Le Devoir 2016


Cette œuvre est divisée en 4 parties :

- BESTIÆ VERÆ
- BESTIÆ FABULOSÆ
- CANIS LUPUS LUPUS
- HOMO SAPIENS SAPIENS


Quatrième de couverture
 
: Lorsqu'il découvre le meurtre de sa femme, Wahhch Debch est tétanisé : il doit à tout prix savoir qui a fait ça, et qui donc si ce n'est pas lui ? Eperonné par sa douleur, il se lance dans une irrémissible chasse à l'homme en suivant l'odeur sacrée, millénaire et animale du sang versé. Seul et abandonné par l'espérance, il s'embarque dans une furieuse odyssée à travers l'Amérique, territoire de toutes les violences et de toutes les beautés. Les mémoires infernales qui sommeillent en lui, ensevelies dans les replis de son enfance, se réveillent du nord au sud, au contact de l'humanité des uns et de la bestialité des autres. Pour lever le voile sur le mensonge de ses origines, Wahhch devra-t-il lâcher le chien de sa colère et faire le sacrifice de son âme ?

Né au Liban en 1968, Wajdi Mouawad a vécu à Paris, puis à Montréal, Toulouse et maintenant Paris.
Il est notamment l'auteur du
Sang des promesses, quatuor de théâtre épique dont le second volet, Incendies, a été porté à l'écran par Denis Villeneuve (2010). Anima est son deuxième roman, après Visage retrouvé.
Anima a remporté le prix Phénix de littérature, le Grand Prix Thyde-Monnier de la Société des gens de lettres, le prix de la Méditerranée, le prix du deuxième roman de Lecture en tête, le prix du jury de l'Algue d'or et le prix catalan Llibreter du roman étranger.

Autre quatrième de couverture d'Anima  : Sa femme a été assassinée et violée. Wahhch se lance sur les traces du meurtrier, un Indien mohawk qui profane les plaies ouvertes dans le ventre de ses victimes. De cette poursuite du monstre, les animaux sauvages ou domestiques sont les témoins, se relayant pour prendre en charge la narration. Une fascinante geste initiatique polyphonique et animiste.


Ediciones Destino

Le site de l'auteur : ICI

Nathalie R avait dialogué par lettre avec Wadji Mouawad qui avait mis à disposition de ses élèves de 3e la nouvelle suivante :"Dernier soir sous un pont".

Wajdi Mouawad
Anima

Nous avons lu ce livre en janvier 2017. Voir en bas de page des infos sur le livre et l'auteur.


Marie Odile(depuis les Pyrénées)
Christophe avait proposé l'été dernier, lors de notre Semaine lecture à Langoëlan, que nous lisions une pièce de théâtre, Incendies, et il a inscrit cet auteur dans mon été. Si Littoral a quelques longueurs, j'ai d'emblée trouvé Incendies et Anima tous deux dignes d'intérêt pour le groupe lecture. J'ai lu Incendies après avoir vu le film (ce qui n'est peut-être pas le bon ordre) : la fin est absolument saisissante ; l'idéal en serait bien sûr la représentation théâtrale... Incendies et Anima sont deux textes forts et audacieux qui exposent cruauté et monstruosité tout en offrant une profonde humanité. Tous deux parlent de vie, de mort, de quête et de révélation. Tous deux sont bouleversants.
J'aime cet auteur que j'ai écouté à différents moments : c'est un homme qui parle du plus profond de lui-même. C'est certainement parce que je l'avais écouté, parce que je savais qui était derrière cette écriture que j'ai pu aborder et absorber Anima, ce livre éprouvant. Voici ce que j'ai écrit juste après lecture en juillet dernier :
L'originalité de la narration m'a séduite dans Anima qui reste sans doute pour moi La Découverte de l'été ! J'aime les livres qui me surprennent et Anima de Wajdi Mouawad est de ceux-là.
Surprenant il l'est par la narration. Chaque chapitre donne la parole à un animal différent. Ces narrateurs inhabituels, aux sens aiguisés, à la vie tragique souvent, sont les témoins successifs de ce qui arrive au personnage principal que nous suivons dans une quête où il se découvrira lui-même.
Surprenante la façon de passer par le Québec, les Indiens Mohawk, les États-Unis pour aborder la tragédie du Liban.
Surprenants les moments de cruauté extrême mêlant sang, chair et sexe sans souci de ménager le lecteur. Ce texte ancré dans la terrible réalité du XXe siècle a des relents de tragédie antique (mais comme si on décrivait de façon réaliste les yeux crevés de Œdipe ou le foie dévoré de Prométhée).
L'écriture est simple, belle, incantatoire parfois, au service d'une émotion contenue et d'une réflexion sur des thèmes qui jalonnent l'histoire : celui de la ligne par exemple. Il y a dans ce texte quelque chose qui rappelle Valse avec Bachir, et ce n'est pas seulement le thème, l'émotion peut-être ?
J'ai aimé la construction : chapitres courts, parties bien délimitées, progression irrésistible vers le choc final.
Nathalie R
Ce sera bien la première fois que je regrette autant de ne pouvoir être parmi vous ce soir pour l'échange autour d'Anima.
Je commencerai par une vision globale : j'ai adoré ce bouquin et j'en ai détesté le processus de clôture. Non pas pour maintenir à flot ma réputation de "celle qui n'aimait pas lire les fins des œuvres qu'elle adore" (réputation assez longue à tenir, ma foi) mais tout simplement parce qu'une fois de plus, j'ai trouvé la fin lourde, artificielle, grossière comme une ficelle de chanvre nouée autour du cou du lecteur. Et vas-y donc que je te plombe et que je te fais couler avec moi. La mise à mort du bourreau me semble grotesque, le lieu l'est tout autant (je suis allée voir sur Internet... entre nous j'aurais préféré que ça se passe à Massada !). Le fait de jouer à nous faire croire que cela pourrait être éventuellement le héros est à mon sens affligeant. Il aurait pu faire plus fin et il ne l'a pas fait. J'ai été amusée de retrouver dans son roman, une allusion à la persistance rétinienne (p. 151 "dont le miroitement n'a su effacer l'empreinte de son visage imprimée sur mes rétines"). Dans son métier de metteur en scène, Mawouad est très sensible à cette idée qu'il faut que ce que l'on voit laisse une trace. Aussi utilise-t-il le procédé d'un projecteur rouge allumé violemment pendant plusieurs secondes et dont la puissance décroît au fil du temps afin de laisser dans la rétine de son spectateur, le rond pourpre. J'ai assisté à certaines de ses mises en scène (Des femmes, les Trachiniennes, 2011). J'émets donc l'hypothèse que sa fin lourdingue correspond au même procédé...
Une fois que j'ai dit cela, je peux bien dire pourquoi j'ai adoré ce livre. Tout d'abord parce qu'il a un parti pris qui, il me semble, n'a jamais été exploité auparavant : raconter l'histoire par plusieurs voix animales et pas une seule (comme cela avait été fait par Thierry Jonquet dans La Bête et la Belle). Procédé d'autant plus intéressant qu'il fait naître non seulement de la compassion pour le héros mais aussi pour les animaux qui racontent. J'ai lu le livre en trois jours et au début, pour ne pas ralentir ma lecture, je ne voulais pas perdre du temps pour aller voir qui se cachait derrière le nom savant. Ce qui a été extraordinaire pour moi, c'est quand j'ai enfin réalisé que chaque nom renvoyait à un animal très simple de notre quotidien. Je considère cela comme un coup de force incroyable parce qu'il a réussi à me sensibiliser à une autre façon de voir ce qui m'entoure et la façon dont cela m'entoure. Je sais que je dois faire court pour laisser le temps aux autres de s'exprimer, aussi ne vais-je pas trop détailler ici.
Il m'est impossible de conseiller ce livre sans mettre en garde sur les scènes de violence inouïe qu'il contient. J'ai donc très peu de personnes dans mon entourage auxquelles je pourrais l'offrir. Tant qu'à moi, j'ai volontairement abrégé la lecture de la mise à mort du bourreau (pas parce qu'elle était intenable mais parce que ça tournait au grotesque et je déteste les films qui mettent en scène ce type de violence comme par exemple dans ceux de Tarentino parce que je n'arrive pas à les prendre au second degré). Donc, dès la première scène violente, j'ai mis un mur de verre entre les mots et moi, ce qui m'a permis d'avancer sans être perturbée.
C'est compliqué de dire pourquoi j'aime ce livre, je le vois bien en essayant d'écrire mes pensées. C'est un livre au rythme haletant, logique parce qu'illogique, vraisemblable parce qu'invraisemblable. Le thème permanent de l'inversion des rôles (l'assassin qui devient sauveur, la victime qui devient bourreau, le bourreau qui devient victime...) m'a touchée. L'histoire du massacre de Sabra et Chatila, on l'a déjà évoquée, mais elle me poursuit encore parce que je n'arrive pas à comprendre ce qui a poussé des hommes à commettre de pareilles horreurs (et ça reste un sujet d'actualité brûlante). Je m'arrête ! Et j'ouvre en GRAND.

