Lirelles

Nous avons lu pour le 15 octobre 2023

Proust, roman familial
de Laure MURAT
Robert Laffont, 2023, 256 p.

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L'actualité nous sauve de Balzac

Nous avions programmé pour ce 15 octobre un livre de Balzac (voir ici) encouragées, outre par la stature du bonhomme, par le thème : Balzac aurait, prétend-on, fait preuve d’audace en évoquant une passion entre deux femmes, ce que peu de romanciers de l’époque avaient osé. Le roman évoque aussi le thème du travestissement lorsque la femme joue à habiller l'homme en femme pour son plaisir. Le thème donc, mais aussi parce que des femmes que nous admirons - et avons lues - font l'éloge de Balzac : Michelle Perrot, Titiou Lecoq, championne des Grandes oubliées qui a écrit un livre Honoré et moi. Heureusement, à temps, des lectrices du groupe, en avance dans leurs lectures, alertent le groupe : quel navet ! Un livre de digressions mal foutu ! Insupportable souvent ! Misogyne ! Et rien à se mettre sous la dent concernant une idylle entre deux femmes !
Sur ces entrefaites, une bande de Lirelles se retrouve à la Maison de la poésie pour une rencontre avec Laure Murat animée par Laure Adler : elles notent que 98 % de la salle pleine à craquer est composée de lesbiennes et craquent pour le chien Philby qui est également sur scène. En une sorte de putsch, elles réussissent à faire déprogrammer Balzac. Bref, c'est ainsi que Laure Murat dont tous les médias se font l'écho - mais méfiance... - se loge en remplacement dans notre agenda...

Le livre de Laure Murat est en tête de gondole

Cela ne suffit pour le choisir, mais il est indéniable qu'innombrables sont les articles, émissions et rencontres dont il bénéficie :

- articles : de L'Humanité (interview du 7 septembre 2023) en passant par Le Monde (15 septembre) et jusqu'au Figaro (interview du 29 septembre), voire Causeur (9 octobre)

- radio :
France Inter (2 octobre) : Le Masque et la Plume
France Culture (14 septembre) : Les Midis de Culture (38 min)

- vidéo :
Librairie Mollat (31 août) : présentation par Laure Murat de son livre (11 min)
À la Maison de la poésie
(14 septembre) : rencontre déjà évoquée (45 min)
France 5 (20 septembre) : La Grande Librairie.

Les livres publiés par Laure Murat

C'est intéressant de noter la variété des (grands) éditeurs qui ont publié ses livres : Lattès, Fayard, Gallimard, Flammarion, Seuil, Laffont + des rééditions format poche en Folio pour trois d'entre eux :

-
L'Expédition d'Égypte : le rêve oriental de Bonaparte, en collaboration avec Nicolas Weill, Découvertes Gallimard, 1998. Remarquons que ce livre n'est pas indiqué dans la liste de ses livres cités dans le livre que nous lisons...
- La Maison du docteur Blanche : histoire d'un asile et de ses pensionnaires, de Nerval à Maupassant, JC Lattès, 2001 ; rééd. Gallimard, Folio, 2013. Prix Goncourt de la biographie, Prix de la critique de l'Académie française.
- Passage de l'Odéon : Sylvia Beach, Adrienne Monnier et la vie littéraire à Paris dans l'entre-deux-guerres, Fayard, 2003 ; rééd. Gallimard, Folio, 2005.
- La Loi du genre : une histoire culturelle du "troisième sexe", Fayard, 2006. Sa thèse d'histoire soutenue en 2006 à l' EHESS s'intitulait : L'invention du troisième sexe : sexe et genre dans l'histoire culturelle (1835-1939).
- L'homme qui se prenait pour Napoléon : pour une histoire politique de la folie, Gallimard, 2011 ; rééd. Folio, 2013. Prix Femina essai.
- Flaubert à la Motte-Picquet, Flammarion, 2015.
- Relire : enquête sur une passion littéraire, Flammarion, 2015.
- Ceci n'est pas une ville, Flammarion, 2016.
- Une révolution sexuelle ? Réflexions sur l'affaire Weinstein, Stock, coll. Essais-documents, 2018.
- Qui annule quoi ?, Seuil, coll. Libelle, 2022.
- Proust, roman familial, Robert Laffont, 2023.

Qui qui qui ?

Ce 15 octobre 2023, nous étions 13 à réagir sur le livre :
- en direct (10) : Brigitte, Claire Bi, Claire Bo, Felina, Joëlle L, Laetitia, Muriel, Nelly, Patricia, Véronique
- par zoom (1) : Agnès
- par écrit (2) : Nathalie, Marie-Yasmine
- étaient prises ailleurs (6) : Aurore, Flora, Joëlle M, Sandra, Stéphanie, Sophie.

Avec ou sans nuances... : les tendances

Certaines avaient déjà lu du Laure Murat, d'autres pas, voire n'en avaient jamais entendu parler.
Quant à Proust, les plus snobs parmi nous peuvent dire "je vais relire Proust", quand d'autres n'en ont jamais lu une ligne. Certaines ont lu le premier tome. D'autres encore des morceaux par ci par là. L'une prétend même avoir fait un mémoire universitaire sur Proust.
Bref, notre variété habituelle.

Après avoir lu Proust, roman familial de Laure Murat, certaines s'en tiendront là ; d'autres n'ont qu'une envie, se plonger dans Proust ; et il en est pour avoir sur-le-champ acheté des livres de Laure Murat, désirant mieux la connaître...

Reconnaissons-le, le livre a fait un tabac.
Même des rétives,
Brigitte, Patricia, ont dû remiser leurs préjugés, fondés sur une médiatisation peu littéraire.

Cependant - et heureusement - on peut distinguer :
- celles qui sont sans aucune réserve : Agnès, Brigitte, Flora, Joëlle L, Laetitia, Muriel, Nathalie, Nelly, Patricia
- et celles qui en ont eu, légères ou plus nettes : Claire Bi, Claire Bo, Felina, Marie-Yasmine, Véronique. Des passages ont été des tunnels, l'ennui n'était pas loin, la composition n'est pas claire ; et ce livre, c'est quoi ? Mais ces lectrices, à qui on ne la fait pas, finissent pas rejoindre peu ou prou le concert des groupies.

