Extrait du Monde Afrique (2016)


Quatrième de couverture :

Au cœur de la brousse subsaharienne, un grand incendie a ravagé les cases du clan Mulongo. Depuis lors, douze hommes manquent à l'appel – les fils aînés pour la plupart. Pendant que les mères cherchent en songe les réponses à leur chagrin, le Conseil interroge les ancêtres, scrute les mystères de l'ombre : que signifie cette disparition ? Pour le salut de la communauté, le chef Mukano et quelques autres décident de partir à leur recherche en territoire bwele, leurs voisins. Peu d'entre eux atteindront l'océan – par où les "hommes aux pieds de poules" emportent leurs enfants…

"La voix de Léonora Miano, l’une des plus fortes de sa génération, devrait résonner de Paris à Douala – et voyager bien au-delà." (Catherine Simon, Le Monde)

Cet ouvrage a reçu le Prix Femina et le Grand prix du roman métis.





« Suite africaine » constitue une trilogie avec les trois romans précédents : L’Intérieur de la nuit (2005), Contours du jour qui vient (2006), Les Aubes écarlates (2009)





 

Léonora Miano
La saison de l'ombre (2013)

Nous avons lu ce livre en novembre 2017.

Voir en bas de page des infos sur le livre et l'auteure.

Séverine (avis transmis)
Ce roman est l'exemple parfait de la raison pour laquelle j'aime le groupe de lecture : sans Voix au chapitre, voilà un livre que je n'aurai pas lu, dont je n'aurai pas persisté dans la lecture et cela aurait été bien dommage car j'ai beaucoup, beaucoup aimé ! J'avais entendu parler de l'auteure, notamment via le numéro spécial des Inrocks avec Virginie Despentes que j'adore, et j'étais tenté de lire Crépuscule du tourment. Quand j'ai commencé La saison de l'ombre, je n'avais rien lu sur le livre, pas même la 4e de couverture et c'est je crois ce qui a contribué à rendre ma lecture passionnante. Je n'arrivais pas à saisir à quelle époque on pouvait être car du peu que j'ai lu de la littérature "africaine", il y a toujours une telle persistance des rites anciens, des coutumes ou des superstitions que je ne savais si c'était une époque très ancienne ou pas tant que cela, et j'avais parfois l'impression d'être dans un conte ou une légende. J'ai ressenti un petit coup de mou vers la fin du premier chapitre et puis petit à petit mon intérêt a repris car de plus en plus d'"indices" nous amenaient vers ces fameux blancs aux pieds de poule et vers la traite négrière. Ne pas savoir avant de lire le livre que c'était ça le sujet m'a permis de vivre un peu comme les protagonistes cette découverte progressive de l'inimaginable. Son parti pris narratif est très fort, bien mené et on est emporté. Je trouve originale sa façon d'aborder le sujet. Et je trouve toujours aussi passionnantes toutes les croyances, mythologies africaines qui confèrent à la fois un côté magique au récit et un côté humain. En tout cas, je ne sais pas si cela est vrai mais je ne savais pas que des africains avaient été complices des blancs pour envoyer en esclavage d'autres africains… comme quoi l'esclavagisme n'est finalement pas qu'une histoire de couleur mais de prise de domination d'humains sur d'autres humains. Bref, j'ouvre ce roman en grand !
PS : je n'ai pas eu le temps de creuser, alors si quelqu'un sait me dire pourquoi dans les prénoms, les "e" sont parfois soulignés, ça serait intéressant… ça symbolise une accentuation ? Merci.
Danièle (avis transmis)
J'ai aimé dans ce livre l'authenticité du récit : l'histoire d'une peuplade Afrique subsaharienne, non pas vue d'un point de vue ethnologique extérieur, mais de l'intérieur, comme si l'auteure avait pu garder, au fil des générations, la trace orale des traditions anciennes de son clan et perpétuer la mémoire des malheurs abattus sur eux à l'époque de la traite négrière. Travail d'importance, qu'Ebeise et Eyabe tenaient à faire, au péril de leur vie.
J'ai apprécié la profusion et la précision des détails concernant les coutumes, les croyances, les objets de culte et du quotidien, et leur utilisation. Le tout sans énumération fastidieuse, mais par touches explicatives fluides, discrètement intégrées dans le récit. C'est le souffle romanesque et mystique qui leur donne une seconde vie. On a vraiment l'impression de connaître et comprendre de l'intérieur leurs coutumes et leur mode de vie.
J'ai aimé la forme d'enquête qui nous fait comprendre peu à peu comment la source de leurs problèmes est en fait la recherche de prisonniers pour la traite négrière. Et leur incapacité à comprendre et même à imaginer une telle horreur. J'ai aimé la manière de faire comprendre la candeur du clan Mulango et sa grande fragilité. J'ai appris avec étonnement comment les "hommes aux pieds de poule" ont pu asseoir leur trafic sur la rivalité entre clans : donner des hommes en échange d'armes ou de marchandises, oui, mais si possible, des prisonniers d'autres clans !
J'ai aimé le style, la langue, en harmonie avec la magie de leur monde.
J'ai été perdue par la grande ressemblance des noms : Mukano, Mutimbo, Mutango... mais j'ai fait des efforts...
En conclusion, un grand travail romanesque de mémoire : j'ouvre le livre en grand.
Manon (avis transmis)
