Alexandre POUCHKINE : Eugène Onéguine, roman en vers, trad. du russe André MARKOWICZ,
Actes sud, 2005, 320 p. ; rééd. Actes sud Babel, 2008, 384 p.

Quatrième de couverture : “Placé du côté de la légèreté, du sourire, le roman de Pouchkine est unique dans la littérature russe : il n’apprend pas à vivre, ne dénonce pas, n’accuse pas, n’appelle pas à la révolte, n’impose pas un point de vue, comme le font, chacun à sa façon, Dostoïevski, Tolstoï, ou, plus près de nous, Soljénitsyne et tant d’autres, Tchekhov excepté…
En Russie, chacun peut réciter de larges extraits de ce roman-poème qui fait partie de la vie quotidienne. A travers l’itinéraire tragique d’une non-concordance entre un jeune mondain et une jeune femme passionnée de littérature, il est, par sa beauté, par sa tristesse et sa légèreté proprement mozartiennes, ce qui rend la vie vivable.

A. M.

André Markowicz, qui s’applique depuis des années à faire connaître la richesse de la littérature classique russe, propose ici une remarquable traduction en octosyllabes rimés du chef-d’oeuvre de Pouchkine.
"Né à Moscou en 1799, tué en duel en 1837 à Saint-Pétersbourg, Alexandre Pouchkine n’est pas seulement le plus grand poète russe, il est à l’origine de la langue russe moderne ; il a lancé tous les débats qui, à travers le XIXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, ont fondé la vie intellectuelle de la Russie."

Eugene Oniéguine, trad. Nata Minor, annexes et notes de Léonid et Nata Minor, Points Poésie, 2018

Amour déçu, trahison, jalousie, regrets. Pourquoi diable ce jeune Oniéguine, bienheureux héritier oisif, s’acharne-t-il à agir avec tant d’emphase ? Est-il guidé par la force de ses sentiments ou par le poids de son ennui ? Cet anti-héros, éternellement suspendu entre le sublime et le ridicule, embrasse un destin à la fois tragique et banal… qui est aussi le nôtre.

Alexandre Pouchkine (1799-1837) est un poète, auteur, dramaturge et romancier russe. Il est notamment l’auteur de La Dame de pique, du Convive de pierre et de La Demoiselle Paysanne.

"La littérature russe est née avec Pouchkine."
Henry Troyat

Alexandre Pouchkine (1799-1837)
Eugène Onéguine (1833)

Nous avons lu ce livre pour le 19 octobre 2025.
Nous avions lu de Pouchkine La Dame de pique en 1993 et La Fille du capitaine en 2022.

Des infos autour du livre en bas de page.

Les cotes d'amour
Brigitte CatherineClaire Eugène Ebodé Jacqueline ManuelMonique L Rozenn
Jérémy Renée
Fanny

LIEN AVEC NOTRE SÉANCE PRÉCÉDENTE
Voici un lien tout trouvé avec notre séance africaine : Kidi Bebey, invitée spécialiste qui était avec nous la fois dernière, est l'auteure d'une série publiée dans Le Monde Afrique l’été 2022 où elle demande à un écrivain "du continent" quels sont les ouvrages qui l’ont le plus marqué.
Parmi "les trois livres qui l’ont marqué", le romancier camerounais au prénom prédestiné Eugène Ebodé commence par Eugène Onéguine : "Parce qu’il me parle tout le temps.  Pouchkine produit une sorte d’extension prémonitoire de lui-même avec ce livre qui raconte presque sa vie. Eugène Onéguine est l’histoire d’un duel entre un poète et son ami et rival. Ils sont amoureux de la même femme. Le poète va mourir lors du duel… et on sait que Pouchkine est mort de la même façon. Mais dans Eugène Onéguine, ce qui est extraordinaire à mes yeux, c’est qu’il chante son Afrique, le continent avec lequel il a un lien ombilical, on ne le sait et ne le dit jamais assez [né à Moscou en 1799 dans une famille de la noblesse russe, Pouchkine était l’arrière-petit-fils d’un Africain dénommé Abraham Hannibal]. Je connais des extraits de ce roman par cœur. Par exemple, il écrit :
La liberté me viendra-t-elle ?
Il est temps, j’ai hâte de fuir
Quand passe un vaisseau, je l’appelle
Avec lui je voudrais partir
Quand donc commencera ma quête/
Parmi les vagues, les tempêtes ?
Quand donc braverai-je le vent ?
Oui ! Tout quitter ! Il est grand temps
Quitter ces rives ennuyeuses
Me réfugier dans le lointain
Et là, sous mon ciel africain
Regretter la Russie ombreuse
Où j’ai souffert, où j’ai aimé
Et où mon cœur j’ai inhumé.

Tout au long de ma vie, je reviens sans cesse à ce texte !
"

(8 autres auteurs africains indiquent à Kidi Bebey quatre livres qui les ont marqués : Beata Umubyeyi Mairesse, Nétonon Noël Ndjékéry, Emmanuel Dongala, Abdourahman Waberi, Hemley Boum, Chika Unigwe, Tanella Boni, Yamen Manai.)

POUCHKINE, FANNY ET LE CHAMPAGNE
Pouchkine a consacré un certain nombre de poèmes au champagne Aÿ. Dans Eugène Onéguine, il évoque "le vin sacré pour le poète, Le Moët ou le Veuve Cliquot". Et justement, Fanny, qui fête ce soir ses dix ans à Voix au chapitre, a apporté deux bouteilles du vin sacré...

