Extrait du site de l'éditeur


(c'est la fille de Carole Martinez qui est sur la photo)
Quatrième de couverture :

"Blanche, la môme chardon, est-elle morte en 1361 à l’âge de douze ans comme l’affirme son fantôme ? Cette vieille âme qu’elle est devenue et la petite fille qu’elle a été partagent la même tombe. L’enfant se raconte au présent et la vieillesse écoute, s’émerveille, se souvient, se revoit vêtue des plus beaux habits qui soient et conduite par son père dans la forêt sans savoir ce qui l’y attend. Veut-on l’offrir au diable pour que le mal noir qui a emporté la moitié du monde ne revienne jamais ?
Un voyage dans le temps sur les berges d’une rivière magnifique et sauvage, la Loue, par l’auteur du Domaine des Murmures et du Cœur cousu."


Gallimard, 2011. Folio, 2013. Prix Goncourt des lycéens.


Gallimard, 2007. Folio, 2009.
15 prix littéraires.


2015, Jean-Luc Bertini/Pasco pour Le Monde

En exergue de
La Terre qui penche,
les premiers vers de :

Fantaisie
de Gérard de Nerval

Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Voici la suite :

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !

Et un extrait de
Les cygnes sauvages
d'Andersen :

Vois-tu l’ortie que je tiens à la main ? Il en pousse beaucoup de pareilles autour de la caverne où tu dors, mais celles qui viennent sur les tombes du cimetière sont les seules bonnes.

Carole Martinez
La Terre qui penche (2015)

Nous avions lu Le cœur cousu, le premier roman de Carole Martinez, en 2008, puis le deuxième roman Du domaine des Murmures en 2011, avant ce troisième roman La Terre qui penche en février 2018. L'auteure était présente.

Voir en bas de page des infos sur le livre et l'auteure.

Geneviève
Désolée de ne pouvoir venir, désolée de ne pas avoir pu finir le livre et encore désolée de ne pas avoir le temps de rédiger un commentaire circonstancié ! Juste quelques mots à la va-vite donc pour dire à Carole Martinez le plaisir que j'ai eu à lire ce conte, qui coule de source, pour tenter un mauvais jeu de mots. J'ai tout de suite été captivée par ce thème pourtant bien classique de l'orpheline délaissée et de son ogre de père. Mais la manière de tisser dans le récit l'histoire des amours du père et de la mère, là aussi thème ancestral, fonctionne bien à coup de rebondissements incessants mais aussi grâce à la complexité de certains personnages, notamment du père mais aussi d'Aymon. J'en ai raté plusieurs stations de métro, bon signe pour le roman, sinon pour moi ! Peut-être ai je trouvé quelques longueurs ou redondances dans les descriptions, de la dame verte par exemple, mais cela fait partie du rituel du conte. J'ajoute que je connais bien les gorges de la Loue et que cela m'a sans doute aidée à me construire le paysage. Je finirai demain, donc, avec grand plaisir. Je remercie Carole espérant que je pourrai venir lorsque nous discuterons de son prochain livre. Je souhaite à tous une belle soirée neigeuse, temps propice aux contes et à l'imaginaire...

Nathalie
Je suis une inconditionnelle de l'auteure. J'ai pensé à La passion Béatrice, avec l'émotion, l'enfance comme source de joie. On est enfant toute sa vie ; dans le roman, il s'agit d'un compagnonnage entre la vieillesse et l'enfance comme s'il n'y avait rien d'autre entre les deux rives : enfance et la vieillesse. Tout ce qui est nouveau l'a été dans l'enfance, après c'est pour moi quasiment impossible d'imaginer retrouver cette émotion de la nouveauté. J'ai été touchée par l'amour perdu et inconsolable. Il y a dans l’œuvre clairement la notion de dynamique transgénérationnelle. Comme souffrir de douleurs fantômes dans un corps que l'on n'a plus. Et aspirer à ce que nos souffrances venues en héritage quittent enfin nos propres destinées. Avec la petite fille, on croit à la notion de désastre qui vient du hasard. C'est une petite fille dont l'ambition est profondément ancrée dès l'enfance comme un étendard. Elle ne cherche pas seulement sa liberté mais pour moi, plutôt sa réalisation. J'ai dans l'œil gravé à jamais, grâce au talent de la description, le corps d'Aymon nu. Il y a aussi le beau passage sur ce qu'est "être un père". C'est exactement cela. Il choisit entre le "ce que je ressens et non ce que je représente". J'ai relu le livre plusieurs fois.