J'ai commencé ce livre d'une drôle de manière : je sortais d'une boulimie de lecture assez déprimante et je m'apprêtais à terminer 1000 femmes blanches mais n'y arrivant pas, émotionnellement parlant, je me suis dit qu'il était temps de me changer les idées !
Mon Dieu, grand mal m'en a pris ! Je quittais donc l'extermination des Indiens d'Amérique pour l'extermination de la civilisation – ou d'une civilisation – africaine !
J'ai donc eu beaucoup de difficulté là encore à lire ce livre : au plus j'avançais dans l'histoire, au plus je m'approchais de la noirceur de l'âme humaine ! Ce livre m'a beaucoup touchée, beaucoup interrogée et dans la veine de 1000 femmes blanches m'a confrontée aux horreurs qu'a pu infliger l'homme blanc aux autres nations – je ne suis pas naïve, je sais bien que tout ça a existé et existe encore, mais ce livre est plus qu'une piqûre de rappel ! Ce livre m'a mise mal à l'aise car bien sûr ce sont les hommes aux pieds de poule qui sont à l'origine de l'extermination des Mulango, mais ce sont les autres tribus qui les livrent, qui les tuent, qui leur mentent, qui cassent les codes établis, qui séparent les survivants pour qu'ils soient assimilés et perdent leur identité !
Je trouve donc que le parti pris de l'auteure est très fort – émotionnellement mais aussi d'un point historique !
Après j'émets malgré tout quelques réserves dues essentiellement à mes goûts de lecture : style un peu trop léché, beaucoup d'incises dans l'histoire principale, un peu long... mais peu importe. Pour le trouble que ce livre m'a fait ressentir, je l'ouvre aux ¾ !
Des œuvres un peu plus légères… est-ce envisageable ?...
Geneviève (avis transmis)
J'avoue d'abord que je n'ai pas abordé ce livre dans de très bonnes dispositions : j'étais au milieu d'un gros polar, et envie de le terminer quand il a fallu m'y mettre... Donc, pas très envie et j'appréhendais un peu un côté folkloriste africain un brin mystique. Et en fait, c'est le cas ; mais je me suis laissé captiver au bout de quelques pages. Reste à comprendre pourquoi.
Pour une part, le thème : la question de la responsabilité africaine dans l'esclavage hante les esprits et est rarement abordée clairement. Mais le livre n'a rien d'un documentaire et le thème est vraiment en filigrane, ce qui est probablement un atout majeur. L'autre fil directeur est le rapport de force entre hommes et femmes, entre jeunes et anciens aussi. Thèmes rebattus mais traités aussi sans manichéisme. Reste l'histoire : complexe, touffue, un peu désordonnée et pourtant j'ai suivi sans difficultés ou plutôt sans trop me préoccuper de l'intrigue à proprement parler, plutôt un long voyage, entrecoupé de scènes, souvent cruelles (l'enterrement chez les Bwélé, la destruction finale du village, la poule et le crâne), qui scandent le récit et en fixent la tonalité. L'espoir, lui, est dans le chant, la nature, et la solidarité entre femmes. Je me suis laissé embarquer par les images, peut-être aussi à cause de l'écho terriblement actuel de ce récit de corps jetés à la mer, triste répétition de l'histoire.
Heureuse encore une fois d'avoir lu ce livre, je n'avais rien lu de cette auteure, c'est donc une découverte, je l'ouvre aux ¾.
Marie-Odile (du groupe breton)
J'ai approché ce roman comme une mélopée, une complainte dont j'avais l'impression qu'elle ne finirait jamais : reprise lancinante des périphrases désignant "les femmes dont on n'a pas revu les fils", "les mères de ceux qui n'ont pas été retrouvés"... Dès le départ le ton est grave et douloureux, on sait qu'il le restera.
Le premier chapitre m'est apparu comme une scène de théâtre, précisant le décor, les gestes, les costumes, les déplacements de celles qui sont désignées de manière collective. L'idée de la culpabilité parcourt le roman, les femmes sont au premier rang. Mais, résignées ou révoltées, éplorées toujours, elles rejoignent le thème universel de la mater dolorosa.
On progresse dans un monde où tout est régi par les rites, les règles, les rêves, les croyances, les divinités et dont l'harmonie est brisée par le terrible incendie. Dès lors, tout est bouleversé, rien ne fonctionne plus comme avant car on est face à l'inconcevable. La mission des personnages, par delà la quête infructueuse des disparus et l'impossible retour, sera de forger "un bouclier contre l'oubli", de dire l'histoire. Et c'est aussi le but du roman lui-même. Ce dernier a le mérite de parler du rôle de certaines tribus africaines dans l'esclavage sans que cela constitue une circonstance atténuante pour "l'homme aux pieds de poule", insatiable Minotaure.
Je ne connais pas les autres œuvres de L. Miano, mais elle traduit ici la pensée et l'expression africaines. Si l'écriture m'a parfois semblé pesante, il m'a plu cependant de retrouver les innombrables termes empruntés au douala, cette langue qui dispose de quatre mots pour désigner le soleil selon son parcours dans le ciel…
Compte tenu de tout ceci, j'aurais dû sortir bouleversée de la lecture de ce roman. Or ce n'est pas le cas (peut-être à cause de la 4ème de couverture qui en dit trop) ou pour d'autres raisons que j'ignore. Je l'ouvre donc à moitié.