NOS AVIS SUR Eugène Onéguine
Manuel
(avis transmis)
Nous avions Claire et moi assisté à une rencontre avec André Markowicz pour son Dictionnaire amoureux de Pouchkine. À la fin de la rencontre, il nous avait récité les premiers vers d'Eugène Onéguine, en russe, puis en français : magique ! Je me suis également souvenu de la datcha de Tourguéniev (lu l'an dernier) visitée par plusieurs d'entre nous à Bougival. J'ai appris pendant la visite qu'il y avait un mouvement proeuropéen en Russie au XIXe : Tourguéniev et Pouchkine en faisait partie, mais pas Dostoïevski. Ces deux événements ont nourri ma lecture et relecture (oui je relis !).
Pouchkine me fait plonger dans la Russie du XIXe ! Et ce n'était pas gagné, au regard de la forme en vers et grâce à la traduction de A. Markowicz ! Ah les bals, ah les dîners, ah les saisons, ah la neige, ah la vie à la campagne !
Certains vers me sont restés obscurs, mais j'ai essayé de passer. Je suis subjugué par la culture de Pouchkine : il n'avait peut-être que cette activité - celle de lire. Les références sont nombreuses, Wiki a été mon compagnon de lecture, mais cela n'a pas empêché mon plaisir de découverte.
La préface et la postface sont remarquables. Je cite Markowicz : "Sous un régime où la censure était toute puissante, insérer dans un roman une chronique historique ou un tant soit peu politique était de toute façon impossible, même si l'œuvre de Pouchkine ne peut pas se comprendre sans ce besoin de se situer dans l'histoire nationale."
Les vers de la strophe XXIII du 5e chapitre sur les Lumières sont tellement d'actualité ! Et comment ne pas penser à la Russie qui a annexé Odessa en 2014 avec le dernier chapitre du journal (qui fut publié à part). J'étais tellement déçu que ça se termine comme ça : j'en voulais encore ! J'arrête, je suppose que vous direz plein de choses intéressantes ! Sur les chapitres manquants par exemple ! J'ouvre trois fois grand !
Catherine(avis transmis)
Je faisais partie de la team militant pour Eugène Onéguine après Lermontov et la visite de la maison Tourgueniev mais j'ai pourtant eu du mal au début. Les héros romantiques m'assomment un peu. J'avais déjà eu du mal avec le jeune Werther, mais là on en a trois à la fois, deux purs, idéalistes, exaltés et un, sombre, blasé et mélancolique, ça fait beaucoup. J'ai eu du mal à m'intéresser à cette histoire pendant un bon moment et je l'ai même laissé tomber et puis, le déclic s'est fait lorsque j'ai écouté Ça ne peut pas faire de mal et que j'ai entendu Guillaume Gallienne lire les vers d'Eugène Onéguine. Et là j'ai été vraiment saisie par la beauté du texte, je l'ai repris au début et je l'ai lu d'une traite. Et au final, oui c'est un texte magnifique. Je ne suis malheureusement pas en mesure de l'apprécier en russe, mais la traduction de Markowicz est extraordinaire.
Il y a la beauté des descriptions de Saint-Pétersbourg, de Moscou, des paysages de la campagne, la neige, les détails de la vie quotidienne, les émotions des personnages qui sont finalement plus complexes qu'ils ne semblent au début.
J'ai aussi aimé les interruptions du narrateur qui interpelle le lecteur et lui livre ses états d'âme, c'est aussi plein d'humour et d'ironie et les descriptions des personnages sont parfois même parfois carrément drôles.
J'ai aimé les rebondissements (le duel mais surtout, lorsqu'on quitte Tatiana, arrivant, petite provinciale à Moscou, et qu'on la retrouve un chapitre plus loin, princesse, altière, suivie de toute une cour et d'Eugène transi d'amour à son tour.
C'est un texte plus profond qu'il n'en a l'air au début, qui aborde beaucoup de thèmes, l'amour, le destin, la mélancolie, c'est aussi la peinture d'une société.
Je comprends que ça soit un texte culte de la littérature russe. Je l'ouvre aux ¾, je l'aurais probablement ouvert en grand si j'avais commencé par l'écouter.
Ça m'a aussi donné envie d'aller voir l'opéra de Tchaïkovski que je ne connais pas et qui se joue à Garnier en février.

