NOS RÉACTIONS à la lecture de
Je suis une fille sans histoire

d'Alice ZENITER (née en 1986),
éd. L'Arche, 2021, 112 p.

Voici un aperçu des réactions d'Agnès, Brigitte, Claire, Ingrid, Joëlle, Laetitia, Muriel, Nelly, Patricia, Sandra, Sophie
lors de notre première semaine littéraire du 10 au 17 juille
t 2021

   
 

Certaines avaient lu et aimé son roman L'art de perdre. D'autres qui n'avaient pas lu avaient aimé l'entendre dans les médias ou la regarder... Toutes se demandent comment ce texte conçu pour la scène sera joué par l'auteure. Le livre est paru chez L'Arche, éditeur historique des textes pour le théâtre. Le livre - la pièce donc - est une commande de la Comédie de Valence, apprendrons-nous après avoir lu le livre. Certaines d'entre nous iront voir l'auteure jouer son texte au Théâtre du Rond Point ou à l’Espace 1789 de Saint-Ouen.

N'ont pas applaudi :
Agnès, Joëlle, Muriel, Nelly, Patricia, Sophie

- J'ai envie de lire des histoires, pas un essai. C'est trop technique. Ça me déçoit, ça me gave, ça me saoule. Ça me barbe ! C'est rasoir. Ce ton professoral, merci. Ces tas de mots savants, pschitt ! Ça manque de définitions. C'est prétentieux. Et ce côté d'entre-soi ! Élitiste ! Une tête à claque.
- Nous avons toutes choisi ce livre, nous aurions dû être prudentes. J'ai choisi le film, mais une fois installée, j'ai eu l'impression de m'être trompée de salle...
- On ne s'amuse pas en dépit des efforts de l'autrice. Son humour tombe à plat.
- La partie politique, on comprend rien. La sémiologie, c'est tiré par les cheveux.
- J'ai tout lu, mais je n'en pouvais plus.
- Elle avoue que ses livres ne passent même pas le test de Bechdel. Et que d'évidences sur le féminisme. Un féminisme de base, quoi ! Coffin dit la même chose et de façon plus percutante.
- La critique du Monde dit plein de choses positives, mais les flèches critiques sont cruelles et approuvées par Lirelles...
- J'aimerais quand même lire un de ses romans.

Ont sauvé le livre et pour certaines avec enthousiasme : Brigitte, Claire, Ingrid, Laetitia, Sandra

- Comme les deux livres que nous venons de lire, d'Uribe et Levy, Zeniter nous propose un genre littéraire qui n'est pas classique, et cela fait partie de la démarche créative, innovante. Au fait, la conférence-spectacle est un genre théâtral qui se développe.
- Elle déroule une réflexion sur la fiction très intéressante qu'elle articule au féminisme, le tout avec un ton original.
- Le texte est enlevé, l'humour relance l'attention. Les exemples rigolos contrebalancent les idées, tout en les appuyant. Il n'y a pas d'esprit de sérieux, on passe d'un domaine à un autre. Les schémas sont assez marrants. Et le jeu avec les notes en bas de page !
- Ça m'a fait réviser mes études de lettres, dit l'une, alors que d'autres ont aimé sans avoir du tout fait d'études de lettres.
- La construction est élaborée, circulaire.
- Comme dans les trois autres livres que nous avons lus, le féminisme est bien présent. Elle aussi est en phase avec Lirelles !

Avis rédigés par les lointaines

Ingrid
Je viens de finir la lecture du livre d'Alice ZENITER et j'ai adoré ! Je l'ai dévoré et n'ai levé la tête qu'à la fin. Je l'ai trouvé drôle et très instructif - j'ai découvert des réflexions auxquelles je n'avais jamais pensé. Je pense le relire afin de prendre de la hauteur sur certaines analyses.
Cela m'a donné envie de découvrir cette autrice et ses romans. Une amie m'a d'ailleurs parlé d'une émission d'Arte radio où elle était invitée pour parler de son processus d'écriture.
Par ailleurs, j'ai remarqué que parler avec enthousiasme de ce livre pouvait avoir un rôle de séduction, donc je conseille sans hésiter...