Danièle
Je suis allée de ravissement en ravissement dans ce roman où dialoguent la petite fille et la vieille âme, unies toutes les deux dans la mort. Pourtant, je me demandais en commençant la lecture si l’auteure allait maintenir le rythme poussé dès le début au paroxysme : une morte qui décrit sa décomposition, une rivière déchaînée qui provoque un cataclysme, la peste qui fait ses ravages... Mais si ! L’auteure a réussi à maintenir ma curiosité de multiples manières tout le long de son histoire. Je me suis laissé emporter par la poésie des descriptions, la variété du style, le merveilleux de l’histoire, j’ai accompagné Blanche dans la recherche éperdue de sa mère, j’ai vécu avec elle toute l’ambiguïté de la relation fille-père, le tout sur fond de ritournelles ("tourne, tourne le fuseau") ou de comptines, qui évoquent la condition féminine ou les souffrances de la vie : c’est du grand art, de la démesure, du délire, ou tout simplement du merveilleux. À part peut-être quelques images qui m’ont semblé moins originales, telle celle du cheval qui parle.

Carole Martinez
Mais parle-t-il ? Est-ce que c'est le cheval ou le palefrenier qui parle ?

Danièle
L’idée d’un monde augmenté par l’imagination d’une petite fille me plaît énormément. C’est un texte très riche, mais en même temps très bien construit et très cohérent, j’ai pu le vérifier lors d’une seconde lecture. Oui, pour moi, nous avons bien avec le sort de la petite fille le récit de l’enfance qui se meurt. Mais elle reste aussi dans mon esprit la fille de la Dame verte, fille rebelle donc. C’est aussi ce qui me plaît.

Fanny
Pour moi, c'est une découverte, j'ai dévoré ce livre. J'ai aimé la construction, avec l'alternance entre la petite fille et la vieille âme. J'ai été saisie par la grande humanité qui transparaît au fil de ce livre. Les personnages se complexifient. Il y a un côté conte, un côté Hansel et Gretel. Il y a également un aspect romanesque et une part de fantastique ; que le cheval parle, cela ne m'a pas gênée. Je trouve que cet ouvrage transcende les genres, tout en aboutissant à une unité dans le récit. Concernant le rapport au corps, c'est un livre cru et réaliste, j'ai été sensible à cette dimension. La fin, je ne l'ai pas vue venir !

Carole
Beaucoup de gens ne voulaient pas lire un livre sur une enfant qui meurt à 12 ans. Il y a des indices qui montrent qu'elle a vécu. En disant qu'elle est morte, certains pensent que la petite fille meurt. Des lecteurs tissent à partir de l'histoire. Quand c'est poétique, le lecteur s'échappe. C'est intéressant d'entendre l'histoire racontée par les lecteurs, parfois, on ne la reconnaît plus. Le lecteur est créateur.

Séverine
C'est le premier livre que je lis de l'auteure. Au début j'étais déroutée. J'avais du mal avec la vieille âme, je me serais contentée de l'histoire racontée par la petite fille. Le côté conte de fée m'a plu. J'ai de la sympathie pour tous les personnages et c'est Aymon que j'ai préféré. Je n'ai pas vu que c'était la fin de l'enfance. Les questions que je me pose sont : aurait-il été envisageable de ne pas écrire avec cette double narration ? Et pourquoi le Moyen Âge ?

Carole
C’était évident pour moi que devaient se côtoyer ces deux voix. La petite fille ne pouvait pas raconter certaines choses, comme la nuit avec Bouc. J'ai voulu qu'il y ait les deux voix dès le départ à cause d'une expérience de lecture de Du domaine des Murmures totalement différente par deux actrices : Marie-Christine Barrault tirait le texte de la recluse du côté sombre de la très vieille âme, Christiane Cohendy faisait d'Esclarmonde une femme toute jeune. Quant au Moyen Âge, je n'avais aucun goût, ça me rappelait l'école. Maintenant j'adore. J'aimerais m’y replonger.

Rozenn
Je vais avoir du mal parce que j'en sors tout juste. Je l'ai fini dans le bus. J'ai été complètement embarquée, complètement séduite. J'ai eu du mal avec les deux voix au début parce que je les trouvais pas assez différenciées.

Carole
Ah ça c'est drôle.

Rozenn
Le livre montre la complexité des relations parents/enfants, c'est extraordinaire. Sauf que je ne suis pas d'accord avec la fin : le père la sauve. C'est un happy end qui ne marche pas.

Carole
Il ne devient pas gentil. Il la protège par rapport à la mère.

Rozenn
Mais j'ai été embarquée par le roman.

Carole
Qui est la mère ? Selon vous ?

Nathalie
La rivière.