Claire
Quand Rozenn a proposé le livre, je lui ai dit que je n'aimais pas du tout cette auteure dont j'avais lu trois livres, mais j'étais partante pour entendre ce qu'en dirait le groupe. Je l'ai découverte au Festival Étonnants voyageurs à Saint-Malo, passionnante à entendre, et ai sans hésiter acheté son roman Blues pour Élise (qui se passe à Paris) avec enthousiasme : grosse déception ! J'ai lu ensuite dans un groupe de lecture Contours du jour qui vient avec une petite fille narratrice qui raconte des horreurs africaines et sa parole élaborée, invraisemblable, m'a gênée tout du long. J'ai lu ensuite pour un autre groupe Crépuscule du tourment avec d'autres problèmes de narration mal fichue qui m'ont gênée. Je n'avais absolument pas envie de lire un quatrième Léonora Miano mais j'étais très curieuse et intéressée de découvrir vos avis. Je reconnais de grandes qualités : à l'oral elle est formidable, écouter Léonora Miano c'est passionnant, elle crève l'écran (mais ce n'est pas l'écrit) ; j'apprécie l'univers qu'elle évoque, son ambition et son point de vue, son positionnement si j'ose dire, décapant, sa façon de se situer par rapport aux genres (mais ce n'est pas l'écriture elle-même). Comme dans Crépuscule du tourment, c'est intéressant de ne pas situer historiquement et géographiquement.
En fait j'ai trouvé ça mortel, ennuyeux, ça n'en finissait pas, avec des afféteries, par exemple le titre du premier chapitre "Aurore fuligineuse", les lettres soulignées... Je me suis demandé ce qui créait cet ennui : le présent constant n'y est pas pour rien, c'est vraiment un présent d'ennui.

