Effi Briest, trad. de l'allemand André Cœuroy, Imaginaire Gallimard, première parution en 1989,350 p.

Quatrième de couverture :

Fille d’aristocrates berlinois, Effi Briest est mariée à l’âge de dix-sept ans au baron Geert von Innstetten, un politicien de quarante ans. Deux mondes différents se rencontrent alors, une jeune femme enthousiaste et insouciante face à un baron froid et distant.
Emprisonnée dans un mariage malheureux, isolée du monde, brimée par une société conservatrice, Effi entame une relation aussi passionnée que secrète avec un militaire.
À la manière d’une Anna Karénine ou d’une Emma Bovary, l’héroïne se précipite vers son destin tragique, en refusant de se soumettre et d’abandonner sa liberté émotionnelle, sexuelle et même politique.

Dernier roman de l’écrivain allemand Theodor Fontane, Effi Briest est l’un des chefs-d’œuvre de l’école réaliste allemande.

Effi Briest, Imaginaire Gallimard, 2007 : réédité en tirage limité à l’occasion des trente ans de la collection L’Imaginaire, le roman de Theodor Fontane est accompagné ici d’un DVD du film Effi Briest de R. W. Fassbinder. Adaptation fidèle du roman, Effi Briest appartient désormais aux grands films classiques consacrés aux destins de femmes.
Axée sur les thèmes de la peur et de la soumission, c’est une œuvre mélodramatique, passionnée et flamboyante.


Effi Briest, trad. André Cœuroy, Gallimard, coll. L'Etrangère, 1989


Effi Briest
, trad. André Cœuroy, Gallimard, coll. Les Presses d'aujourd'hui, 1981


Effi Briest, trad. Pierre Villain, avec Errements et tourments, trad. Georges Pauline,
Jours disparus, trad. Jacques Peyraube
Frau Jenny Treibel, trad. Michel-François Demet, édition dirigée par Michel-François Demet, préface de Claude David suivie de l’essai "Le vieux Fontane" de Thomas Mann, Laffont, coll. Bouquins, 1981, 912 p.

Une des éditions allemandes (Surhkampf) :

Theodor Fontane (1819-1898)
Effi Briest (publication en 1896, traduction en 1902)
Nous avons lu ce livre pour le 4 octobre 2024 (avis en cours de mise en ligne).
Nous avons pu visionner
Effi Briest de Rainer Werner Fassbinder (1974), avec Hanna Schygulla.

Nos 16 cotes d'amour + celle de Thomas Mann...
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Le point sur Theodor Fontane et son parcours
La publication d'Effi Briest
La traduction et la réception en France d'Effi Briest
Les publications de Fontane en français
Effi Briest, c'est une histoire vraie. On s'en fiche ?
Effi Briest, c'est la Bovary allemande ?...
Que vient faire Beckett à propos d'Effi Briest ?
Effi Briest au cinéma


Le point sur Theodor Fontane et son parcours



La préface de Joseph Rovan, dans l'édition Imaginaire Gallimard, propose une présentation étoffée de l'auteur et de son œuvre.

Voici, moins touffue, une présentation vivante, très bien faite et facile à regarder, en 10 min, concoctée par la Planet Schule sur YouTube, c'est sous-titré en français : Theodor Fontaine : sa vie, son œuvre.

Fontane s'est mis a écrire relativement tard (59 ans) des romans et en a alors écrit 17 !

La publication d'Effi Briest


Effi Briest fut publié en six parties distinctes dans le périodique Deutsche Rundschau d'octobre 1894 à mars 1895, avant d'être publié en livre en 1896.

Le texte original en allemand est en ligne =>ici.

Effi Briest apporta à Theodor Fontane succès et renommée.