Jérémy(avis transmis)
Avant la lecture : Je n'avais rien lu de Pouchkine. Bien sûr j'avais entendu parler d'Eugène Onéguine, mais sans plus. J'étais tiraillé à l'idée de le lire : d'une part un classique (super !), russe (génial !), d'autre part un roman en vers (bof !). La versification pour moi ce sont les poésies qu'il fallait apprendre au collège et étudier au lycée et ça n'a jamais vraiment été ma tasse de thé. J'avais peur qu'il faille s'y reprendre à trois fois pour comprendre ce que j'allais lire.
Après la lecture : J'ai beaucoup aimé. Je l'ai lu dans la traduction de Markowicz. J'ai lu qu'il lui avait fallu 20 (vingt !) ans pour le traduire. Je n'ai pas encore lu la note du traducteur à la fin, mais j'ai lu la préface et ce qui y est dit sur la différence entre les métriques française, syllabique, et russe, "syllabo-tonique". Je comprends donc que traduire cette œuvre relève du tour de force, surtout en réussissant à lui garder sa légèreté, en conservant les rimes, et le sens de l'œuvre. Bref, c'est beau, c'est très beau, c'est très très beau. J'en ai lu la majeure partie cet après-midi et mis à part quelques passages, je n'ai pas eu besoin de m'y reprendre à plusieurs fois pour comprendre le sens. En plus j'ai appris ou réappris plein de mots, c'est génial : phryné, jocrisse, agreste, églogue, et j'en passe.
Quelques bémols toutefois :
- C'est extrêmement référencé, qu'il s'agisse de références classiques, de références picturales, de références à des auteurs russes tombés dans l'oubli/inconnus (en tout cas de moi...), ou de références à des personnages et œuvres européens. Et comme disent les jeunes, souvent "je n'avais pas la réf" car je suis un ignare complet. À l'exemple de Lovelace, auquel il est fait référence à deux reprises, dont Wikipédia m'apprend qu'il s'agit d'un personnage du roman Clarisse Harlowe (Clarissa) de Samuel Richardson, utilisé comme nom commun pour désigner un séducteur, généralement libertin et peu scrupuleux. Étais-je le seul à ne pas savoir ?
Et quid du "Caton de la critique", chapitre IV, strophe XXXII ? Et Harold ? Bref, j'en passe ! Cela m'a fait penser à cet article du Monde paru dans la série "Lettres d'Amérique" cet été et dans lequel un professeur d'université aux US raconte qu'il fait étudier Le Mythe de Sisyphe et L'Homme révolté à ses étudiants qui n'ont "pas les réf" (Nietzsche, Saint-Just, Dostoïevski, Caïn, Abel, Prométhée, etc.). Enfin, quand je n'ai pas la réf, je n'en veux jamais à l'auteur, mais je me dis que ce sont autant de portes qu'il m'ouvre. Il faut juste espérer que j'aurai le courage de les ouvrir...
- Qu'est-ce qu'il a avec les "petits petons" ? Il était fétichiste des pieds ou quoi ?!
- La succession des saisons et leur description a un peu fini par m'agacer.

Dans un autre registre, il y avait un débat intéressant mercredi matin sur Inter, grosso modo autour de la question "Faut-il encore lire les Russes ?" avec William Marx et Victoire Feuillebois, autrice de Faut-il brûler Pouchkine ?, au cours duquel j'ai appris qu'il avait appelé à l'extermination de la Pologne et avait eu des mots très durs et dénigrants à l'encontre des Ukrainiens, dans des écrits non traduits en français.
Bref, je suis très content de l'avoir lu et si j'ai le temps/le courage je vais continuer de l'étudier encore un peu, ne serait-ce qu'en lisant la note de Markowicz. Je l'ouvre aux ¾.
Brigitte(à l'écran, qui a aussi entendu l'émission)
Même si je connais assez bien la vie de Pouchkine, je n'avais jamais lu Eugène Onéguine.
C'est un classique de la littérature russe et avec les classiques, on est rarement déçu. En effet, j'ai beaucoup aimé cette lecture.
De nombreux Russes savent réciter par cœur plusieurs passages d'Eugène Onéguine. Mais, jusqu'à maintenant, lire un roman en vers ne me tentait pas beaucoup. Et voilà qu'André Markowicz en donne une traduction en vers.
J'ai beaucoup aimé cette lecture. J'admire l'auteur, j'admire le traducteur, j'admire le résultat de leur travail.
La versification en français est très réussie. Markowicz parvient à rendre les nuances de la langue parlée dans les milieux russes élégants de son époque, où l'on favorisait la langue française aux dépens d'un russe devenu maladroit.
Ce texte poétique : très belles descriptions des saisons, du mode de vie dans la campagne russe, des états d'âme des jeunes amoureux.
Même si l'intrigue romanesque est assez classique, je m'y suis intéressée : le duel, la symétrie temporelle entre les sentiments de Tania pour Evguéni et plus tard ceux d'Evguéni pour Tania. La lettre envoyée par chacun d'eux.
J'ouvre en grand.

Monique L
Quelle surprise, cette facilité à lire cette œuvre en vers ! Il faut dire que j'en craignais la lecture : du romantisme en vers, cela risquait d'être lourd et désuet. Mais pas du tout.
L'auteur s'adresse à nous avec malice. Ne parlant pas russe, je ne peux savoir ce que le traducteur André Markowicz a pu ajouter ou enlever à l'œuvre russe, mais le résultat m'a vraiment séduite par le rythme, la musicalité et la richesse des rimes ; il y en a une qui m'a fait sourire où la rime est obtenue en se plaignant de ne pas trouver de rime.
L'intrigue est assez classique pour une œuvre romantique, mais la façon de la traiter est fluide et sans trémolos. C'est d'une grande virtuosité. Les digressions malicieuses du narrateur donnent une certaine légèreté au texte.
La description de la vie mondaine et de sa vacuité est très bien décrite.
La psychologie des personnages est bien observée : Lenski et son optimisme et sa joie de vivre, Onéguine le blasé, Olga d'une grande beauté qui se révèlera infidèle et Tatiana fidèle et sincère, qui est pour moi le personnage le plus touchant. J'ai beaucoup aimée la lettre de Tatiana où elle fait part de son amour à Onéguine. Elle est pleine de délicatesse, de finesse et d'intelligence.
Le retour d'Onéguine à Saint-Pétersbourg où il retrouve Tatiana mariée, transfigurée et fidèle à son mari, malgré son amour toujours présent pour Onéguine, est d'un romantisme fou.
J'ouvre en entier.
Rozenn
Je ne voulais pas lire ce livre, je ne voulais pas me farcir un roman en vers qui est apprécié dans le monde soviétique. Or c'est drôle, léger, plein d'ironie !
J'aurais voulu apprendre le russe pour savoir pourquoi Markowicz l'a retraduit. J'ai suivi avec lui un atelier d'écriture de traduction de l'anglais, c'était fabuleux. J'avais essayé à partir du persan, mais traduire un mot qui correspond à bateau dépend du nombre de rameurs, s'ils sont esclaves ou pas... ça me paraît impossible de traduire déjà, alors la poésie !
Onéguine, c'est drôle, c'est touchant. La description des salons, c'est d'une puissance, et drôle.
Heureusement qu'il y a le groupe pour revenir sur mes préjugés ! Je me suis régalée.
Et le chapitre 10, contre le tsar, c'est incroyable ! Pouchkine faisait partie des décembristes...

