'arrêter quand je commence quelque ouvrage mais pourtant... l'ennui l'emporte sur le reste. Trop de maniaquerie du personnage pour y être sensible.
Monique M
J'ai éprouvé un plaisir rare, une grande jouissance à lire ce livre, l'une des grandes œuvres de la littérature française, qui rompt avec ce qui précède, s'ouvre à la modernité et au 20e siècle.
Plaisir à explorer l'univers de des Esseintes, ce monde clos, ce paradis artificiel hyper sophistiqué, dans lequel il s'enferme. Il y a là une débauche, un chatoiement de couleurs, d'étoffes, de parfums, de livres rares, de meubles précieux… décrits avec un tel raffinement, que tout est mis en place pour exalter les sensations les plus extrêmes. Plaisir encore, de découvrir la grande érudition de Huysmans, ce foisonnement de connaissances. Il me semble qu'il fallait que Huysmans le déploie de cette façon pour rivaliser, tout au moins équilibrer l'extravagance extrême de des Esseintes, sa folie névrotique aux passions morbides, et se situer ainsi à sa hauteur.
C'est donc un voyage dans les passions littéraires, picturales, olfactives et musicales de Huysmans. C'est très érudit L'écriture savante, sophistiquée explore toutes sortes de domaines avec une foule de détails passionnants qui accrochent le lecteur ; le style est ciselé, le vocabulaire rare, extrêmement précis ; c'est de l'orfèvrerie, à l'image des pierres précieuses dont des Esseintes pare la carapace de sa tortue. C'est souvent sarcastique, distant, il fait défiler les siècles et ses protagonistes avec perspicacité, humour, détachement et beaucoup, beaucoup d'érudition. C'est extrêmement jouissif.
J'ai beaucoup aimé la fluidité irradiante de certains passages comme celui où il boit son thé dans des porcelaines de Chine dites coquilles d'œuf alors que tombe la neige et qu'un silence profond enveloppe la maison engourdie dans les ténèbres, la description sublime de la Salomé de Gustave Moreau et l'analyse qu'il en fait ; le passage plein d'humour où il souhaite faire de sa chambre une cellule monastique, qu'il pare d'étoffes magnifiques donnant l'impression de guenilles, afin de ne pas lui donner l'austère laideur des asiles à pénitence et à prière ; le cauchemar hallucinant où la Syphilis à cheval vient à sa rencontre ; les deux maîtresses Miss Urania l'acrobate, puis la ventriloque, à qui il demande de faire dialoguer le Sphinx et la Chimère. De très belles descriptions de la campagne, la pluie dont les fils innombrables joignaient la terre au ciel, le Paris du 19e siècle avec ses fiacres, ses réverbères, ses omnibus, ses tavernes avec un des Esseintes qui s'imagine être à Londres. Le voyage littéraire dans sa bibliothèque avec l'évocation et l'analyse des auteurs qu'il aime : Baudelaire, Flaubert, Barbey d'Aurevilly, Verlaine… Et la très belle et sensible analyse de la jeune fille et la mort de Schubert.
Enfin la chute finale où il tombe accablé sur sa chaise à l'idée de sortir de sa solitude, aller à Paris et d'entrer dans la turpitude et servile cohue d'un siècle devenu bourgeois.
J'ai adoré ce livre, je l'ouvre en grand.
Katherine
C'est un livre assez lourd à lire, c'est tellement fouillé, fourni. Ça prend du temps de le laisser infuser. C'est plein d'histoires, de sensations particulières. Il faut du temps pour le lire. Pas besoin de le lire en entier pour avoir une impression d'ensemble. Le personnage n'a jamais aimé, il a toujours été foncièrement seul. Sa raison de vivre est la jouissance de toute chose. Il s'est perdu dans la jouissance de la chair. Il avait tellement tout vécu, trop vite, trop fort. Pour avoir du plaisir, il fallait du raffinement extrême. Il est devenu à ce point exigeant qu'il ne pouvait plus vivre en société et il se replie sur lui-même pour éviter la déception. Il n'est pas pathétique. J'ai trouvé qu'il était intéressant. J'ai une admiration très sèche pour lui, pour une érudition pareille. Je ne relirai jamais un tel roman. Ce niveau d'érudition peut faire très tape-à-l'œil, mais ce n'est pas grave, lui a le droit d'être arrogant et snob car c'est tellement bien fait. Qu'il ait tous les défauts du monde n'importe pas car le roman a tellement de valeur en soi. Ça suscite de l'admiration mais je ne suis pas accrochée. C'est un exercice de style, mais on ne voit pas que c'est un excellent conteur. Ce n'est pas dans ce roman que c'est exploité. J'ai hâte de lire quelque chose qui va m'accrocher plus, mais c'est un livre à lire dans une vie. J'ouvre aux ¾. Il faut une part d'accroche pour ouvrir totalement.
David
Je rentre dans les livres sans avoir d'attente, j'aime découvrir des univers neufs. C'est un grand inspirateur pour des auteurs qui ont fait des répétitions et des litanies. Oui, c'est misanthrope, mais quand on se cherche, on peut être dans la description d'un monde sale, déprimant, triste. Même s'il y a du danger d'être dans un monde désagrégé, pourquoi ne pas se dire que c'est ça la vie ? Pourquoi est-ce que ce serait mal d'être misanthrope, misogyne ? Il privilégie une esthétique et un sens de la vie qui peut être bien en soi. Ce n'est pas négatif. D'un point de vue littéraire et moral, c'est intéressant. Ça pose problème au lecteur : est-ce que c'est mal ou est-ce que c'est bien ? Peut-on être admiratif face à cette vision du monde ? C'est un objet littéraire complexe à lire, il faut passer outre les descriptions fastidieuses. On ne sait pas trop si c'est un roman ou un essai. Comment peut-on mal juger un monde passé ? Un jeune lecteur trouverait ça assez illisible, les litanies sur les auteurs latins. Est-ce que ça a du sens aujourd'hui ? Les auteurs recensés datent. Il y a l'idée de refaire toute l'histoire du monde. Son rapport à la religion est en contradiction avec son matérialisme et son cynisme. Tout le monde en prend pour son grade : c'est un constat froid, c'est du cynisme mais c'est assez bien vu. Il y a de belles descriptions des putains et de l'évolution de la prostitution qui est du Virginie Despentes avant l'heure. Ça fait vieux schnock et nostalgique. Je trouve qu'il y a des points communs sur le regard porté sur les femmes avec Houellebecq, femmes qui ramènent l'homme à la vie. Et des visions nostalgiques : l'amour passe, on en garde seulement des souvenirs. Il y a des moments drôles qui donnent de la légèreté et de la poésie. Il y a des moments où j'ai sauté. C'est un objet littéraire bizarre.
Christine (avis transmis après la soirée)
C'est un livre que j'ai lu laborieusement. À rebours s'apparente à un catalogue des arts : chaque changement de perception dans la névrose de des Esseintes annonce une exploration dans un nouveau domaine (l'exploration musicale m'a paru succincte).
Les longues énumérations érudites m'ont donné l'impression d'avoir une culture et des références défaillantes. Le dictionnaire m'a accompagnée tout au long des seize chapitres…
J'ai persisté dans ma lecture, entrecoupée par plusieurs romans, car j'y ai, malgré tout, trouvé un certain plaisir.
Le premier de ces plaisirs participe de la magnifique édition Gallimard/Musée d'Orsay. Les illustrations renvoient exactement au texte. Ces allers-retours image-texte m'ont permis de rentrer dans le propos de Huysmans.
Le deuxième est le style. Les longues phrases énumératives pleines d'adjectifs et parfois de digressions m'ont souvent charmée.
Le troisième est le personnage. Des Esseintes et sa recherche de l'essentiel dans l'art est attachant. Huysmans nous explique sa névrose par son enfance et nous fait la démonstration que l'art retiré du monde ne permet pas de vivre. L'Art se nourrit de son époque et la reflète. À rebours est le témoin d'une époque.
J'ouvre ce livre à moitié.