Nathalie
Ah je ne le connaissais pas celui-là...

Claire
Je trouve le glossaire (comme dans Crépuscule du tourment) maladroit.

Monique S
Je ne l'avais même pas vu, je l'ai découvert à la fin.
Claire
A certains moments, il y a des sortes d'exposés, par exemple quand Mutimbo explique comment il est arrivé dans la communauté. Bref, un conte, sur un grand sujet, qui m'a bien barbée. J'aurais préféré lire l'enquête dont elle parle dans les remerciements, La mémoire de la capture de Lucie-Mami Nkaké, sur la traite. J'ouvre ¼ pour l'ambition.
Denis
J'ai été dérouté par ce livre que j'ai lu sur une liseuse et ce n'est pas le genre de livre à lire ainsi, car il est difficile de feuilleter ou de revenir en arrière pour préciser un personnage. Je n'ai pas dépassé le troisième chapitre (une petite moitié donc). J'ai essayé de dépasser mes préjugés car j'ai déjà lu de la littérature africaine et à chaque fois je n'ai pas trouvé ça terrible (sauf Americanah que j'ai bien aimé). Arrivé au chapitre 3, où la situation s'éclaircit, j'ai repris le chapitre 1 et là j'ai compris, je suis plus rentré dedans. J'ai alors bien apprécié l'écriture et l'expression du point de vue des femmes. Les femmes sont les piliers de la société et, logiquement, n'ont pas le droit d'aller sur les routes. J'ai eu du plaisir, je n'ai pas fini, je ne sais pas si je le finirai. J'ouvre à moitié.

Lisa
J'avais lu Crépuscule du tourment : j'avais été perplexe, j'avais du mal à comprendre. Je me suis plongée dans celui-ci. J'ai mis du temps à comprendre. J'aurais bien aimé l'aimer, mais cela ne m'a pas plu. Je me suis ennuyée. J'ai eu aussi du mal avec les noms similaires des personnages.

Plusieurs
Ah oui !
Lisa
Le sujet est intéressant, mais je n'ai pas aimé le style qui veut se donner un air mystique et poétique, c'est artificiel. L'intention est bonne, mais le sujet mal traité. J'ouvre au ¼.

Monique S
Je n'avais rien lu de Léonora Miano, c'est donc une découverture totale. J'ai aimé le thème, le point de vue. L'Afrique, ses coutumes, j'ai aimé. Elle réussit à nous faire rentrer dans la pensée collective, mais aussi individuelle. J'ai eu un problème avec les noms. Je n'ai pas découvert cet aspect de l'esclavage, je connaissais. Il y a aussi des problématiques qui, je pense, sont des sujets actuels : la place des femmes, le genre, mais je me demande si ce n'est pas un peu plaqué.

Claire
Lis l'échange avec Despentes, tu auras la réponse…
Monique S
Le rôle des femmes m'a intéressée. Par contre, l'écriture ne m'a pas emballée ; il n'y a rien de créatif. Certains passages sont ethnographiques, ça m'a gênée. Le récit de l'homme, appelé Homme, ce n'est pas crédible dans une fiction (p. 151) : au début, les propos sont rapportés en italique, puis ça devient un récit. Quelques passages m'ont plu, notamment la description de la mangrove. J'ai trouvé qu'il y avait une sorte d'utopie, avec ce lieu où se retrouvent tous les gens de différentes tribus. J'hésite à ouvrir à moitié ou ¾.