La révolte des décembristes le 14 décembre 1825, par Vassili Timm, Musée de l'Ermitage

Et s'il n'a pas agi, il les a défendus. Il a en plus deux censures : celle de la censure habituelle + celle du tsar !
Et qu'il raconte sa future mort !
Tatiana m'a un peu énervée en restant fidèle.
C'est le début de la littérature, ils sont fascinés par l'Occident, ils ont découvert les romantiques anglais, ils essaient de faire pareil.
C'est magnifique ! Il faut que je revoie mes préjugés.

Claire
Dis donc, c'est pas facile de repérer ses préjugés !

Rozenn
Je ne m'attendais pas à être enthousiaste.
Quand je pense qu'en Ukraine, on retire les romans russes des bibliothèques.
Renée(à l'écran)

J'ai lu pour ma part la traduction de Charles Weinstein (2010) qui m'a semblé respecter le vocabulaire du XIXe siècle, donc un peu vieillot. En comparaison, celle de Markowicz
"coule" davantage à nos oreilles de 2025. Je ne connaissais que vaguement l'opéra de Tchaïkovski - juste la trame de l'histoire.
Le texte est très poétique et Pouchkine souligne parfaitement l'égoïsme d'Onéguine, la pureté et la droiture de Tatiana.
Il s'amuse à nous raconter cette histoire, nous prenant à témoin. C'est la première fois que je lis un long poème où l'auteur s'implique avec des anecdotes personnelles au milieu de la narration. Le passage où le narrateur relate son fétichisme pour les pieds des femmes est savoureux, on dirait du vécu. En revanche le duel est expédié en une phrase.
J'ouvre aux ¾.

Duel entre Onéguine et Lenski, Ilia Répine, aquarelle, musée Russe, Saint-Pétersbourg


Duel entre Onéguine et Lenski, Ilia Répine, 1901, huile, Musée National Alexandre Pouchkine, Saint-Pétersbourg
Jacqueline
Je pense comme Rozenn que la poésie ne peut pas se traduire.
J'ai commencé à lire la traduction de Markowicz. J'ai été surprise et j'admire son travail : arriver à traduire en strophes de quatorze vers octosyllabiques rimant à l'ancienne, ce que Pouchkine a mis des années à écrire en parallèle avec autre chose ! Ça se lisait bien. Il y a une certaine légèreté ironique dans le propos. Cependant, je trouvais parfois le ronron de la rime pas tout à fait assez naturel pour que ça coule...
En cherchant une autre traduction, je suis tombée sur le CD (Jacqueline le montre) où Eugène Onéguine est enregistré, en russe par sa mère, en français par André Markowicz et Françoise Morvan, sa compagne : un travail familial touchant qui me renvoyait au plaisir des sonorités d'enfance… ; j'appréciais surtout d'entendre la musicalité du texte russe dit sans emphase, avec un naturel qui me paraissait correspondre à celui que j'avais trouvé dans le propos de Pouchkine…
J'aurais voulu pouvoir le comprendre directement et j'ai trouvé une autre traduction de Jean-Louis Backès (Folio classique, 1996) : c'est avec elle que j'ai fini ma lecture sans, d'ailleurs, remarquer qu'elle aussi respectait la métrique !
J'ai beaucoup aimé l'humour du texte et qu'il soit constamment question de littérature et de livres. La mère de Tatiana pourrait être une Madame Bovary : amoureuse d'un mauvais garçon, on la marie, l'éloigne à la campagne et elle fait des confitures… ceci raconté en deux, trois strophes. J'ai aimé l'humour autour du romantisme, comme autour de la poésie… C'est un comble que le gentil poète Lenski un peu moqué soit victime d'un duel tragique, puis oublié … J'ai aimé le récit des amours d'Eugène et Tatiana dans ce qu'ils ont de décalé, mais avec leur respect de l'autre comme celui des mœurs sociales. J'ai pensé à la Princesse de Clèves
Bref, j'ouvre en grand.

Claire (feuilletant l'intro de la traduction préférée par Jacqueline, sans rime, et la menaçant d'un duel…)
J'ai mis en ligne le début du cd de 14h que tu évoques, Jacqueline, et qui vaut la peine en effet d'être écoutée quelques instants au moins (›ICI).
Je vois que ton Jean-Louis Backès, non seulement évite les rimes, mais n'hésite pas à prendre des libertés : "
J'ai tenté d'atteindre à l'aisance, fut-ce aux dépens de la littéralité. Plutôt ne pas traduire un mot, deux mots, que de faire une phrase qui me paraitrait pataude.
J'ai choisi le rythme, et oublié la rime.
"
Au fait, Markowicz, dans ses commentaires, se réfère multe fois à la traduction d'Eugène Onéguine par Nabokov, qui lui, était un adepte féroce de la traduction fidèle.

