Nous avons lu pour le 14 novembre 2021 :

Les vies de papier de Rabih Alameddine

 
 
DOC AUTOUR DU LIVRE
  Le livre
Parcours de l'auteur
Ses publications
Interviews
Le traducteur  

Repères historiques
Littérature libanaise
Et voici NOS RÉACTIONS sur le livre...

  LE LIVRE
 
 
Les vies de papier, éd. Les Escales, 2016
traduction Nicolas Richard,
10/18, 2017
An Unnecessary Woman
2014 aux USA
  Quatrième de couverture : Aaliya Saleh, 72 ans, les cheveux bleus, a toujours refusé les carcans imposés par la société libanaise. Cette femme irrévérencieuse et un brin obsessionnelle traduit en arabe les œuvres de ses romanciers préférés : Kafka, Pessoa ou Nabokov. À la fois refuge et "plaisir aveugle", la littérature est l'air qu'elle respire. Cheminant dans les rues, Aaliya se souvient ; de l'odeur de sa librairie, des conversations avec son amie Hannah, de ses lectures à la lueur de la bougie tandis que la guerre faisait rage, de la ville en feu, de l'imprévisibilité de Beyrouth.
Lauréat du Prix Femina étranger 2016, Rabih Alameddine signe un roman éblouissant et une véritable déclaration d'amour à la littérature.
 
 

PARCOURS de Rabih Alameddine
- Né en 1959
à Amman en Jordanie de parents libanais, il grandit au Koweït : "Dès 10 ans, mes parents m'envoyaient passer l'été à Beyrouth près de ma tante et de mes cousins. C'était un paradis..." : un quartier multiconfessionnel, devenu chiite aujourd'hui, après avoir été chrétien durant la guerre.
-
Rabih Alameddine a 15 ans lorsque, au début du conflit, ses parents l'envoient en Angleterre pour finir ses études secondaires. Puis il étudie à l'université de Los Angeles (UCLA) où il obtient un diplôme d'ingénieur, avant de trouver un emploi : "Sur ces neuf mois de travail, j'en ai passé six en vacances. Ensuite j'ai passé un master de business and finance, mais c'était pire. Je me suis alors tourné vers des études de psychologie."
- Sans grand succès, car à cette époque c'est la peinture qui l'attire. Il
expose à New York (voir ses œuvres ici) : "Je suis obsessionnel. Dès que j'entame quelque chose, je ne pense et ne vis que pour ça." Ainsi en est-il de l'écriture, pour laquelle il a abandonné ses pinceaux. "J'avais toujours rêvé d'écrire, mais je n'osais pas."
- Il
partage sa vie entre San Francisco et Beyrouth. Son site : rabihalameddine.com

SES LIVRES, tous publiés en anglais aux USA
Les trois premiers livres ne sont pas traduits en français :
- 1998 : Koolaids: The Art of War : dans ce roman, il dépeint, non sans audace alors, la guerre du Liban à travers le prisme du sida.
- 1999 : The Perv: Stories (nouvelles).
- 2001 : I, the Divine: A Novel in First Chapters.
Les trois suivants sont traduits par Nicolas Richard :
- 2008 : Hakawati (The Hakawati), Flammarion, 2009.
- 2014 : Les vies de papier (An Unnecessary Woman), Les Escales, 2016, prix Femina étranger 2016.
- 2016 : L'ange de l'histoire (The Angel of History), Les Escales, 2018, prix Lambda Literary 2017 du meilleur roman gay (le temps d'une nuit, dans la salle d'attente d'un hôpital psychiatrique, Jacob, poète d'origine yéménite, revient sur les événements qui ont marqué sa vie : son enfance dans un bordel égyptien, son adolescence sous l'égide d'un père fortuné, puis sa vie d'adulte homosexuel à San Francisco dans les années 1980, point culminant de l'épidémie du sida).
- 2021 : The Wrong End of the Telescope, pas encore traduit (il s'agit du voyage d'une femme trans arabo-américaine parmi les réfugiés syriens sur l'île de Lesbos).