Carole
On trouve d'habitude que je ne suis pas gentille avec les hommes. Dans ce roman, je ne suis pas gentille avec les femmes. Pour moi, celui-ci est le roman le plus intime que j'ai écrit. J'ai pris conscience à quel point on se trimbale des choses qui ne nous appartiennent pas, d'ordre transgénérationnel. Il y a l'ogre, le prédateur sexuel, qui dévore la chair. J'ai reçu des lettres de lectrices abusées dans l'enfance qui se demandaient si j'avais été abusé durant mon enfance. Eh bien non. (Carole raconte alors des choses familiales qu'on ne met pas en ligne). Je les porte en moi sans même le savoir et ça passe dans l'écriture : c'est fascinant, ce n'est pas verbalisé, mais le message passe. J'ai trouvé extraordinaire d'avoir une obsession qui ne m'appartient pas. Les choses nous fondent alors qu'on ne sait pas ce que c'est. Pardon, je suis bavarde.

Rozenn
J'ai adoré la revendication féministe de la petite.

Carole
J'ai trouvé ça dans des textes. Les filles qui étudiaient, c'était le diable dans la maison. Elles peuvent recevoir des messages, c'est la fin.

Françoise
C'est encore d'époque…

Carole
Oui. Les dictateurs le savent très bien. On est dans une société incroyable qui éduque ses enfants, il faut s'en rendre compte.

Jacqueline
J'ai été prise par l'histoire, la richesse de l'imagination. J'ai probablement lu le livre trop vite, et je ne l'ai pas relu. J'ai aimé les chansons en me demandant : chansons d'époque ? chansons recréées ? Et j'ai presque regretté l'ajout explicatif à la fin.

Carole
Mon éditeur m'a dit que ça n'allait pas, que ce n'étaient pas des chansons d'époque. Il y a des chansons inventées, Colin par exemple.

Claire
C'est pas dommage qu'il faille préciser à la fin ?

Carole
Ah non, j'en suis contente. Il y en a de trois types : inventées, de tradition orale, de tradition savante.

Jacqueline
Ça marche. Le passage sur la référence à la broderie m'a beaucoup plu, ça m'a ramenée à Cœur cousu. Je me demandais aussi si on allait rester au Moyen Âge ou pas. L'Espagne me manque un peu, car ça faisait référence à une réalité plus proche pour moi.

Carole
C'est l'univers du Sud qui te manque.

Claire
J'ai eu du mal à lire ce livre en faisant abstraction du fait qu'on allait rencontrer l'auteure. C'était comme si j'étais en relation avec l'auteure plus qu'avec le livre. Comme si d'une part je lui disais : là, chapeau ! Et là, pourquoi ? En un dialogue sur l'écrit. Et d'autre part c'était comme si j'imaginais le moment de l'écriture : je me disais que l'auteure a des visions, voit, est visionnaire et aussi se voit jadis, en s'identifiant.
Une fois le livre refermé, il contient un univers littéraire particulier, qui tient pour reprendre le mot de Danièle, que je pourrais décrire quant à la façon dont les personnages sont rendus, à la façon dont le récit est fait, de quoi ça parle, quelle littérature c'est. Par exemple, dès le premier chapitre, c'est comme le Titanic, on sait la fin ; mais ensuite, une réelle activité est demandée au lecteur pour constituer, reconstituer le tissu des faits. Il y a des précipités dans des moments forts comme les adieux des bâtardes, l'agonie de Bouc, le cheval… Et l'épigraphe annonce avec les vers de Nerval la poésie, et avec Andersen le conte, elle annonce la couleur et ça suit => les mots (quauquemare), les expressions (visage de porcelaine salie), la crudité sans provocation de certaines scènes.
J'ai une question sur, comment dire, le "seuil" du merveilleux. Quand j'ai su que Du domaine des Murmures avait eu le prix Marcel Aymé, j'ai cru que c'était pour le réalisme magique français que j'ai découvert avec enthousiasme quand nous avons lu Le passe-muraille (en fait le prix est accordé pour un livre en rapport avec la région de Marcel Aymé) : des aspects "merveilleux" passent pour moi tout seuls (les loups, la vieille âme, le cheval qui parle), la Dame verte je m'interroge puis je marche ; ma question a trait a la langue du monologue de l'enfant : comment comprendre qu'elle est ainsi élaborée, est-ce que l'on est bien dans le merveilleux ? Et plus généralement, comment l'auteure établit-elle la frontière, le seuil entre ce qui est de l'ordre du merveilleux et ce qui ne l'est pas ? Où se situe le seuil ?

Carole
C'est ma fille (en photo sur le livre en poche). Elle avait 10 ans quand je l'ai écrit. Je me suis demandé : "est-ce que ma fille pourrait le dire ?"