La traduction et la réception en France d'Effi Briest


Claude David, professeur à la Sorbonne, où il dirigera l'institut d'études germaniques, de 1967 à 1981, ouvre ainsi sa préface au livre de la collection Bouquins comportant quatre romans de Fontane : "Theodor Fontane... Combien de lecteurs en France, même de culture honorable, ont entendu ce nom ? S'il fut un temps où l'on dénonçait comme un danger l'invasion des lettres allemandes, ce temps est bien passé. Entre Goethe et Thomas Mann, entre les Affinités électives et Buddenbrooks s'ouvre un trou noir de quelque 90 ans, où certains parviennent, tant bien que mal, à situer Hoffmann ou Henri Heine. Il est certain que l'Allemagne n'a pas eu de Balzac ni de Tolstoï. La prose allemande de ce temps ne justifie pas cependant un tel oubli et une telle ignorance. Et c'est un signe des relations restées longtemps malheureuses entre la France et l'Allemagne qu'il faille aujourd'hui présenter Fontane comme un presque inconnu. Car aucun de ces romanciers et de ces conteurs, dont on nous épargnera d'énumérer les noms, ne mérite autant que lui d'être chez nous exhumé et instauré dans sa vraie valeur."

Marc Thuret, dans "Fontane en France et en français", narre l'histoire de la réception de Theodor Fontane en France, dont voici un tout petit extrait :
"Le succès d’Effi Briest en Allemagne laisse les éditeurs français indifférents, et ce sera pour finir le fils de Fontane, Friedrich, directeur depuis 1888 d’une maison d’édition portant son nom, qui prendra l’initiative de faire paraître à Berlin en 1902 une version française du best-seller de son père, traduit en français par Michel Delines, nom sous lequel paraissaient les écrits de Mikhail Achkinasi, traducteur et promoteur en France au tournant du siècle des classiques russes, auteur des livrets français des opéras de Tchaïkowsky, Moussorgsky et Glinka joués à Paris. Curieusement, aucune œuvre allemande ne figure sur la liste de ses traductions conservées à la Bibliothèque nationale, qui ne possède pas non plus d’exemplaire de cette Effi Briest française de 1902, très affadie par le style du traducteur et par les nombreuses coupures pratiquées dans le texte" (la suite vaut la visite : "Fontane en France et en français", extrait du livre en ligne Theodor Fontane : un promeneur dans le siècle, Presses Sorbonne Nouvelle, 1999).

Trois traductions se succèdent en français et le parcours de chaque traducteur vaut la peine d'être découvert :
- En 1902 par Michel Delines,
Berlin, Fontane & Co ; Effi Briest a été accessible en français dès 1900, dans le Supplément du Monde moderne, puis dans un volume publié à Berlin en 1902 ; Michel Delines, qui traduit aussi du russe, est un des pseudonymes de Michel Osipovic Ashkenazi, romancier, publiciste, musicologue et traducteur, né à Odessa et mort à Nice.
- En 1942 par André Cœuroy,
Leipzig, éd. Bernhard Tauchnitz ; Club bibliophile de France, 1957 ; Gallimard, coll. Les Presses d'aujourd'hui, 1981 puis dans différentes éditions de poche de Gallimard : c'est la seule traduction disponible, en Imaginaire Gallimard ; André Cœuroy, musicologue également, fut l'un des traducteurs des Souffrances du jeune Werther... Quant au préfacier, Joseph Rovan, c'est un historien français d'origine allemande qui fut, entre autres, conseiller de Helmut Kohl et de Jacques Chirac, au cœur des relations entre l'Allemagne et la France après 1945 (ses travaux =>ici).
- En 1981 par Pierre Villain, éd. Laffont, coll. Bouquins ; Pierre Villain, professeur à la Sorbonne, joua un rôle important dans les échanges franco-allemands.

Y a-t-il une traduction meilleure ? OUI !
Questionnant la retraduction, Françoise Vuillermot dans "Traduction et prise de sens... Effi Briest aux mains de trois générations" montre qu'une seule n'est pas susceptible de "vieillir" (in Autour de la traduction, éd. Orizons, 2011) : intéressant !