INTERVIEWS de Rabih Alameddine

Après la sortie du livre en 2014 aux États-Unis

Les mères sont souvent les protagonistes de vos romans, n'est-ce pas ?

"Eh bien, je suis l'un de ces écrivains qui pense en fait que rien ne se passe en dehors de la famille nucléaire. Vous pouvez regarder une famille nucléaire et voir la dynamique du monde entier. Donc, chaque fois que quelqu'un dit : 'Comment résolvez-vous les problèmes du Moyen-Orient ?', je dis : 'Je ne sais pas. Je ne peux même pas parler à ma mère, encore moins comprendre les choses.'" (suite ici de l'interview très intéressante sur le livre)

Après la réception du prix Femina 2016 pour Les vies de papier
- À L'Orient-Le Jour, quotidien francophone libanais, l'écrivain libano-américain se dit honoré et flatté :

"Le prix doit être partagé avec ma mère et mes sœurs qui m'ont soutenu dans tout ce que j'ai fait. Il est incroyablement gratifiant qu'un roman à propos d'une femme de 72 ans vivant à Beyrouth soit acclamé de la sorte."
Que dirait-il à son héroïne, Aaliya Saleh ?
"Je ne peux rien lui dire, elle ne m'adresse plus la parole et elle s'en fiche des reconnaissances."

- À l'écrivaine et journaliste au Point Sophie Pujas :

"Cette femme de soixante-douze ans, c'est moi. Nous avons le même caractère. C'est le plus autobiographique de mes livres, ce que personne ne suppose jamais, parce que le personnage est une femme. Il m'a fallu trois ans pour l'écrire. La difficulté n'était pas de me glisser dans la peau d'une femme, mais de trouver sa voix à elle, spécifique, savoir de l'intérieur comment elle réagirait à telle ou telle situation…"

Kafka, Pessoa, Nabokov, Roberto Bolaño… Aaylia est une lectrice boulimique, qui traduit pour elle seule de grands noms de la littérature mondiale. Avez-vous le même panthéon littéraire qu'elle ?

"Oui, à ceci près qu'elle est plus radicale que moi. Il y a des écrivains qu'elle déteste, comme Hemingway, qui ne m'intéresse pas spécialement, mais envers qui je n'ai aucune animosité… Ce qui est radical aussi chez elle, c'est de traduire tous ces textes sans jamais chercher à être publiée. J'aimerais être capable d'écrire seulement pour moi. J'aimerais être elle, ne pas me soucier de la façon dont on me voit. Mais je dois l'avouer : quand j'ai une mauvaise critique, ça me tue ! Et pourtant, mes écrivains favoris sont des auteurs qui n'ont pas vraiment publié : Pessoa, Kafka, Bruno Schulz… Des écrivains en marge, en dehors du monde."

L'un des sujets de scepticisme, pour Aaylia, c'est la religion. Un point de vue que vous partagez ?

"Sa religion à elle, c'est la littérature. Je suis athée, comme elle. J'aime la religion comme réservoir d'histoires, de mythes, mais je n'y crois pas. Pourtant je vis entre deux pays très religieux. Ce sont deux pays fous. Tout le monde pense que Beyrouth est un endroit insensé, mais la folie est plus grande encore aux États-Unis – ils présentent simplement une meilleure façade. C'est très bien pour un écrivain, qui a toujours intérêt à être là où la folie se manifeste." (suite ici de l'interview sur le livre)

LE TRADUCTEUR
On peut s'interroger sur sa rencontre avec la narratrice du livre, Aaliya, sa collègue d'une certaine manière... Restant dans l'ombre quant à elle, alors que Nicolas Richard connaît la lumière.


Parmi ses nombreuses traductions, il a traduit des autrices ; citons trois livres :
- de Patti Smith : M Train, Dévotion, L’année du singe
- de Miranda July : Le premier méchant, Il vous choisit : petites annonces pour vie meilleure, Un bref instant de romantisme
- de Valeria Luiselli : L'Histoire de mes dents, Raconte-moi la fin, Archives des enfants perdus.
Et aussi :
- d'Alysia ABBOT Fairyland (après la mort de sa femme, Steve Abbott, écrivain et militant homosexuel, déménage à San Francisco ; avec sa fille de deux ans, Alysia, qui est l'auteure du livre, il s’installe dans le quartier de Haight-Ashbury, le centre névralgique de la culture hippie).
- de Megan Abbott, la reine du polar américain "'vintage", Adieu Gloria, que nous avions lu dans le groupe Lirelles en 2011.