AVIS de lecteurs du GROUPE DE TENERIFE

Nieves José Luis Lourdes

Lourdes
À propos de l'œuvre en général (d'un écrivain dont je n'avais pas entendu parler), on pourrait dire qu'elle ne ressemble à aucune autre. Le récit se centre sur un unique personnage, des Esseintes, et sur l'univers dont il se fait entourer : sa maison de Fontenay, son refuge, qu'il fait aménager toute entière à son goût, ses meubles, les tapisseries, la combinaison des couleurs (j'avoue que cette première partie m'a beaucoup ennuyée), son jardin avec le choix des fleurs et plantes (l'auteur nous offre toute une liste de plantes exotiques). Il nous présente tout un traité à propos des pierreries ; l'art de la peinture est aussi présent. Et puis vient la partie la plus importante, sa bibliothèque. Il nous parle de son goût pour la langue latine, pour la langue catholique, concernant les auteurs contemporains comme Flaubert, Goncourt, Zola, il préférera leurs écrits relatifs aux vies des saints ; il citera Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, comme peintres de l'âme humaine.
Des Esseintes est un personnage très particulier aux goûts particuliers, qui s'évade de la vie parisienne où il se sent bousculé et se réfugie dans un endroit solitaire où il mènera, encloîtré, une vie de moine. Mais au bout d'un certain temps, la solitude s'en prendra à sa santé. Des parfums parviennent à ses narines et par là s'éveillent des souvenirs de sa vie passée, des sensations pas toujours plaisantes. S'éveille également une inquiétude concernant l'importance de l'Église dans la société, il s'interroge sur sa foi. Finalement ses inquiétudes deviennent si intenses que la névrose, qui l'avait amené à Fontenay, le fait revenir au point de départ, de là le titre de À Rebours.
Comme conclusion, À Rebours est une œuvre d'une qualité littéraire incontestable, d'une grande érudition qui nous permet de connaître ou de réviser une multitude de données de la culture, de l'art en général, mais malgré tout cela je ne la compte pas parmi mes lectures préférées.
Nieves
Voilà mon humble commentaire sur un livre singulier d'un écrivain dont je n'avais jamais entendu parler : J.K. Huysmans. Des Esseintes, protagoniste du livre, blasé de sa vie et de la société parisienne dans laquelle il a vécu, choisit une maison dans un endroit isolé où il essaye de créer dans la solitude un monde à lui s'entourant d'objets bizarres, sophistiqués et extravagants où il pense trouver le plaisir et la stabilité qu'il n'a pas pu trouver dans le monde qu'il avait connu jusqu'alors. À partir de ce choix qu'il fait en quittant Paris et aménageant sa maison de Fontenay-aux-Roses, il y vit une aventure et une expérience spirituelle qui sera finalement frustrée par ses problèmes de névrose qui l'obligent à retourner à Paris. Cependant, si cela c'est le fil conducteur du récit, il semble plutôt un prétexte qui permet à l'auteur à travers son personnage, d'aborder un sujet différent à chaque chapitre en faisant des descriptions fort savantes à chaque fois. En effet, dans sa solitude, des Esseintes déploie toute son érudition à propos de tous les domaines de la création humaine (peinture, littérature, musique, jardinage, parfums, boissons).
On pourrait dire aussi que À rebours, c'est un exemple de rupture avec la structure classique du roman : un seul personnage principal qu'on confond des fois avec le narrateur, des sujets multiples traités ponctuellement à chaque chapitre, presque comme si c'était un recueil de différents articles. C'était peut-être l'intention de l'auteur désirant dépasser le modèle narratif des grands romanciers du XIXe (Stendhal, Balzac, Flaubert, Zola…), cherchant une nouvelle modèle de roman qu'on a du mal à encadrer dans un schéma formel : un thème par chapitre, un seul vrai protagoniste et une fin plutôt floue où on revient au départ du récit. Cela a plutôt l'air d'une expérience manquée. En fait, il reconnaît que sa forme de la littérature préférée c'est le poème en prose dont il "supprimait les longueurs analytiques et les superfétations descriptives (…). Le roman ainsi conçu en une page ou deux, deviendrait une communion de pensée entre un magique écrivain et un idéal lecteur" (Folio, p. 291)
Pour conclure, j'avoue que j'ai eu du mal à lire cet ouvrage vu l'énorme érudition de l'auteur, la richesse de vocabulaire, ses connaissances dans tous les domaines de l'art, en contraposition avec mes courts savoirs. Cela a été, pour moi, un livre à lire à petites gorgées et avec la tête bien reposée. Néanmoins, au fur et à mesure que j'avançais dans la lecture, j'ai commencé à trouver des passages qui m'ont bien intéressée, comme les réflexions sur la religion (ch. XII), sur la dégradation de la société (ch. XIV), son point de vue sur l'évolution de la langue et autres, en particulier, à cause de l'acuité de ses analyses.