Jacqueline (y repense et complète après la soirée)
La littéralité ? Comment traduire littéralement des vers entre des langues de rythmique et de structures différentes ? Il faut bien prendre des libertés quelque part ! Backès le signale et pas Markowicz qui ne parle pas de la difficulté de ses choix. Je l'aime quand même !
J'aurais pu parler de De Luca apprenant le russe pour lire Akhmatova dans le texte ! Ou de Verlaine qui conseillait de tordre le cou à la rime (ce qu'il ne faisait pas !) ??c'était d'ailleurs plutôt à l'éloquence ! Mais il traitait la rime de "bijou d'un sou".
Il me paraît impossible que la traduction de Markowicz en vers, aussi respectueuse de la métrique et des rimes, n'ait pas dû composer avec la littéralité du texte russe... J'ai adoré écouter un peu la musicalité sans emphase de Madame Markowicz. J'avais effectivement l'impression de retrouver les délices des "récitations" de mon enfance ! Et peut-être aussi le plaisir enfantin d'entendre quelque chose que l'on ne comprend pas vraiment. Comme en lisant Markowicz, je n'arrivais pas toujours à ignorer complètement le ronron de la rime, comme je ne connais pas suffisamment le russe pour y comprendre quoi que ce soit, faute d'un locuteur russe, j'aurais justement voulu trouver une traduction littérale du texte. Il m'a fallu un bout de temps pour remarquer que celle de Backès plus fluide était elle aussi respectueuse des contraintes métriques… Mais c'est avec elle que j'ai choisi de finir ma lecture sans avoir l'impression de lire un digest - j'ai souvent comparé quelques strophes en route ; en plus les notes et les informations se complétaient…
Fanny
Je me régale à vous entendre.

Monique
Je voyais ton visage... qui montrait au fur et à mesure que tu ne partageais pas notre enthousiasme.

Fanny
Ces vers... oui. Oui le duel..., oui la critique, la satire... Ai-je lu le même livre ?
Je n'ai pas réussi à passer de la lecture de poésie à la lecture d'un roman. Comment il a pu ? C'est stupéfiant oui. Mais, me laissant porter par la beauté du mot, je perds l'intrigue.
C'est beau, mais c'est un pensum.
Je suis portée, à lire de la poésie, mais 20, 30 pages d'affilée, je sature. Impossible de lire plus d'un chapitre à la fois, du coup après un chapitre, direct, je commande un autre bouquin...

Claire
Lequel ?

Fanny
Le livre d'Arnaud Gallais sur l'inceste, J'étais un enfant - d'autant que je vais peut-être travailler avec lui.
Ce n'est pourtant pas détendant par rapport à Pouchkine... J'ai aimé qu'il s'adresse au lecteur. Mais la poésie et le roman, je n'ai pas réussi à les lier. J'ouvre donc ¼

Rozenn
Pouchkine est peut-être trop dans la prouesse.

Monique
Et Markowicz peut-être en rajoute.
Claire
En tout cas, heureusement qu'il y a Fanny, sinon on allait être dans une morne unanimité...

Pour ma part, en lisant Eugène Onéguine, je n'ai pas lu de la poésie, j'ai lu un roman.
C'est en effet cette rencontre à la librairie Compagnie dont parle Manuel qui nous avait donné envie de proposer ce roman, présenté par Markowicz comme un chef-d'œuvre, et Catherine nous avait emboîté le pas pour le programmer.
J'avais aimé les deux autres Pouchkine que nous avions lus dans le groupe (La Dame de pique et La Fille du capitaine), mais un roman en vers…
Je n'ai rien lu d'abord, ni préface, ni postface. J'ai été impressionnée par beaucoup de choses. D'abord en trouvant que les vers coulent et le récit roule.
Le rôle de la culture française m'a époustouflée, et plus largement européenne ; la littérature française (Rousseau, Fontenelle), anglaise (Byron, Samuel Richardson), allemande (Goethe, Schiller), mais aussi la mode, les alcools (Bordeaux, Champagne), la nourriture. J'attends qu'un jour le groupe programme Quand l'Europe parlait francais de Marc Fumaroli...
J'ai aimé le ton - peut-être pas de l'humour mais ça s'en rapproche -, l'aspect primesautier, la complicité avec le lecteur que vous avez mentionnée : c'est du plaisir.
Question projection au degré zéro de la midinette, le narrateur m'est extrêmement sympathique. Le personnage de Tatiana est particulièrement romanesque/romantique - ça vibre... - avec le rôle des livres avant la rencontre d'Onéguine et bien plus tard dans son cabinet désert - là, j'ai craqué.
La narration est passionnante, pas question de lire autre chose ; certaines scènes sont très réussies : fête, duel.
Je me suis aperçue à peu près au tiers de ma lecture du jeu exigeant des rimes, embrassées, etc. Et aux deux tiers seulement du nombre de pieds constant. Quelle virtuosité et je pense que ça joue dans le coulé !
Et enfin des notes en bas de page ! Sans avoir à faire le cirque du va-et-vient et qui sont personnelles parfois : médiocre, charmant, génial. Les références que les notes nous permettent d'approcher, je me suis demandé quels effets elles font en russe : ajoutent-elles à la complicité ?
Comme pour Manuel, le livre a réactivé des lectures avec le groupe, notamment la virée au Caucase dans Un héros de notre temps de Lermontov.
Comme Jérémy, j'étais ignorante de bien des références, sans culpabilité... J'ai cherché comme lui à propos de Samuel Richardson mentionné et rementionné - un auteur jamais lu à Voix au chapitre - traduit par l'abbé Prévost.

