Quatrième de couverture : Fille daristocrates berlinois, Effi
Briest est mariée à lâge de dix-sept ans au
baron Geert von Innstetten, un politicien de quarante ans. Deux mondes
différents se rencontrent alors, une jeune femme enthousiaste et
insouciante face à un baron froid et distant. Dernier roman de lécrivain allemand Theodor Fontane, Effi Briest est lun des chefs-duvre de lécole réaliste allemande. Effi
Briest, Imaginaire Gallimard, 2007 : réédité
en tirage limité à loccasion des trente ans de la
collection LImaginaire, le roman de Theodor Fontane est accompagné
ici dun DVD du film Effi Briest de R. W. Fassbinder. Adaptation
fidèle du roman, Effi Briest appartient désormais aux grands
films classiques consacrés aux destins de femmes.
Une des éditions allemandes (Surhkampf) :
|
Theodor Fontane (1819-1898)
|
Nos 16 cotes
d'amour + celle de Thomas Mann... |
La préface de Joseph Rovan, dans l'édition Imaginaire
Gallimard, propose une présentation étoffée de
l'auteur et de son uvre.
Voici, moins touffue, une présentation
vivante, très bien faite et facile à regarder, en 10 min,
concoctée par la Planet Schule sur YouTube, c'est sous-titré
en français : Theodor
Fontaine : sa vie, son uvre.
Fontane s'est mis a écrire relativement tard (59 ans) des romans et en a alors écrit 17 !
Effi Briest fut publié
en six parties distinctes dans le périodique Deutsche Rundschau
d'octobre 1894 à mars 1895, avant d'être publié en
livre
en 1896.
Le texte original en allemand est en ligne =>ici.
Effi Briest apporta à Theodor Fontane succès et renommée.
Claude David, professeur
à la Sorbonne, où il dirigera l'institut d'études
germaniques, de 1967 à 1981, ouvre ainsi sa préface au livre
de la collection Bouquins comportant quatre romans de Fontane : "Theodor
Fontane... Combien de lecteurs en France, même de culture honorable,
ont entendu ce nom ? S'il fut un temps où l'on dénonçait
comme un danger l'invasion des lettres allemandes, ce temps est bien passé.
Entre Goethe et Thomas Mann, entre les Affinités électives
et Buddenbrooks s'ouvre un trou noir de quelque 90 ans, où
certains parviennent, tant bien que mal, à situer Hoffmann ou Henri
Heine. Il est certain que l'Allemagne n'a pas eu de Balzac ni de Tolstoï.
La prose allemande de ce temps ne justifie pas cependant un tel oubli
et une telle ignorance. Et c'est un signe des relations restées
longtemps malheureuses entre la France et l'Allemagne qu'il faille aujourd'hui
présenter Fontane comme un presque inconnu. Car aucun de ces romanciers
et de ces conteurs, dont on nous épargnera d'énumérer
les noms, ne mérite autant que lui d'être chez nous exhumé
et instauré dans sa vraie valeur."
Marc Thuret, dans "Fontane en France et en français",
narre l'histoire de la réception de Theodor Fontane en France,
dont voici un tout petit extrait :
"Le succès
dEffi Briest en Allemagne laisse les éditeurs français
indifférents, et ce sera pour finir le fils de Fontane, Friedrich,
directeur depuis 1888 dune maison dédition portant
son nom, qui prendra linitiative de faire paraître à
Berlin en 1902 une version française du best-seller de son père,
traduit en français par Michel Delines, nom sous lequel paraissaient
les écrits de Mikhail Achkinasi, traducteur et promoteur en France
au tournant du siècle des classiques russes, auteur des livrets
français des opéras de Tchaïkowsky, Moussorgsky et
Glinka joués à Paris. Curieusement, aucune uvre allemande
ne figure sur la liste de ses traductions conservées à la
Bibliothèque nationale, qui ne possède pas non plus dexemplaire
de cette Effi Briest française de 1902, très affadie
par le style du traducteur et par les nombreuses coupures pratiquées
dans le texte" (la suite vaut la visite : "Fontane
en France et en français", extrait du livre en ligne Theodor
Fontane : un promeneur dans le siècle, Presses Sorbonne
Nouvelle, 1999).