Henri
J'ai eu du mal. Je remercie le groupe. J'étais parti sans rien lire d'avance au sujet du livre, comme d'habitude. Page 86 je me suis réveillé : mais à quelle époque se déroule ce roman ? J'ai souligné des passages, le style est un peu comme dans Rahan, avec des métaphores…

Claire
Rahan : ???

Henri et Jacqueline
Rahan, fils des âges farouches !
Henri
Ce qui est positif c'est d'être surpris. Mais sinon c'était pénible. J'ai trouvé le récit parfois "plaqué", mal structuré, mal monté. Effectivement il y a des rapports de force entre les femmes et hommes, mais ce qui m'a le plus manqué, c'est qu'on n'accède pas aux sentiments : en dehors de la pensée collective, il n'y pas de sentiments individuels. J'ouvre ¼, je ne l'ouvrirai plus. Or Petterson, je l'ouvre n'importe où et j'ai envie de relire.
Catherine
J'ai eu du mal. Le début est très long. J'ai aimé la description du clan, mais il y a trop de mystique. Les femmes n'ont pas le droit d'exprimer leur peine, il n'y a que le sentiment collectif : c'est intéressant et étonnant. Des périphrases se répètent pour nommer les personnages et c'est pénible. Je ne comprenais pas où elle voulait en venir. Le thème est intéressant, mais on s'y perd un peu. De façon un peu isolée, il y a des choses intéressantes. Je n'ai pas accroché avec ces dialogues très longs à la fin. Je l'ai peut-être lu trop vite, mais je ne pense pas que je le relirai. Je l'ouvre à moitié.
Fanny
J'ai lu ce livre comme une ballade où je me suis laissé perdre. Il y a des moments où j'accrochais mais à d'autres moments, je me suis ennuyée. C'était assez curieux. J'ai aimé l'effet répétitif du début, mentionnant "celles dont les fils n'ont pas été retrouvés", cela avait du sens marquant une dépersonnalisation de ces femmes. Je n'ai pas trouvé qu'il n'y avait pas de sentiments, contrairement à Henri et Catherine. J'ai aimé la construction avec des boucles et des allers-retours. Il y a des moments où vraiment je me suis ennuyée. Je me suis dit que j'avais peut-être un problème avec la littérature africaine. Je l'ouvre à moitié, avec un sentiment globalement agréable.
Annick A
Ce livre est construit comme un thriller. Face à un événement catastrophique, les personnages ignorent, tout comme le lecteur, ce qui a pu se passer et l'auteure nous entraîne avec eux à la recherche des causes qui les amèneront peu à peu à découvrir l'organisation de l'esclavagisme. Face à l'inconnu, ils mettent en place différentes réactions, boucs émissaires, immobilisme, tentative de prise de pouvoir, recherche active... : j'ai été très intéressée par la dimension anthropologique qui m'a fait découvrir un monde étranger. On découvre une ethnie de croyance animiste, très hiérarchisée, fermée sur elle-même, avec une domination des hommes sur les femmes. Il y a deux très beaux rôles de femmes, Eyabe et Ebeise. La dimension de la transmission est centrale. La place des ancêtres primordiale. C'est d'eux que l'individu tient son existence. "Quiconque a été engendré porte en lui les vivants et les morts". Il est porteur de ses ancêtres. A travers cette mythologie mystique, on retrouve la dimension de l'inconscient freudien. A sa naissance le bébé est porteur d'une histoire : "Les tout-petits racontent les sphères de l'esprit, qu'ils ont connues avant d'être parmi nous. Si nous pouvions les comprendre, nous saurions quelles vielles âmes logent dans ces corps neufs. D'ailleurs nous le voyons, si nous sommes attentifs." (p. 227) C'est un livre poignant. J'ouvre aux ¾.