Qu'est-ce qui a plu ?
- l'originalité du livre : ni un essai littéraire, ni une autobiographie, ni une biographie de Proust, ni... ni... ni..., un kaléidoscope, a-t-il été proposé
- la plume maîtrisée : l'écriture a été louée, fluide en dépit d'un propos parfois exigeant
- l'humour a été remarqué, voire le comique
- le mélange des références mainstream et érudites permet d'y trouver son compte
- des scènes prennent un relief tout particulier, avec un art de les agencer et des émotions à la clé
- le lien entre la littérature (Proust) et la réalité (l'histoire de la famille de la narratrice) est un ressort romanesque qui a pu séduire
- ne négligeons pas un aspect documentaire, nulle d'entre nous ne fréquentant de princesses (pas encore du moins)
- et enfin, a été apprécié le bel hommage au pouvoir de la littérature.

La succession des avis

Marie-Yasmine (avis transmis d'une nouvelle participante à Lirelles la prochaine fois)
Je dois avouer que la lecture de l'ouvrage de Laure Murat a été un voyage tortueux. L'aridité de la première partie du livre, et surtout sa froideur de catalogue, m'ont plongée dans la perplexité et parfois je dois avouer l'ennui. Les travers de son milieu, qu'elle décrit avec une clairvoyance impressionnante, elle semblait les reproduire dans son écriture, et par conséquent elle démontrait ne pas s'en être extraite. C'était très troublant et un peu énervant. J'en étais réduite à maugréer en lisant devant un tel manque de recul sur elle-même, un comble !
Et soudain, la libération. L
e chapitre sur le château de son grand-père recèle toutes les émotions qu'on avait envie de lui arracher : enfin on comprend qui elle est et ce qu'elle ressent. Et ensuite c'est le même kaléidoscope qu'elle décrit chez Proust qu'elle nous offre. Elle ouvre les portes du château et nous libère de cet étouffement dans lequel elle nous avait plongés, finalement à dessein.
Le monde est en mouvement et nous aussi. Elle nous emmène dans toutes ses émotions, elle nous offre le recul et brise la prison familiale de l'immobilité et réussit la prouesse de nous sauver aussi, alors même que nous ne savions pas que nous étions perdus. La fin magistrale et percutante donne alors tout son sens au voyage dans lequel elle nous a emmenés.
J'ai hâte de connaître vos avis.

Nathalie (dont nous lisons également les réactions à haute voix en début de séance)
J'ai bien aimé le livre. Je ne connaissais pas Laure Murat et je n'ai pas lu non plus La Recherche de Proust, seulement quelques passages. J'ai apprécié l'écriture, la structure du livre, le va-et-vient entre l'œuvre de Proust et la vie de l'autrice. Je trouve Laure Murat captivante, cultivée et très intelligente. J'ai adoré sa description de l'aristocratie et l'évocation de sa généalogie. J'aime son auto-dérision, son humour, sa capacité à établir la bonne distance, son discernement lorsqu'elle évoque la vacuité existentielle à laquelle elle a su échapper en cessant tout contact avec sa famille, sa prise de hauteur. Remettre Marcel Proust au goût du jour, il fallait oser ! (Je parle bien entendu de jeunes lecteurs à qui il est difficile de faire lire une nouvelle de 30 pages...).
Défendre la thèse que le fait de lire et surtout de relire - autrement dit d'accéder au(x) savoir(s) - permet de se comprendre soi et de mieux appréhender le monde, est une idée qui a une résonance particulière en ces jours funestes...
Belle séance à vous.

Véronique
J'ai lu 300 sur 400 pages sur mon téléphone - ce qui est beaucoup mieux que d'habitude…
J'ai apprécié ce qui concerne le rapport à la lecture de Proust : le fait que ce n'est pas difficile à lire.
Mais Laure Murat met du temps pour se mettre à parler de sa famille. Quand elle évoque sa mère, là cela commence à donner du sens au livre.
En effet, les va-et-vient avec Proust ne me parlaient guère. Idem pour les passages avec le père qui m'ont intéressée.
Le rapport avec sa sœur aurait pu être développé.
Ce qui concerne les gens de sa famille qu'elle retrouve dans La Recherche m'a paru anecdotique.
Elle décrit énormément de choses à propos de l'œuvre de Proust ; elle suggère que le majordome est dans La Recherche, mais ce n'est pas sûr. J'ai bien aimé le passage où Proust, rentier, est pris dans une rafle dans une maison close...
J'ai apprécié la façon dont elle écrit.
Mais il y a un décalage entre ce que j'ai entendu à la Maison de la poésie et le livre : car celui-ci était présenté comme un livre sur sa famille. Or c'est long à arriver... C'est donc le début qui m'a posé problème : certes il enrichit le livre, mais je ne m'y attendais pas.
J'ai hâte de le finir pour avoir une vision d'ensemble.

Laetitia
Le titre est un ovni : Proust, roman familial. A-t-on affaire à un roman ? Une biographie ? Une autofiction ?
C'est un livre "kaléidoscopique".
Il est intéressant au-delà de cette recherche de soi à travers La Recherche, car Laure Murat s'interroge sur la littérature. Quel est le pouvoir de la lecture ? La dernière phrase : "Il ne serait pas exagéré de dire que Proust m'a sauvée" est extrêmement forte.
J'ai aimé le style, même si j'ai trouvé des mots complexes.
La construction est intéressante, avec ses chapitres courts que j'ai appréciés : on part d'un point A pour arriver à un point B, comme une démonstration.
Le charme du livre vient aussi du lien entre la réalité et la fiction. Ce n'est pas banal de retrouver et de connaître des personnages réels dans un roman. Elle parle ainsi d'un "effet de réel dans la fiction". Et grâce au roman, elle accède à elle-même et sa famille.
Il y a également beaucoup d'humour.
C'est parfois un peu "complexe", universitaire, avec des références appuyées, par exemple à Barthes à propos des noms p. 74. Ou à propos du "pacte de lecture", renvoyant aux travaux sur l'autobiographie de Philippe Lejeune. En fait, chaque chapitre renvoie à la théorie littéraire ; et si on la connaît un peu, cela éclaire le livre.
Le style est fluide et malgré tout très agréable.
Il y a beaucoup de recul, d'intelligence sensible.
Dans le dernier tiers, j'ai apprécié qu'après le pouvoir de la littérature, elle se consacre à des lieux ; ce qui renvoie au lien entre littérature et géographie - je pense là à Julien Gracq. Il y a une analyse fine entre littérature et lieux à propos du château, de la ville de Los Angeles. C'est fortiche.
À la fin, elle s'adresse à tout le monde : oui, la littérature peut être utile et salvatrice.
J'ai beaucoup aimé ce livre et au-delà du livre, j'ai découvert une femme chouette.
J'ai acheté Flaubert à la Motte-Picquet, Ceci n'est pas une ville (sur L.A.)... À suivre !