Rozenn
On le programme !

Claire (a fini de formuler son avis sur le livre et extrapole)
J'ai vu cette année à l'Opéra Onéguine, un ballet très beau de John Cranko (l'argument ›ici en trois parties ; le trailer ›là). Je me souviens de la maison-musée Pouchkine à Saint-Pétersbourg où une femme disait un poème de lui, les larmes aux yeux.
Après notre roman, j'ai lu le livre de Markowicz L'appartement, un roman en vers autobiographique mais vraiment rien à voir avec la fluidité d'Eugène Onéguine : pas de rimes et les retours à la ligne freinent, aïe aïe aïe (À Petersbourg, il a hérité de l’appartement dans lequel vivait sa grand-mère depuis 1918, prétexte d’un récit mêlant souvenirs familiaux, réflexion sur le régime sur la littérature sur les intellectuels russes). Ensuite, je suis allée dans la merveilleuse nouvelle BPI Lumière consulter le rayon Pouchkine et me suis plongée dans son Journal secret où il se montre obsédé : je n'ai pas été du tout déçue par cette lecture érotique et érotiquement littéraire (voir la suite›ici).
J'ai trouvé aussi la traduction d'Aragon de quelques extraits du livre, qu'a publiés Elsa Triolet. La voilà avec quelques autres traductions, en prose, puis en vers, de la première strophe du roman :

En 1863 Tourgueniev et Viardot En 1868 par Paul Béesau
Dès qu’il tombe sérieusement malade, mon oncle professe les principes les plus moraux. Il a pu se faire estimer, sans pouvoir inventer rien de mieux. Son exemple est une leçon. Mais, grand Dieu ! quel ennui de rester nuit et jour auprès d’un malade sans le quitter d’un seul pas ! Quelle basse perfidie que d’amuser un moribond ! d’arranger ses coussins, de lui présenter avec recueillement ses remèdes, de pousser de gros soupirs, en même temps que l’on pense à part soi : Quand donc le diable t’emportera-t-il ? Mon oncle devint un homme des plus sévères principes lorsqu’il tomba sérieusement malade ; il obligea tout le monde à l’estimer, et certes il ne pouvait faire mieux. — Que son exemple soit une leçon pour les autres !
Mais, grand Dieu ! quel ennui de rester près d’un malade nuit et jour sans le quitter d’un pas ! Quelle félonie de chercher à distraire un moribond, de lui arranger les oreillers, de lui présenter les médecines avec un visage voilé par la tristesse, lorsque, dans le fond du cœur, on se dit : "Quand donc le diable t’emportera-t-il ?"
En 1965 Aragon En 1996 Jean-Louis Backès
Mon oncle avait de la morale,
Quand pour de bon il s'alita,
Forcer l'estime générale
Ce fut le mieux qu'il inventa.
Son exemple à tous est science ;
Mais, mon Dieu, quelle patience
Près du malade et jour, et nuit,
Sans s'écarter d'un pas de lui !
Quel subterfuge ridicule
Que distraire un mort-à-demi,
L'oreiller sous sa tête mis
Offrir tristement les pilules,
Soupirer et penser à part :
Que le diable enfin s'en empare !
Mon oncle a d'excellents principes.
Depuis qu'il se sent mal en point.
Il exige qu'on le respecte.
L'idée est bonne, assurément !
Et l'exemple sera suivi.
Mais, Seigneur Dieu, quelle corvée !
Rester au chevet d'un malade
Nuit et jour sans pouvoir bouger !
Et quelle vile hypocrisie !
On fait risette à un mourant,
On redresse ses oreillers.
On arbore un air lamentable
Pour lui apporter sa potion ;
Et l'on pense qu'il aille au diable !
En 2005 Markowicz En 2010 Charles Weinstein
Mon oncle, un homme de morale,
Lorsqu’il sentit qu’il trépassait,
Força l’estime générale
Et se tailla un franc succès.
L’exemple, certes, nous inspire ;
Mais quel ennui peut être pire
Que de rester, des nuits durant,
Attendre au chevet d’un mourant ?
C’est une ignominie perfide
Qu’un presque-mort à égayer,
Lui arranger ses oreillers,
Compter ses gouttes, l’air languide,
Et, soupirant, penser tout bas :
“Satan ne te prendra-t-il pas ?”
Mon oncle, un homme sans reproches.
Quand il vit la mort arriver.
Força l'estime de ses proches.
Ce fut tout ce qu'il put trouver.
Qu'il serve donc d'exemple à d'autres.
Mais, Dieu ! Quels soucis que les nôtres.
Car je restais à le soigner
De jour, de nuit, sans m'éloigner.
Il fallait, fourbe, que je l'aide.
Que je batte son oreiller.
Que je tente de l'égayer.
Que je lui porte son remède.
Et je pensais dans un soupir :
Quand diable va-t-on en finir ?
Et en anglais, Nabokov

En 1964, Nabokov, très sévère avec les traductions anglaises du roman, publie sa propre traduction, en quatre volumes. On peut lire le premier chapitre ›ici ; et voici la première strophe :

“My uncle has most honest principles:
when he was taken gravely ill,
he forced one to respect him
and nothing better could invent.
To others his example is a lesson;
but, good God, what a bore to sit
by a sick person day and night, not stirring
a step away!
What base perfidiousness
to entertain one half-alive,
adjust for him his pillows,
sadly serve him his medicine,
sigh — and think inwardly
when will the devil take you?”