Les publications de Fontane en français


Qui lit Theodor Fontane, à part nous ?!
Actuellement on peut trouver facilement seulement 4 livres de cet auteur :
- en Imaginaire Gallimard : Effi Briest et
Madame Jenny Treibel
- chez Sillage : Dédales
- aux éd. des Belles Lettres : Cécile

alors qu'ont été traduits en français les livres suivants (avec en tête la date de publication en allemand) :
- 1871 : Journal de captivité : voyage dans la France de 1970, trad. Alain Garric, Strasbourg, Bueb et Reumaux, 1986 ; traduit d'abord en revue en 1891 et 1892 (Souvenirs d'un prisonnier de guerre allemand en 1870, trad. Jean Thorel, voir sur Gallica)
- 1878 : Avant la tempête : scènes de l'hiver 1812-1813, trad. Jacques Legrand, Aubier, 1992
- 1881 : Ellernklipp : d'après un registre paroissial du Harz, trad. Denise Modigliani, Le Serpent à plume, 1996 ; puis Ellernklipp : la roche maudite, éd. du Rocher, 2001
- 1882 : L'adultera, trad. Madith Vuaridel, Aubier, 1991
- 1883 : Le conte Petöfy, trad. Denise Modigliani, le Serpent à plumes, 1997
- 1887 : Cécile, trad. Jacques Legrand, Aubier, 1994, 1998 ; Cecile, Jean-Marie Paul, éd. Les Belles Lettres, 2016
- 1888 : Errements et tourments, trad. Georges Pauline, Laffont, 1981 ; traduit sous un autre titre par Eugène Koessler, Dédales, Sillages, 2020 après Aubier, 1931, 1980
- 1890 : Stine, trad. Marc Erlyc, éd. Ombres, 2000
- 1890 : Quitte, trad. Bernard Kreiss, Jacqueline Chambon, 1998
- 1891 : Jours disparus, trad. Jacques Peyraube, Laffont, 1981
- 1892 : Madame Jenny Treibel, trad. Pierre Grappin, Gallimard, 1943, puis 2011
-
1895 : Effi Briest, trois traductions : Michel Delines, André Cœuroys, Pierre Villain
- 1893 : Frau Jenny Treibel, trad. Michel-François Demet, Laffont, 1981
- 1893 : Mes années d'enfance : roman autobiographique, trad. Jacques Legrand, Aubier, 1993 ; trad. Éliane Kaufholz-Messmer, éd. Jacqueline Chambon, 1996 ; publié en revue en 1894

- 1898 : Le Stechlin, trad. Jacques Legrand, Le Livre de Poche, 1981 puis 1998.

Effi Briest, c'est une histoire vraie. On s'en fiche ?



Des romans inspirés de faits réels, ça court les rues. Celui-ci n'y échappe pas. On n'a pas besoin de le savoir ?...