Joëlle L
J'aime beaucoup ce que fait Laure Murat (et la personne aussi), j'aime beaucoup Proust (que j'ai lu !). Et les deux ensemble, j'ai beaucoup aimé.

Ce n'est pas une autobiographie, ce n'est pas une analyse de la Recherche, c'est tout ça à la fois, et en mieux.

Il y a un jeu de ping-pong entre les deux, des jeux de miroir et j'ai adoré cette manière. Exemples :
- Downtown Abbey / petite madeleine : les deux déclenchent un livre, font affluer des souvenirs. Chez Laure Murat, ça donne les souvenirs d'enfance, de famille + le souvenir des lectures de Proust. J'ai trouvé ça très fin, très habile et ça m'a immergée dans le sujet du livre.
- Le chapitre "Voix impénétrables du passé" est une réflexion de Laure Murat sur le temps, la chronologie, qui sont de grands thèmes proustiens.

J'ai aimé aussi l'érudition, vaste et sans pédanterie, qui inclue les séries TV (Downtown Abbey déjà cité + Le Prisonnier, les Brigades du Tigre…) et la BD (Astérix).

J'ai beaucoup aimé le style (ma marotte personnelle !). C'est écrit sur le ton de la conversation, dans une langue claire et sobre, parfaitement fluide. Le travail ne se voit pas, c'est la classe. J'ai vu le professeur vulgarisateur à l'œuvre. Bravo, c'est vraiment brillant.

Il y a des moments d'humour et d'autres carrément très drôles :
- les quiproquos sur le titre nobiliaire : la mère qui ne peut pas retirer un paquet à la Poste à cause de S.A. devant son nom, le notaire qui pense que Princesse est un prénom, le type du Parc Monceau qui rappelle sa chienne…
- l'incongruité au moment de la mort du grand père : "Monsieur le Duc est mort, tuez six cochons"
- le père dans l'autobus : là, j'étais pliée de rire tellement je voyais et j'entendais la scène.

Et puis il y a une grande pudeur (de classe : on ne pleure pas comme une domestique) pour parler du rejet dont elle a été l'objet par sa mère et qui commence bien avant sa sortie du placard : "Ça, c'est le numéro 3". La famille qui s'aligne ensuite sur le rejet de la mère…, ça fait froid dans le dos.

Mais à présent, je pense, avec une joie peut-être mauvaise, à la tronche que doivent faire le frère et les sœurs depuis que le livre est paru et qu'on en parle. Ils savent que tout le monde sait maintenant qui ils sont. Et si jamais ce livre avait le Goncourt, alors là…

Pour conclure, un peu de publicité pour Le Refuge, fondation qui recueille les jeunes LGBT mis dehors par leur famille. Parce que si Laure Murat avait les moyens (culturels et matériels) de surmonter ce rejet, ce n'est pas le cas de tout le monde. Pour faire un don, c'est ›ici.

Felina
Mon avis est plutôt mitigé. La composition du livre m'a un peu déroutée… Essai, autobiographie, hommage à La Recherche, biographie de Proust…

Dans la première partie du texte, celle où la forme "essai" est prévalente, l'écriture est parfois compliquée et exigeante. J'ai tout de même été impressionnée par ses phrases dans lesquelles il n'y avait pas un mot de plus que le nécessaire. Un choix des mots exacts et précis. J'ai retrouvé dans son style les traces de l'aristocratie familiale dont elle parle, comme un exemple de tenue, une référence au "il faut tenir son rang".

Ses réflexions et son analyse sur la vacuité de l'aristocratie ne m'ont pas ennuyée, mais pas vraiment intéressée non plus.

J'ai préféré les parties autobiographiques autant pour la forme que pour le contenu. Son écriture est plus fluide, belle et riche tout en restant érudite.

J'ai eu parfois le sentiment de lire un essai universitaire lorsque des phrases étaient mises en évidence en italique, comme des définitions dans un texte scolaire.

Toute la sophistication de la première partie disparaît dans la deuxième laissant place à un vrai plaisir de lecture.

J'ai été intéressée par tout ce qui faisait référence à l'œuvre de Proust. Je n'ai pas lu toute la Recherche mais seulement le premier tome et, ce qui est extraordinaire, et le livre de l'auteure en est l'exemple, c'est que tout le monde peut retrouver des parties de sa propre vie dans l'œuvre de Proust, une aristocrate comme Laure Murat tout comme une Italienne de province. Le livre de Murat est réussi dans le sens qui m'a donné envie de poursuivre la lecture de la Recherche.

En conclusion, peut-être ce qui m'a le plus plu dans le livre c'est le style de l'écriture, aussi éclectique que le contenu. J'ai aimé la maîtrise de l'auteure des différents registres : langage universitaire, récit historique, registre intime de l'autobiographie jusqu'à quelques élans lyriques. J'aimerais lire un vrai roman écrit par Laure Murat.

Patricia
Je serai brève car je viens de terminer le livre et je n'ai pas eu le temps de l'analyser. Car il est plutôt complexe et riche par la forme et son contenu. Je peux déjà dire que je l'ai adoré vraiment. Il y a beaucoup de choses à dire, mais je n'ai rien formalisé. Et je suis d'accord a posteriori avec l'analyse faite par les autres, notamment Laetitia. J'en resterai donc à mon ressenti immédiat.