Hélène Henry, dans son article sur Vladimir Nabokov et la traduction, présenté aux Quatorzièmes Assises de la traduction littéraire à Arles en 1997, analyse la conception particulière que Nabokov avait de la traduction, une position radicale : il défend une traduction littérale et hyper fidèle au texte original, même si cela rend le texte difficile à lire.
Il rejette toute forme d'adaptation stylistique ou de "trahison poétique" : pour lui, le traducteur ne doit jamais embellir ou interpréter. Aussi traduit-il Eugène Onéguine en prose, refusant de conserver la forme poétique pour ne pas sacrifier le sens.
Il accompagne sa traduction d'un appareil critique monumental, justifiant chaque choix et expliquant les subtilités du texte original. Il voit la traduction comme un acte de loyauté absolue, presque sacré.


UN PEU DE DOCUMENTATION AUTOUR DU LIVRE


SUR POUCHKINE
Voilà ›de la doc sur Pouchkine
mise en ligne lors de notre lecture précédente : Pouchkine a-t-il vraiment existé ? M
ais il a écrit quoi, s'il est mort si jeune ? Et ses premiers débuts poétiques ? Pouchkine est olé olé. Il a plein d'ennuis. Des traces partout. Les traductions. Etc.

L'OPÉRA
Eugène Onéguine, de Pouchkine à Tchaïkovski : en 5 min très intéressante, on découvre comment le livre devient un opéra, par Dorian Astor, dramaturge au Théâtre national du Capitole : ›youtube.com

Voir l'Opéra ?
- In extenso, la mise en scène de Stéphane Brunschweig au Théâtre des Champs-Élysées en 2021, 2h30 : dailymotion.com
- En 1 min, le même... : theatrechampselysees.fr

LA TRADUCTION ET LE TRADUCTEUR D'EXCEPTION
Celle de
André MARKOWICZ est à privilégier. Mais il y en eut d'autres, une bonne douzaine, dont une de notre cher Tourgueniev :

- en 1863 par Ivan Tourgueniev et Louis Viardot parue en deux parties dans la Revue nationale et étrangère, t. 12 & 13, et publié par la Bibliothèque russe et slave : Eugène Onéguine (en prose)

- en 1868 par Paul Béesau, en ligne sur wikisource, ou gallica, dédié à "son excellence le Prince Wladimir Odoiefsky, hommage de profonde vénération", publié par Hachette-BNF : Eugène Onéguine, publié par la République des lettres : Eugène Onéguine, 2022 (en prose)

- en 1902 par Gaston Pérot, préface Émile Haumant, éd. Tallandier (en vers)

- en 1965, quelques extraits traduits par Aragon dans La Poésie russe, éd. bilingue, dir. Elsa Triolet, préface par Roman Jakobson, Seghers (en vers)

- en 1979 par Marc Semenoff et Jacques Bour, Aubier bilingue : Eugène Oniéguine (en vers)

- en 1980 par Maurice Colin, traduction et commentaire, Éditions universitaires de Dijon : Eugène Oniéguine
(en prose)

- en 1986 par Michel Bayat, préface de Stanislas Fumet, Laffont : Eugène Onéguine ; rééd. J'ai lu, 1972 : Eugène Onéguine (en prose)

- en 1990 par Nata Minor, éd. du Seuil, coll. "Le Don des langues" : Eugène Oniéguine : roman en vers ; éd.
Points Poésie, 2018 : Eugène Onéguine (en vers) ; sa traduction d'Eugène Onéguine a obtenu le prix de traduction Nelly Sachs (Markowicz en 2011 pour un autre Pouchkine Le soleil d’Alexandre)

- en 1994 par Roger Legras, Eugène Oniéguine, Lausanne, éd. l'Âge d'homme, coll. Classiques slaves : Eugène Onéguine (en vers)

- en 1996 par Jean-Louis Backès, Folio classique : Eugène Onéguine (en vers)

- en 2005 par André Markowicz, Actes Sud ; rééd. 2008 Babel : Eugène Onéguine (en vers)

- en 2010 par Charles Weinstein, éd. L'Harmattan : Eugène Onéguine (en vers)

- en 2012 par Florian Voutev, éd. La Bruyère : Eugène Onéguine ; éd. bilingue, Strasbourg, Vibration éditions, 2022 : Eugène Onéguine (en vers)

- en 2018 par Tetyana Popova-Bonnal, éd. bilingue, Independently published : Eugène Onéguine (en vers)

- Jacques Chirac aurait effectué vers l’âge de 19 ans une traduction française d'Eugène Onéguine : il l’a mentionné dans une allocution prononcée à l’Université de Saint-Pétersbourg en 1997. Il a raconté alors qu’il avait envoyé son manuscrit à une douzaine de maisons d’édition, mais que la moitié n’avait pas répondu et l’autre moitié avait décliné.

Une comparaison fouillée entre la traduction de Jean-Louis Backès et celle de Markowicz : Maria Bagyan, Taisiia Drobysheva, "Traduire Eugène Onéguine : deux approches", Cahiers du CLSL (Cahiers du Centre de linguistique et des sciences du langage), Université de Lausanne, n° 66, 2022.