Claire
Donc, c'est réaliste. Et sur le dosage du merveilleux dans le livre ?

Carole
Je ne sais pas.

Séverine
La frontière entre le réalisme et le magique peut dépendre des personnes, non ?

Carole
Oui. J'ai aimé travailler sur la femme de la rivière. Et en faire une mère, j'ai adoré. C'est peut-être un problème psychanalytique, j'ai un problème avec ma mère, je n'ai jamais pu me dégager de ma mère à part avec l'écriture. On écrit avec tout ce qu'on ressent, avec nos peurs, avec nos obsessions, c'est complexe.

Christelle
L'avantage avec Kindle, c'est qu'il n'y a pas de quatrième de couverture… Donc je me suis laissé entraîner sans me poser de question, pour moi Blanche mourrait effectivement à 12 ans. Ce roman est une très belle découverte. D'abord la première épigraphe, un poème dont je me souviens par cœur du lycée. Après, j'ai adoré le rythme poétique initié par l’épigraphie, j’ai aimé de nombreuses formules "le jardinier qui ne vit pas au même rythme que les filles". J'ai aimé cette idée. L'écriture est poétique, ca ne ressemble pas à mes lectures habituelles. J'ai aimé les prénoms (et j'ai deux enfants qui s'appellent Éloi et Blanche). Quant au merveilleux, ce n'est pas mon genre de prédilection, donc ça m'a un peu arrêtée. Mais je me suis dit que c'était une émanation de l'imagination de la petite fille et ainsi j'ai fini par accepter. J'ai aimé le suspense, notamment les épisodes de la noyade, et les joutes. J'avais deux questions : à propos des chansons, et j'ai déjà les réponses grâce à la note en fin de livre. Je pensais vraiment que la petite fille allait mourir, donc ensuite je me suis demandé si vous alliez écrire une suite.

Carole
Non, c'est aux lecteurs d'imaginer. J'ai détesté écrire sur les joutes, j'ai dû bosser comme une folle. On m'en parle peu. Pour les chansons, je voulais écrire sur des chansons populaires. J'adore cette phrase de la chanson : "la rivière est profonde…", elle a une force poétique considérable. J'aime moins la première partie de la chanson.

Christelle
Il y a plusieurs phrases "j'ai inventé ma vie"… qui évoquent les mécanismes de construction de nos souvenirs d’enfance, cela m’a pas mal fait réfléchir.

Carole
J'ai bossé avec un chercheur du CNRS qui travaille sur la mémoire. C'était passionnant. On construit nos souvenirs. (Carole nous fait fermer les yeux et nous pose des questions sur les personnes présentes : couleur des yeux, d'un pull, etc.) Moi je me souviens des sourires, des regards, des rides, l'expression et la silhouette. J'ai une bonne mémoire de la voix, et de ce qui a été dit. On a l'impression d'avoir un souvenir total, alors que c'est par rapport à ce qui nous importe qu'on se souvient. Donc évidemment on se bricole.

Monique L
Moi ce que j'ai aimé c'est l'alternance des points de vue. J'ai beaucoup aimé ce procédé. Ça permet de dire ce que la petite n'a pas toujours compris. J'ai aimé l'ambiance : l'alternance du cru, de la tendresse, etc. Les thèmes sont intemporels. C'est un conte sur le passage de l'enfance. La métaphore de la rivière en femme fatale m'a plu. Les hommes ne sont pas à leur avantage : stupides, violents, cruels. Le père de l'héroïne est resté pour moi énigmatique et improbable en ce qui concerne son discours quand il "baise" avec Aélis. Sinon, l'écriture est envoûtante. Je l'ai lu il y a quelque temps déjà et l'ambiance est prégnante.

Carole
Je ne doute pas qu'un être puisse basculer. Il y a des choses qui cassent et qui peuvent faire changer une personne.

Nathalie
J'y reviens… personne n'a vu le film La passion Béatrice de Tavernier ? Je l'ai vu à 14 ans, ça m'a marquée à jamais. Quand j'étais petite, je me plaçais face au miroir de mon placard et j'attendais. Je cherchais à me voir grandir. J'attendais, absolument immobile mais je ne le voyais pas. Je pensais que c'était un mensonge des adultes.

Carole
Mais tu as fait ça une fois ?

Nathalie
Non, à diverses reprises et longtemps à chaque fois.

(Chacun.e s'abîme dans cette vision de Nathalie se regardant immobile grandir…)

Carole
Ah que c'est beau, je peux le prendre ?

(Et tous d'attendre de trouver la scène dans le prochain roman...)