Trois traductions se succèdent
en français et le parcours de chaque traducteur vaut la peine d'être
découvert :
- En 1902 par Michel Delines,
Berlin, Fontane & Co ; Effi
Briest a été accessible en français dès
1900, dans le Supplément du Monde moderne, puis dans un
volume publié à Berlin en 1902 ; Michel Delines, qui traduit
aussi du russe, est un des pseudonymes de Michel Osipovic Ashkenazi, romancier,
publiciste, musicologue et traducteur, né à Odessa et mort
à Nice.
- En 1942 par André Curoy,
Leipzig, éd. Bernhard Tauchnitz ; Club bibliophile de France, 1957
; Gallimard, coll. Les Presses d'aujourd'hui, 1981 puis dans différentes
éditions de poche de Gallimard :
c'est la seule traduction disponible, en Imaginaire Gallimard ; André
Curoy,
musicologue également, fut l'un des traducteurs des Souffrances
du jeune Werther... Quant au préfacier, Joseph
Rovan, c'est un historien français d'origine allemande qui
fut, entre autres, conseiller de Helmut Kohl et de Jacques Chirac, au
cur des relations entre l'Allemagne et la France après 1945
(ses travaux =>ici).
- En 1981 par Pierre Villain,
éd. Laffont, coll. Bouquins ; Pierre Villain, professeur à
la Sorbonne, joua un rôle important dans les échanges franco-allemands.
Y a-t-il une traduction meilleure
? OUI !
Questionnant la retraduction, Françoise Vuillermot dans "Traduction
et prise de sens... Effi Briest aux mains de trois générations"
montre qu'une seule n'est pas susceptible de "vieillir" (in
Autour
de la traduction, éd. Orizons, 2011) :
intéressant !
Qui lit Theodor Fontane,
à part nous ?!
Actuellement on peut trouver facilement seulement 4 livres de cet auteur :
- en Imaginaire Gallimard :
Effi Briest et Madame
Jenny Treibel
- chez Sillage : Dédales
- aux éd. des Belles Lettres : Cécile
alors qu'ont été traduits
en français les livres suivants (avec en tête la date de
publication en allemand) :
- 1871 : Journal de captivité : voyage dans la France de 1970,
trad. Alain Garric, Strasbourg, Bueb et Reumaux, 1986 ; traduit d'abord
en revue en 1891 et 1892 (Souvenirs d'un prisonnier de guerre allemand
en 1870, trad. Jean Thorel, voir sur Gallica)
- 1878 : Avant la tempête : scènes de l'hiver 1812-1813,
trad. Jacques Legrand, Aubier,
1992
- 1881 : Ellernklipp : d'après un registre paroissial du Harz,
trad. Denise Modigliani, Le Serpent à plume, 1996 ; puis Ellernklipp
: la roche maudite, éd. du Rocher, 2001
- 1882 : L'adultera, trad. Madith Vuaridel, Aubier,
1991
- 1883 : Le conte Petöfy, trad. Denise Modigliani, le Serpent
à plumes, 1997
- 1887 : Cécile, trad. Jacques Legrand,
Aubier, 1994,
1998
; Cecile,
Jean-Marie Paul, éd. Les Belles Lettres, 2016
- 1888 : Errements et tourments, trad. Georges Pauline,
Laffont,
1981 ; traduit sous un autre titre par Eugène Koessler, Dédales,
Sillages, 2020 après Aubier, 1931, 1980
- 1890 : Stine, trad. Marc
Erlyc, éd. Ombres, 2000
- 1890 : Quitte, trad. Bernard Kreiss, Jacqueline Chambon,
1998
- 1891 : Jours disparus, trad. Jacques
Peyraube, Laffont,
1981
- 1892 : Madame
Jenny Treibel, trad. Pierre Grappin, Gallimard, 1943, puis 2011
- 1895 : Effi Briest, trois traductions
: Michel Delines, André
Curoys, Pierre Villain
- 1893 : Frau Jenny Treibel, trad. Michel-François Demet,
Laffont,
1981
- 1893 : Mes années d'enfance : roman autobiographique,
trad. Jacques Legrand, Aubier, 1993
; trad. Éliane Kaufholz-Messmer, éd. Jacqueline Chambon,
1996 ; publié en revue en 1894
- 1898 : Le Stechlin, trad. Jacques Legrand, Le Livre de Poche,
1981 puis 1998.