Marie Odile (à qui l'avis de Nathalie a été communiqué)
J'aime beaucoup le texte de Nathalie. Je suis d'accord avec elle sur la fin. C'est un peu too much, mais je n'arrivais pas à en dire quelque chose de négatif.
Paradoxal : j'ai parlé de ce livre à plein de gens mais en leur disant "ne le lisez pas !"...
Séverine (avis transmis)
Mon premier sentiment a été de l’agacement : le procédé narratif avec chapitres de tailles différentes, intitulés en latin et racontés par des animaux m’a paru lourd. Puis je m’y suis fait et je suis totalement entrée dans l’histoire. Pour moi, ce livre est "puissant" : il se dégage cette force animale si présente et il est difficile de rester de marbre devant l’horreur de la nature humaine. Pourquoi est-on choqué par le crime commis en début de roman alors que le monde des animaux (la rate dépouillée par la corneille) ou la façon dont l’être humain traite les animaux (la scène des chevaux transportés pour l’abattoir) le sont tout autant ? J’aime cette façon que l’auteur a de montrer qu’il y a de l’animal en chacun de nous et surtout la façon qu’ont les animaux d’exister (avec des sentiments). Quand on plonge plus avant dans le passé de l’homme en Orient, j’ai eu le sentiment de replonger dans Incendies : on sent que l’auteur a à cœur de se focaliser sur ce que l’homme a de pire en lui (et dans le pire peut parfois naître du bon). On est toujours dans des histoires qui sont tout de même le summum de la tragédie, le mal dans ce qu’il a de plus impensable. Pour finir, je dirais que ce livre m’a ouvert des chakras... : je n’aurais probablement pas lu ce livre sans le groupe, mais au-delà de la découverte, ce livre m’a poussée hors de mes idées habituelles sur la littérature. J’ai aimée être bousculée par cette histoire et finalement par le choix narratif et le style. Je vais conserver précieusement cet ouvrage dans ma bibliothèque. Je ne suis pas sûre de le relire mais il restera longtemps dans ma mémoire. Je l’ouvre en grand.

Annick A
C'est paradoxal : je ne peux pas parler de ce livre alors que je l'ai proposé. Je ne me souviens de RIEN. Et je ne veux pas le relire. J'avais adoré. J'adore cet auteur mais je trouve qu'il devient répétitif. Il est à la recherche de son histoire, via l'Histoire. J'ai l'impression d'en avoir fait le tour. J'avais trouvé ce livre original. Mais c'est incroyable de ne souvenir de rien.

Claire
Tu te souviens pas du système de narration adopté ?!

Annick
Non. J'aurais aimé qu'on choisisse une pièce de théâtre.
Françoise D entre et
Finalement, je ne sais pas quoi en dire. Je suis partagée. Je l'ai lu à Madrid et j'ai préféré laissé le livre là-bas. C'est intéressant mais lourd. Dur, pesant. La parole aux animaux, ça fait procédé. La fin ne correspond pas au personnage : pendant tout le bouquin, il n'est pas animé par la vengeance, alors qu'à la fin, c'est un déchaînement de vengeance. Trop, c'est trop ! J'ai bien aimé les lieux aux USA : Cairo, Lebanon. Mais faire parler les animaux, ça ne colle pas. Il y a des choses gratuites : l'histoire du chien qui se fait enlever. Je rejoins Marie Odile : Valse avec Bachir, c'est formidable ! C'est son histoire, mais enfin il n'est pas palestinien, il est libanais ! Il aurait pu être plus subtil. Ça me semble trop. Exagéré. J'ai bien aimé les passages en anglais. Je l'ouvre entre ¼ et la moitié.

Jacqueline
Je l'ai lu en étant fatiguée, je ne lisais que des polars…

Claire
Et ça t'a requinquée !

Jacqueline
En tout cas, quand j'ai lu dans Le Monde qu'on le qualifiait de polar, ça m'a encouragé à le lire. J'ai été submergée par pleins d'émotions dont la surprise - le viol du début - m'a paru abracabrantesque. C'est gonflé de dire à cet homme "on a tous envie de se débarrasser de ceux qu'on aime, tu vas passer à autre chose". Et puis, qu'est-ce que c'est que ce nom de Wahhch Debch, ça n'existe pas ! Il m'a fallu le deuxième sous-chapitre pour remarquer que le récit était fait par des animaux. J'étais agacée de ne pas avoir mon dictionnaire latin, mais en fait on devine quels animaux se cachent sous leur nom latin. Je voulais aussi chercher le mot Anima dont je crois me rappeler que c'est le souffle de vie.

Monique L
C'est l'âme.
Jacqueline
J'étais impatiente : qu'est ce qui va se passer ? Après, j'ai éprouvé de la reconnaissance envers l'auteur. Il a réussi à traduire l'exil, le choc des langues et des cultures, leur disparition. J'ai trouvé très fort de faire raconter par des animaux. J'y ai vu une manière de traduire le sentiment d'étrangeté à lui-même qu'éprouve le héros après le choc du meurtre et j'ai retrouvé une situation un peu semblable à celle racontée par Per Petterson : ce moment où l'on se retourne vers le passé parce qu'on perdu tout ce qui faisait notre vie.
J'ai lu ce livre avec beaucoup d'intérêt mais je le ferme à cause d'un jugement moral : je ne supporte pas qu'on ramène un fait historique proche comme Sabra et Chatila à une fiction qui risque d'en trahir la réalité. Livre fermé

Rozenn
Je l'ai lu en deux jours...

Les autres
...!!!!!!!!!!!!

Rozenn
J'ai détesté au début, j'ai failli arrêter. Les animaux, ça m'a agacée. Puis je me suis dit que je m'en foutais de savoir de quel animal il s'agissait. Puis j'ai adoré. Mais la fin est détestable. Je trouve que c'est un bouquin violent mais facile à approcher grâce aux points de vue des animaux. La violence, il nous permet de nous en approcher. Les animaux sont violents, l'homme est un animal. C'est invraisemblable que la sœur amène l'assassin dans la chambre du héros : c'est facile, trop gros. Je suis fascinée par les personnages et les réserves. Ce qui me fascinait en Russie c'était la violence, quand je l'ai compris, cette fascination s'est arrêtée. Ce qui m'a frappée, c'est ce père qui vole un enfant...

Jacqueline
... qui ne pouvait avoir d'enfant.

Rozenn
Et apparemment c'est fréquent. Dans ce livre il n'y a pas que la violence physique ou sexuelle. C'est fascinant. Je ne donne ce livre à lire à PERSONNE. Mais ce n'est pas l'histoire qui m'a fait aller jusqu'au bout, c'est l'écriture. Et je me rends compte que ce que je dis dans mon portrait est complètement faux…

Plusieurs
Et tu "ouvres comment" ?

Rozenn
Je ne sais pas.
Monique L
Ça a été une lecture difficile, insoutenable à cause de la violence. A certains moments, je ne pouvais plus quitter le livre, à d'autres j'ai dû aller me promener… Heureusement, il y a des moments de répit. Le livre a eu pour moi un effet hypnotique. Les animaux, j'ai ressenti ça comme un procédé au début, puis après un moyen assez fort de lier l'homme et l'animal ; et les animaux font "décompression" ; le héros diffuse une douleur animale. Ce qui m'a marquée, ce sont les rencontres. Il y a comme un puzzle du tréfonds de la mémoire avec cette horreur : "Ôtez la terre dessus ma tête, voulut-il hurler, comme au jour ancien où des hommes l'avaient enterré vivant. Il ne faut pas que je pleure, s'était-il répété, si je pleure, si je crie, ils recommenceront, me sortiront, me tueront et me remettront dedans." C'est pour moi un livre sur la mémoire, sur la question des origines : on est modelé par ses origines, et on le sent bien ici. Ces images qui surgissent de la conscience, c'est le déroulement de l'intrigue. J'ai trouvé fort le rapprochement entre la Guerre de Sécession et Sabra et Chatila. Le meurtre final, c'est mythologique, c'est de la mise en scène, j'étais au théâtre. Bref, j'ai été bousculée, séduite et horrifiée. D'autres livres vont me paraître fades. J'ouvre en grand !

Lisa
Je suis partagée, ou je pensais l'être. Quand j'avais mis en ligne mon avis sur SensCritique j'avais conclu 5/10, mais en réfléchissant, en vous entendant, je me rends compte que je n'ai rien aimé...

Rozenn
Tu mets 0 ?...

