Lirelles


Nous avons lu pour le 15 janvier 2023

Monsieur Vénus de RACHILDE
préfaces de Martine Reid et Victoire Tuaillon Imaginaire Gallimard, 2022, 192 p.
Cliquez pour lire ›NOS RÉACTIONS sur le livre


AUTOUR DU LIVRE : quelques infos
sur le parcours et l'œuvre de Rachilde
à propos de Monsieur Vénus
Rachilde : un drôle de genre
le salon de Rachilde
Pour découvrir le parcours et l'œuvre de Rachilde (1863-1953)
 
On peut :
- lire la fiche wikipédia
- écouter une émission sur France Culture :"Marguerite Eymery dite Rachilde, Homme de Lettres 1860-1953", 9 mai 2009, rediffusion le 17 mai 2014, par Françoise Estèbe et Christine Robert, parmi les invité.es Diane de Margerie est particulièrement intéressante ; on entend la voix de Rachilde, 58 min
-
regarder en vidéo une conférence organisée par la BNF, par une des deux préfacières de notre livre, Martine Reid "
Rachilde [Marguerite Eymery] : 1860-1953", 15 décembre 2008, 1h (conférence appartenant au cycle "Autrices oubliées de l’histoire littéraire").
- un article de Martine Reid : "Le roman de Rachilde", Revue de la BNF, n°34, 2010
- remarquer son look varié... :
                 
 
À propos de Monsieur Vénus
 

On peut : Marguerite Eymery dite, Rachilde (1860-1953) et Alfred Valette (1858-1935)
- lire la présentation sur wikipédia
- repérer les étapes de l'histoire de son édition :

›1884 : première édition à Bruxelles, par l'éditeur Auguste Brancart avec un co-auteur, Talman. Sous-titre : roman matérialiste.


Le livre ne passe pas inaperçu : l
e parquet de Bruxelles ordonne la saisie de l'ouvrage. La correspondance de l'éditeur est interceptée et les scellés apposés sur les épreuves d'un autre ouvrage, pourtant plus soft, de Rachilde, Queue de poisson. Une chambre de Bruxelles la condamne à deux ans de prison (par contumace) pour immoralité, outrage aux mœurs, accompagnés de 2000 francs d'amende qu'elle ne paiera jamais, destruction des livres existants.
Le parquet de Paris ordonne quant à lui une perquisition au domicile de Rachilde 5 rue des Écoles (à côté du cinéma Grand Action aujourd'hui...) où pourraient encore se trouver des exemplaires de ce roman.
S'ensuivent deux conséquences : Rachilde devient du jour au lendemain une femme "à la mode" et elle est renseignée sur l'état de santé mentale de sa mère : celle-ci, apprenant le scandale qu'a entraîné la parution de Monsieur Vénus, s'est précipitée chez l'un des éditeurs de sa fille, lui soutenant que celle-ci écrit sous la dictée d'un esprit nommé "Rachilde". Après cette esclandre, Rachilde ne voudra plus entendre parler de sa mère et celle-ci sera plus tard internée à Charenton...

›1889 : deuxième édition en France, par l'éditeur Félix Brossier, avec une préface de Maurice Barrès (en ligne sur Gutenberg) et qu'on retrouvera publiée par Flammarion en 1926, 1929, 1977, 1992 (voir les différentes éditions répertoriées par BNF). Des coupes sont pratiquées par Rachilde, ainsi que des modifications : voir ›ici ces changements.

Dernière réédition de 1992

›2022 : troisième édition par Imaginaire Gallimard restituant la version originale.

 
Rachilde : un drôle de genre
 

En 1885, Rachilde demanda une autorisation spéciale à la préfecture de police pour s'habiller en homme qui lui fut accordée :

« Dans le journalisme, l'originalité est imposée comme un devoir. Ne me refusez pas le moyen d'être originale puisque mes directeurs littéraires ne reculent pas, eux, devant ce moyen de réclame ».

Elle cultivera cette originalité en se faisant couper les cheveux et en se faisant graver des cartes de visite où est mentionné "Rachilde, homme de lettres".
Voici une première carte sans cette mention :

Et une deuxième avec cette mention, ainsi que le jour de réception :

Ce personnage qu'elle se créa devait lui coller à la peau toute sa vie, car beaucoup de ses contemporains la confondirent avec l'héroïne de Monsieur Vénus, Raoule de Vénérande qui, elle aussi se travestit en homme pour rejoindre son amant. Pourtant cette réputation ne reflétait en rien la réalité.

Elle eut "quand même" une liaison avec Gisèle d'Estoc (1845-1994) qui avant Rachilde avait eu une liaison avec Maupassant ; une riche personnalité : écrivaine, journaliste, peintre, sculptrice, également féministe, duelliste et qui s'habillait elle aussi en homme.