Des romans inspirés de faits réels, ça
court les rues. Celui-ci n'y échappe pas. On n'a pas besoin de
le savoir ?...
Une histoire authentique a inspiré Theodor Fontane.
Elisabeth von Plotho, jeune femme issue de la vieille noblesse
de Magdebourg-Brandebourg, épouse Armand Léon baron von
Ardenne (1848-1919) en 1873 (notre roman est publié en 1896), malgré
ses réticences, par obéissance à ses parents. Quelques
années plus tard, il accepte que le magistrat royal et officier
de réserve Emil Hartwich de Düsseldorf peigne Elisabeth et
par conséquent la voie à diverses reprises à cette
occasion.
Suite à son affectation au ministère de la Guerre, le baron
von Ardenne déménage à Berlin avec sa famille en
1886 ; il observe que sa femme correspond avec Hartwich. Devenu méfiant,
il ouvre la nuit la cassette dans laquelle elle conserve les lettres qu'elle
a reçues : sans doute, Emil Hartwich et Elisabeth d'Ardenne ont
eu une liaison ! Le magistrat, contacté par télégramme
à Berlin, avoue et accepte la demande du baron d'un duel au pistolet.
Il a lieu deux jours plus tard. Touché par plusieurs coups de feu,
Emil Hartwich décède quatre jours plus tard. Le baron von
Ardenne est arrêté, mais libéré après
seulement dix-huit jours de prison. Son mariage se termine par un divorce
en 1887 et il reçoit la garde des deux enfants. Elisabeth d'Ardenne
travaillera comme infirmière pendant des années. Elle décèdera
en 1952 à l'âge de 98 ans.
Le lien entre le destin d'Effi Briest et la vie d'Elisabeth von Plotho
est évident. Fontane a cependant modifié de nombreux détails,
non seulement pour protéger la vie privée des personnes
impliquées, mais aussi pour renforcer considérablement l'effet
: Elisabeth von Plotho n'a pas épousé son mari à
17 ans, mais à 19 ans ; il n'avait que cinq ans et pas 21 ans de
plus qu'elle. De plus, elle a eu sa relation non pas après un,
mais après douze ans de mariage, et son mari a abattu son amant
peu de temps après alors que la relation était toujours
en cours. Après le divorce, sa femme ne s'est pas retirée
mais a trouvé un emploi.
Pour ce qui est du cadre, le château de la baronne d'Ardenne était
une gracieuse folie du XVIIIe siècle, on y menait une vie de bals
et de fêtes. Fontane le transporte de Düsseldorf dans la ville
imaginaire de Kessin, reconstruite à l'image de Swinemünde,
dans l'île d'Usedom,
près des bouches de l'Oder,
où s'était déroulée une partie de sa propre
enfance. L'austère et puritaine Poméranie
se substitue à la Rhénanie catholique et joyeuse.
La manière dont la personne réelle Elisabeth von Plotho
s'est transformée en personnage fictif, Effi Briest, a été
analysée
en détail par des spécialistes.
Des "Effi
tours" incluant des passages du roman Effi Briest sont organisés
par la commune d'Elbe-Parey, étant donné que le château
de Zerben où Elisabeth von Plotho a grandi serait le modèle
de Hohen-Cremmen...
On ne fait pas pire avec Proust et la maison de la Tante Léonie
(nous sur
les traces de Proust dans le genre Effi tour...)
Qui s'y colle pour répondre à
la question : "Emma
Bovary et Effi Briest : un air de famille entre les uvres de Flaubert
et de Fontane ?
C'est Beate Langenbruch, maître de conf au CNRS,
sur le site de référence de l'université de Rouen
consacré à Flaubert, qui développe longuement la
réponse ainsi résumée ne disant rien :
Si, en définitive, on ne peut établir la preuve d'une influence directe de Flaubert sur Fontane, il n'en reste pas moins que la confrontation des deux textes et des deux esthétiques se révèle féconde, bien qu'elle laisse encore de nombreuses interrogations en suspens. Enfin, il s'agit de prendre conscience de quelques obstacles qui ont pu rendre difficile l'accès d'Effi Briest aux lecteurs et aux érudits français, dans le but d'encourager de futures recherches consacrées à ce rapprochement de deux uvres prototypiques du réalisme européen.