Une histoire authentique a inspiré Theodor Fontane. Elisabeth von Plotho, jeune femme issue de la vieille noblesse de Magdebourg-Brandebourg, épouse Armand Léon baron von Ardenne (1848-1919) en 1873 (notre roman est publié en 1896), malgré ses réticences, par obéissance à ses parents. Quelques années plus tard, il accepte que le magistrat royal et officier de réserve Emil Hartwich de Düsseldorf peigne Elisabeth et par conséquent la voie à diverses reprises à cette occasion.
Suite à son affectation au ministère de la Guerre, le baron von Ardenne déménage à Berlin avec sa famille en 1886 ; il observe que sa femme correspond avec Hartwich. Devenu méfiant, il ouvre la nuit la cassette dans laquelle elle conserve les lettres qu'elle a reçues : sans doute, Emil Hartwich et Elisabeth d'Ardenne ont eu une liaison ! Le magistrat, contacté par télégramme à Berlin, avoue et accepte la demande du baron d'un duel au pistolet. Il a lieu deux jours plus tard. Touché par plusieurs coups de feu, Emil Hartwich décède quatre jours plus tard. Le baron von Ardenne est arrêté, mais libéré après seulement dix-huit jours de prison. Son mariage se termine par un divorce en 1887 et il reçoit la garde des deux enfants. Elisabeth d'Ardenne travaillera comme infirmière pendant des années. Elle décèdera en 1952 à l'âge de 98 ans.
Le lien entre le destin d'Effi Briest et la vie d'Elisabeth von Plotho est évident. Fontane a cependant modifié de nombreux détails, non seulement pour protéger la vie privée des personnes impliquées, mais aussi pour renforcer considérablement l'effet : Elisabeth von Plotho n'a pas épousé son mari à 17 ans, mais à 19 ans ; il n'avait que cinq ans et pas 21 ans de plus qu'elle. De plus, elle a eu sa relation non pas après un, mais après douze ans de mariage, et son mari a abattu son amant peu de temps après alors que la relation était toujours en cours. Après le divorce, sa femme ne s'est pas retirée mais a trouvé un emploi.
Pour ce qui est du cadre, le château de la baronne d'Ardenne était une gracieuse folie du XVIIIe siècle, on y menait une vie de bals et de fêtes. Fontane le transporte de Düsseldorf dans la ville imaginaire de Kessin, reconstruite à l'image de Swinemünde, dans l'île d'Usedom, près des bouches de l'Oder, où s'était déroulée une partie de sa propre enfance. L'austère et puritaine Poméranie se substitue à la Rhénanie catholique et joyeuse.
La manière dont la personne réelle Elisabeth von Plotho s'est transformée en personnage fictif, Effi Briest, a été analysée en détail par des spécialistes.
Des "Effi tours" incluant des passages du roman Effi Briest sont organisés par la commune d'Elbe-Parey, étant donné que le château de Zerben où Elisabeth von Plotho a grandi serait le modèle de Hohen-Cremmen...
On ne fait pas pire avec Proust et la maison de la Tante Léonie (nous sur les traces de Proust dans le genre Effi tour...)

On prétend que Effi Briest, c'est la Bovary allemande...


Qui s'y colle pour répondre à la question : "Emma Bovary et Effi Briest : un air de famille entre les œuvres de Flaubert et de Fontane ?
C'est Beate Langenbruch, maître de conf au CNRS, sur le site de référence de l'université de Rouen consacré à Flaubert, qui développe longuement la réponse ainsi résumée ne disant rien :

Si, en définitive, on ne peut établir la preuve d'une influence directe de Flaubert sur Fontane, il n'en reste pas moins que la confrontation des deux textes et des deux esthétiques se révèle féconde, bien qu'elle laisse encore de nombreuses interrogations en suspens. Enfin, il s'agit de prendre conscience de quelques obstacles qui ont pu rendre difficile l'accès d'Effi Briest aux lecteurs et aux érudits français, dans le but d'encourager de futures recherches consacrées à ce rapprochement de deux œuvres prototypiques du réalisme européen.

- Michel André y va de sa comparaison plus franche, dans "Theodor Fontane, ce 'paquet de contradictions'" (Books n° 107, mai 2020) :

Effi Briest raconte une histoire d'adultère qui fait penser à Madame Bovary et à Anna Karénine, à cette différence près : Fontane ne jette pas sur son héroïne un regard cruellement détaché comme Flaubert et ne la condamne pas moralement comme Tolstoï. Le thème de l'adultère et de ses conséquences malheureuses apparait dans d'autres romans (L'Adultera, Jours disparus). Ses personnages féminins sont ceux qui ont la présence la plus forte. Sans être un militant de l'émancipation féminine, il était très sensible au sort des femmes de son époque, à la fois condamnées au mariage et en concurrence féroce sur le marché matrimonial. Ses héroïnes sont plus attachantes et plus fragiles que ses personnages masculins : "Je ne suis pas un viveur, expliquait-il, mais j'aime bien quand les autres vivent. [...] C'est à ce naturel que je suis attaché depuis longtemps. [...] Voilà pourquoi mes personnages féminins ont tous une fêlure. [...] Je tombe amoureux d'elles non point à cause de leurs vertus mais à cause de leurs traits humains."