Monique L
J'ai été happée par ce livre. J'ai ressenti une façon différente de lire le monde. J'ai ressenti des choses que je savais sur l'âme africaine, différemment qu'au travers d'une lecture ethnographique : j'étais avec eux, je me suis laissé emporter. J'ai été marquée par la mémoire des ancêtres. Je n'ai pas appris grand-chose, mais je l'ai vu et revu d'une autre manière : ainsi j'ai revu certaines choses vues en Afrique dans des villages éloignés comme la petite hauteur des cases à palabres pour que les gens qui s'emportent se cognent aux poutres ou la case isolée pour les femmes qui ont leurs menstrues. Pour les noms, je me suis fait une fiche au début… Ce livre est pour moi un coup de cœur, j'ai aimé le côté conte et le mystère, j'ouvre en entier.
Nathalie
Cette auteure, je l'ai beaucoup commencée et jamais terminée. Je l'ai lue rapidement sur une tablette et c'est la dernière fois que je lis sur une liseuse, c'est un carcan et on ne peut pas souligner. Elle empêche une prise en main générale de l’œil.
J'ai vécu 24 ans en Afrique. L'idée première est celle de la transmission ; même les survivants disparaissent, il n'y a pas d'échappatoire. Cette dimension collective est difficile à comprendre dans notre société dans laquelle l'individualisme bat son plein. Notre prix à payer est la solitude, la leur est de mettre les sentiments personnels en arrière-plan. Il y a des passages terribles dans le livre qui donnent envie de pleurer. Ce ne sont pas les plus violents. Ce sont surtout ceux qui traduisent l'obsession de celles qui croient encore que leur enfant est vivant, ou qui veulent à tout prix entrer en contact coûte que coûte avec eux pour être enfin en paix. Si je ne mets pas cette lecture à distance, cela me rend nostalgique. C'est ici quelque chose d'universel. Car quel que soit l'endroit où se passe un tel drame, il y a dans un premier temps un regroupement, une solidarité, mais peu à peu, chacun est obligé de vivre son deuil dans son aspect unique et on voit dans l’œuvre que même l'esprit de sororité se déchire et s'effiloche. Cette perte de l'enfant dans l’œuvre est encore plus forte parce qu'on y parle de premier né. On retrouve également par rapport à nos sociétés ce désir du groupe de "se préserver du malheur qui les frappe".
Il y a beaucoup de symbolique et ce texte a une valeur universelle. Léonora Miano montre si besoin était l'universalité des sentiments, des passions rivales, et des désastres qu'elles engendrent. J'ai été très touchée par la volonté de rester en contact avec les morts. J'ai également beaucoup pensé aux Juifs et aux ghettos et aux reproches ou aux questions que l'on a pu se poser, puisque certains considèrent comme vrai qu'ils avaient la possibilité d'y échapper (cf. document de 3 min concernant les seuls Juifs français par Simone Veil).
J'ai aimé le thème du rêve comme médium – ce que l'on perd dans notre société, lieu de dévoilement dans le temps et dans l'espace "celui qui rêve a cessé de vivre". J'ai trouvé certaines choses très belles dans l'écriture, par exemple le masque passeport. Et la symbolique du nombre 9, il me semble n'avoir jamais croisé cela nulle part dans la littérature. Quant aux noms, en Afrique, les gens s'appellent très souvent pareil, la confusion que cela provoque peut également renvoyer à l'idée du miroir : de la même façon que les agresseurs créent une diaspora en éclatant le groupe ethnique, les rescapés créent dans la mangrove une sorte d'utopie où ils se regroupent et vivent en harmonie.