Annick A
J'étais très réticente au début de ma lecture. Je ne rentre pas facilement dans la dimension du merveilleux et du surnaturel et puis je me suis laissé emporter par l'écriture. J'ai lâché prise et j'ai pu savourer ces moments de poésie et d'un imaginaire débordant que connaissent si bien les tout petits. J'y ai en quelque sorte retrouvé le merveilleux oublié de mon enfance.
J'ai bien aimé le caractère de Blanche volontaire et tenace, le rapport des personnages aux animaux et à la nature très présente dans le livre, et toute la réflexion autour de la mort dans ce très beau passage des paroles du cheval qui va mourir : "Je serai toujours là, je serai le sentier de terre que tu te choisiras, je serai tous les sentiers du monde sous tes pas, je te mènerai où tu voudras" et celui où Blanche sent sous ses pieds la présence de Bouc en terre où ses cendres ont été dispersées.
Page 330 : "Mon cheval s'est changé en terre et je le sens sous mes pieds (…) Cette terre est soudain devenue la mienne, j'y prends appui bien qu'elle danse et penche toujours autant vers sa rivière. Ma grande peine s'en est allée, ma colère a fondu" : c'est une belle réflexion philosophique sur la perte.

Carole
Avec la terre qui penche, je voulais emmener les lecteurs dans la pente.

Séverine
Le titre est de vous ?

Carole
Oui il est arrivé d'un coup quand le livre était fini. Je voulais l'appeler Les lacs d'amour, mais au lieu de comprendre entrelacs on aurait compris lac. J'ai hésité aussi avec Puisqu'en oubli.

Annick
Je suppose que certains lecteurs ne doivent pas aimer, non ?

Carole
Ceux qui viennent me voir ont aimé en général. Il y a plus de femmes que d'hommes. Les hommes disent que je suis très violente. Mais mes premiers lecteurs, ce sont mon mari, mon frère. Dans la suite, j'ai beaucoup plus de lectrices. Éloi est né d'une signature d'un homme dans la maison que j'ai achetée.

Lisa
Je n'ai pas encore tout à fait fini. Le premier chapitre, j'ai dit... non ! Puis, j'ai repris pour venir car c'est toujours intéressant de rencontrer l'auteur. J'ai passé les premiers chapitres. Et puis je suis rentrée dans le livre ! J'ai trouvé des choses drôles...

Claire
Tu es la première à dire ça !

Lisa
J'ai mis un post-it... ah oui à propos de l'interdiction de s'instruire du père par peur que le diable s'insinue : "je ne vois pas pourquoi le diable entrerait plus facilement dans mon âme que dans celle de mon frère Jean qui n'est pas bien futé. A moins que le diable n'entre pas dans la tête de ceux qui peinent à apprendre. Il a raison, le diable, quel intérêt y aurait-il à partager les pensées d'un idiot ?" ou encore : "Non, les hommes ne sont pas soumis à leur désir : ils en sont les maîtres"
J'aime aussi le côté cru. J'en suis à la rencontre avec la Dame verte et j'ai envie de lire Du domaine des Murmures.

Carole
Lis Le cœur cousu !

Lisa
C'est en tout cas une belle découverte et j'ai envie de le finir. On a parlé d'écriture poétique. Oui. Et pourtant je n'aime pas la poésie.

Carole
C'est plus poétique au début. Il y a quelque chose à percer. J'aime que la langue soit épaisse au début, que le début résiste, que ce soit comme un sas. Et moi ça m'aide à entrer dans l'écriture.

Lisa
Et j'aime bien l'aspect féministe de la petite fille au Moyen Age. J'ai lu Les piliers de la terre de Ken Follett...

Carole
Ah oui ! Mais quand il pince les tétons, ah non, moi ça ne me plaît pas du tout.

Claire (tachant de mettre fin aux interrogations de Carole à ce sujet aux différents membres de l'assemblée...)
En tout cas l'image employée concernant le personnage est très jolie, à savoir des "chatons de saule" en guise de seins...

Catherine
Je me suis laissé emporter, j'ai beaucoup aimé. J'ai préféré au Domaine des Murmures. J'ai lu comme un conte, avec tous les ingrédients. Mais c'est plus complexe, plus riche que ça. Il y a des thèmes très intéressants : enfance, paternité… Je n'ai pas du tout compris qu'elle n'allait pas mourir et je n'ai pas encore digéré la nouvelle. Je n'ai pas cherché à démêler la vieille âme de la petite fille. La reconstruction par la mémoire, c'est très intéressant. J'ai très envie de lire Le cœur cousu. Jusqu'à quel point c'est construit, qu'est-ce qui est délibéré ou inconscient, voilà les questions que je me pose.