Sandra
Je connaissais Alice Zeniter seulement de nom notamment par la médiatisation de ses précédents ouvrages, mais cela ne m'avait pas donné envie de les lire. Donc celui-ci fut le premier. Je n'avais pas lu de résumé ni de critiques, donc je ne savais pas à quoi m'attendre.

D'emblée je vais commercer par la forme, car je l'ai appréciée.
Texte court, vif, percutant, j'ai aimé les intrusions de l'auteure dans ses différentes démonstrations, elles ne les perturbent pas, au contraire, elle y apporte des exemples concrets et de l'humour. Son autodérision fait sourire et n'apporte pas de lourdeur au propos. Son style d'écriture apporte du dynamisme, ainsi je n'ai eu envie de lâcher l'ouvrage.

Sur le fond à présent.
Nous pourrions dire que cet ouvrage est un petit essai, un plaidoyer pour l'importance du récit (non seulement dans les œuvres de fiction mais également dans nos vies quotidiennes). En effet, comme elle le dit à plusieurs reprises, le récit, la narration a divers pouvoirs, dont celui de nous faire traverser et connaître des mondes différents, ainsi de nous apporter des sentiments, du vécu, que nous ne vivons pas réellement.
Dans un premier temps, l'auteure souligne l'importance de la sémiologie et de la narratologie sans que l'on s'en aperçoive. Ainsi, elle met en avant la différence entre le réel et le récit. Puis elle démontre la prééminence des mêmes schémas narratifs et d'intrigues (où les personnages masculins ont la part belle) depuis des siècles. Là, j'ai envie de dire qu'elle ne nous apprend rien de nouveau, mais qu'elle nous faire une bonne piqûre de rappel. Au-delà de son argumentaire, Alice Zeniter, veut démontrer qu'il faut cependant dépasser ces règles habituelles (même si elle le reconnaît, elle les utilise dans ses ouvrages).
Réinventer le récit, y faire transparaître le féminisme, les rôles féminins, l'égalité des sexes, l'importance du monde naturel, etc. etc.
Je dirais cependant attention : certes elle dénonce une généralité, mais certains écrivains et écrivaines ont depuis longtemps dépassé le cadre "simpliste" de la fiction, tant au niveau grammatical, structurel ou de l'intrigue. Ce n'est pas une nouveauté mais peut-être une pratique minoritaire.
Au final, ce petit essai fut intéressant, il nous rappelle certains principes, il nous fait réfléchir, et j'ai aimé le passage sur le consentement mutuel entre l'écrivain et le lecteur. Mais davantage qu'un élément d'apprentissage, je le vois comme un exposé d'une auteure qui délivre son amour pour le récit/la fiction, mais qui y dénonce ces procédés trop "anciens" pour un renouveau. Par ailleurs, selon moi, toutes les formes de récit n'ont pas à être dressées les unes contre les autres (je ne dis pas qu'Alice Zeniter fait cela, non). Toutes les formes de récit doivent "cohabiter" car chaque lecteur est différent, de même que chaque écrivain.
Par contre petite question, quid du titre de l'ouvrage, là je n'ai pas compris… A-t-il un sens ou est-il ironique ?