Si parfois l'invraisemblance de l'écriture me gêne (les grands passages de narration rapportée où tout est expliqué, même si l'on sait qu'il est impossible pour celui qui raconte et ne maîtrise pas la langue du clan d'avoir eu accès à toutes ces informations), l'auteure le dit au lecteur d'une manière ou d'une autre, donc je ne lui en veux pas. Elle sait qu'elle utilise des procédés artificiels, mais ce n'est pas important. Si je l'avais en face de moi – l'auteure – je suis sûre qu'elle serait d'accord avec moi. Vous parlez beaucoup de mystique, mais pour moi c'est de l'animisme, plus que du mystique. On dit souvent en Afrique qu'il y a tant de % de catholiques et tant de % de musulmans mais surtout 100 % d'animistes... J'ouvre en grand malgré les défauts.
Jacqueline
Je l'ai lu très vite. J'ai lu la quatrième de couverture de l'édition Grasset d'origine, donc je savais qu'il était question de traite des esclaves. Je l'ai lu avec beaucoup de curiosité. Je l'ai trouvé intéressant mais le style m'a rappelé le 19e siècle et notamment Jules Verne pour le côté didactique. C'est très bien expliqué. En même temps j'ai gardé une distance, un peu amusée. Moi je savais ce qui se passait et j'allais découvrir avec ces femmes ce qui se passait. J'aurais peut-être aimé quelque chose de plus littéraire. A la fin j'aurais aimé être embarquée, mais je n'ai pas complètement accroché, j'ai trouvé que cela faisait un peu littérature de bons sentiments, notamment la belle envolée sur la mémoire. Il manque un petit quelque chose pour que ce soit vraiment de la littérature que j'aime. J'ouvre aux ¾. J'ai lu Les Aubes écarlates, je n'ai pas beaucoup aimé.
Rozenn (qui a proposé le livre, avis écrit après coup) C'est dur d'entendre les critiques, quelquefois sévères, sur un livre qu'on a aimé inconditionnellement…
Je l'ai lu une première fois cet été, il m'avait été conseillé par une amie qui vit en Afrique et qui rédigeait un article sur cette auteure. Ce livre m'a complètement embarquée. J'ai eu l'impression de vivre au sein d'un monde différent du mien, un monde auquel je pensais ne jamais pouvoir avoir accès. D'être perdue et de piétiner avec des personnages eux-mêmes perdus, qui erraient, et qui effectivement ne pouvaient guère se permettre des états d'âme, même quand ils étaient submergés par la douleur. L'écriture piétine aussi. Bien sûr, surtout au présent, présent d'inquiétude et d'urgence. Les noms sont des invocations mêlées. Comme les personnages, nous ne comprenons pas et nous tentons de trouver du sens dans des récits éclatés et fragmentés. Et j'ai aimé rester dans cette opacité. Pas besoin du glossaire.
Je l'ai presque entièrement relu avant de venir, mais vous lisiez par dessus mon épaule et je remarquais ce que vous alliez critiquer, ce que vous avez critiqué... Je suis allée jusqu'à 89% (sur ma liseuse), faute de temps.
Cet été, j'ai lu tous les livres d'elle en Kindle, sa trilogie et aussi Afropean Soul. Je les ai tous aimés, mais c'est La saison de l'ombre que j'ai trouvé le plus singulier, le plus fort. Je l'ouvre en grand et je continuerai à lire son œuvre.
Nous cherchons une logique à tout, une histoire construite et lisse, des personnages qui ne peuvent tenir que le discours de leur âge, de leur rang et de leur situation. Est-ce notre culture qui nous conduit à ça ? Ne nous empêche-t-elle pas de nous laisser embarquer dans de grands récits. D'ailleurs notre monde est réellement aussi cartésien, aussi linéaire. Le mien pas toujours.