Quittant Madame Bovary, mais gardant le rapport entre Fontane et Flaubert, Michel André ajoute :

Considéré avec Effi Briest comme son chef-d’œuvre, son dernier roman, Le Stechlin, est, à sa manière, un parfait échantillon du "roman sur rien" dont rêvait Flaubert. Avec une lègère ironie, son auteur en résumait l’intrigue de la manière suivante : "À la fin, un vieil homme meurt et deux jeunes gens se marient."

• Que vient faire Beckett à propos d'Effi Briest ?


Nous avions lu de ce prix Nobel mort en 1989 Molloy. Bon, et alors ?

Erika Tophoven, traductrice en allemand de Beckett (et aussi Nathalie Sarraute, etc.), mène une véritable enquête sur l'amour de Beckett pour Fontane. En voici les principaux éléments :

- Une première allusion à Effi Briest se trouve dans la pièce radiophonique Tous ceux qui tombent, écrite à Paris en 1956 pour la BBC, traduite par Robert Pinget, révisée par l'auteur et publiée aux éditions de Minuit.
L'ambiance est tout à fait beckettienne : la vieille Mme Rooney est allée chercher son mari aveugle, on entend La jeune fille et la mort de Schubert, ils sont surpris par l’arrivée de sombres nuages :

MONSIEUR ROONEY : Maudit soleil qui se cache. À quoi ressemble le ciel ? (Vent).

MADAME ROONEY : À un ciel qui se voile. Fini le beau temps… pour aujourd’hui. (Un temps.) Ce sera bientôt la pluie, les premières grosses gouttes, plof ! plof ! dans la poussière.

MONSIEUR ROONEY : Et ce salopard de baromètre au beau fixe. (Un temps.) Rentrons vite nous installer devant le feu. Nous tirerons les rideaux. Tu me liras un chapitre. Je sens qu’Effie va coucher avec le major. (Pas traînants.)

L’allusion se limite au prénom Effi, orthographié de surcroît de façon erronée.
- Deux ans plus tard, dans le monodrame La dernière bande, Krapp, vieux grincheux, a l’habitude à chacun de ses anniversaires, d’enregistrer sur bande magnétique quelques-unes de ses pensées sur l’année écoulée ; avant de se lancer dans un nouveau retour en arrière, il aime écouter et commenter certains passages enregistrés au cours des années précédentes. Il tombe sur les phrases suivantes :

"Me suis traîné dehors une fois ou deux avant que l'été se glace. Resté assis à grelotter dans le parc, noyé dans les rêves et brûlant d'en finir. Personne. (Pause.) Dernières chimères. (Avec véhémence.) A refouler ! (Pause.) Me suis crevé les yeux à lire Effie encore, une page par jour, avec des larmes encore. Effie... (Pause.) Aurais pu être heureux avec elle là-haut sur la Baltique, et les pins, et les dunes. (Pause.) Non ? (Pause.) Et elle ? (Pause.) Pah ! (Pause.)"

On peut avancer avec certitude que Beckett connaissait l’œuvre romanesque de Fontane, tout au moins Effi Briest.

- Voilà une confirmation : Michael Haerdter, son assistant de l’époque, lors de la mise en scène de Fin de partie à Berlin en 1967, confirme :

"Quels auteurs allemands aimez-vous ? – Fontane !" Je m’attendais à entendre Beckett confesser son admiration pour ce rationaliste prussien, mais pas à un tel enthousiasme.

Les fanas de Beckett peuvent découvrir d'autres détails de l'enquête de cette traductrice dans "What’s in a name... : Beckett lecteur de Fontane" de Erika Tophoven (in Theodor Fontane : un promeneur dans le siècle, dir. Marc Thuret, Presses Sorbonne Nouvelle, 1999).

Ajoutons le témoignage d'un de ses traducteurs, Antoni Libera, à Paris en 1986.