J'ai adoré la partie sur Proust qui m'a donné envie de lire plus que le premier tome de La recherche que nous avions lu à Lirelles. C'est la première fois qu'un texte a les arguments qui me donnent envie de lire Proust.

J'ai aimé la partie sur sa vie et le parallèle avec La Recherche. J'ai trouvé Laure Murat très émouvante, surtout à la fin, quand elle nous parle de sa relation avec sa mère et sa famille en général.

L'écriture est magnifique et malgré la complexité, j'ai trouvé facile à lire. Laure Murat a eu beaucoup de chance d'avoir lu La Recherche à l'âge de 20 ans, ce qui l'a aidée à sortir de sa condition d'aristocrate et ce roman ne l'a pas quittée tout au long de sa vie au point d'en avoir fait son métier !!!

Donc, conclusion : j'ai trouvé ce livre passionnant. Et pourtant j'avais été déçue par les émissions/interviews où elle apparaissait et répétait à chaque fois la même chose, qui ne reflétait pas la richesse du livre.

Joëlle
Et tu étais réticente à le lire (Patricia opine de bonnet) !
Tu as été retournée par Laure Murat (Joëlle est visiblement ravie du bon tour que Laure Murat a joué à Patricia)...

Patricia
Au fait..., je me demande qui est Céline à qui elle dédie le livre...

Claire Bo
Une enquête à mener... Comme vous toutes, j'ai de nombreux points positifs à lister :
- J'ai moi aussi trouvé la première page formidable : elle nous attrape et nous entraîne avec une anecdote pleine de sens.
- Comme dans le livre précédent que nous avons lu Des Américaines à Paris, j'ai aimé retrouver des noms dans le livre, avec plaisir et complicité : outre Proust dont nous étions allées visiter la maison, nous avons lus à Lirelles Colette, Annie Ernaux, Marguerite Yourcenar, Monique Wittig, Marguerite Duras, Chantal Akerman, Cocteau, Anne Garréta, Djuna Barnes, Emily Dickinson, Vita Sackville, Violette Morris (ou sur qui nous avons lus : Liane de Pougy, Sylvia Beach, Elisabeth de Gramont) ; et moi qui adore les salonnières, j'ai aimé croiser Mme de Boigne qui « déplorant la disparition des codes aristocratiques, regrettait "ces formes, qui donnaient un vernis de grâce à l’immoralité" »... : pas gênée la Boigne !
- C'est surtout un plaisir de la pensée, de l'analyse, que j'ai ressenti, dans un style plein d'esprit, rythmé ; une pensée qui se déploie et qui crée du plaisir par la forme, par le style : ainsi « s'enchevêtrent, à un carrefour inattendu, la fiction et la réalité, le roman et l'histoire, la littérature et la vie ».
-
Il y a des moments extraordinaires liés à sa famille : les objets étonnants qui représentent un « instantané de l'histoire en même temps que la preuve palpable que "nous l'avions faite" », un univers de conte, avec bien sûr un château où est organisée une soirée de 1800 invités, dont les habitants ne jouent même pas un rôle c'est pour de vrai (« À la maison, chaque repas était annoncé par "la Princesse est servie". Ma nurse ne parlait jamais autrement de mon père et de ma mère qu'en disant "le Prince" ou "la Princesse", ou de mon grand-père maternel qu'en disant "Monsieur le Duc", habitude qu'elle conserve aujourd'hui, à l'âge de quatre-vingt-dix-sept ans »), où comme dans Cendrillon la marâtre, la mère est particulièrement méchante (la relation avec la mère, personnalité étonnante, est fascinante : imaginons Laure Murat, travaillant à côté de cette mère-là, à la BNF...)
- J'ai trouvé les parallèles avec Proust convaincants.
- J'ai moi aussi été sensible à l'humour, voire à un art de la scène comique, par exemple -  et pardon d'être longue en la citant - à propos d'« une certaine netteté de la prononciation où entrait une façon de détacher les mots et les syllabes par correction (j'entends : par correction pour les autres, afin de se faire comprendre), d'insister sur certaines consonnes, de donner de l'effet aux fins de phrase, bref, ce qu'on appelle un accent de classe. Une année, une de mes sœurs avait spontanément adopté le tic d'une de ses professeures d'école qui ajoutait des "eu" traînants à la suite de certains mots, comme dans "Je suis allée à la piscin-eu", sonorisation du e muet que la linguistique appelle "e prépausal". Je vois encore la panique sur le visage de ma mère, comme si la famille Groseille au complet avait pris possession du larynx de ma sœur. » Celle-ci est donc menacée d'être envoyée sur-le-champ chez l'orthophoniste donc si elle n'abandonne pas cette façon de parler comme "la fille de la concierge" : faut le faire !
J'ajouterai un côté ludique, qu'on retrouve avec la présence du chien sur scène à la Maison de la poésie ; Laura Murat est joueuse, elle joue d'ailleurs avec les mots : proustige, proustidigitateur...
- J'ai trouvé l'hommage à la littérature, à sa force émancipatrice, empreint de sincérité, sans pose, que ce soit vis-à-vis de Proust reçu dans sa famille - c'aurait pu faire chic (reçu dans sa famille) - ou de l'aristocratie - c'aurait pu faire « démagogue » (voyez comme je suis simple, moi qui viens de la haute). J'ai d'ailleurs apprécié son ambivalence, formulée avec finesse et noble élégance : « Mon ambivalence vis-à-vis de l'éducation aristocratique se noue à cette intersection, entre un objet d'angoisse (le vide) et un objet de jouissance (la danse). Car comment ne pas être sensible aussi à la singularité de tour des grandes manières, à la grâce recherchée au fondement de tout geste ? La chorégraphie aristocratique, qui dicte et enrobe tout, les actions et les pensées, les comportements et les discours, les conversations futiles et les décisions morales, enveloppe la vie d'une esthétique parfois si séduisante qu'on pourrait la croire fondée. »

Cependant, son admiration pour son père, objet d'un magnifique portrait, est sans réserve, au point qu'il ne semble pas atteint par tout ce qu'elle dénonce de son milieu, n'est-ce pas étrange ?
Mes réserves sont les mêmes que pour le livre que nous venons de lire, Des Américaines à Paris. Comme dans le livre précédent, j'aurais aimé des photos, notamment pour voir la galerie de portraits et les lieux.
Et surtout, comme avec le livre précédent, mon plaisir a oscillé en raison de problèmes d'équilibre : certains passages sur Proust m'ont paru pénibles, entre des morceaux délectables. Comme dans le livre précédent, j'ai eu des difficultés à voir la composition d'ensemble, comment le livre progresse : l'auteure a-t-elle prévu une architecture claire ? Si oui, je ne l'ai pas vue. Je rejoins en partie Patricia sur ses (nombreuses) prises de parole : il n'y a pas de réflexion sur son écriture, sur son livre en tant que tel.