Et voici un article sur la traduction d'Eugène Onéguine dans d'autres langues (anglais, coréen, italien...) : "La traduction d’Eugène Onéguine de Pouchkine – étude comparative multilingue", Simon Kim, revue TTR (Traduction, terminologie, rédaction), n° 1, 1er semestre 2012.

On peut entendre notre traducteur lire Eugène Onéguine : un CD mp3, 14h38, lu par André Markowicz, Daredjan Markowicz (sa mère), Françoise Morvan (sa compagne traductrice), éd. bilingue Thélème, 2017, cliquez ›ICI pour entendre le début du chapitre 2 ; Markowicz se plante et recommence :

L’ennui traquait notre Onéguine
Dans un village délicieux
Où l’homme simple, j’imagine,
Aurait cent fois béni les cieux.
Le manoir, seul, sur une butte,
Préservé des bourrasques brutes,
Dominait un cours d’eau. Plus loin,
Prairies et champs dorés, le soin
Des hommes, bigarraient les terres ;
On distinguait quelques hameaux ;
Erraient, paisibles, des troupeaux
Et des ombrages solitaires
Menaient au parc ensauvagé,
Où la dryade aimait songer.

Lisez les pages que consacre André Markowicz à Eugène Onéguine dans son Dictionnaire amoureux de Pouchkine d'André (Plon, 2025).
- Voici trois extraits :

Au matin du 3 janvier 2016, alors qu'il n'avait pas encore neigé à Pétersbourg et que tout le monde attendait l'hiver, une amie avec laquelle nous communiquons sur Facebook ouvre sa fenêtre et découvre que sa cour est recouverte d'une neige immaculée. Elle publie une très belle photo de cette neige. Je vois cette photo et, sans réfléchir, je poste un commentaire, en russe : "La nuit du 3". Elle répond : "J'ai vu ton commentaire, et j'ai souri aux larmes."
Le fait est que, la nuit du 3, c'est la nuit où Tatiana se réveille et voit la neige. C'est la première strophe du cinquième chapitre :

L'automne que les gens vécurent
Dura, tarda sur les foyers.
Tout attendait dans la nature ;
L'hiver ne vint que pour janvier,
La nuit du trois. […]


Cette nuit du 3, c'est notre schibboleth. Tout le monde comprend ça en Russie. C'est tout simple, et c'est indiscutable. Chaque Russe raconterait des dizaines d'anecdotes du même genre : Eugène Onéguine est lié à la vie quotidienne de chacun, il est le lien, souriant et léger, de toute personne qui sait lire.
J'ai entendu Onéguine avant de naître, je le sais, comme on dit, de source sûre. Parce que ma mère le disait, juste comme ça, pour elle-même. Ensuite, ma grand-mère le disait aussi - pour me bercer. Je le sais parce que, me raconte-t-on, elle se fatiguait de me bercer (sans doute refusais-je de m'endormir parce que je voulais que ça dure toute la vie), et moi, je lui disais que j'allais me bercer tout seul, qu'elle pouvait se coucher tranquillement. Elle me laissait seul et refermait la porte - je n'avais pas deux ans -, et là, elle m'écoutait qui marmonnais :

Donc, Tatiana, ce nom je l'ose.
Ni par le charme de sa sœur...
Ma mère, elle, a appris ses premières strophes d'Onéguine dans son enfance, pendant le blocus de Leningrad. Elle expliquait qu'elle restait là, dans une pièce où la température était glaciale, avec, de temps en temps, les bombes qui tombaient, sans rien à manger (sa tante est morte de faim). Elle savait qu'il ne fallait jamais dire qu'elle avait faim. Que, ça, c'était interdit. Elle se répétait la strophe d'Onéguine sur les repas chez "Talon" :

Il file chez Talon ; il dîne En compagnie de Kavérine.
Il entre - un jet mousseux d'Aÿ De la comète qui jaillit ;
Il s'offre du roast-beef qui saigne,
Des truffes, luxe de nos jours,
Et du foie gras fait à Strasbourg,
Tout ce par quoi la France règne,
Puis, couronnant le roquefort,
Un ananas de sucre et d'or.

(I, 16, 5-14)

Évacuée de Leningrad avec ma grand-mère, qui était le médecin attaché à un convoi d'orphelins qu'on envoyait loin du front, là encore, sous les bombardements aériens, et pendant ce temps infini du voyage, pour calmer les enfants, elle, qui avait leur âge ou était encore plus jeune, elle allait de groupe en groupe et leur récitait Onéguine - et ça les apaisait. Bouleversée de la voir, une dame qui se trouvait dans le même convoi lui a offert sa petite édition d'Onéguine et, pendant de longues années, cette édition aura été son talisman.

- Et tout le chapitre sur Eugène Onéguine dans le Dictionnaire amoureux de Pouchkine ›ici.

Par ailleurs, il dit "Je suis un traducteur russe écrivant en français" dans un entretien réalisé par Sophie Joubert (L'Humanité, 10 mars 2016). Encore plus personnel, un long entretien "Dans la forêt des langues", Place publique, novembre-décembre 2012.

Encore mieux, on l'entend sur Eugène Onéguine : L’âme russe 1/4 : Pouchkine, Les chemins de la philosophie, Adèle Van Reeth, France culture, 16 février 2015, 53 min (L'âme russe 2/4 : Gogol - 3/4 : Tchekhov - 4/4 : Soljenitsyne).

Et enfin, voici un article élogieux sur sa traduction quand elle a été publiée : "M
ots sans usure", Christian Mouze (Quinzaine littéraire, n° 914, 1er janvier 2006.


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !


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