Lisa
Au début, j'ai trouvé le procédé des animaux intéressant. Après cinq chapitres, j'ai trouvé que c'était lourd et que ça n'apportait rien. L'histoire ne m'a pas intéressée. La répétition des meurtres sonne faux, invraisemblable. Les aspects historiques sont survolés. Je n'ai pas trouvé ça violent outre mesure.

Plusieurs
!!!!!!..... ?????
Lisa
Je n'ai pas été particulièrement horrifiée en regard de la lecture de romans policiers. Je n'ai pas aimé la fin non plus. Je l'ouvre ¼ pour l'originalité. Je ne suis ni déçue, ni ravie. Je ne le donnerai pas à lire. Je ne le relirai pas.
Richard
C'est difficile de poser un jugement sur ce livre. Il commence comme un roman noir, puis des couches se rajoutent. Je n'ai pas essayé de deviner les animaux, j'ai cherché sur Internet et puis le problème s'est réglé : au quart du livre, j'ai accepté et compris l'utilité des animaux. Certaines pages sont de la pure poésie, personne n'a évoqué cela. Mais il y a beaucoup de difficulté de crédibilité : les animaux ont des pensées humaine, ok, mais décrire un cylindre blanc sans savoir que c'est une cigarette… Je n'ai pas aimé la violence. Pourquoi les animaux ? Parce que c'est un livre sur la cruauté humaine. La fin est insupportable. Je l'ouvre à moitié, c'est bien réussi en dépit des difficultés. Pour ma part je l'achète et le donne à certains de mes amis et à mon fils : va-t-il réussir à en faire un scénario ?
Fanny
C'est une relecture. Je l'avais lu il y a trois ans, emprunté à la bibliothèque ce qui est rare pour moi et j'étais contente de le rendre. Je pensais que c'était un livre pour le groupe : il y a différents niveaux de lecture. Il y a beaucoup de violence et j'avais de l'appréhension avant de le relire (cette fois je l'ai acheté...). Je ne me rappelais rien de l'histoire, à part la répétition du viol. C'est un peu plus supportable à la deuxième lecture. Les scènes d'animaux sont violentes, elles aussi : avec le serpent, les araignées. J'ai perçu la dimension historique. A travers les fantasmes, on a tous une part de violence. Pour moi, les animaux, ça a pris, car on y retrouve le coté bestial de l'homme. Je suis embêtée pour "ouvrir"... j'ouvre aux ¾ c'est très réussi, mais bon, il n'y a pas de plaisir de lecture. Je ne l'offrirai pas comme cela, sans précaution.

Catherine
Je vais avoir un peu de mal, car je viens de le finir à Odéon, je n'ai pas eu le temps de digérer. Je l'avais laisser tomber en cours de route. Trop gore ! Les animaux, c'est reposant et rigolo, mais j'en avais marre à un moment donné. Beaucoup de thèmes sont abordés : violence, guerre civile… La similitude des meurtres (la femme et la sœur du héros) me semblent invraisemblables. Mais je trouve ça très bien écrit : la scène des chevaux par exemple est extraordinaire, horrible…

Claire
…apocalyptique !
Catherine
Je ne regrette pas de l'avoir lu. J'en ai parlé autour de moi en disant de ne pas le lire... J'ouvre à moitié.

Christelle
C'est un livre qui ne m'a pas laissé indifférente pour le moins… Les animaux, cela ne m'a pas plu énormément ; par contre quand on passe à la narration du chien, ça m'a plu. J'ai habité au Canada trois ans et j'ai aimé retrouver les tournures de phrases, avec les réserves je revoyais les lieux... Je me suis laissé prendre par l'histoire. La scène du viol entre les deux hommes est dure !

Rozenn
En plus, c'est les femmes qui sont violées "d'ordinaire"…
Christelle
Géographiquement, c'est assez intéressant : de Montréal ville culturelle, à l'Amérique profonde des bas-fonds. Avec l'histoire du Liban j'ai eu du mal. La scène de la fin, c'est sans plus… J'ouvre à moitié.
Claire
Je ne savais rien sur le livre si ce n'est que c'était dur et sur l'auteur peu qui éclaire préalablement si ce n'est qu'il était d'origine moyenne-orientale, homme de théâtre (dont j'avais vu Sœurs au théâtre et une mise en scène d'opéra politisée L'enlèvement au sérail), passé par le Québec et directeur du théâtre de la Colline.
L'autoportrait d'Henri que je venais de lire m'a utilement accompagnée : "à l'opposé d'un produit de consommation, je n'exige pas qu'il me procure du plaisir : il peut me déranger, me déplaire, qu'importe, du moment qu'il imprime sa marque sur moi". Cette lecture que j'ouvrirai aux ¾ m'a-t-elle en effet donné du plaisir ? Non. Elle a suscité un grand intérêt et des émotions. J'ai aimé découvrir sa forme : les petits chapitres courts, les narrateurs animaux et leur point de vue, la façon dont c'est écrit. Je dois dire que j'ai eu moins d'intérêt pour Sabra et Chatila. Et l'espèce de parcours de tragédie-mythologie a plutôt constitué pour moi comme un décor, un contexte, à la forme littéraire ; un peu comme en voyant une pièce classique, mon attention se focalise sur la mise en scène, les acteurs plutôt que sur un sens symbolique qu'il me barbe de rechercher.
Des détails m'ont gênée un peu : les titres en latin, des exagérations qui tournent au Grand-Guignol (manger le foie par exemple). Mais j'ai eu fortement le sentiment que c'est un grand livre. Je me suis beaucoup demandé : comment a-t-il fait ce livre ?

On parle à bâtons rompus...

Jacqueline
On n'a pas parlé des chocs de culture. Il parle des légendes indiennes sur les totems. On pourrait en relisant repérer que chaque personnage a un animal qui l'accompagne. Et tout au long, il y a des choses sur le voyeurisme : un animal parle, on n'a que son point de vue, décalé.

Claire
Mais il faut que ce soit cohérent tout le temps, et parfois, comme pour la cigarette que mentionnait Richard, c'est mal fichu. Au fait, l'animal de Mouawad, c'est le scarabée ("Un artiste est un scarabée qui trouve, dans les excréments mêmes de la société, les aliments nécessaires pour produire les œuvres qui fascinent et bouleversent ses semblables. L'artiste, tel un scarabée, se nourrit de la merde du monde pour lequel il œuvre, et de cette nourriture abjecte il parvient, parfois, à faire jaillir la beauté.")

Jacqueline
Le voyeurisme, on le retrouve pour Sabra et Chatila, il y ceux qui agissent et ceux qui éclairent.

Monique L
Comme je suis la seule à l'avoir aimé...

Les autres
NOOON !!!

Monique L
... je précise que je l'ai vu comme une pièce de théâtre. Oui, il y avait beaucoup de thèmes, mais c'est ramassé.

Jacqueline
L'histoire des yeux crevés, c'est Œdipe...

Plusieurs
Bah oui !

Claire
La fin, ça m'a fait penser à la fin grandguignolesque de Testament à l'anglaise de Coe...

Ceux qui s'en souviennent
Hihihi

Françoise D
La fin est kitsch.

Monique L
Moi je ne lis pas de polar, donc j'ai eu du mal... Sans le groupe, je l'aurais jamais lu.

Plusieurs
Moi non plus...

Annick A
Je suis troublée, parce que je pensais que tout allait me revenir en vous écoutant, mais... RIEN !

Claire
Tu ressens ce rien pour ce livre, mais tu vois, moi, c'est tous les livres comme ça...

Françoise D
Ça a des avantages d'avoir Alzheimer !

Rozenn
Tout est tout le temps nouveau pour toi...

Françoise D
Pour moi, la ligne directrice, c'est Sabra et Chatila.

Plusieurs
C'est ton interprétation !

Françoise D
NON !

Claire
Ah tu as la vérité sur le livre ! Tiens c'est nouveau y a la vérité sur un livre !

Françoise D
Il est libanais. Valse avec Bachir, c'est d'un Israëlien. On attend le point de vue d'un Palestinien.

Claire
Mais pourquoi tu veux le coller à son origine ?! Ça dépasse Sabra et Chatila. L'horrible scène décrite pourrait se passer ailleurs, le contexte n'est pas décrit.

Rozenn
C'est sur la violence, le livre montre qu'elle est partout.

Jacqueline
En tout cas, je ne supporte pas qu'il ait fait cela de Sabra et Chatila.

Claire
C'est sacré pour toi ?

Jacqueline
Sans doute, en tout cas ce que ce livre en dit me paraît très réducteur, j'ai la même réaction avec Le choix de Sophie et la Shoah...

Annick A
Je l'avais lu d'une traite, mais pour que je n'en retienne rien... ne s'agit-il donc que d'un polar ?

Rozenn
Je m'interroge sur le plaisir que j'ai ressenti.