Laetitia
Cela vient aussi du questionnement des journalistes.

Claire
Oui, mais elle est bien trop maligne pour ne pas pouvoir faire passer ce à quoi elle tient : or elle raconte des histoires, comme si elle n'avait pas composé un livre : il s'agit bien d'un livre littéraire et non d'un documentaire.
Paradoxalement, ai-je pensé en lisant le livre, je ne suis pas sûre que son livre fasse lire Proust ; or, à vous entendre, je me suis plantée. En tout cas, j'ai bien aimé d'ailleurs les chiffres qu'elle donne sur la lecture des tomes qui baisse numériquement au fur et à mesure des tomes.
En dépit de ces réserves, je me réjouis que nous ayons remplacé La fille aux yeux d'or de Balzac par cette fille aux yeux bleus et je me réjouis aussi du succès de son livre que je trouve original et dont la lecture vaut vraiment la peine.

Nelly
Sans avoir été préparée par sa présentation à la Maison de la poésie et de ce que j'ai lu ou écouté autour du livre avant de l'aborder moi-même, j'aurais eu beaucoup de mal. Au passage je ne peux quand même pas résister à vous présenter la dédicace de Laure Murat pour Lirelles. Je lui avais dit trois mots lors de la signature : qu'elle avait détrôné Balzac (notre précédent choix)
! Et cela l'a plutôt flattée...

Je dirais donc que ce n'est pas un livre facilement accessible, c'est à la fois riche, difficile, et très construit intellectuellement. C'est un livre exigeant.

Ce que j'en ai ressenti au fil des chapitres est assez varié, comme la succession des chapitres eux-mêmes. J'ai dû m'accrocher quand il s'agissait de la description de la généalogie Murat, j'ai dû faire appel à ma mémoire quand des extraits de Proust étaient cités (heureusement j'ai lu en partie la Recherche, et même dernièrement en bande dessinée), mais surtout j'ai été bluffée par cette habileté qu'a Laure Murat de passer de l'autobiographie à l'analyse littéraire de haute volée, de ses parallèles entre le temps de Proust, ses propres héritages familiaux, son éducation, puis le rejet de son éducation et sa propre ambigüité parfaitement maîtrisée.
Son humour est très bien dosé en particulier les anecdotes amusantes où elle rapporte des scènes de gens de sa famille (les excentricités de son père ou les principes radicaux de sa mère) et qui sont en complet décalage avec la réalité. Son style est lisse bien qu'assez sophistiqué (personnellement j'ai appris des mots !).

Claire Bo, outrancièrement prétentieuse
Ah bon...

Nelly
Cela en fait un livre très subtil.
Contrairement à qui a été dit précédemment dans le groupe au sujet de Proust, où chacun chacune peut s'y retrouver, je n'ai pas éprouvé de possible identification possible au parcours de Laure Murat. Je ne pense pas de toute façon qu'elle ait cherché à rendre son roman "universel". Pour autant je remarque qu'il s'intitule bien roman, même s'il ne se lit pas comme un roman !

Je voudrais aussi revenir sur ce que j'ai perçu de son ambiguïté : dans certains passages elle ironise sur les comportements de son milieu aristocrate, mais je ne suis pas certaine qu'il ne lui en reste pas quelque chose, ce qui n'est pas déplaisant.
Aussi, puis-je ajouter un commentaire personnel au sujet de la fameuse "retenue" et de la soi-disant vertu aristocratique décrite dans la scène où sa mère parle des pleurs d'une domestique (la fierté de ne rien laisser paraître quand on appartient à une classe dominante !) ? Il me semble que bien gérer ses émotions n'est pas forcément lié à l'appartenance à une classe : les domestiques aussi peuvent savoir rester rigides et sur leurs gardes s'il s'agit de protéger leurs intérêts. Me suis-je trop fiée aux références de la série Downtown Abbey que j'ai suivie autrefois avec engouement ? (Tiens, mais justement elle est mentionnée dans les premières pages !)

Dans les deux derniers chapitres, j'ai enfin eu le sentiment de mieux comprendre ses interprétations et ses commentaires sur le mouvement en opposition au changement, sur la solidité opposée au précaire et sur l'infini par rapport au cadre rigide.
J'ai apprécié le titre du dernier chapitre : "La consolation', aussi évocateur qu' "à la recherche du temps perdu".

Agnès
J'ai adoré cette lecture. Je trouve tout d'abord magnifique qu'un livre puisse permettre à quelqu'un (quelqu'une en l'occurrence) de s'émanciper d'un carcan familial et de classe et de pouvoir vivre plus harmonieusement son homosexualité/son lesbianisme. De trouver sa vérité et la paix. Laure Murat dit que ce livre l'a sauvée. La littérature a bien des atouts et des pouvoirs. Actuellement, à titre personnel et dans le contexte actuel, j'apprécie grandement le fait qu'elle me permette de m'évader et de réfléchir.