Carole
Il y a d'une part une maîtrise et d'autre part un abandon dans l'écriture, où on lâche. C'est comme un coureur. Bandé et relâché. Je pense à Marie-José Pérec.

Henri
J'étais en train de lire l'essai de balistique sociologique de
Francis Chateauraynaud quand j'ai emprunté le livre à la bibliothèque : en le voyant, une de mes connaissances écrivain s'est écriée Carole Martinez c'est génial, l'histoire de l'emmurée ! A la première page je lis "les aubes des moulins se sont arrêtées de tourner, comme engluées dans du métal fondu" : la rivière se fige, comment ça, sauf que si c'est du plomb fondu, ça commence mal, les aubes devraient être carbonisées, à moins que ce ne soit du mercure, liquide à température ambiante.

Carole
Quand j'étais petite, je jouais justement avec du plomb.

Henri
Je ne lis pas de fantastique. Je ne lis pas la quatrième de couverture, je ne sais rien sur l'auteur, Claire nous envoie des tonnes de trucs, je ne lis mes mèls que bien après.
Je suis rentré facilement dans le livre, j’ai apprécié d’être d'emblée égaré – très bien j'ai adoré ce décalage, ce dépaysement immédiat – le truc qui résiste au début – le sas poétique comme l’indique Carole Martinez qui exige du lecteur qu’il s’accroche –, ça m'a plu. J'ai beaucoup aimé l’alternance entre les deux voix et j'ai regretté de n'avoir pas 75% de vieille âme. C’est cette voix qui fait le pont avec notre époque, le lien avec nous, gens du XXIe siècle. Elle nous parle de là-bas, depuis son Moyen Âge où elle est restée un peu figée, tout en étant témoin des siècles suivants jusqu’à nos jours. Je suis déçu que la petite fille finalement ne soit pas morte, qu’elle ne nous parle pas comme une défunte, à titre posthume. Ça m'a plu ce voyage dans l'intertemporalité. L'histoire ne m'intéresse pas dans les livres : ici c'est cette voix de vieille âme qui m’a séduit. J'ai aimé la langue, le style ample, les phrases dont la longueur est justifiée par le propos (et non par un parti-pris trahissant une intention stylistique) : on n'est pas dans les éditions de Minuit formatées. J'ai apprécié aussi le découpage en petits chapitres. J'ai été conquis par certaines scènes : les chiens et l’idiot lors du banquet, la scène de la mort de Bouc, la description du savoir-faire en cuisine, etc. J'ai beaucoup aimé et, au passage, j’ai relevé beaucoup de vocabulaire que j'ignorais. Le merveilleux – les loups qui se détricotent, la rivière qui s’incarne en dame –ne m’a pas gêné. Mais vers les 4/5, ça m'a moins plu : tuer le cochon, les joutes et leur rituel ; je me suis dit "elle nous fait le coup de la visite guidée du Moyen Age", et il y a un peu trop de personnages : j’ai cessé de suivre les rebondissements des filiations et de compter le nombre de poupards sur la rive de la Loue. Ce qui m'a le plus plu et marqué, c'est ce qui est dit sur la religion...

Carole
C'était le moment de Charlie.

Henri
Et je m'étonne que Claire n'ait pas signalé le décrochage entre le narrateur et l'auteur qui me semble alors parler. (Henri lit un grand extrait pour arriver au passage le plus fort). Au-delà de l’allusion au retour du fanatisme, c’est le renversement mythe/religion et le dernier paragraphe qui m’a plu : il y a les vivants, les morts, les animaux, tout cela est imbriqué comme le sont la vie et la mort, et c’était un peu comme si l’époque du Moyen Âge nous prodiguait une puissante leçon…

Françoise D
J'étais entre deux : le côté fantastique où j'ai du mal et des passages que j'ai aimés, le cheval par exemple.

Carole
C'est pourtant fantastique.

Françoise
C'est vrai. Pourquoi la vieille âme, je me suis demandé. j'ai été frappée par le contraste entre les deux pères, celui de Blanche et celui d'Aymon, on a l'impression d'avoir carrément changé de société, aussi à l'égard de l'éducation des filles, Haute-Pierre représente le progrès et Les murmures l'obscurantisme). La rivière m'a rappelé la
fée Morgane dans la série Kaamelott.
Il y a des passages très beaux, poétiques, touchants, la mort de Bouc, le cheval m'a émue, mais globalement je n'ai pas été embarquée, ça m'était égal que la fillette soit morte ou pas, comme tu le dis Carole, de toute façon elle est morte. Je préfère les récits plus ramassés. J'ai préféré Le Cœur cousu.