J'y étais allé pour un colloque littéraire organisé pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire de Samuel Beckett, pour moi l'écrivain moderne le plus important, dont j'ai traduit, annoté et mis en scène l'œuvre au théâtre pendant de nombreuses années et avec qui j'avais été en contact régulier depuis le milieu des années 1970.
Selon la tradition établie, nous nous sommes donné rendez-vous après le colloque. Comme à son habitude, Beckett lui propose le Café Français de l'hôtel PLM, situé en face de son domicile, boulevard Saint-Jacques. Je suis arrivé un peu en avance et je me suis assis à la table que nous occupions la dernière fois que nous nous étions rencontrés ici, quelques années auparavant.
Beckett arriva avec sa ponctualité habituelle, à midi pile, pas une seconde plus tard. À une réunion qui n'était liée à aucun projet ou projet créatif, il arrivait généralement "les mains vides", comme il aimait le dire. Cette fois, il tenait un petit livre qui s'est avéré être un vieil exemplaire beaucoup feuilleté d'Effi Briest de Teodor Fontane.
Les amis proches de Beckett et ceux qui connaissent son œuvre sauront que c'était l'un de ses romans préférés, auquel il revenait souvent et auquel il faisait également référence dans ses écrits (...)
Moi aussi, j'étais conscient de toutes ces références, et ainsi, vers la fin de la conversation, lorsque le silence légendaire, que tous ceux qui ont rencontré l'écrivain ont pu rencontrer, s'est abattu sur la petite table du café, j'ai demandé timidement : "Est-ce que tu lis encore Effi ?"
Paraphrasant une phrase de Krapp, il répondit : "Oui... une page par jour, pour arracher les yeux."
"Encore des larmes ?" dis-je en reprenant le fil de la citation.
Il eut un sourire pâle. "Non, je n'irais pas jusqu'à dire ça."
J'ai eu le courage de poser la question vitale : "Pourquoi aimes-tu autant ce roman ?"
Il y a eu une longue pause avant que j'obtienne une réponse. "Je rêvais d'écrire quelque chose comme ça. Et il me reste encore un peu de ce rêve. Mais je ne l'ai jamais fait. Je ne l'ai jamais écrit..." Il s'interrompit.
"Tu ne l'as jamais écrit ?" J'ai effrontément essayé de lui arracher les mots.
Un autre sourire pâle, puis, dépliant les mains, il dit :
"Car... je suis né trop tard. Personne n'écrit comme ça de nos jours. Aujourd'hui, on écrit bien pire."
Il m'a jeté un coup d'œil et a ajouté en plaisantant : "Mais ne vous inquiétez pas. Le monde change. Peut-être y arriverez-vous."
C'était ma dernière rencontre avec Beckett. Après cela, nous n'avons parlé qu'au téléphone. Il est décédé en décembre 1989.

Effi Briest au cinéma


Pour donner un coup de projecteur au film de Fassbinder (bande annonce en allemand=>ici, film complet en allemand=>là et des images fixes du film rendant l'ambiance du film=>ici), voici un extrait de deux articles consultables en ligne.

- Eberhard Gruber étudie étudie les quatre adaptations du roman Effi Briest et distingue des films de Gründgens (1938), Jugert (1955) et Luderer (1970 : le film complet en allemand en ligne=>ici), la "réécriture filmique" de Fassbinder (1974) ainsi décrit :

Assumant le statut littéraire du récit, le cinéma met dès lors en œuvre un ensemble de processus spécifiques : fondu au blanc, reprise iconique, jeu de miroirs "glaçant" les personnages, effet de dissociation obtenu par la lecture off du texte ou par son inscription à l’écran. Le film, par suite, toujours déjà réécriture, entre œuvre et reprise, élabore une polysémie architecturale que fonde tout un art de "rythmer les passages". ("Une reprise impossible ? Effi Briest et la question de ses réécritures filmiques", Cinémas, n° 1, 1993).