J'ai été extrêmement séduite par plusieurs caractéristiques et qualités du livre :
- son analyse fine de l'œuvre de Proust, qui est LE livre que j'emporterai sur une île déserte (sans grande originalité). Laure Murat m'a aidée à mieux comprendre le projet et la démarche de Proust. Par ailleurs, j'imagine très bien le trouble qu'elle a pu ressentir (pour l'avoir vécu, à un niveau bien moindre, un aïeul étant le héros d'un conte traditionnel breton) quand elle a lu La Recherche et qu'elle s'est rendu compte qu'y apparaissaient plusieurs membres de sa famille : quel télescopage entre réalité et fiction ! On ne sait alors plus ce qui appartient à l'invention littéraire et à la vie objective ;
- son humour lorsqu'elle décrit certaines situations : sa mère qui ne peut retirer un colis à la Poste parce qu'il est adressé à S.A. (ce qui signifie son altesse et non Société anonyme), lorsqu'elle-même se retourne au parc Monceau sur un monsieur qui appelle sa chienne Princesse, le notaire qui croit que Princesse est un de ses prénoms, etc. ;
- sa description du monde aristocratique, qui exerce à vrai dire sur moi, issue d'un milieu populaire, une fascination certaine. Elle explique bien les différences entre la noblesse d'Ancien Régime, d'Empire, d'épée et de robe, les valeurs de cette classe, ses habitudes et travers. J'ignorais par exemple qu'il est d'usage de donner des surnoms ridicules aux membres de son entourage dans l'aristocratie, je pensais qu'au contraire c'était l'apanage des milieux populaires. J'ignorais que seul le titre de princesse était transmissible aux filles. Sur ce sujet, elle est très critique, elle évoque un monde vide, cruel et hypocrite, qui ne peut faire que le malheur de ses membres en ne les autorisant pas à être eux-mêmes. Je trouve d'ailleurs que la charge est trop forte pour être réelle, mais elle est certainement proportionnelle au traumatisme du rejet qu'elle a subi, qui est véritablement affreux.

Au sujet de son style, j'ai trouvé qu'elle avait une très belle écriture, élégante et claire dans son propos, avec un niveau de langue élevée (ce qui fait penser à ce qu'elle décrit de son milieu d'origine sur l'importance d'une maîtrise de la langue).

J'ai aimé le mélange des sujets évoqués, La Recherche de Proust et l'aristocratie, thématiques assez élitistes, et les références à la pop culture (les séries Downtown Abbey, Le prisonnier et Les brigades du Tigre, le personnage de BD Obélix).

Bref, j'ai adoré ce livre qui m'a donné l'envie furieuse de relire La Recherche. Je vais toutefois me calmer et me contenter de relire cet ouvrage d'Alain de Botton dont le propos rejoint ce qu'a décrit et vécu Laure Murat : Comment Proust peut changer votre vie.

Et, pour finir, j'adhère totalement à ce qu'elle a brillamment expliqué sur la scène de la Maison de la poésie au sujet du rapport entre compagnon/compagne humain.e et chien.ne (le caractère archaïque de ce lien et sur ce qu'il restaure).

Muriel
On m'a interdit de dire que j'ai fait ma maîtrise sur Proust et que j'ai connu Jean-Yves Tadié...

Laetitia
Il était mon professeur !

Claire Bo
Muriel a l'habitude de ne pas parler du livre...

Muriel
Mais si ! J'ai bien aimé le livre de Laure Murat.
Tu aurais dû l'inviter, Nelly !

Nelly
Je n'ai pas osé...

Muriel (reprenant le fil consistant à ne pas parler du livre)
Savez-vous ce que veut dire ANF ?

Suivent diverses hypothèses farfelues...

Muriel
L'Association d'entraide de la Noblesse Française qui vient au secours des nobles nécessiteux (!)
que j'ai découverte car la sœur de ma mère a épousé un baron (l'ANF a été créée en 1932 par un groupe de descendants de familles nobles qui, attendant un train à Paris et s'apercevant que leur porteur de bagages était lui aussi descendant d'une famille noble, eurent l'idée de créer une association qui viendrait en aide aux nobles dans le besoin...) : je détestais ce baron, horriblement de droite, et tout ce qui va avec...
Le livre ? Ce n'est pas le style qui m'a le plus emballée dans ce livre Proust, roman familial qui n'est pas un roman et que j'ai aimé. J'ai trouvé abominable la mère qui envoie ses deux enfants déshériter leur sœur Laure Murat.
Quant aux personnages de La Recherche, on savait déjà qui avait inspiré qui. Mais que ce soit sa propre grande tante, ou son cousin qui soit dans la Recherche, c'est pas mal !

Claire Bi
Pour commencer j'ai aimé son écriture, sobre et (très) maîtrisée. On sent comme elle le dit qu'elle a mûri cette histoire pendant longtemps. Au début elle frôle parfois le risque de faire les questions et les réponses, mais finalement elle évite l'écueil et poursuit en alternant des chapitres assez différents pour qu'on ne relâche pas l'attention, même si j'ai failli à une ou deux reprises quand elle s'embarque dans un tunnel proustien, sûrement jubilatoire quand on connaît bien l'œuvre et le milieu du Gotha d'hier et aujourd'hui, mais un peu raide pour moi.

Pourtant ce sont les images en miroirs et ses mises en abyme compliquées qui m'ont accrochée, de son lignage familial avec l'Histoire de France, qu'elle fait partir du carnaval des aristos ou des objets exposés dans la demeure familiale. Les artefacts entreposés dans des vitrines sont d'un côté aussi surréalistes que les reliques religieuses, mais finalement aussi évidentes que les objets exposés dans les musées nationaux. Sa vieille Pléiade annotée par son père (l'anecdote qui se conclut par « et Proust le sait bien » est géniale), qui contenait un texte qui allait la déciller, lui renvoie aussi l'écho de la lecture que, lui, en avait eue des années plus tôt et dont elle nous donne quelques indices, entre autres portraits de famille. Elle nous emmène petit à petit dans des strates d'histoire étrangement familière, qui se mêlent aux strates de la Recherche. De là où elle écrit, Laure Murat avait forcément une position unique pour nous parler de Proust, à la fois érudite et intime. Son histoire avec le livre-ami qui aide profondément à prendre du recul sur soi et le monde et à en saisir quelque chose m'a parlé, de même que celle de son rapport avec ce milieu et des étapes par où elle est passée pour le voir tel qu'il est.