- Michel André y va de sa comparaison plus franche, dans "Theodor Fontane, ce 'paquet de contradictions'" (Books n° 107, mai 2020) :
Effi Briest raconte une histoire d'adultère qui fait penser à Madame Bovary et à Anna Karénine, à cette différence près : Fontane ne jette pas sur son héroïne un regard cruellement détaché comme Flaubert et ne la condamne pas moralement comme Tolstoï. Le thème de l'adultère et de ses conséquences malheureuses apparait dans d'autres romans (L'Adultera, Jours disparus). Ses personnages féminins sont ceux qui ont la présence la plus forte. Sans être un militant de l'émancipation féminine, il était très sensible au sort des femmes de son époque, à la fois condamnées au mariage et en concurrence féroce sur le marché matrimonial. Ses héroïnes sont plus attachantes et plus fragiles que ses personnages masculins : "Je ne suis pas un viveur, expliquait-il, mais j'aime bien quand les autres vivent. [...] C'est à ce naturel que je suis attaché depuis longtemps. [...] Voilà pourquoi mes personnages féminins ont tous une fêlure. [...] Je tombe amoureux d'elles non point à cause de leurs vertus mais à cause de leurs traits humains."
Quittant Madame Bovary, mais gardant le rapport entre Fontane et Flaubert, Michel André ajoute :
Considéré avec Effi Briest comme son chef-duvre, son dernier roman, Le Stechlin, est, à sa manière, un parfait échantillon du "roman sur rien" dont rêvait Flaubert. Avec une lègère ironie, son auteur en résumait lintrigue de la manière suivante : "À la fin, un vieil homme meurt et deux jeunes gens se marient."
Nous avions lu de ce prix Nobel mort en 1989 Molloy. Bon, et alors ?
Erika Tophoven, traductrice en allemand de Beckett (et aussi Nathalie Sarraute, etc.), mène une véritable enquête sur l'amour de Beckett pour Fontane. En voici les principaux éléments :
- Une première allusion à Effi Briest
se trouve dans la pièce radiophonique Tous
ceux qui tombent, écrite à Paris en 1956 pour la
BBC, traduite par Robert Pinget, révisée par l'auteur et
publiée aux éditions de Minuit.
L'ambiance est tout à fait beckettienne
: la vieille Mme Rooney est allée chercher son mari aveugle, on
entend La jeune fille et la mort de Schubert, ils sont surpris
par larrivée de sombres nuages :
MONSIEUR ROONEY : Maudit soleil qui se cache. À quoi ressemble le ciel ? (Vent).
MADAME ROONEY : À un ciel qui se voile. Fini le beau temps pour aujourdhui. (Un temps.) Ce sera bientôt la pluie, les premières grosses gouttes, plof ! plof ! dans la poussière.
MONSIEUR ROONEY : Et ce salopard de baromètre au beau fixe. (Un temps.) Rentrons vite nous installer devant le feu. Nous tirerons les rideaux. Tu me liras un chapitre. Je sens quEffie va coucher avec le major. (Pas traînants.)
Lallusion se limite au prénom Effi, orthographié
de surcroît de façon erronée.
- Deux ans plus tard, dans le monodrame La
dernière bande, Krapp, vieux grincheux,
a lhabitude à chacun de ses anniversaires, denregistrer
sur bande magnétique quelques-unes de ses pensées sur lannée
écoulée ; avant de se lancer dans un nouveau retour en arrière,
il aime écouter et commenter certains passages enregistrés
au cours des années précédentes. Il tombe sur les
phrases suivantes :
"Me suis traîné dehors une fois ou deux avant que l'été se glace. Resté assis à grelotter dans le parc, noyé dans les rêves et brûlant d'en finir. Personne. (Pause.) Dernières chimères. (Avec véhémence.) A refouler ! (Pause.) Me suis crevé les yeux à lire Effie encore, une page par jour, avec des larmes encore. Effie... (Pause.) Aurais pu être heureux avec elle là-haut sur la Baltique, et les pins, et les dunes. (Pause.) Non ? (Pause.) Et elle ? (Pause.) Pah ! (Pause.)"
On peut avancer avec certitude que Beckett connaissait luvre romanesque de Fontane, tout au moins Effi Briest.