Malgré la difficulté, j'admets, donc, que c'est un "roman" qui m'a apporté des points de vue différents sur de nombreux sujets.
José Luis a fait une étude approfondie du texte. Je crois que ça peut être publié dans une revue littéraire... (précise à juste titre Nieves).
José Luis
C'est à rebours, à contre-courant, à rebrousse-poil que j'ai fait la lecture de ce livre. Sans la relation que nous avons établie avec "Voix au chapitre", je ne l'aurais jamais faite. D'un côté, parce que, même si je connaissais de nom l'auteur, je n'avais jamais lu quoi que ce soit de lui et je n'avais – ou ne croyais pas en avoir – aucune idée ni de ses œuvres, ni de sa place dans l'histoire de la littérature française, ni de la potentielle qualité de son écriture. De l'autre, parce que de vagues souvenirs de mon époque d'étudiant me chuchotaient à l'oreille que c'était de la littérature qui ne s'accordait point avec mes inclinations psycho-socio-politico-littéraires. Et, au bout de la laborieuse lecture que j'en ai faite, je suis obligé de dire que ces "pré-jugés" n'étaient pas sans fondements. J'ai donc lu À reboursà contre-poil.
Cela voudrait-il dire que l'effort que j'y ai investi a été inutile ? Et bien, non ! J'ai un peu connu l'auteur, j'ai pris connaissance de celui qui, aux dires de la critique, est son texte le plus important, j'ai admiré son écriture, j'ai rencontré pour la première fois tout un tas de mots français et, ce qui a été pour moi le plus important, j'ai découvert l'admiration que Huysmans portait à Flaubert et, avouée ou non de sa part, l'importance que le style de ce dernier a eu sur le sien.
J'ai, en effet, admiré son écriture : riche, très élaborée, un peu trop recherchée même, mais toujours pénétrante, puissante, souvent poétique, jamais banale et, comme je l'ai écrit ci-dessus, utilisant souvent un lexique en grande partie méconnu de moi, peut-être vieillot ou, en tout cas, représentatif de son époque, ou seulement du décadentisme, je ne sais pas, mais qu'à moi, en le lisant, me paraissait, dans ma naïveté, d'une grande modernité. Surtout, j'entendais sous la prose de Huysmans la sonorité d'une autre, celle d'un auteur que j'aime au dessus de tous les autres, Gustave Flaubert. Quel rapport entre l'une et l'autre ? Sans doute l'utilisation fréquente du style indirect libre, dont Flaubert, après Zola, et à mon sens plus et mieux que celui-ci, est le maître indiscutable.
Mais il y a, me semble-t-il, un autre élément qui rapproche À rebours de l'œuvre de Flaubert, ou plutôt, dans ce cas, d'un de ses livres. Je veux parler du contenu présenté dans les deux textes, ou, plutôt, de l'histoire racontée, et aussi de la manière où l'histoire se transforme en récit. Je lèverai immédiatement le voile, mais je voudrais avant demander pardon d'avance à ceux qui pourraient crier au sacrilège par le rapprochement que voici : Á rebours m'a beaucoup fait penser à Bouvard et Pécuchet. Dans les deux cas, les protagonistes (des Esseintes d'un côté, "les deux copistes" dans l'autre) abandonnent le monde pour s'adonner à une vie nouvelle ; dans les deux cas, ils expérimentent en profondeur toute une série de domaines de la réalité (bien différents, c'est vrai, d'un roman à l'autre) dont ils deviennent de véritables experts ; dans les deux cas, ils ne trouvent aucune satisfaction durable à faire le tour des connaissances théoriques et pratiques de chacun de ces différents domaines, ce qui les amènent à aller voir si ailleurs, dans un autre domaine, la satisfaction sera possible ; dans les deux cas, le parcours se termine par un retour au point de départ : Bouvard et Pécuchet redeviennent des copistes (et le livre inachevé de Flaubert se ferme sur une note à développer rédigée en ces termes : "Finir par la vue des deux bonhommes penchés sur leurs pupitres et copiant") ; des Esseintes revient, de gré ou de force, à Paris ; dans les deux cas, donc, il y a un renoncement à la quête dont l'objectif, plus ou moins entrevu, avait motivé la rupture des héros d'avec le monde.
Enfin, il y a encore un autre élément qui rapproche Huysmans de Flaubert : leur commune haine du bourgeois, de la bêtise et de la médiocrité. Pour preuve ces deux citations, la première appartenant au dernier chapitre d'À rebours, la deuxième aux trois derniers paragraphes du chapitre II, citations qui peuvent aussi être lues comme de beaux exemples d'utilisation du discours indirect libre :