Elle fait des mises en abyme dans le temps aussi, qui paraît à la fois très long et très condensé, comme si les empires étaient encore là avant-hier, une ou deux générations à peine avant Proust lui-même (le petit journaliste dont sa grand-mère disait avec un ton de noble ennui qu'elle le mettait en bout de table !). Cette noblesse d'Ancien régime ou d'Empire, qui fait partie de sa vie et amène cet étrange reflet de sa lignée familiale dans la Recherche et nos représentations, a un côté vertigineux. C'est là aussi qu'elle a failli me perdre, entre la thèse et les mondanités, mais le sérieux et la concentration qu'elle met à donner à déplier le kaléidoscope m'a attachée au livre. J'ai appris des choses (rivalité entre noblesses, inculture). Je pense que sur une thématique qui touche à ma famille, je pourrais complètement plonger comme elle dans la recherche de signes. Même plaisir qu'écouter les Pinçon-Charlot.

Les scènes d'enfance, données par petites touches, sont très bien rendues, très visuelles. Très beau portrait de son père (la scène du bus, le « alors raconte », les discussions possibles dans cette grande maison froide où on se vouvoyait et où il fallait se tenir.). Violence des rapports avec sa mère, personnage complexe, non réductible. Mais quand même, pour finir, être contente de savoir en refermant le livre que LM est partie vivre sa vie comme elle l'entendait aux USA.

Brigitte
J'ai lu le livre de Laure Murat avec du retard, pendant une période où j'avais bien d'autres choses à lire, donc en lisant par bribes, petit à petit, aidée en cela par la construction en chapitres distincts. Donc, contrairement à certaines, la construction ne m'a pas gênée, au contraire.

J'ai passé très vite sur la première partie décrivant l'atmosphère familiale, qui me rappelait celle, étouffante, de la famille d'une amie il y a très longtemps, J'ai lu avec beaucoup d'intérêt les portraits des parents, mais j'ai surtout été fascinée par celui de la mère, avec son poids d'ascendance inconnue, un peu mystérieuse, comme l'autre versant de la rigidité implacable de son attitude envers sa fille.
Le reste est progressivement déroulé jusqu'à aboutir à la conclusion finale qui n'a rien d'inattendu quand elle arrive : Proust m'a sauvée.

L'autre raison, cependant, pour laquelle j'ai lu le livre in extremis est qu'il était en compétition avec le roman de Louise Erdrich The Sentence au programme de la prochaine séance, et qu'il fallait que je me retienne pour ne pas me replonger dans ce livre-ci plutôt que dans l'autre.
Donc j'attends avec impatience le mois prochain pour la discussion sur Erdrich.

Claire Bo
Je voudrais évoquer un livre auquel celui de Laure Murat m'a fait penser : Mars de Fritz Zorn, un livre que j'ai beaucoup aimé, qui commence par ces mots : « Je suis jeune, riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul. » Dans sa famille de la vieille bourgeoisie protestante fortunée de Zurich, les règles de la bienséance régissent l'intégralité de sa vie familiale ; tout est fait pour que les choses soient harmonieuses, pour qu'il n'y ait pas de désaccord. Ainsi, lorsqu'une personne affirme une chose, les autres ne font rien qui pourrait la contredire ; au contraire, il faut toujours aller dans le même sens, ce qui donne lieu à une surenchère d'accords superficiels. Le narrateur finit pas développer un cancer de la gorge, là où les mots sont coincés... Heureusement, Laure Murat a rencontré Proust...

Par ailleurs, si le livre nous plaît, c'est intéressant de voir qu'il peut déplaire pour des raisons autres que littéraires... Voici la fin de la critique de Causeur classé à (l'extrême-) droite, une critique très positive, jusqu'à ce dernier paragraphe titré « Remarquablement maîtrisé sur la forme mais… »

« Pourtant, si on convient des qualités indéniables d'un ouvrage, en quelque sorte "consubstantiel à son auteur", on n'en déplore pas moins les moments où celui-ci tourne à la propagande forcenée pour la cause LGBT. L'essai, remarquable par l'érudition qu'il vulgarise et la plaisante maîtrise du français qu'il remet au goût du jour se disqualifie ainsi malheureusement. Dans des chapitres aux intitulés militants tel que : "Universaliser le sujet minoritaire", surgissent de funestes mots-bubons écrits en écriture inclusive. Semblables à des Velux sur le toit d'une cathédrale, ils dénaturent un bel ensemble : "On m'a souvent posé la question de savoir pourquoi ma famille m'avait unanimement réprouvée, alors qu'à en croire Proust l'aristocratie compte tant d'homosexuel.les supposément admis.es dans son cercle." On reconnaît qu'on aurait dû se méfier et tempérer un enthousiasme initial par trop vif puisque, dès les premières pages, on devinait d'où parlait l'auteur qui assenait littéralement, comme pour lester sa parole du poids du sacré : "Je n'ai pas d'enfants, je ne suis pas mariée, je vis avec une femme, je suis professeure d'université aux États-Unis, je vote à gauche et je suis féministe." Qu'importe, comme l'époque veut que le bon grain soit désormais mêlé à l'ivraie, ça se lit et on passe un bon moment. »

(Un froid règne après cette lecture...)

Quelques images
LA TANTE DE LAURE MURAT...
« Au cours de mon enquête, j'eus la bonne surprise de découvrir l'existence d'une tante, Violette Ney d'Elchingen (1878-1936), devenue par mariage la princesse Eugène Murat, propre sœur de mon arrière-grand-mère, que ma famille s'était bien gardée de mentionner devant moi. La formidable photographie de Berenice Abbott, prise à New York en 1929, me dispensait de toute élucidation quant à cette exquise discrétion. Silhouette imposante, cheveux courts, cigarette à la main et regard ténébreux, Violette, sorte de Monsieur Bertin moderne, tranche avec tous les portraits mondains qui garnissent habituellement les salons, où taffetas, rubans et drapés moussent et prolifèrent.
Son regard sans concession, tout de face, son refus de sourire sont les mêmes que l'on observe dans la fresque du grand escalier de la villa Masséna, à Nice, où elle est représentée parmi d'autres membres de sa famille, un poing sur la hanche et la même gravité un peu bravache sur le visage. Jeune, déjà, Violette détonnait. Quelque chose en elle refuse, et maintient. Proust, qui l'a croisée à plusieurs reprises, frappé par l'inadéquation de son prénom et de son allure, aurait suggéré qu'elle "ressemblait plus à une truffe qu'à une violette" … bien qu'il eût reconnu en elle "un certain charme massif" sur lequel, hélas, il renonça, faute de temps, à s'étendre. »
 
Violette Ney d'Elchingen, tante de Laure Murat, était copine avec Winnaretta Singer, la princesse de Polignac (que nous connaissons grâce au livre Des Américaines), amante de plusieurs ravissantes, et chez qui Proust allait (comme le montre cette lettre amicale).