- Voilà une confirmation : Michael Haerdter, son assistant de lépoque, lors de la mise en scène de Fin de partie à Berlin en 1967, confirme :
"Quels auteurs allemands aimez-vous ? Fontane !" Je mattendais à entendre Beckett confesser son admiration pour ce rationaliste prussien, mais pas à un tel enthousiasme.
Les fanas de Beckett peuvent découvrir d'autres détails de l'enquête de cette traductrice dans "Whats in a name... : Beckett lecteur de Fontane" de Erika Tophoven (in Theodor Fontane : un promeneur dans le siècle, dir. Marc Thuret, Presses Sorbonne Nouvelle, 1999).
Ajoutons le témoignage d'un de ses traducteurs, Antoni Libera, à Paris en 1986.
J'y étais allé pour un colloque littéraire organisé pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire de Samuel Beckett, pour moi l'écrivain moderne le plus important, dont j'ai traduit, annoté et mis en scène l'uvre au théâtre pendant de nombreuses années et avec qui j'avais été en contact régulier depuis le milieu des années 1970.
Selon la tradition établie, nous nous sommes donné rendez-vous après le colloque. Comme à son habitude, Beckett lui propose le Café Français de l'hôtel PLM, situé en face de son domicile, boulevard Saint-Jacques. Je suis arrivé un peu en avance et je me suis assis à la table que nous occupions la dernière fois que nous nous étions rencontrés ici, quelques années auparavant.
Beckett arriva avec sa ponctualité habituelle, à midi pile, pas une seconde plus tard. À une réunion qui n'était liée à aucun projet ou projet créatif, il arrivait généralement "les mains vides", comme il aimait le dire. Cette fois, il tenait un petit livre qui s'est avéré être un vieil exemplaire beaucoup feuilleté d'Effi Briest de Teodor Fontane.
Les amis proches de Beckett et ceux qui connaissent son uvre sauront que c'était l'un de ses romans préférés, auquel il revenait souvent et auquel il faisait également référence dans ses écrits (...)
Moi aussi, j'étais conscient de toutes ces références, et ainsi, vers la fin de la conversation, lorsque le silence légendaire, que tous ceux qui ont rencontré l'écrivain ont pu rencontrer, s'est abattu sur la petite table du café, j'ai demandé timidement : "Est-ce que tu lis encore Effi ?"
Paraphrasant une phrase de Krapp, il répondit : "Oui... une page par jour, pour arracher les yeux."
"Encore des larmes ?" dis-je en reprenant le fil de la citation.
Il eut un sourire pâle. "Non, je n'irais pas jusqu'à dire ça."
J'ai eu le courage de poser la question vitale : "Pourquoi aimes-tu autant ce roman ?"
Il y a eu une longue pause avant que j'obtienne une réponse. "Je rêvais d'écrire quelque chose comme ça. Et il me reste encore un peu de ce rêve. Mais je ne l'ai jamais fait. Je ne l'ai jamais écrit..." Il s'interrompit.
"Tu ne l'as jamais écrit ?" J'ai effrontément essayé de lui arracher les mots.
Un autre sourire pâle, puis, dépliant les mains, il dit : "Car... je suis né trop tard. Personne n'écrit comme ça de nos jours. Aujourd'hui, on écrit bien pire."
Il m'a jeté un coup d'il et a ajouté en plaisantant : "Mais ne vous inquiétez pas. Le monde change. Peut-être y arriverez-vous."
C'était ma dernière rencontre avec Beckett. Après cela, nous n'avons parlé qu'au téléphone. Il est décédé en décembre 1989.
Pour donner un coup de projecteur au film de Fassbinder
(bande annonce en allemand=>ici,
film complet en allemand=>là
et des images fixes du film rendant l'ambiance du film=>ici),
voici un extrait de deux articles consultables en ligne.
- Eberhard Gruber étudie étudie les quatre adaptations du
roman Effi Briest et distingue des films de Gründgens (1938),
Jugert (1955) et Luderer (1970 : le film complet en allemand en ligne=>ici),
la "réécriture filmique" de Fassbinder (1974)
ainsi décrit :
Assumant le statut littéraire du récit, le cinéma met dès lors en uvre un ensemble de processus spécifiques : fondu au blanc, reprise iconique, jeu de miroirs "glaçant" les personnages, effet de dissociation obtenu par la lecture off du texte ou par son inscription à lécran. Le film, par suite, toujours déjà réécriture, entre uvre et reprise, élabore une polysémie architecturale que fonde tout un art de "rythmer les passages". ("Une reprise impossible ? Effi Briest et la question de ses réécritures filmiques", Cinémas, n° 1, 1993).