Catherine
Il touche un côté trouble chez le lecteur : c'est bizarre d'aimer ce livre.

Claire
C'est bizarre Lisa que tu trouves pas ça violent ?

Lisa
Déjà les animaux mettent de la distance...

Claire
Dans l'auteur écrit les scènes d'extrême violence, je me demande ce qu'il ressent : de la jouissance ?

Jacqueline
Et quand on soigne la plaie avec des... des quoi déjà ?

Richard
Des larves.

Christelle
On soigne encore comme cela dans certains pays.

Fanny
Et le chien par rapport à son maître : "qu'il me frappe, qu'il me violente, qu'il m'injurie, mais qu'il ne m'abandonne pas" !...

Jacqueline
Il y a aussi le rôle de la loi...

Françoise
... oui LES lois, la loi canadienne, américaine, celle des réserves. Enfin pour moi Mouawad devrait s'en tenir au théâtre !

Annick A
Je regrette qu'on n'ait pas lu une pièce de lui, parce que c'est très intéressant la mise en scène.

Claire
C'est pas une mise en scène alors.

Annick A
Si, parce qu'il décrit la mise en scène dans le texte de la pièce.

Claire
Dans deux interviews, il raconte comment il a écrit ce livre, et il n'y dit pas la même chose : sur le site d'Actes Sud, il explique comment la première scène lui est venue, s'est imposée à lui et avec le point de vue de l'animal, que l'écriture est restée parallèle, secrète, pendant 10 ans à ses autres créations, et sur France Musique il présente une approche très maîtrisée de son choix d'un narrateur animal.

Valérie (du nouveau groupe parisien dont les avis suivent)
C'est un auteur que je ne connaissais pas. Il dirige maintenant le théâtre de la Colline et je suis allée avec Nathalie voir la pièce Seul qui est une pièce très contrastée. J'avais donc un a priori positif en commençant le livre.
Le mot qui me vient est "effroyable", je ne m'imaginerais pas le voir au cinéma ou au théâtre car il y a trop de scènes violentes. Au début, le concept des animaux me tapait un peu sur le système. La scène des chevaux sur l'autoroute est un carnage. La scène de sexe avec la femme qui a elle-même couché avec le meurtrier est atroce. Mais la pire scène est celle de Sabra et Chatila qui explique son implication.
En 1982, je ne me sentais pas concernée et ne m'y suis pas vraiment intéressée. Mais aujourd'hui, j'ai fait des recherches sur le sujet grâce à ce livre. Toute ma vie j'ai été "calquée" sur la Shoah et je me rends compte que je suis passée à côté d'autres événements importants. C'est pour cela que je suis allée au bout de ce livre, mais pour une femme, il y a des scènes trop effroyables et ce n'est pas un livre que je relirai. Je suis contente de l'avoir lu mais n'irai pas voir son adaptation au cinéma.
Françoise H
J'ai vraiment adoré. Je l'ai lu très rapidement, j'ai été prise par l'histoire dès le début, qui est percutante. La mise en scène par le dispositif animalier est fascinante. Est-ce que vous connaissez le peintre Gérard Fromanger ? C'est un peintre célèbre des années 70 qui prenait des photos de Saint-Etienne et les reproduisait en grand format monochrome : tout est surexposé, comme s'il y avait un projecteur braqué sur la scène. Je fais le lien car je trouve le récit un peu asphyxiant, il n'y a pas de répit laissé par ces animaux doués de parole et qui ne laissent aucune place à l'imaginaire. J'ai ressenti la contrainte d'un récit qui nous "emprisonne" d'une certaine manière (même le trajet jusqu'à la voiture est raconté par un oiseau), mais porté par un tel souffle et un tel rythme que j'ai été emportée.
Oui c'est violent, mais n'est-ce pas la vie ? Et par là le récit suggère l'animalité contenue en chacun de nous. Dans la première scène, le meurtrier est comme dépassé, et la part de l'homme qui lui échappe est attribuée à l'animal.
Ana-Cristina
Je trouve que Wajdi Mouawad est un grand poète avec un très grand style, et c'est la première fois que j'arrive à aller au bout d'un livre comme celui-là. Montrer les scènes à travers les yeux de l'animal était fabuleux. Il a un très grand talent. Mais je ne retiens que la souffrance humaine, à côté de laquelle tout m'apparaît anecdotique. A la lecture de ce livre, je ne retiens que les souffrances des hommes et des femmes. Après le massacre de Sabra et Chatila, j'ai dû aller jusqu'au bout à toute vitesse pour mettre un terme par ce geste à toute cette violence.
Ce livre m'a fait penser aux œuvres de Franz Marc, un peintre allemand du groupe Der Blaue Reiter. Car une fois qu'on passe outre les émotions, c'est un livre sur la lumière et l'ombre (intérieures), et l'énergie qui se dégage des animaux et qu'évoquent les travaux de Franz Marc (cf. l'épisode des chevaux). C'est une manière très violente de montrer mais qui dégage une grande lumière.
Enfin tout ça m'a beaucoup perturbée et m'a fait me poser une question vaine : pourquoi ? Pourquoi montrer toute cette violence ?
Audrey
Je ne me suis pas infligée cette lecture car les récits de violence sont pour moi insupportables et je n'arrive pas à répondre à la question de savoir ce que j'en retire. Mais j'ai vu certaines pièces de cet auteur, que j'ai beaucoup aimées.
Dès la première scène, j'ai été perturbée par les personnes du récit (la 1ère et la 3ème) qui se mélangent, et ce trouble dans la narration m'a captivée.
La violence qui se dégage du livre m'évoque les tragédies grecques, sans que j'arrive à prendre de la distance comme je peux le faire avec la Grèce antique.
Je me demande : qu'est-ce que ça vous apporte de lire ça ? Est-ce que ça ne vous fait pas peur ? Et comment gérez-vous cette peur ?
J'ai été très accrochée par le récit des animaux. J'ai cru au début que c'était un cœur grec. Au départ on ne comprend pas qui raconte, et on est soulagé quand on comprend.
Mais je crois que je n'avais jamais lu un livre aussi lourd et pesant. Je ressentais comme Françoise un sentiment d'enfermement (surtout à la scène de l'arrivée dans la réserve). Cette quête de l'autre afin de s'innocenter soi-même est très troublante et reflète bien le malaise qui imprègne tout le livre.
Si beaucoup ont parlé de couleurs, j'avais moi l'impression d'avancer dans le noir au péril de ma vie, et quand la prostituée s'est fait tuer, j'ai dit stop, je n'en pouvais plus.
J'avais envie de le lire car c'est magnifiquement écrit mais toute cette violence m'a écrasée et je ne vais pas le finir.
François
C'est un magnifique roman dont comme beaucoup d'entre nous, je suis sorti éprouvé et sans voix. Comme si après une telle lecture, c'était d'abord le silence qui s'imposait. Car ce que raconte Anima relève bien de ce que Freud appelle quelque part un "meurtre d'âme".
Je me contenterai d'en rappeler brièvement et bien schématiquement, en négligeant beaucoup de points essentiels, ce qui pour moi en fait la force.
J'ai d'abord été sensible à la narration qui laisse aux animaux le soin de raconter l'histoire. Tous ont droit à la parole, des plus innocents aux plus féroces, des plus lointains qui s'envolent dans le ciel à ceux qui se nichent dans les replis les plus intimes des corps, sans rien taire de leurs impressions. Tout se passe comme si pour raconter son histoire, l'auteur avait dû s'affranchir des limites du verbe humain. Mais paradoxalement, c'est souvent cette parole animale qui humanise le récit en établissant une certaine "distance", même si parfois (souvent) ils se trouvent eux aussi tragiquement impliqués.