Henri
On peut trouver un intérêt au sens thriller, et cela fonctionne. Avec les codes culturels, on trouve des thématiques : j'ai bien aimé ce côté irrationnel et rocambolesque y compris dans le basculement d'un personnage à l'autre. Mais d'un point de vue littéraire, je trouve que cela ne marche pas.

Nathalie
A la fin j'ai trouvé l'accélération artificielle.

Claire
Dans les raisons de celles qui ont aimé, je trouve cela convaincant quant au contenu mais pas pour l'écriture. Est-ce que le contenu va suffire ? Comment nous convaincante de ne pas décrocher. Manuel a lu la moitié s'il avait été là, il avait prévu de lire certains passages en ridiculisant l'écriture. Le mélange des genres que tu critiques Monique, c'aurait pu être intéressant, un entrelacement de récit, texte documentaire, mais là ça tombe à plat.

Nathalie
Le livre est constitué à la manière dont les femmes à la fin du livre se déplacent d'un endroit à l'autre, sans trop comprendre cela.

Annick A
Il y a des choses poétiques sur la nuit.

Lisa
Oui, ça c'est vrai.

Henri
A certains moments j'ai l'impression de lire des phrases de professeur, cela donne un curieux mélange.

Claire
Quelle est l'explication des lettres soulignées. Ce sont des E, c'est pour souligner le féminin, le E du féminin ?

Rozenn
Il y a aussi des O.

Claire
Ben alors…

 

DOC SUR LÉONORA MIANO ET SON ŒUVRE

Quelques repères
- 1973 : Léonora Miano naît à Douala, au Cameroun, où elle vit jusqu'à 18 ans. Son grand-père est administrateur des colonies. Son père, après des études à Paris, est pharmacien. Sa mère, professeure d’anglais.
- 1991 : A 18 ans, ses parents l’obligent à poursuivre ses études en France, d'abord à Valenciennes puis à Nanterre : elle étudie la littérature américaine.
- 1994 : A 21 ans, enceinte, elle se retrouve sans domicile ni papiers : "J’ai mis dix ans à sauver ma peau et celle de ma fille. C’est la seule période de ma vie où je n’ai pas écrit." (Libération, 6 décembre 2016).
- 2005 : Son premier roman, L’Intérieur de la nuit (Plon) reçoit 6 prix. Le magazine Lire le qualifie de meilleur premier roman français de l'année 2005.
- 2006 : Contours du jour qui vient (Plon). Prix Goncourt des lycéens.
- 2008 : Tels des astres éteints (Plon), Afropean Soul et autres nouvelles (Garnier Flammarion, coll. "Étonnants classiques")
- 2009 : Les Aubes écarlates (Plon), Soulfood équatoriale (Nil éditions, coll. "Exquis d'écrivains)
- 2010 : Blues pour Élise (Plon)
- 2011 : Ces âmes chagrines (Plon)
- 2012 : Écrits pour la parole (pièce, L'Arche éditeur), Habiter la frontière (conférences, L'Arche éditeur)
- 2013 : La Saison de l’ombre (Grasset). Prix Femina
- 2015 : Red in blue trilogie (pièce, L'Arche éditeur)
- 2016 : L’impératif transgressif (conférences, L'Arche éditeur), Crépuscule du tourment (Grasset)
- 2017 : Crépuscule du tourment 2 : héritage (Grasset), Marianne et le garçon noir (direction des diverses contributions, Pauvert).

Articles
- Sur La Saison de l'ombre : "Ceux qui restent", Catherine Simon, Le Monde, 26 septembre 2013
- Sur l'auteure : "Portrait : Léonora Miano, lettre indomptable", Cécile Daumas, Libération, 6 décembre 2016
- Sur l'ensemble de l'œuvre :
• "Le tiers-espace de Léonora Miano romancière afropéenne", Sylvie Laurent, Cahiers d'études africaines, n° 204, 2011
• "L'afrophonie de Léonora Miano", Véronique Petetin, Études, n° 9, septembre 2017.

Entretiens
- "Entretien avec Léonora Miano", Hubert Marlin Jr, Flashmag, 16 octobre 2013
- "Léonora Miano : ce que l'esclavage a fait à l'Afrique", David Caviglioli, L'Obs, 27 octobre 2013
- "Dialogue Virginie Despentes/Léonora Miano", Anne Laffeter et Géraldine Sarratia, Les Inrockuptibles, 23 mai 2017
- "Le grand entretien : Léonora Miano, Littératures partagées", Christiane Chaulet Achour, Diacritik, 16 juin 2017.

Vidéos
- Présentation par l'auteure elle-même de son livre La saison de l'ombre à la librairie Mollat, 13 août 2013 (4 min 39)
- Léonora Miano parle d'Aimé Césaire pendant les Assises internationales du roman organisées par Le Monde, 23 mai 2014, (2 min 08).

Blog
Un blog consacré à Léonora Miano : https://frenchafricana.org/

L'ensemble de cette documentation est accessible en un seul document pdf : ICI

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout


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