"Maintenant, c’était un fait acquis. Une fois sa besogne terminée, la plèbe avait été, par mesure d’hygiène, saignée à blanc ; le bourgeois, rassuré, trônait, jovial, de par la force de son argent et la contagion de sa sottise. Le résultat de son avènement avait été l’écrasement de toute intelligence, la négation de toute probité, la mort de tout art, et, en effet, les artistes avilis s’étaient agenouillés, et ils mangeaient, ardemment, de baisers les pieds fétides des hauts maquignons et des bas satrapes dont les aumônes les faisaient vivre !"

"Positivement, il souffrait de la vue de certaines physionomies, considérait presque comme des insultes les mines paternes ou rêches de quelques visages, se sentait des envies de souffleter ce monsieur qui flânait, en fermant les paupières d’un air docte, cet autre qui se balançait, en se souriant devant les glaces ; cet autre enfin qui paraissait agiter un monde de pensées, tout en dévorant, les sourcils contractés, les tartines et les faits divers d’un journal.
Il flairait une sottise si invétérée, une telle exécration pour ses idées à lui, un tel mépris pour la littérature, pour l’art, pour tout ce qu’il adorait, implantés, ancrés dans ces étroits cerveaux de négociants, exclusivement préoccupés de filouteries et d’argent et seulement accessibles à cette basse distraction des esprits médiocres, la politique, qu’il rentrait en rage chez lui et se verrouillait avec ses livres.
Enfin, il haïssait, de toutes ses forces, les générations nouvelles, ces couches d’affreux rustres qui éprouvent le besoin de parler et de rire haut dans les restaurants et dans les cafés, qui vous bousculent, sans demander pardon, sur les trottoirs, qui vous jettent, sans même s’excuser, sans même saluer, les roues d’une voiture d’enfant entre les jambes."