La quête démentielle dans laquelle nous sommes entraînés pourrait ressembler, mais dans un tout autre contexte, à celle d'un James Ellroy ou d'un Tarantino au cinéma (l'une d'entre nous a même évoqué à juste titre les scénarios les plus gore de nombreux jeux vidéos), tellement ce roman atteint des sommets insupportables dans l'horreur. Je dois comme beaucoup d'autres dans le groupe avouer que la violence de certains passages me pose des problèmes de lecture presque insurmontables, même si nous avons déjà lu des livres dans lesquelles la violence occupe une grande place (je pense notamment à Kenzaburo Ôe, Svetlana Alexievitch et même Philip Roth). Il serait peut-être intéressant de se demander pourquoi dans certaines œuvres la violence devient presque insoutenable sans qu'il s'agisse obligatoirement de degrés dans l'horreur.
Mais revenons-en au bien nommé Anima. Après le meurtre particulièrement atroce sur lequel s'ouvre le roman, la recherche de l'assassin par le mari qui est le héros principal se déroule dans le territoire bien réel des réserves indiennes du Canada et du nord des États-Unis qui, elles aussi, ont perdu leur repères et leur "âme" après tout ce que leur ont fait subir les autorités fédérales. L'auteur montre bien le rôle que joue cet état de délabrement qui fait que le serial killer va pouvoir rééditer ses crimes et trouver refuge dans ces réserves avant d'être rattrapé autant par l'histoire que par son poursuivant. Car ce que ce livre nous propose est une véritable "traque" historique et métaphysique au cours de laquelle tous les plans s'enchevêtrent et toutes les limites sont franchies. Je partage avec l'un d'entre nous l'idée d'ailleurs exprimée par l'auteur que le franchissement des lignes est un des grands sujets du livre. C'est ainsi qu'un crime en rappelant (ou annonçant) un autre, comme dans les grandes pièces de Shakespeare, l'horrible crime initial qui n'est pas sans ressemblance avec celui de Sharon Tate, ne serait-ce qu'à cause de la personnalité de l'assassin, va faire ressurgir dans la mémoire du narrateur celui dont lui sa famille et ses coreligionnaires ont été victimes au cours des massacres de 1982 à Sabra et Chatila au Liban et l'entraîner de révélations en révélations palpitantes, à découvrir comme dans une tragédie grecque l'horrible vérité sur ses origines. Seul le récapitulatif final apporte une note d'espoir. Tel Daniel sauvé de la fosse aux lions, le héros se perdra dans le grand Nord, avec l'espoir d'une parole abyssale, venue du fond des eaux qui serait seule capable de lui rendre la parole et un nom.
Émilie
J'ai eu beaucoup de mal au début car je trouvais cette violence gratuite. Pareil pour le procédé des animaux dont je me demandais ce qu'il apportait. Je suis passée à côté du style et des références photographiques car j'avais le cœur soulevé. Puis quand on arrive au passage du refuge des animaux, où le personnage est hébergé par un couple et apprend l'histoire de la jeune fille indienne enlevée et qu'il lui parle lui-même de Sabra et Chatila, il y a un basculement. Ces faits étant historiques, j'ai été beaucoup plus prise par le récit (et j'en ai aussi ressenti l'asphyxie).
Sa recherche sur son passé qui refait surface m'a vraiment intéressée. Quand il retrouve le meurtrier et le tue, c'est un point culminant, puis la tension se relâche ; et de nouveaux épisodes horribles nous font comprendre que la boucle est bouclée. Je m'en rappellerai car c'est un roman marquant, mais je ne saurais pas dire si j'ai aimé car la lecture n'était pas agréable. C'était comme un sprint pour parvenir au bout. Si ce n'était pas pour le groupe, j'aurais peut-être laissé tomber.
Le livre démontre que l'homme est plus bestial que l'animal car il agit par sadisme et envie de domination, tandis que l'animal agit par pulsion de vie. Enfin, c'est un écho au rapport avec les animaux de la société amérindienne.
Nathalie F
Je voulais rebondir après Émilie car moi aussi j'ai beaucoup de mal avec le caractère gratuit de la violence.
Mais d'abord je voulais dire que j'ai adoré le concept des animaux, qui évoque tour à tour : une pièce de théâtre où à chaque scène le projecteur éclaire un nouveau personnage qui se livre en aparté ; un film où l'on change d'angle de vue et d'échelle à chaque scène ; une course de relais grandeur nature où chaque narrateur transmet le témoin au suivant pour que le récit ne soit jamais interrompue. Chaque scène est inattendue, nous plonge dans un autre univers, nous livre des nouvelles bribes d'histoire.
Le personnage principal porte en lui la condamnation à mort de son entourage, puisque partout où il passe survient un carnage. En cela, il m'a fait penser à celui de Nemesis, de Philip Roth.
Toutefois, je trouve que la symbolique est un peu trop appuyée : le personnage principal, qui représente tous les animaux (puisque tous l'aiment et l'acceptent comme un des leurs) poursuit le meurtrier, cet alter ego maléfique, qui porte sur son corps le dessin de tous les animaux ; et l'affronte dans un duel final cathartique. Et le modus operandi du meurtrier, pour le moins inhabituel… Pour moi, cela nuit au caractère réaliste du roman, dont j'ai besoin pour pouvoir affronter des scènes de violence, qui autrement me semblent artificielles. (Du moins, je perçois trop la symbolique, sans comprendre ce qu'elle veut me signifier).
Parmi les choses que j'ai adorées : le poisson rouge découvreur, le chien qui adule son maître, les périphrases pour désigner la parole des humains ("il agit et ses actes sont autant de phonèmes")…
Et pour finir, je vous donne ma citation préférée : "Nous allons mourir tous les deux, mais toi, cochon, tu mourras dans les cris de tes congénères et tu sauras alors que tu n'es pas seul à la boire la coupe jusqu'à la lie."
Flavia
J'ai beaucoup aimé le livre qui est très bien écrit, inoubliable, et que je n'aurai pas à relire deux fois. Je rejoins ce qui a déjà été dit, notamment sur le choix de faire parler les animaux qui n'est pas un artifice littéraire à mon sens, mais un élément constitutif du roman, qui nous fait plonger corps et âme dans ce bestiaire, dans ce monde dont l'homme n'est qu'un petit élément (certes le plus féroce).
Je n'ai pas ressenti cette asphyxie, et le récit par les animaux m'a aidé à supporter la violence. On se sent alerté du danger, à l'affût comme une petite bête, et libéré du jugement d'un lecteur "sapiens".
Il y a une signification, qui va au-delà du procédé littéraire, qui est que le protagoniste est très lié au monde animal, jusqu'à en faire partie lui-même, puisque il a vécu dans son enfance la mort des animaux en même temps que la sienne, ce qui l'a doté d'une sensibilité sans égal. Le monde des animaux lui appartient plus que celui des humains.
J'ai été bien sûr frappée par la violence de ce roman, c'est quelque chose que je n'avais jamais vu ailleurs, du moins pas que je me souvienne.
Il y a des éléments de polar, mais ce n'en est pas un, plutôt une enquête personnelle, sur le pourquoi et le soi-même.
J'ai beaucoup aimé le titre, qui représente pour moi l'âme volée de la femme aimée, l'âme de l'homme qui lui a été volée dans son enfance, et qu'il retrouve à la fin dans sa forme animale, celle des hommes abjects qui peuplent le livre, mais aussi l'anima du monde représentée par les animaux.
J'ai trouvé le final génial. Entendre une voix humaine m'a surprise, et c'est là que j'ai été rattrapée par la violence. Je n'étais plus un chat tapi dans un coin ou une araignée dans sa toile, mais moi-même dans ma chair. J'ai dû sauter quelques pages parce que je n'en pouvais plus ; c'était l'abjection et la perversité la plus totales.
Le final évoque les plus belles tragédies grecques, avec le rôle central du châtiment et le fils qui tue le père. C'est aussi son châtiment à lui, il est obligé de tuer le père qui a fait ça, et en même temps se tacher de cette violence le met à l'écart des hommes pour toujours, tel Œdipe obligé de s'arracher les yeux. J'étais désolée pour lui, même si je comprenais la raison de son geste.