Carole
Ce n'est pas ramassé pourtant.

Françoise
C'est vrai. Mais comme Jacqueline, je me suis sentie plus proche de Cœur cousu que de celui-ci.

Henri
J'ai une question : c'était quoi l'intention ?

Carole
Mon idée était la question sur la personnalité : la garde-t-on toute la vie ?

Carole Martinez, arrivant directement d'une répétition (la chorégraphe Pascale Houbin et l’écrivaine interprètent une chorégraphie et un texte inédits) à 20h, s'éclipse en s'excusant de partir si vite, à 22h45... : générosité incarnée.

Manon
J'espère que la soirée s'est bien passée ! Je suis sûre que cela devait être extrêmement intéressant d'autant que ce roman est un vrai mystère ! Donc avec un peu de retard, je transmets mon avis. Durant les premiers 20% de lecture – avec tablette oblige – je me suis posé beaucoup de questions sur ce livre : mais qu'est ce que c'est que cet ovni ? N'est-ce pas trop bizarre pour moi ? Je continue ou j'arrête ? Je déteste ou j'adore ? Bref ne sachant pas réellement répondre et voulant le faire, j'ai continué ma lecture et je m'en félicite !
Je ne sais toujours pas vraiment de quoi il s'agit, mais je sais que j'ai rarement lu un roman qui m'intrigue autant. Je n'ai jamais vraiment adhéré au fantastique, même enfant les contes ce n'était pas vraiment mon truc, mais là, je ne sais pas pourquoi, j'ai cru à tout ! Le père méchant, l'ogre, la petite fille mal aimée, l'idiot, la bonne fée, la nymphe, la méchante sorcière... TOUT ! Peut-être parce qu'une réalité bien plus grisée vient estomper le côté conte.
Je n'ai pas réellement de réserves sauf peut-être que j'ai trouvé quelques passages un peu longs, un peu redondants, mais je me demande si je n'étais pas trop impatiente de connaître la suite et que c est pour ça que j'ai trouve la fin un peu longue à arriver – une réserve qui n'en est pas vraiment finalement...
Voilà, encore une fois, le groupe lecture m'a fait découvrir un auteur vers lequel je ne serais jamais allée !

Séverine (qui, après la soirée, en deux jours a lu Du domaine des Murmures)
J’ai adoré ! Beaucoup plus que La Terre qui penche. On est dans la même atmosphère, familière maintenant à la lecture de ce second ouvrage : j’ai vraiment été transportée au Moyen Âge et je me suis laissée bercer par ce conte. La structure beaucoup plus simple, linéaire, m’a suffi et j’ai une fois de plus beaucoup aimé les personnages tout aussi attachants les uns que les autres, même les plus terribles. La magie est moins présente mais elle glisse comme ça, on ne s’en rend pas compte et elle devient crédible. En tout cas, Carole est une vraie conteuse ! Je suis sous le charme de ce roman-là et j’ai hâte de lire son prochain… en attendant, je vais lire Le cœur cousu : à voir si je vais aimer car je dois dire qu’ayant une sensibilité particulière pour le Moyen Âge, le sujet du Domaine des Murmures a joué dans mon engouement…

Marie-Odile (du groupe breton)

À la petite fille
Je t'ai suivie pas à pas, ai partagé tes frayeurs, tes joies, ton imagination, me suis prise de sympathie pour toi, ta fragilité, ta force et ta volonté. Me suis laissé bercer par le balancement de tes phrases et de ton cheval couleur de terre. J'ai aimé ce bel animal psychopompe qui entraîne vers la mort bourreau et charpentier et te fait traverser les barrières de ton enfance enclose.
La quête de ta propre histoire a suscité ma curiosité, impatiente que j'étais de découvrir ton passé. Les pages finales m'ont cependant déçue : les circonstances de ta naissance restent pour moi trop confuses.
J'ai aimé ton regard porté sur l'Enfant, l'Idiot, le Simple en qui tu as vu le chasseur de nuages. Il y a en lui une innocence qui le rapproche du divin, dans ce siècle terrible que le diable et le mal ravagent. Il se rapproche du bel Eloi. Tous deux, épris de liberté, aiment s'élever, dans les arbres ou sur les toits car l'air permet d'échapper à l'inclinaison de cette terre qui penche. Pour toi, c'est la lecture et l'écriture qui sont promesse de bonheur et de pouvoir. Et ton choix final de vivre libre par-delà l'enfance s'oppose et s'impose à celle qui ressasse votre histoire dans le noir.