Les amoureux de Flaubert apprécieront sans doute !
Une autre dimension qui m'a permis d'accepter de progresser dans la lecture d'À rebours, sans laquelle – mais elle est très différentes de celle qui précède – je l'aurais abandonnée rapidement, a été le regard psychanalytique auquel ce roman invite. En effet, des Esseintes aurait tout intérêt à aller se coucher sur le divan d'un psychanalyste, s'il cherchait vraiment à avoir une chance de récupérer sa fragile santé. Un.e analyste aurait l'eau à la bouche devant un cas comme celui de ce jeune névrosé. D'un côté, il aurait sans doute un champ de travail bien intéressant dans la tâche d'interprétation des rêves fréquents, cauchemardesques la plupart du temps, de des Esseintes ; de l'autre, il serait heureux – s'il avait, comme il convient au métier, l'écoute longue et patiente – de pouvoir aider le malheureux analysant à faire émerger des profondeurs de l'inconscient le savoir que lui seul possède sur la cause de ses souffrances. Parce que des Esseintes représente un cas paradigmatique de cette condition bien humaine qui – comme, en général, elle ignore qu'il n'y a pas d'objet adéquat au désir humain – a besoin, pour avoir l'impression de vivre, de déplacer tout le temps son désir d'un objet à un autre avec l'espoir de trouver, finalement, l'objet capable de le satisfaire. À chaque changement d'objet, il croit avoir trouvé l'objet total, pour découvrir, au bout de peu de temps, que celui-ci n'est qu'un objet partiel et, en conséquence, nécessairement insatisfaisant.
Cela dit, et pour ne pas conclure, quelle énorme différence entre les personnalités de Bouvard et Pécuchet et celle de des Esseintes ! Et aussi quel grand écart entre les préoccupations des uns et de l'autre ! Rien, dans la personnalité des deux copistes de la névrose maladive de des Esseintes, ni de sa haine du monde. C'est cette différence qui explique que les premiers s'adonnent dans le bonheur à des actions – un peu folles, c'est vrai – qui cherchent à connaître le monde pour le transformer, des actions, donc, orientées vers l'extérieur, vers les autres, tandis que les actions du second ne s'orientent que vers lui-même, en ne cherchant pas à transformer quoi que ce soit concernant les autres, mais à satisfaire seulement ses propres besoins psychiques. Mais quels sont ces besoins ? Lui-même il l'ignore, et cela parce qu'ils sont tout simplement "indéfinissables" :

"il avait naguère adoré le grand Balzac, mais en même temps que son organisme s’était déséquilibré, que ses nerfs avaient pris le dessus, ses inclinations s’étaient modifiées et ses admirations avaient changé.
Bientôt même, et quoiqu’il se rendît compte de son injustice envers le prodigieux auteur de la Comédie humaine, il en était venu à ne plus ouvrir ses livres dont l’art valide le froissait ; d’autres aspirations l’agitaient maintenant, qui devenaient, en quelque sorte, indéfinissables." (C'est moi qui souligne.)

C'est sans doute – c'est en tout cas mon sentiment – l'atmosphère fermée, pourrie, engluée, irrespirable, que Huysmans crée dans son livre pour nous communiquer la personnalité égotique et radicalement narcissiste de des Esseintes qui a rebuté le lecteur, d'habitude intéressé et souvent passionné, que je suis. J'ai été tout à fait incapable de m'intéresser au personnage ni à l'histoire, ni, vraiment, à l'écriture qui, pourtant, est pour moi, toujours, le vrai contenu d'un livre. Elle a pourtant des qualités, l'écriture de Huysmans, mais peut-être qu'il a trop voulu les exhiber ces qualités, trop se faire admirer, trop s'admirer lui-même, s'y mirer dans le miroir de sa prose. Alors, trop c'est trop !