Il a été un des premiers traducteurs en France à participer à des joutes de traduction. Voici ce qu'il dit des traducteurs :

"C'est une population discrète, à peine visible, qui fait le plus beau métier du monde, et qui permet que des livres inatteignables (car écrits dans une langue étrangère) deviennent lisibles ! Le traducteur est un transformateur, une sorte de "transfo" comme on dit en électricité. Grâce à lui, une voix au départ inaudible est entendue, ou lue. Il doit être attentif à l'intensité du courant. Ce métier consiste à s'investir corps et âme pour réussir à donner une voix à un auteur. Il faut réfléchir, faire appel à ses lectures, puiser dans sa culture, écrire, raturer, enquêter, se renseigner, reprendre un texte, le relire jusqu'à arriver à façonner un texte recevable. Ce n'est pas juste un plat qu'on fait passer à l'identique dans une autre langue. Il y a tout un travail de mutation, de transmutation. La remise d'une traduction à l'éditeur est d'ailleurs souvent l'occasion de discussions passionnantes entre traducteurs, correcteurs et éditeurs." (linternaute.com, 29 janvier 2020)

Il vient de sortir un essai sur la traduction : Par instants, le sol penche bizarrement : carnets d'un traducteur, éd. Robert Laffont, 2021.

Et il est également écrivain (voir "Nicolas Richard, bricoleur de génie", Florence Bouchy, Le Monde, 11 mars 2018).

Voici face à face le début des Vies de papier, version originale en anglais/traduction en français ICI.

REPÈRES HISTORIQUES : les guerres au Liban
La guerre civile, ponctuée d’interventions étrangères, s’est déroulée de 1975 à 1990 en faisant entre 130 000 et 250 000 victimes civiles. Elle a deux grandes phases délimitées par l'intervention israélienne de 1982.
En 2006, commence le conflit entre Israël et le Liban aussi appelé la Guerre des Trente-trois-jours.
Voir ICI l'impact sur la ville de Beyrouth évoqué dans le livre.

La narratrice évoque (p. 52 dans l'édition de poche) l'histoire de la famille d'Ahmad, chassée par les Yishuv (les Juifs présents en Palestine avant la création de l'État d'Israël) durant la nabka de 1948 (déplacement forcé de 700 000 Palestiniens à la création de l’Etat d’Israël) : voir ICI l'histoire de l'exode palestinien pendant la guerre israélo-arabe de 1948.
Elle garde aussi la photo découpée dans le journal d'Ahmad quittant Beyrouth en 1982 parmi les Palestiniens forcés de quitter la ville pour mettre fin au siège et bombardements des Israéliens (p. 300).

LITTÉRATURE LIBANAISE
Nous n'avions lu dans le groupe aucun.e écrivain.e originaire du Liban.
Citons
Andrée Chedid (1920-2011, ici la liste de ses œuvres) et parmi les contemporaines :
- Vénus Khoury-Ghata, née en 1937, a publié une quarantaine de romans et de recueils de poésie traduits en 15 langues (ici la liste de ses œuvres)
- Lamia Ziadé, née en 1968, artiste (elle expose dans des galeries) et écrivaine (ici la liste de ses œuvres)
- Joumana Haddad, née en 1970, militante pour les droits des femmes, journaliste et romancière (ici la liste de ses œuvres)
- Hyam Yared, née en 1975, fondatrice et présidente du "Centre PEN Liban" regroupant écrivains et intellectuels (ici la liste de ses œuvres)
- Zeina Abirached, née en 1981, auteure de BD (ici la liste de ses œuvres)

La catastrophe de Beyrouth de 2020 a attiré l'attention vers la littérature libanaise, avec quelques articles sur la littérature contemporaine :
- par le CNL ici
- par Lire magazine
- par wikipedia.