- Gilbert Guillard, spécialiste du cinéma allemand, approfondit le rapport entre Fassbinder et Fontane :
Dans une interview à propos dEffi Briest, Fassbinder déclarait : "Ce nest pas un film sur les femmes, mais un film sur Fontane, sur lattitude dun écrivain vis-à-vis de la société où il se trouve. Ce nest pas un film qui raconte une histoire, mais un film qui restitue une attitude. Cest lattitude de quelquun qui perce à jour les défauts et les faiblesses de la société où il vit, et les critique aussi, mais reconnaît pourtant que cette société est pour lui légitime".
Dans ce film, il ny a aucune adaptation du texte de Fontane ; cest loriginal qui est repris mot pour mot, à défaut de pouvoir lêtre dans son intégralité. Et il apparaît sous quatre formes différentes :
1. dans la bouche des acteurs,
2. à travers une lecture en voix off, faite par Fassbinder lui-même, manière de sidentifier sinon à lauteur, du moins à sa démarche,
3. à travers des intertitres ponctués par la musique et enfin
4. à travers lapparition à lécran dimages de lettres ou de télégrammes, et Fassbinder a bien senti là limportance des lettres dans les romans de Fontane. Tout ceci concourt à renforcer limpression que le but principal du film est danalyser lart de lécrivain à travers la transposition/ réécriture filmique et non de raconter le destin tragique de lhéroïne. Par ailleurs, les scènes sont entrecoupées de fondus au blanc, et non au noir, ce qui donne limpression dun découpage en chapitres, comme un livre comportant une page blanche entre chaque chapitre, les intertitres annonçant le thème-clé du prochain chapitre. Et nous ne verrons pas le tombeau dEffi, mais seulement un insert blanc orné dune bordure noire, tel un faire-part de deuil. ("Fontane, Effi Briest de R. W. Fassbinder : un vaste contrechamp", in Theodor Fontane : un promeneur dans le siècle, dir. Marc Thuret, Presses Sorbonne Nouvelle, 1999).
Nos cotes d'amour
à venir |
Thomas Mann (n'a pas lu qu'Effi Briest)
Qu'il me soit permis d'avouer qu'aucun écrivain du passé
ou du présent n'éveille en moi ce ravissement immédiat
et instinctif, cet amusement spontané, cet intérêt
chaleureux, cette satisfaction que j'éprouve à chaque vers,
à chaque ligne de ses lettres, à chaque bribe de ses dialogues.
Cette prose si légère et si limpide, dotée pourtant
d'une agréable ampleur, avec sa secrète tendance au ton
de la "ballade", ses ellipses à la fois attrayantes et
poétiques, a une nuance de nonchalance "soutenue" ; malgré
son laisser-aller apparent, elle possède une tenue, une consistance,
une forme intimes, telles qu'on ne peut guère les imaginer qu'après
un long commerce avec la poésie ; elle est, en fait, beaucoup plus
proche de la poésie que son absence de solennité et de prétention
ne voudrait le reconnaître, elle a une conscience poétique,
des exigences poétiques, elle est écrite en fonction de
la poésie et - tout comme les vers de sa vieillesse, si concentrés
et si parfaits qu'on les retient aussitôt par cur, se rapprochent
de plus en plus de sa prose par le style - le phénomène
singulier, c'est que sa prose se sublimise dans la mesure même où
elle (pardonnez-moi le mot) baguenaude. On a souvent dit qu'il était
un causeur* et lui-même s'est ainsi désigné
; cependant la vérité, c'est que même lorsqu'il semblait
bavarder il fut un barde, et son bavardage, qui après Effi Briest
prit le dessus, sous une forme poétiquement sans doute assez
douteuse, consiste en une volatilisation du sujet matériel, au
point qu'il ne reste, finalement, presque plus rien qu'un jeu artistique
nuancé et spirituel.
*En français dans le
texte
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
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