- Gilbert Guillard, spécialiste du cinéma allemand, approfondit le rapport entre Fassbinder et Fontane :

Dans une interview à propos d’Effi Briest, Fassbinder déclarait : "Ce n’est pas un film sur les femmes, mais un film sur Fontane, sur l’attitude d’un écrivain vis-à-vis de la société où il se trouve. Ce n’est pas un film qui raconte une histoire, mais un film qui restitue une attitude. C’est l’attitude de quelqu’un qui perce à jour les défauts et les faiblesses de la société où il vit, et les critique aussi, mais reconnaît pourtant que cette société est pour lui légitime".
Dans ce film, il n’y a aucune adaptation du texte de Fontane ; c’est l’original qui est repris mot pour mot, à défaut de pouvoir l’être dans son intégralité. Et il apparaît sous quatre formes différentes :
1. dans la bouche des acteurs,
2. à travers une lecture en voix off, faite par Fassbinder lui-même, manière de s’identifier sinon à l’auteur, du moins à sa démarche,
3. à travers des intertitres ponctués par la musique et enfin
4. à travers l’apparition à l’écran d’images de lettres ou de télégrammes, et Fassbinder a bien senti là l’importance des lettres dans les romans de Fontane. Tout ceci concourt à renforcer l’impression que le but principal du film est d’analyser l’art de l’écrivain à travers la transposition/ réécriture filmique et non de raconter le destin tragique de l’héroïne. Par ailleurs, les scènes sont entrecoupées de fondus au blanc, et non au noir, ce qui donne l’impression d’un découpage en chapitres, comme un livre comportant une page blanche entre chaque chapitre, les intertitres annonçant le thème-clé du prochain chapitre. Et nous ne verrons pas le tombeau d’Effi, mais seulement un insert blanc orné d’une bordure noire, tel un faire-part de deuil.
("Fontane, Effi Briest de R. W. Fassbinder : un vaste contrechamp", in Theodor Fontane : un promeneur dans le siècle, dir. Marc Thuret, Presses Sorbonne Nouvelle, 1999).

Nos cotes d'amour à venir
                                 
Annick AAnnick LBrigitteCatherine ChristelleClaire ClarisseDanièle Etienne Fanny FrançoiseJacqueline Jérémy KatellLisa ManuelMonique L Muriel OdileRenéeRichardRozennSabineThomas

Thomas Mann (n'a pas lu qu'Effi Briest)
Qu'il me soit permis d'avouer qu'aucun écrivain du passé ou du présent n'éveille en moi ce ravissement immédiat et instinctif, cet amusement spontané, cet intérêt chaleureux, cette satisfaction que j'éprouve à chaque vers, à chaque ligne de ses lettres, à chaque bribe de ses dialogues. Cette prose si légère et si limpide, dotée pourtant d'une agréable ampleur, avec sa secrète tendance au ton de la "ballade", ses ellipses à la fois attrayantes et poétiques, a une nuance de nonchalance "soutenue" ; malgré son laisser-aller apparent, elle possède une tenue, une consistance, une forme intimes, telles qu'on ne peut guère les imaginer qu'après un long commerce avec la poésie ; elle est, en fait, beaucoup plus proche de la poésie que son absence de solennité et de prétention ne voudrait le reconnaître, elle a une conscience poétique, des exigences poétiques, elle est écrite en fonction de la poésie et - tout comme les vers de sa vieillesse, si concentrés et si parfaits qu'on les retient aussitôt par cœur, se rapprochent de plus en plus de sa prose par le style - le phénomène singulier, c'est que sa prose se sublimise dans la mesure même où elle (pardonnez-moi le mot) baguenaude. On a souvent dit qu'il était un causeur* et lui-même s'est ainsi désigné ; cependant la vérité, c'est que même lorsqu'il semblait bavarder il fut un barde, et son bavardage, qui après Effi Briest prit le dessus, sous une forme poétiquement sans doute assez douteuse, consiste en une volatilisation du sujet matériel, au point qu'il ne reste, finalement, presque plus rien qu'un jeu artistique nuancé et spirituel.
*En français dans le texte


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

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