|  | À 
        REBOURS : extraits 
        du chapitre 5(tout ce qui suit est 
        de Huysmans)
 
         
          | L'aquarelle 
            intitulée l'Apparition 
            était peut-être plus inquiétante encore. |   
          | Là, 
            le palais d'Hérode s'élançait, ainsi qu'un Alhambra, 
            sur de légères colonnes irisées de carreaux moresques, 
            scellés comme par un béton d'argent, comme par un ciment 
            d'or ; des arabesques partaient de losanges en lazuli, filaient tout 
            le long des coupoles où, sur des marqueteries de nacre, rampaient 
            des lueurs d'arc-en-ciel, des feux de prisme. Le meurtre était accompli ; maintenant le bourreau se tenait 
            impassible, les mains sur le pommeau de sa longue épée, 
            tachée de sang.
 Le chef décapité du saint s'était élevé 
            du plat posé sur les dalles et il regardait, livide, la bouche 
            décolorée, ouverte, le cou cramoisi, dégouttant 
            de larmes. Une mosaïque cernait la figure d'où s'échappait 
            une auréole s'irradiant en traits de lumière sous les 
            portiques, éclairant l'affreuse ascension de la tête, 
            allumant le globe vitreux des prunelles, attachées, en quelque 
            sorte crispées sur la danseuse.
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          |  | D'un 
            geste d'épouvante, Salomé repousse la terrifiante vision 
            qui la cloue, immobile, sur les pointes ; ses yeux se dilatent, sa 
            main étreint convulsivement sa gorge. Elle est presque nue ; dans l'ardeur de la danse, les voiles se sont 
            défaits, les brocarts ont croulé ; elle n'est plus 
            vêtue que de matières orfévries et de minéraux 
            lucides ; un gorgerin lui serre de même qu'un corselet la taille, 
            et, ainsi qu'une agrafe superbe, un merveilleux joyau darde des éclairs 
            dans la rainure de ses deux seins ; plus bas, aux hanches, une ceinture 
            l'entoure, cache le haut de ses cuisses que bat une gigantesque pendeloque 
            où coule une rivière d'escarboucles et d'émeraudes ; 
            enfin, sur le corps resté nu, entre le gorgerin et la ceinture, 
            le ventre bombe, creusé d'un nombril dont le trou semble un 
            cachet gravé d'onyx, aux tons laiteux, aux teintes de rose 
            d'ongle.
 Sous les traits ardents échappés de la tête du 
            Précurseur, toutes les facettes des joailleries s'embrasent 
            ; les pierres s'animent, dessinent le corps de la femme en traits 
            incandescents ; la piquent au cou, aux jambes, aux bras, de points 
            de feu, vermeils comme des charbons, violets comme des jets de gaz, 
            bleus comme des flammes d'alcool, blancs comme des rayons d'astre.
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          | L'horrible 
            tête flamboie, saignant toujours, mettant des caillots de pourpre 
            sombre, aux pointes de la barbe et des cheveux. Visible pour la Salomé 
            seule, elle n'étreint pas de son morne regard, l'Hérodias 
            qui rêve à ses haines enfin abouties, le Tétrarque, 
            qui, penché un peu en avant, les mains sur les genoux, halète 
            encore, affolé par cette nudité de femme imprégnée 
            de senteurs fauves, roulée dans les baumes, fumée dans 
            les encens et dans les myrrhes. Tel que le vieux roi, des Esseintes demeurait écrasé, 
            anéanti, pris de vertige, devant cette danseuse, moins majestueuse, 
            moins hautaine, mais plus troublante que la Salomé du tableau 
            à l'huile.
 Dans l'insensible et impitoyable statue, dans l'innocente et dangereuse 
            idole, l'érotisme, la terreur de l'être humain s'étaient 
            fait jour ; le grand lotus avait disparu, la déesse s'était 
            évanouie ; un effroyable cauchemar étranglait maintenant 
            l'histrionne, extasiée par le tournoiement de la danse, la 
            courtisane, pétrifiée, hypnotisée par l'épouvante.
 Ici, elle était vraiment fille ; elle obéissait à 
            son tempérament de femme ardente et cruelle ; elle vivait, 
            plus raffinée et plus sauvage, plus exécrable et plus 
            exquise ; elle réveillait plus énergiquement les sens 
            en léthargie de l'homme, ensorcelait, domptait plus sûrement 
            ses volontés, avec son charme de grande fleur vénérienne, 
            poussée dans des couches sacrilèges, élevée 
            dans des serres impies.
 |  Quand 
        Voix au chapitre lit Huysmans : http://www.voixauchapitre.com/archives/2019/huysmans.htm
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