LE CHÂTEAU

Le château de Luynes que Laure Murat a bien connu :

Et voilà le film dont Laure Murat parle, avec une visite de L'HÔTEL PARTICULIER DE LA MAISON MURAT AU 28 RUE DE MONCEAU À PARIS, juste avant sa démolition en 1961, avec les princes Charles Murat, Paul Murat ("le prince Cui-Cui"), Pierre Murat, et la princesse Isabelle d'Harcourt : sur youtube

« Un reportage tourné pour la télévision en 1961 sur l’hôtel Murat, juste avant sa démolition, donne un aperçu de ce monde englouti. Deux journalistes y mettent en scène, avec un mauvais goût consommé, leur curiosité admirative et goguenarde pour les splendeurs déchues du faste 1900. C’est à l’intérieur d’un vaisseau fantôme qu’ils pénètrent. L’ancien pavillon d’honneur est en ruine, les portes de l’hôtel sont garnies de scellés (ils ont été rompus pour les besoins du film, nous assure-t-on), le mobilier et les objets d’art étiquetés en vue d’une vente publique imminente. Si pathétique que soit le documentaire, il m’a absorbée dans une forme de fascination mélancolique. Ce décor intérieur encore intact, c’était celui où Proust avait dîné, conversé, posé ses yeux et pris des notes – comme le confirment ses carnets –, où Reynaldo Hahn s’était produit. Mais c’était aussi celui de l’enfance de mon père, nourri au lait de la vache qui paissait dans le parc. Toutes les mémoires s’y télescopent dans mon esprit : le monde de la Recherche, la légende de mon arrière-grand-mère et les récits de mon père sur sa vie dans cet hôtel.
Deux des fils de mon arrière-grand-mère, morte quelques mois auparavant, sont interviewés dans le film : Charles, colonel en retraite, en train de nettoyer son sabre pour la caméra, surjouant l’officier héréditaire ; Paul, qui raconte des anecdotes insignifiantes de sa voix de tête et reconnaît, devant une cage où pépient des perruches, qu’en tant que président de la Ligue française pour la protection des oiseaux on le surnomme "le prince Cui-Cui" – comment ne pas penser ici à cette manie du gotha de donner des surnoms, de préférence ridicules, fondés sur une répétition infantile de syllabes, dont la Recherche est pleine, de Mémé (Palamède de Charlus) à Babal (Hannibal de Bréauté), en passant par Cancan (le marquis de Cambremer), Grigri (le prince d’Agrigente) et Quiou-quiou (Montesquiou) ? Leurs témoignages sont d’une platitude confondante. On retiendra seulement que le jour où les immeubles modernes commencèrent à gagner sur le parc, leur mère "a tiré ses rideaux, et c’est tout". Elle n’a pas dit un mot. N’est jamais revenue sur le sujet. Ne les a jamais rouverts. Rideau ! – à la lettre.
Le seul intérêt du film, c’est l’interview de Joseph, le premier maître d’hôtel. Un mythe de mon enfance, sur lequel mon père revenait sans cesse. »

PROUST LESBIEN : Laure Murat cite en note un livre qui intrigue, Proust lesbien, paru aux éditions lacaniennes Epel en 2004, d'Elisabeth Ladenson, avant-propos d'Antoine Compagnon, trad. Guy Le Gaufey de Proust's Lesbianism, Ithaca, Cornell University Press, 1999)
          

Peu après notre séance, Laure Murat affirme : "Je ne serais pas arrivée là si...
... Si je n'avais pas été homosexuelle et si, surtant, je n'avais pas assumé ce désir si contraire à ce que la société recommande. L'un ne va pas sans l'autre. Tout découle de là dans ma vie et tout s'y ramène.
" (Le Monde, 6 novembre 2023)


Dans une interview, et non dans son livre, Laure Murat évoque
UN ROMAN que personne ne connaît, Ourika de Madame de Duras, et que nous avons lu à Lirelles :

Elle formule un parallèle entre sa propre ignorance sur son milieu que Proust va réduire et celle d'Ourika concernant le destin auquel sa couleur la condamne dont elle finira - sans Proust, mais grâce à un personnage également extérieur - par prendre conscience. Laura Murat comme Ourika seront « décillées » : « Proust a mis des mots sur le malaise que je ressentais au sein d'un milieu social qui vit dans le mensonge, où tout n'est qu'apparence. J'avais l'expérience mais je n'avais pas le savoir, et il a déplié ce savoir. Dans Ourika, de Madame de Duras, publié en 1823, une petite fille noire, venue du Sénégal et donnée en cadeau par un noble à l'une de ses tantes, est élevée en aristocrate. Elle a les meilleures manières, danse et converse admirablement, et elle ignore qu'elle est noire. »

(« Laure Murat : "Ce n'est pas un hasard si l'écrasante majorité de nos écrivains sont des bourgeois" », propos recueillis par Minh Tran Huy, Figaro Madame, 29 septembre 2023)


FREUD À L'AIDE ?
 
Ce concept nous donne peut-être une clé du titre : « Proust, roman familial ».

Le phénomène auquel se rattache le roman familial est le processus de distanciation entre parents et enfants, processus qui, pour Freud, est indispensable. Le roman familial est une activité fantasmatique inconsciente qui se révèle à l'analyse et qui s'apparente au rêve diurne ; celui-ci, dit Freud « corrige l'existence » et vise deux objectifs, le désir et l'ambition, auxquels le roman familial satisfait lui-même : d'une part, en effet, il sépare, dans le fantasme, le père et la mère, permettant ainsi l'accomplissement d'une partie des désirs œdipiens ; d'autre part, il réalise les souhaits de réussite sociale (le roman familial consiste à s'inventer une autre famille que la sienne propre et à s'imaginer fils de prince, de roi, de riche, quand on est d'une famille modeste)...


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