Échanges
- C'est le chien qui accomplit la violence. Lui se tient au maximum à distance.
- Oui, à un moment il lui dit "Je vais devoir te demander de faire quelque chose de terrible" (ou quelque chose comme ça).
- A la fin de la scène, on le voit s'éloigner et on comprend qu'il est banni.
- Mais il part avec une femme qu'il aime donc il y a quand même une rédemption.
- On voit que c'est un auteur qui a beaucoup étudié les tragédies grecques, il se sert des animaux pour traduire l'essence des choses.
- La parole des animaux a un effet pacificateur.
Nathalie B
J'ai découvert Wajdi Mouawad au festival d'Avignon, avec la pièce Ciels, qui s'est révélée visionnaire au vu des événements récents. J'ai vu toutes ses pièces, dont Le sang des promesses où la violence est aussi très présente.
Il est arrivé en France à 8 ans car sa famille fuyait la guerre. Ils sont restés 5 ans en France sous le gouvernement socialiste mais n'ont pas obtenu la nationalité française…
J'attendais donc énormément de lui car c'est pour moi un grand écrivain de notre siècle. Et du coup… c'est bien !
Mais faire parler l'animal amène une distance. En voyant cet homme, on ne s'identifie pas à lui, ce qui nous permet de traverser l'horreur (ici référence à La Question de Henri Alleg). Comment mettre la violence à distance de soi pour donner du sens au monde dans lequel on vit ? Quand c'est parfois ton propre voisin qui te tue (hutus, tutsis…). Il le dit, mais parce que c'est vrai, et on se demande comment c'est possible. J'ai eu le sentiment d'une période d'accalmie après la guerre d'Algérie, puis un retour de la violence à partir des années 90, et maintenant jusque sur notre territoire.
J'aimais bien la curiosité de savoir "d'où regarde-t-on". C'était parfois extrêmement réussi (araignée, chien staffordshire) et d'autres moins (puces…). C'est mon bémol, et envers lui je suis beaucoup plus exigeante. Il y a des passages sublimes. Ce n'est pas un hasard si ce qu'on dit des réserves reflète ce que l'homme inflige à l'homme. L'enfermement souvent ne fait pas ressortir ce qu'il y a de plus beau en l'homme.
Le personnage principal est en questionnement car il se dit qu'il pourrait être le meurtrier. Le dernier paragraphe nous entraîne dans les profondeurs abyssales de nous-mêmes, de notre part sombre (que les animaux perçoivent en lui). Nos parts d'ombre et de lumière sont définies par nos vies, nos histoires, les personnages "passeurs" que l'on rencontre, ou non. Et s'il ne retrouve pas le meurtrier, il est à risque de devenir lui.
Vivre la violence pousse à faire des choses qu'on aurait jamais pensé pouvoir faire, et dont on se dit "ce n'est pas moi", et pourtant si, puisqu'on les fait. C'est ce que Wajdi Mouawad explore dans toutes ses œuvres. De nouveau, aujourd'hui au XXIème siècle, tout peut arriver, et que faisons-nous ?
Julius
L'impression première qui me vient à l'esprit en refermant ce livre est qu'il s'agit d'un livre puissant, un livre dont il émane une atmosphère de puissance.
De ce fait, il me semble difficile d'en parler immédiatement après l'avoir lu tant on en sort écrasé à la fois par la violence des situations, des personnages mais aussi par la densité du récit : non pas tant sa complexité (l'enchaînement des faits est assez simple), mais plutôt les innombrables correspondances entre les lieux, entre les personnages, entre les histoires : les meurtriers, Sabra et Chatila, l'oppression des Indiens et la guerre de Sécession, les liens entre les hommes et les bêtes, entre l'animalité et l'humanité (entre l'animalitude et l'humanitude). Et, en même temps j'ai trouvé qu'il y avait aussi une grande douceur qui planait tout au long de la lecture aussi bien de la part des animaux que de Wahhch lui-même.
J'ai été conquis par le style que je trouve très maîtrisé. Cette façon de donner la parole aux bêtes ne relève pas du tout du procédé. Tout est très bien écrit avec une gestion particulièrement réussie des intensités, des alternances entre situations dramatiques et moments de quiétude car il y en a aussi. La parole donnée aux bêtes semble organiser le récit en plans cinématographiques, mais j'ai trouvé cependant que nous étions plus dans une vision photographique, notamment du fait de l'utilisation des couleurs et de la lumière (avec notamment une palette de couleurs franches accolées aux sentiments des personnages) :
p. 20 : "Magnifiquement jaune (sa peine) s'imprimait, radioactive sur la surface de mes rétines."
p. 57 : "Sa main était devenue moite, lourde. Mon maître s'est mis à dégager du bleu."
p. 58 : "Je l'ai regardé, le jaune coulait de ses paupières mi-closes."
p. 229 : "une voix basse et calme, jaune de chagrin, bleutée par l'écoute dont faisaient preuve les autres."
Et aussi pour les descriptions des lieux :
p. 111 : "La blancheur enveloppait le monde mais sur la langue de neige qui s'étalait devant la maison, le coureur avait laissé des traces rouges et roses comme autant de fleurs de sang enfoncées le long d'une ligne sinueuse… "
p. 113 : "Il s'est dirigé vers la porte ouverte sur le jardin : la poignée était rouge, la neige était rouge, le rouge tournait au rose. (…), le ciel était rouge, l'air était rouge, tout était rouge"
p. 114 : "Rouge donc était le monde des humains, rouge toujours, rouge pour toujours."
Ainsi que dans le traitement de la lumière :
p. 120 : "Le soleil est entré dans le bar, ils sont devenus noirs de lumière. Leurs silhouettes se sont confondues et dans l'élan de cet éblouissement venu les surprendre, je l'ai vu… "
p. 143 : "ils ont saccagé les ténèbres au couteau de leurs lumières."
Ainsi que le très très beau passage au début de la page 363. Tout cela me fait profondément penser à un traitement photographique des scènes. J'ai vraiment beaucoup aimé le style, par exemple p. 56 : "lampadaires, lampadaires, lampadaires… "pour suggérer la fuite sur l'autoroute, la nuit. Ou encore p. 48) : "Le fleuve glissait dans son vêtement de khôl, la glace en plaque cadenassait sa puissance." Quelle phrase somptueuse ! Ou p. 73 : "Il allait dans sa nuit et sa nuit allait dans la nuit."
De tout le livre, le passage qui m'a le plus frappé (en-dehors bien sûr des scènes de violence à forte intensité dramatique), est celui (p. 357) durant lequel, alors que Wahhch va prendre le train, l'homme qui l'accompagne se met à produire un délire sur les lignes, lignes de la main, lignes de fracture, lignes frontières, lignes de fuite… toutes ces lignes qui sont à la fois rupture et continuités suivant le sens dans lequel on les prend. Pour moi le nœud du livre est là, car toutes ces lignes qui marquent la frontière, mais aussi la continuité entre le criminel et le non criminel, entre l'instinct et le conscient, entre l'homme et l'animal…, en fait toutes ces lignes sont terriblement mouvantes et ne passent pas forcément là où on les attend, y compris au plus profond de nous-même, délimitant en nous-même des frontières mouvantes entre zones éclairées et zones d'ombre.
Il y a le paysage que tout le monde attend : les humains sont des humains et les animaux sont des animaux, les criminels sont des criminels et les non-criminels sont des non-criminels et puis il y a le paysage réel qui se noue, qui s'intrique pour abolir les frontières officielles, normées, repérables. Comme pendant la guerre de Sécession au sein d'un même village, d'une même famille, d'un même individu.
Certains animaux du livre paraissent plus humains que certains humains du livre. Et ce n'est pas de l'anthropocentrisme. Car ils restent eux-mêmes, l'auteur leur donne la parole et leur prête des réflexions mais ils conservent ce qui est constitutif de leur état : l'instinct.
Qu'est-ce qui différencie l'homme de l'animal ? C'est la conscience qu'a acquise le premier, au détriment de l'instinct : conscience de lui-même, donc conscience de l'autre, donc conscience morale qui lui impose un certain nombre d'interdits. Alors que l'animal agit par instinct, sans conscience du bien et du mal (cf. l'oiseau qui vient manger la rate). D'ailleurs, les animaux paraissent très lucides et se révoltent très peu entre eux.
Mais l'homme, parce qu'il a acquis la conscience (grâce notamment à sa faculté de nommer les choses et les concepts) a été d'une certaine manière dénaturé : il a perdu l'innocence !
De sorte qu'un homme qui s'affranchit de sa condition humaine ne peut plus faire comme s'il était rendu à cet état d'innocence qu'il a définitivement perdu : il devient soit cynique (comme Rooney - qui pourrait avouer ce qu'il fait), soit pervers (comme l'homme aux combats de chien qui n'avouera pas).
Ici, l'homme n'est pas un loup pour l'homme : il reste et demeure un humain, même monstrueux. Alors que l'animal a cette supériorité sur l'homme parce qu'il a conservé son état de nature, d'avoir conservé aussi sa perception. Il sent les choses (p. 416 : ce que les hommes ont gagné en parole, peut-être l'ont-ils perdu en perception). C'est peut-être cela que les animaux nous paraissent plus humains que Rooney ou le dresseur de chiens : ils perçoivent. Même s'ils agissent par instinct, ils perçoivent… C'est aussi ce qui les empêche de glorifier le mal suprême : la guerre. La guerre, c'est l'extermination inventée par les hommes non pas pour satisfaire des besoins primaires, mais par idéologie, par fanatisme, par jeu... Une invention des hommes rendue possible par la perversion de ce qui les fait humains. "Depuis que le monde est monde, le ciel n'a jamais rien vu de plus bestial que l'homme" (p. 395)
Et toutes ces lignes mouvantes qui traversent individuellement, intimement, chacun d'entre nous, forment le kaléidoscope de la vie. Nous passons notre vie sur la corde raide (une autre ligne) au-dessus d'un précipice où nous nous tenons dans un équilibre d'autant plus fragile que nous sommes l'objet de tensions permanentes, de tiraillements au gré de toutes ces frontières qui nous traversent : l'homme peut être inhumain, alors que les animaux ne le peuvent pas car cette problématique ne les concerne pas. Tandis que Wahhch, dont a l'impression qu'il a touché le fond de l'humain n'est plus, lui non plus, dans cette problématique : il n'est plus que celui qui est porteur d'une histoire, de l'Histoire.
Et cela aussi m'a beaucoup frappé : cette manière dont les événements survivent en nous, comment ils nous façonnent mais aussi comment ils continuent non seulement d'exister mais de se dérouler en nous. Au-delà de l'aspect mémoriel, il y a les conséquences de l'Histoire et ces conséquences passent à travers les individus, à travers leur chair, à travers leurs pensées. Wahhch est lesté des événements de Sabra et Chatila bien au-delà de sa propre personne : il EST Sabra et Chatila, ce qu'il va faire, tout ce qu'il va faire, EST Sabra et Chatila.
Pour moi, ce livre est un hymne à la responsabilité : que faisons-nous ? Nous parlons, nous sommes doués de réflexion, nous pouvons aller sur la Lune ou cataloguer 500 000 espèces de fleurs, mais QUE faisons-nous ? QUE décidons-nous de faire ?
A côté, les bêtes sont silencieuses : mais "qui saura approcher le mutisme des bêtes ?" (p. 389)
Inès
J'ai l’impression, à vous entendre, comme d’habitude, d'être passée à côté du livre. Le procédé des animaux m'a agacée. C’est le premier livre que je lis en diagonale sans avoir l'impression de rien rater. Je l’ai finalement lu comme un policier. Ce sont les passages qui faisaient avancer l’intrigue qui m’intéressaient. Cela dit je me dis que sans les passages animaliers, le livre ne m’aurait pas prise (puisque je l’ai lu en 4 jours). Seul le chien-loup de la fin a été attachant, et c’est le seul animal dont j’ai lu quasiment tous les passages.
J'ai eu l'impression que ça ne m'était pas accessible, ou du moins que je n'étais pas réceptive. Je n'ai pas vu la poésie dont parle Julius dans les descriptions. Par exemple, mettre des titres hermétiques en latin fait vraiment "petit club fermé", de même que l'usage de plusieurs langues sans traduction qui m'a un peu agacée, quid des personnes qui ne parlent pas un mot d’anglais par exemple ?
En revanche, je n'ai pas tellement été heurtée par la violence, dans le sens où elle m’était "familière". On en voit tellement dans les séries d’une part et surtout dans l’actualité d’autre part. Elle m’a heurtée oui, les scènes sont vraiment abominables, je n’ai pris aucun plaisir à les lire, mais je suis tout autant heurtée quand je lis qu’un soldat par exemple a violé mère et fille devant le père avant de tous les tuer dans x pays de la planète aujourd’hui, en 2017 ! Disons que cette violence n’était pas nouvelle, elle était connue, pas banale, mais connue. Malheureusement.