QUELQUES INFOS ?
  - De nombreuses éditions d'À rebours sont disponibles
- Le roman est accessible en ligne
- Auteur choisi en lien avec une exposition au musée d'Orsay
- Thèmes des différents chapitres
- La vie de Huysmans racontée par Houellebecq
- Huysmans a vécu près de Voix au chapitre
- Les mots surprenants de Huysmans
- Le personnage du roman et le roman
- Avant Houellebecq, Maurice Blanchot loue Huysmans
- À rebours : extraits sur les tableaux
- Huysmans critique (pour se détendre...)
- Sites internet : à propose de Huysmans
- Radio : à propos de Huysmans
- Vidéos : à propos d'À rebours
-
Portraits de Huysmans

•DE NOMBREUSES ÉDITIONS D'À REBOURS sont disponibles
  - Folio classique, 416 p., 1ère éd. 1977
- Babel, 1992, 352 p.
- Hachette-BNF, 2018, 146 p.
- Éditions L'Escalier, 2019, 160 p.
- GF Flammarion, 1ère éd. 1978, dernière éd. 2019 avec une interview de Maylis de Kerangal, 416 p.
- Pléiade, 2019
- Gallimard-Musée d'Orsay
, 2019, 255 p., 55 ill.
 
LE ROMAN est accessible EN LIGNE
  - Édition originale Charpentier & Cie de 1884 sur Gallica
- Édition Pour les Cent Bibliophiles
de 1903 sur Bibliothèque numérique mondiale (220 gravures sur bois ornementant chaque page d'Auguste Lepère)
-
Avec les illustrations d'Auguste Leroux, éd. Ferroud de 1920, sur gutemberg.org
- Ou encore
wikisource ou bibliothequenumrique.tvmonde.co ou bouquineux.com

> Et à télécharger : le livre audio (8 h).
 
AUTEUR CHOISI EN LIEN AVEC L'EXPOSITION au musée d'Orsay
Le manuscrit d'À rebours y est exposé. "Joris-Karl Huysmans critique d'art : de Degas à Grünewald, sous le regard de Francesco Vezzoli", du 26 novembre 2019 au 1er mars 2020. Conférences les 13 décembre et 23 janvier.

Le manuscrit d'À rebours présenté dans l'exposition

 
THÈMES DES CHAPITRES (répertoriés dans l'édition GF)
Notice : Enfance du héros ; les années de formation.
I. Sermon aux fournisseurs ; repas de deuil.
II. La salle à manger.
III. La bibliothèque.
IV. La tortue ; l'orgue à bouche ; le dentiste.
V. La demeure ; la chambre à coucher
VI. D'Aigurande ; Auguste Langlois.
VII. Éducation et lectures religieuses.
VIII. Les fleurs.
IX. Les maîtresses : Urania ; la ventriloque ; un jeune homme.
X. Les parfums; l'antienne de Pantin.
XI. Le voyage à Londres.
XII. La bibliothèque.
XIII. Les malaises; lutte des gamins.
XIV. La bibliothèque (derniers rangements).
XV. illusions de l'ouïe ; le lavement à la peptone.
XVI. Dénouement : la venue des déménageurs.
 
LA VIE DE HUYSMANS racontée par Houellebecq
(plus précisément racontée par le narrateur du roman Soumission, qui tout au long du récit se réfère à Huysmans dont il est spécialiste ; il a soutenu une thèse dont le titre est "Joris-Karl Huysmans, ou la sortie du tunnel"...)
  "Le 1er avril 1866, alors âgé de dix-huit ans, Joris-Karl Huysmans débuta sa carrière, en tant qu’employé de sixième classe, au ministère de l’Intérieur et des cultes. En 1874, il publia à compte d’auteur un premier recueil de poèmes en prose, Le drageoir à épices, qui fit l’objet de peu de recensions hors un article, extrêmement fraternel, de Théodore de Banville. Ses débuts dans l’existence, on le voit, n’eurent rien de fracassant.
Sa vie administrative s’écoula, et plus généralement sa vie. Le 3 septembre 1893, la Légion d’honneur lui fut décernée pour ses mérites au sein de la fonction publique.
En 1898 il prit sa retraite, ayant accompli - les disponibilités pour convenances personnelles une fois prises en compte - ses trente années de service réglementaires. Il avait entretemps trouvé le moyen d’écrire différents livres qui m’avaient fait, à plus d’un siècle de distance, le considérer comme un ami."
 
HUYSMANS A VÉCU près d'un lieu de rencontre de Voix au chapitre
  "Né rue Suger, ayant vécu rue de Sèvres et rue Monsieur, Huysmans est mort rue Saint-Placide avant d’être inhumé au cimetière du Montparnasse. Sa vie presque entière en somme s’est déroulée dans les limites du sixième arrondissement de Paris - comme sa vie professionnelle, pendant plus de trente ans, s’est déroulée dans les bureaux du ministère de l’Intérieur et des cultes." (toujours Houellebecq)
 
Il naît rue Suger, près du lycée Fénelon et la place Saint-André-des-Arts
Pour une chronologie détaillée de sa vie, voir ICI
 
LES MOTS SURPRENANTS de Huysmans
  "Une grande partie des mots étranges que l’on trouve chez Huysmans n’étaient pas des néologismes, mais des mots rares empruntés au vocabulaire spécifique de certaines corporations artisanales, ou à certains patois régionaux."
Pour une analyse poussée de sa langue, voir une conférence ICI.
 