À la vieille âme
Franchement, je n'ai pas bien compris la raison de ta présence dans ce livre. Pourquoi n'as-tu pas disparu avec le corps de la petite fille que tu tutoies par-delà les ans ? Bien sûr, immortelle, tu en sais et en dis un peu plus qu'elle, mais qu'est-ce que tu te répètes à force de tourner en rond dans ta tête ! Qu'est-ce que tu es bavarde lorsque tu fais parler la Dame Verte ! Au début, j'ai failli "sauter" tes chapitres pour ne lire que ceux de la petite fille, puis je me suis habituée à toi qui n'es ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, et il m'est même arrivé de vous confondre un peu...
J'ai aimé le rythme de tes phrases lorsque tu évoques les colères de la Loue, la poésie dont tu recouvres les pots magiques de la cuisinière qui font revivre des saisons tout entières, et ta version de la mort d'Aymon, si différente de celle de la petite fille. Et puis, tu en connais un rayon sur cet autre temps, ses traditions, sa justice, ses pratiques, ses documents !

Pendant quelques jours, ce livre m'a immergée dans ce Moyen Âge qui, on ne sait par quels détours, entretient des liens secrets avec notre enfance, sans doute en raison de cet imaginaire qui abolit les frontières entre le réel et l'enchantement, les morts et les vivants, et qui prend parfois des allures de contes de fées.



Quelques repères bio et bibliographiques

Carole Martinez est née en 1966. Après avoir été serveuse, ouvreuse, vendeuse de beignets, photographe sur les plages, comédienne, metteur en scène, assistante réalisatrice, pigiste et sémiologue, elle était professeure de français quand son premier roman a été publié chez Gallimard.

• Ses romans, tous aux éditions Gallimard
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Le Cœur cousu, coll. "Blanche", 2007. Quinze prix littéraires dont le prix Ouest-France/Étonnants Voyageurs, le prix Renaudot des lycéens. Poche, coll. "Folio", 2009 ; coll. "Folio" série tirages limités sous étui, 2013 (voir "Carole Martinez, l'inconnue aux 8 prix", Anne Crignon, L'Obs, 27 juillet 2011).

- Du domaine des Murmures, coll. "Blanche", 2011. Prix Goncourt des lycéens, prix Marcel-Aymé. Coll. "Folio", 2013 (voir le reportage "Le tourbillon des Murmures", Frédérique Roussel, Libération, 11 février 2012).
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La terre qui penche, coll. "Blanche", 2015. Coll. "Folio", 2017.

• Bande dessinée (scénario)
Bouche d'ombre, dessin Maud Begon, Casterman. Trois tomes : T1 Lou 1985, 2014. T2 Lucie 1900, 2015. T3 Lucienne 1953, 2017 (voir l'interview croisée de Cathia Engelbach avec la romancière et la dessinatrice sur www.bandedessinee.info).

•Jeunesse
- Le Cri du livre, Pocket, coll. "Junior", 1998, 1999. Réédité avec le titre L'Œil du témoin, Rageot, coll. "Heure noire", 2011, 2016
- Tom, haut comme trois pommes, ill. Laetitia Charlot et Renaud Martinez, Jérôme Millon, 2012
- La Belle et la Bête, d'après Madame Leprince de Beaumont, ill. Violaine Leroy, Gallimard, coll. "Albums Jeunesse", 2017.

Petite revue de presse sur La Terre qui penche

•Articles
- "Carole Martinez, le goût du fabuleux", Xavier Houssin, Le Monde, 2 septembre 2015
- "Dans le giron des donjons", Juliette Einhorn, Le magazine littéraire, n° 559, septembre 2015
- "Carole Martinez donne vie à une Antigone médiévale", François Busnel, L'Express.fr, 24 septembre 2015
- "Carole Martinez se fournit au Moyen Age, le conte est bon", Frédérique Roussel, Libération, 16 octobre 2015

Interviews
- Librairie Mollat, 17 août 2015 (vidéo, 6 min)
- "Carole Martinez : interview pour La Terre qui penche", François Alquier, Chronique de Mandor, 1er septembre 2015
- France info, Philippe Vallet, 9 septembre 2015 (audio, 2 min 27) et une deuxième interview filmée (vidéo, 14 min 49)
- "La Terre qui penche, le nouveau conte de Carole Martinez", Bernard Lehut, RTL, 24 septembre, 2015 (audio, 4 min 55)
- La Grande Librairie, 9 octobre 2015 (vidéo, 11 min 18)
- "Au Havre, Carole Martinez présente son nouveau roman, écrit en Normandie", Valentine Godquin, Actu.fr, 25 novembre 2015
- "Les secrets d'écrivain de Carole Martinez", Emilie Di Matteo, Un monde littéraire, 4 décembre 2017

 

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