Échanges

Des références auxquelles le livre fait penser :
- Écoutons nos défaites de Laurent Gaudé
- Assassins Creed, jeu vidéo adapté au cinéma, où les "Templiers" affrontent les "Assassins", les premiers cherchant à dérober la "pomme d'Éden" contenant la désobéissance originelle pour répandre la violence dans le monde, les derniers s'y opposant pour protéger le libre-arbitre des hommes.

- J'ai lu récemment que l'on a retrouvé des squelettes du paléolithique, qui ne portaient aucune trace de violence infligée par l'homme.
- Ce qui va à l'encontre de la théorie comme quoi la violence est inhérente à l'homme. On l'aurait donc acquise ?
- Mais quand place-t-on le "début" de l'humanité ?
- L'animal, lui, n'est pas pervers.
- Et le chat qui joue avec la souris ?
- Lire la violence, est-ce que cela répare quelque chose en vous ?

SYNTHÈSE DES AVIS DANS LE GROUPE BRETON suivie d'avis individuels
: Marie-Odile, Édith, Suzanne, Yolaine
: Claude, Chantal : Jean-Luc

Un seul rejet catégorique, celui de Jean-Luc qui a abandonné cette lecture au bout de deux tentatives, et qui, frustré, a renoncé à participer à notre rencontre. Les autres (Marie-Claire, Marie-Thé, Suzanne, Annie) n'ont pas pu, pour des raisons matérielles, ou pas voulu le lire (pas envie, peur de la violence).
Pour nous autres, majoritaires, qui avons pris plaisir à ce bain de sang, le procédé qui consiste à faire raconter ce périple par toutes sortes d'animaux a permis de mettre à distance la violence du propos, et d'apprécier le souffle ("anima") qui traverse cette quête identitaire sans y perdre notre âme. Les descriptions très fortes dans l'horreur, qui concernent les hommes (crimes, viols) mais aussi les animaux (souris enceinte, chevaux ou cochons entassés dans le camion qui les mène à l'abattoir, combats de chiens) nous fait réfléchir à ce qui sépare la cruauté de l'animal dans la nature et la bestialité des humains.
Tout le monde a apprécié le style et le rythme haletant du récit, qui rend la lecture très prenante. La découverte de l'histoire des États-Unis et du Québec, la guerre de Sécession, des Indiens d'Amérique, pour arriver au bout du parcours à celle de la guerre du Liban, est aussi passionnante.
Marie-Odile nous a fait partager son admiration pour la profonde humanité de l'auteur et le côté incantatoire de son écriture.
La fin de cette histoire est digne d'une tragédie grecque, ce qui contribue également à nous distancier de la violence pour élever la réflexion à une interrogation éternelle depuis l'Antiquité, sur la guerre, l'identité, l'essence de l'humanité.
Marie-Odile (qui complète son avis transmis plusieurs mois auparavant ci-dessus)
Vous l'avez compris, Wajdi Mouawad est quelqu'un qui me touche profondément, en raison de sa profonde humanité, de sa sincérité et de sa façon d'aborder des questions fondamentales, des choses avec lesquelles on ne plaisante pas. Il va loin et bouleverse, allant de façon audacieuse jusqu'à l'insupportable.
Anima pose pour moi une question importante : comment ne pas devenir fou quand tout vous y pousse ? Alors qu'Œdipe, découvrant qui il est, se crève les yeux, le personnage d'Anima veut voir le visage de l'assassin, et ce, pour être sûr de ne pas être cet autre qui pourtant appartient à la même espèce que lui. Comment faire pour vivre avec la cruauté, la violence, la folie de l'espèce humaine sans que cela nous détruise, particulièrement dans des périodes troubles où on ne sait plus qui est qui ? Comment faire pour garder son humanité ?
Et c'est parce qu'il pose ce genre de questions que je lui pardonne ses faiblesses et ses excès.
Chantal
Un livre "fort". Un livre qui a du souffle, dans lequel je suis loin d'avoir tout vu, tout perçu...
J'ai d'abord pesté contre l'auteur, au tout début du livre, je l'ai "engueulé" : "si tu veux écrire un polar, pas la peine d'en rajouter dans l'horreur, on a compris !!"
Et puis, peu à peu, en suivant le héros et sa douleur, pourquoi doute-t-il de lui-même ? Pourquoi pense-t-il qu'il a peut-être tué ? Et là, la construction magistrale du livre, d'un bout à l'autre, m'a emballée ! Peu à peu on passe de la recherche du criminel de Léonie à la recherche éperdue des souvenirs, de l'identité de Wasch ; on s'enfonce doucement et douloureusement dans l'enfance terrible du héros.
La violence des scènes, souvent difficilement supportable, est possible, puisque portée par le talent et le style de l'auteur :
- le vocabulaire très riche, ce à quoi je suis toujours sensible
- la médiation par les animaux qui met une "distance" entre le lecteur et les scènes d'horreur ; et cette même distanciation met paradoxalement l'accent sur la cruauté humaine illimitée !!
- la force de certaines scènes : celle des chevaux dans le camion, et tant d'autres... ouaouhh !!
- les images (les couleurs des émotions humaines perçues par le chien)
- et enfin les faits historiques - Sabra et Chatila - bien sûr je "connaissais", images lointaines vues à la télé... mais là, littéralement "voir" cet enfant contraint d'assister au massacre de sa famille puis enterré vivant... voilà toute la force de la littérature !!
C'est un Auteur ! Ouvert ¾ … entier ! Plutôt entier !
Suzanne
Si je devais choisir une couleur pour ce roman ce serait le ROUGE, le ROUGE étant le monde des humains, Rouge toujours le ROUGE POUR PEINDRE le plus effroyable et le plus beau du genre humain. Les prénom et nom du personnage principal Wahhch (monstrueux) Debch (sucre doux) symbolisent ce double aspect. Le père adoptif de Wahhch est à la fois bourreau et sauveur "en trouvant un fils il n'a jamais cesse d'être heureux".
Ce roman commence par un bain de sang qui va couler tout au long de ce livre mêlant le destin de l'homme et celui de l'animal, d'un prédateur à l'autre le sang coule... : meurtre de Léonie, mort de son bourreau, combats de chiens, meurtre de Janice, viol de Wahhch, mort du bourreau de Sabra et Chatila initié par l'homme et achevé par les charognards.
Rien n'empêche Wahhch de "porter son destin à bout de bras de le mener à son point d'achèvement" : ce destin commence avec le massacre de Chabra et Chatila, la mémoire que rien n'efface sauf la mort, mémoire réactivée avec le meurtre de Léonie ; commence alors pour Wahhch une quête identitaire (le meurtre de ses parents a effacé à jamais son prénom, son nom) : qui est vraiment ce père adoptif ? Qui est le meurtrier de Léonie ? Pas de désir de vengeance, mais savoir : "Qu'est-ce donc que savoir a de si redoutable ?" Faire le sacrifice de son âme voilà une possible hypothèse.
Nous suivons cette quête à travers le regard, la pensée des animaux, témoins de la grandeur et des faiblesses des hommes ; donner la parole aux animaux crée une médiation, la violence est ainsi émoussée (pour moi, voir un film tiré de ce récit n'est pas possible).
Destin croisé des animaux et des hommes, un lien magique peut exister entre eux : le Totem, part invisible de l'homme, ici l'orignal pour Wahhch "j'ai vu mon regard me voir". J'ai fait un parallèle avec le livre de Mabanckou Mémoires de porc-épic : là l'animal totem de l'homme agit à sa place ; quelque part, une universalité de cette pensée du totem ? Sens perdu par les hommes, le FLAIR : "je sais par avance, car les odeurs trahissent la pensée des hommes" dixit le boa constrictor ; lui aussi prend plaisir à tuer, digère le lapin vivant, nous sommes tous des meurtriers : humains, animaux, est-ce qu'un homme n'est pas un animal ?!
J'ai aimé ce chien, qui tout d'abord ne connaît pas les codes des hommes ; il sauve Wahhch : sauveur (comme les femmes) dans ce roman, l'un est gardien de l'autre, l'un dans les pas de l'autre Wahhch. Plus tard, sauve aussi le chien bien nommé Mason-Dixon Line, question de la limite entre nous et les animaux.
L'épilogue confié au coroner "gardien des faits" m'a surprise : je ne savais plus qui était la victime. Wahhch a vraiment fait le sacrifice de son âme : en commettant ce crime il n'échappe pas à son destin, à la tragédie.
Mon livre phare en 2016 : Confiteor. Sans doute celui-ci pour 2017. Sera-t-il détrôné...?