LE PERSONNAGE DU ROMAN et le roman
  "Il est vrai que des Esseintes, psychologiquement, reste le même de la première à la dernière page, que rien ne se passe et ne peut même se passer dans ce livre, que l’action y est, en un sens, nulle ; il est non moins vrai que Huysmans ne pouvait en aucun cas continuer À rebours, que ce chef-d’œuvre était une impasse ; mais n’est-ce pas le cas de tous les chefs-d’œuvre ?" (fin des citations de Houellebecq, la plume est maintenant rendue à Huysmans)
 
MAURICE BLANCHOT et HUYSMANS
"Il semble aussi qu'un certain humour, dont les autres naturalistes étaient fort éloignés, lui ait permis d'échapper aux effets où sa recherche des travers et des sottises pouvait le conduire. L'imaginaire garde sa place dans cet empire de triviales laideurs où il paraît se plaire. Il joue avec lui-même et il montre qu'il joue. Il s'indigne, mais il rend innocente sa colère par l'excès qu'il lui donne et l'épisode comique où il la pousse (voir la suite ici)...
 
À REBOURS : extraits du chapitre 5 sur les tableaux
Entre tous, un artiste existait dont le talent le ravissait en de longs transports, Gustave Moreau. Il avait acquis ses deux chefs-d'œuvre et, pendant des nuits, il rêvait devant l'un d'eux, le tableau de la Salomé, ainsi conçu :
Un trône se dressait, pareil au maître-autel d'une cathédrale, sous d'innombrables voûtes jaillissant de colonnes trapues ainsi que des piliers romans, émaillées de briques polychromes, serties de mosaïques, incrustées de lapis et de sardoines, dans un palais semblable à une basilique d'une architecture tout à la fois musulmane et byzantine.
Au centre du tabernacle surmontant l'autel précédé de marches en forme de demi-vasques, le Tétrarque Hérode était assis, coiffé d'une tiare, les jambes rapprochées, les mains sur les genoux.
La figure était jaune, parcheminée, annelée de rides, décimée par l'âge ; sa longue barbe flottait comme un nuage blanc sur les étoiles en pierreries qui constellaient la robe d'orfroi plaquée sur sa poitrine (voir la suite ici).

Gustave Moreau, Salomé dit Salomé dansant devant Hérode (1876)
Hammer Museum, Los Angeles
L'aquarelle intitulée l'Apparition était peut-être plus inquiétante encore.
Là, le palais d'Hérode s'élançait, ainsi qu'un Alhambra, sur de légères colonnes irisées de carreaux moresques, scellés comme par un béton

Gustave Moreau, L'apparition (1876)
Musée d'Orsay
d'argent, comme par un ciment d'or ; des arabesques partaient de losanges en lazuli, filaient tout le long des coupoles où, sur des marqueteries de nacre, rampaient des lueurs d'arc-en-ciel, des feux de prisme.
Le meurtre était accompli ; maintenant le bourreau se tenait impassible, les mains sur le pommeau de sa longue épée, tachée de sang.
Le chef décapité du saint s'était élevé du plat posé sur les dalles et il regardait, livide, la bouche décolorée, ouverte, le cou cramoisi, dégouttant de larmes. Une mosaïque cernait la figure d'où s'échappait une auréole s'irradiant en traits de lumière sous les portiques, éclairant l'affreuse ascension de la tête, allumant le globe vitreux des prunelles, attachées, en quelque sorte crispées sur la danseuse (voir la suite ici).

Dans la pièce voisine, plus grande, dans le vestibule vêtu de boiseries de cèdre, couleur de boîte à cigare, s'étageaient d'autres gravures, d'autres dessins bizarres.


Rodolphe Bresin, La Comédie de la mort (1854)
lithographie à la plume, BNF


Rodolphe Bresin, Le bon Samaritain (1861)
Brooklyn Museum

Le Bon Samaritain, du même artiste, un immense dessin à la plume, tiré sur pierre : un extravagant fouillis de palmiers, de sorbiers, de chênes, poussés, tous ensemble, au mépris des saisons et des climats, une élancée de forêt vierge, criblée de singes, de hiboux, de chouettes, bossuée de vieilles souches aussi difformes que des racines de mandragore, une futaie magique, trouée, au milieu, par une éclaircie laissant entrevoir, au loin, derrière un chameau et le groupe du Samaritain et du blessé, un fleuve, puis une ville féerique escaladant l'horizon, montant dans un ciel étrange, pointillé d'oiseaux, moutonné de lames, comme gonflé de ballots de nuages.
On eût dit d'un dessin de primitif, d'un vague Albert Dürer, composé par un cerveau enfumé d'opium.