Brigitte
"Une bonne histoire, c'est souvent l'histoire d'un mec qui fait des trucs. Et si ça peut être un peu violent, si ça peut inclure de la viande, une carabine et des lances, c'est mieux... " On n'a certainement pas fini de voir cette citation, elle va devenir culte, c'est sûr. Elle représente parfaitement le ton et le style de ce petit bouquin épatant, qui déconstruit avec érudition et une joie communicative non seulement les mythes de héros, mais tout simplement la manière dont on fait des romans, et ce qu'on en attend, de l'Odyssée à Duras.
Côté érudition : Zeniter nous fait revisiter des pans de littérature, en commençant par Aristote, mais en nous prévenant que c'est une blague sur Heiner Müller, humour de niche, dit-elle, on rit finement. Ce n'est que le début. Car la niche, c'est son truc.
Elle part d'une théorie qui est l'épitome de la niche mais qu'elle démocratise aussitôt : la Théorie de la Fiction-Panier d'Ursula le Guin. Ou comment une civilisation de chasseurs-cueilleurs a engendré une littérature fondée sur les récits de chasseurs. Pour simplifier, disons que c'était parce que les cueilleurs étaient surtout des cueilleuses et qu'il était bien rare qu'elles aient à affronter des mammouths au cours de leurs randonnées dans les bois pour ramasser des airelles. Leurs histoires étaient d'un ennui mortel, Cro-magnon s'endormait, ça manquait de sang : de quelqu'un qui fasse des trucs.
Zeniter donne des synthèses réjouissantes : "Pleurer Anna Karénine" intitule joliment Umberto Eco un de ses essais sur la fiction. Je n'ai jamais pleuré sur Anna Karénine, dit Zeniter, elle m'agace. Et elle a ses raisons : "Pour ceux qui ne connaissent pas l'histoire, c'est une femme mariée qui tombe amoureuse d'un autre homme et se jette sous un train. À ne pas confondre avec Madame Bovary qui est une femme mariée tombée amoureuse d'un autre homme et qui s'empoisonne. À ne pas confondre non plus avec la Princesse de Clèves qui est une femme mariée tombée amoureuse d'un autre homme et puis son mari meurt, donc elle pourrait épouser l'autre, mais non, elle entre au couvent…"
Donc, dit-elle, pour les récits de femmes qui font des trucs, on n'est pas tout à fait au point. Et elle entreprend de montrer comment ça peut s'arranger. En passant par des développements sur la sémiologie et Saussure, le triangle sémiotique et un brin de politique. Et jamais on n'a envie de l'envoyer paître, parce que c'est éminemment drôle, même Saussure est drôle, avec elle, et finalement on voudrait bien savoir, comment on écrit des histoires de filles qui font des trucs, et où on les trouve, ces histoires. Et pour ça, il faut lire jusqu'à la fin, pour découvrir comment on passe de l'âge des cavernes à la littérature moderne, et féminine, zut !

P.S. en forme d'application pratique : aussitôt après le livre de Zeniter, j'ai relu des nouvelles d'une de mes écrivaines favorites, de niche aussi : la Britannique A.S. Byatt. Rien que la difficulté de prononcer son nom la relègue forcément à la niche. Or, elle a écrit des nouvelles à savourer avec une tasse d'Earl Grey : des pastiches de contes de fées qui peuvent être considérés comme des histoires de femmes qui font des trucs.
L'une d'elles s'intitule "L'histoire de l'aînée des princesses" (The Story of the Eldest Princess). Un jour, dans le royaume, le ciel cesse d'être bleu et devient vert. Fureur du peuple qui accuse le roi de cette disparition de mauvais aloi. Consultés, les devins et sorcières préconisent une Quête, d'un oiseau merveilleux caché dans une grotte. Donc, l'aînée des princesses se dévoue et part, avec une épée et de l'eau. Au bout d'un long périple plein de péripéties, au fond d'une forêt où elle n'aurait jamais dû entrer, elle arrive à une chaumière habitée par une vieille illuminée qui soigne les animaux blessés et recueille les histoires. La princesse lui raconte donc la sienne, conclut à son échec, et lui demande en retour de lui raconter ce qui est arrivé à ses sœurs pendant tout ce temps.
Eh bien, conte la vieille, la deuxième princesse a trouvé l'oiseau ; sur les conseils du devin, elle a brûlé son nid, l'oiseau en flamme s'est envolé dans le ciel, l'a nettoyé d'un coup d'aile et a restauré le bleu. Mission accomplie. Mais du coup la troisième princesse s'est retrouvée sans rien à faire. Une princesse sans histoire.
Alors la vieille va lui donner une bobine de fil à dérouler et à suivre pour ne pas en rester là et devenir elle aussi une princesse qui fait des trucs.
Interprétation personnelle bien sûr, post-Zeniter.

 

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