DOCUMENTATION SUR LE LIVRE ET L'AUTEUR

Pour voir et entendre Wajdi Mouawad parler d'Anima
- pour Actes Sud, 5 min, juillet 2012
- sur France Musique dans la matinale de Christophe Bourseiller, 17 min, 18 octobre 2012
et pas seulement d'Anima :
- sur France Culture dans Hors-champs avec Laure Adler, 44 min, 10 décembre 2013

Des articles sur Anima
- "Bienvenue dans l'enfer du monde", Michel Bélair, Le Devoir, 22 septembre 2012
- "La généalogie de la violence selon Wajdi Mouawad
", Georgia Makhlouf, L'Orient littéraire, septembre 2012
- "
François Busnel a lu Anima", de Wajdi Mouawad, L'Express, 31 octobre 2012
- Qu’est-ce donc que savoir a de si redoutable ?, Andrew, In Cold blog, 31 juillet 2013
- "Inventif Mouawad", par Arthur H, Le Monde, 13 juillet 2016 (Le Monde a sollicité des écrivains, des artistes et des scientifiques pour savoir quels livres les aident en ces temps troublés, dont celle du
chanteur Arthur H).

Des études sur Anima
- "Anima et l’écopoétique", Margot Lauwers (Université de Perpignan Via Domitia), Revue critique de fixxion française contemporaine, n°11, 2015 (7 p. à lire en ligne)
- "Fantômes et fantasmes de l'histoire dans Anima de Wajdi Mouawad", Simonetta Valenti (Università degli Studi di Milano), Ponti/Ponts, n° 14, 2014 (17 p. à lire en ligne)
- Langues d'Anima : écriture et histoire contemporaine dans l'œuvre de W. Mouawad, dir. Claire Badiou-Monferran, Laurence Denooz, Classiques Garnier, coll. "Rencontres", 2016, table des matières en ligne

L'œuvre de Wajdi Mouawad
Biographie (professionnelle) et bibliographie (pièces pour adultes et pour enfants, romans, entretiens, bibliothèque sonore animale)

Quelques citations

Wajdi Mouawad raconte comme le roman Anima est né
"J'AIME ÉCRIRE DES DÉBUTS DE ROMANS SANS LENDEMAIN. Peut-être parce que les récits naissants portent encore en eux leur promesse de puissance. Commencer pour s’arrêter quelques lignes plus loin est une manière de cogner le silex. La flamme ne jaillit pas du premier coup.
Pourtant, voici une dizaine d’années, une voix a surgi. Au-delà de ce qui était raconté, ce qui m’a happé fut cette voix qui disait je. Cela n’était pas moi. Arrivant au bout du chapitre, je comprends, sans que cela ait été prémédité, qu’il s’agit d’une voix animale. Un homme, rentrant chez lui un soir après le travail, découvre sa femme sauvagement assassinée, étendue dans son sang, au milieu du salon. Un chat, leur chat, leur animal domestique, raconte la macabre découverte et l’évanouissement de l’homme. Au second chapitre, des oiseaux à la fenêtre de sa chambre d’hôpital tiennent la suite du récit.
J’ai poursuivi.
Anima est sorti du brouillard au fil des ans. Le temps fut nécessaire pour me permettre de voir et d’entendre ce qui s’y murmurait. Tant qu’il n’est pas conjugué, un verbe reste un infinitif. Seule sa fusion avec un sujet précis dans un temps donné le rend actif. Ainsi, ce roman me demandait de conjuguer un infinitif enfoui quelque part en moi. Il m’encourageait à marier entre elles les lignes de crête qui séparent et délimitent les mondes qui me portent : l’animal et l’humain, l’ici et l’ailleurs, les guerres d’aujourd’hui et celles d’hier, et la géographie nouvelle qui me renvoie sans cesse vers une autre géographie, terrible, effroyable. Certains êtres sont stratifiés de mondes lacérés, de terres déchirées, séparées en deux, plaques tectoniques de douleurs, exilées pour toujours l’une de l’autre, exilées de la parole, condamnées au silence et que rien ne saura jamais colmater sauf la dérive des continents qui les fera un jour se rejoindre à leurs antipodes." (sur le site d'Actes Sud)

L'auteur se définit comme animal
"Le scarabée est un insecte qui se nourrit des excréments d'animaux autrement plus gros que lui. Les intestins de ces animaux ont cru tirer tout ce qu'il y avait à tirer de la nourriture ingurgitée par l'animal. Pourtant, le scarabée trouve, à l'intérieur de ce qui a été rejeté, la nourriture nécessaire à sa survie grâce à un système intestinal dont la précision, la finesse et une incroyable sensibilité surpassent celles de n'importe quel mammifère. De ces excréments dont il se nourrit, le scarabée tire la substance appropriée à la production de cette carapace si magnifique qu'on lui connaît et qui émeut notre regard : le vert jade du scarabée de Chine, le rouge pourpre du scarabée d'Afrique, le noir de jais du scarabée d'Europe et le trésor du scarabée d'or, mythique entre tous, introuvable, mystère des mystères.
Un artiste est un scarabée qui trouve, dans les excréments mêmes de la société, les aliments nécessaires pour produire les œuvres qui fascinent et bouleversent ses semblables. L'artiste, tel un scarabée, se nourrit de la merde du monde pour lequel il œuvre, et de cette nourriture abjecte il parvient, parfois, à faire jaillir la beauté.
" (page d'accueil du site de Wajdi Mouawad)

L'auteur sur la folie de la parole et la folie relative aux animaux
"Nous sommes entrés dans un rapport monstrueux aux rêves. Le délire est entré même dans la science, dans la mécanique de la science, à un niveau effarant. Nous abattons un million d’animaux par heure pour nourrir, habiller et maquiller trois cent millions d’habitants. C’est un rapport au sacrifice qui n’a jamais existé dans l’histoire. Cette folie, ce délire n’est donc pas de même nature que la folie de la parole". (en 2009 sur le site Theatre-contemporain.net)

L'auteur définit son œuvre comme transgenre
"On me connaît comme homme de théâtre, mais mon identité est beaucoup plus liée au roman. Je me sens un peu comme quelqu’un qui serait dans le corps d’une femme mais qui serait homme. Je me sens un peu transsexuel entre le roman et le théâtre." ("Wajdi Mouawad à fendre l'âme", Charlotte Pudlowski, magazine en ligne Slate, 29 octobre 2012

Pour consulter cette documentation en un document pdf : ICI



Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout


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