La Comédie de la Mort, de Bresdin, où dans un invraisemblable paysage, hérissé d'arbres, de taillis, de touffes, affectant des formes de démons et de fantômes, couverts d'oiseaux à têtes de rats, à queues de légumes, sur un terrain semé de vertèbres, de côtes, de crânes, des saules se dressent, noueux et crevassés, surmontés de squelettes agitant, les bras en l'air, un bouquet, entonnant un chant de victoire, tandis qu'un Christ s'enfuit dans un ciel pommelé, qu'un ermite réfléchit, la tête dans ses deux mains, au fond d'une grotte, qu'un misérable meurt, épuisé de privations, exténué de faim, étendu sur le dos, les pieds devant une mare.

 
HUYSMANS, CRITIQUE (pour se détendre...)


Fernand Pelez, La mort de l'empereur Commode
(1879) - Petit Palais

 

(L'esclave de l'empereur Commode est sur le point d'étrangler son maître, en 192 après J.-C.)

 

J'avais tout d'abord mal compris le sujet. Je pensais que le monsieur en caleçon de bain vert penché sur l'autre monsieur en caleçon de bain blanc était un masseur, et que la femme soulevant le rideau disait simplement :"Le bain est prêt".

(Huysmans, "Le Salon de 1979, II", Le Voltaire, 22 mai 1879)

 


(William Bouguereau est l'une des cibles privilégiées de Huysmans)


William Bouguereau, Naissance de Vénus
(1879) - Musée d'Orsay
Il a inventé la peinture gazeuze, la pièce soufflée. Ce n'est même plus de la porcelaine, c'est du léché flasque ; c'est je ne sais quoi, quelque chose comme de la chair molle de poulpe ", écrit-il avant de décrire "La Naissance de Vénus", cette baudruche mal gonflée, qu'il découvre au Salon de 1879 : C'est exécuté comme pour des chromos de boîtes à dragées ; la main a marché seule, faisant l'ondulation du corps machinalement.

(Huysmans, "Le Salon de 1979, III", Le Voltaire, 30 mai 1879)
Voir des textes plus posés de critique d'art ICI publiés par Huysmans.

 

Sites à propos de HUYSMANS
- Société J.-K. Huysmans, fondée en 1927, présidée par André Guyaux, co-responsable de l'édition de la Pléiade, un site très classique
- www.huysmans.org : un site riche consacré à Huysmans, par un spécialiste, Brendan King, traducteur en anglais de ses œuvres
 
Radio à propos de HUYSMANS
(en commençant par l'émission la plus récente)
 

- Mauvais genres par François Angelier : Joris-Karl Huysmans ou le "bureaucrate de l'Apocalypse" : André Guyaux, Pierre Jourde, France Culture, 9 novembre 2019, 59 min

- Un décadent nommé des Esseintes, entretien de Marc Klugkist avec Jean-Michel Dufays, émission Les Maudits, Radio Air Libre, Bruxelles, 10 novembre 2008, 57 min

- La compagnie des auteurs par Matthieu Garrigou-Lagrange, 4 émissions d'une heure sur Joris-Karl Huysmans, France Culture, du 12 au 15 février 2018 : 1/4 Le forçat de la vie - 2/4 À Rebours - 3/4 La cathédrale-livre - 4/4 Postérité

- France Inter, Le chapitre sur les parfums d'À Rebours de Huysmans, La gourmandise d'Eva Bester, 24 octobre 2013, 4 min

- Les Nuits de France Culture par Philippe Garbit
  > Joris-Karl Huysmans et le centenaire de À rebours, Une vie une œuvre, 1ère diffusion 22 novembre 1984, puis 21 mai 2019, 1h 24
  > Analyse spectrale de l'occident - Du naturalisme au mysticisme : Joris-Karl Huysmans, 1ère diffusion 16 mars 1968, puis 25 juin 2016, 2h10 (pour les fanas !) : retransmission d'une émission de 1968 à l'ancienne, comme une suite de conférences, mais pleines de contenu

   
Vidéos à propos d'À rebours
  - Maylis de Kerangal, pourquoi aimez-vous À rebours de Huysmans ?, 15 mai 2014, Flammarion, 1h 25
-
Une conférence de Edyta Kociubinska analysant le langage du livre : "À rebours de Huysmans : un bric-à-brac décadent", colloque "Le XIXe siècle et ses langues", Fondation Singer-Polignac, 25 janvier 2012, 19 min

Portraits de Huysmans

Pastel de Jean-Louis Forain, vers 1878, Orsay

Caricature de Coll-Toc, 1885

Estampe de Vallotton, 1895

Photographie de Taponier, 1900

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

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