 
Le salon de Rachilde
 

Rachilde tint salon dans les bureaux du Mercure de France rue de l’Échaudé puis 26 rue de Condé, et également chez elle 5 rue des Écoles, où elle recevait des écrivains et poètes comme Jules Renard, Maurice Barrès, Pierre Louÿs, Émile Verhaeren, Léon-Paul Fargue, Paul Verlaine, Jean Moréas, Paul Valéry, Victor Margueritte (auteur de La Garçonne que nous avons lu), Francis Carco, André Gide, Catulle Mendès, Guillaume Apollinaire, Alfred Jarry, Léon Bloy, Remy de Gourmont, Joris-Karl Huysmans, Stéphane Mallarmé, "Willy (le mari de Colette), Jean Lorrain, Oscar Wilde.
Et les femmes ? Natalie Clifford Barney, Renée Vivien, Liane de Pougy, Lucie Delarue-Mardrus, Colette et même la journaliste militante Séverine y viendront.

Deux ouvrages consacrent un chapitre à son salon, chapitres qu'on peut lire :
- "Le salon de Rachilde au Mercure de France", Les Grands Salons Féminins, de Marie Gougy-François, Nouvelles Éditions Debresse, 1965.
-
"Rachilde, 'homme de lettres'", Salons européens : les beaux moments d'une culture féminine disparue, de Verena von der Heyden-Rynsch, trad. de l'allemand par Gilberte Lambrichs, Hors série Littérature, Gallimard, 1993.



Et voici NOS RÉACTIONS sur le livre


Lors de ce 15 janvier 2023, nous étions 13 à nous retrouver pour Monsieur Vénus : ce nombre fatidique a-t-il ou non porté chance à Rachilde ?
- en chair et en os (10) :
Agnès, Aurore, Brigitte, Claire, Felina, Flora, Joëlle L, Muriel, Patricia, Véronique
- en visio (3) :
Laetitia, Nelly, Sandra
N'étaient pas avec nous (7) : Joëlle M, Lucie, Marie-Claire, Marion, Nathalie, Sophie, Stéphanie.

Trois tendances nettes

Les rejetantes ou/et ayant sombré dans l'ennui, voire ayant quitté le navire avant l'arrivée : Aurore, Flora, Muriel, Nelly, Sandra
Les mitigées, pondérées :
Brigitte, Joëlle L, Laetitia,Véronique
Les séduites : Agnès, Claire, Felina, Patricia

Ouvrons une parenthèse : nous n'avons pas toutes lu la même version, ce qui a pu jouer parfois, partiellement, sur la lecture :

les unes ont lu la version numérique qui est la version remaniée (par Rachilde elle-même pour pouvoir être publiée en France) de 1889, rééditée pendant plus d'un siècle sous cette forme :
=>
avec une préface de Maurice Barrès qui se voulait élogieuse et a eu un effet misogyne de repoussoir (la préface doit-elle se lire avant ?...)

• les autres ont lu la récente publication de la version originale dans la collection Imaginaire Gallimard, dirigée depuis 2021 par la (belle) Margot Gallimard (lire ici un article ou un entretien ici qui permettent de comprendre l'évolution de la collection dans un sens qui ne peut que plaire à LIRELLES,). Les préfacières sont :
=>
d'une part Victoire Tuaillon, auteure du podcast Les couilles sur la table publié aussi en livre Les couilles sur la table qui synthétise les 50 épisodes du podcast
=>
d'autre part Martine Reid, universitaire spécialiste de l'histoire et la place des femmes dans la littérature.

Entre les préfaciers, y a pas photo ! Et pourtant Maurice Barrès et Rachilde ont eu une amitié "passionnée, parfois houleuse" (dont rend compte leur correspondance qu'a commentée Michael R. Finn, avec très intéressante biographie de Rachilde).

La succession des prises de parole

Nelly
Je n'étais pas sûre de pouvoir venir... et finalement je l'ai quand même lu mais à toute vitesse. Je n'ai pas été intéressée, dès le début. J'ai ressenti un rejet des personnages qui ne me donnaient pas envie de fournir un effort pour me concentrer. Au-delà de ces personnages aucunement attachants, j'ai aussi ressenti un rejet du sujet, sans parler des passages pas ragoûtants...
Je préfère des romans où les personnages inspirent un minimum de sympathie, sinon je m'en désintéresse....

Laetitia
Je ne connaissais pas du tout : ni ce titre, ni cette auteure et c'est donc une totale découverte.
J'ai éprouvé un intérêt tout en n'ayant pas vraiment aimé le livre.
1884, année de la publication, fait de ce roman un témoin d'une époque littéraire, avec la décadence de fin de siècle. Je ne connaissais pas de femme qui avait écrit à cette période. C'est l'année d'À rebours de Huysmans que j'ai lu pendant mes études et à quoi j'ai pensé dès le premier chapitre, avec des fleurs - un thème cher à Huysmans. On trouve aussi des bijoux, l'orientalisme, le rococo (p. 40 : "Le plafond, gondolé aux corniches, était peint de vieux motifs rococos sur fond azur-vert.") et l'Antiquité, avec p. 160 la description de la chambre et l'évocation de la mythologie concernant "la couche nuptiale avait les contours du vaisseau primitif qui portait Vénus à Cythère".
Et l'écriture, elle, est faite de phrases longues, d'énumérations, de nombreux adjectifs, de mots rares (majolique, hanap, faix de roses…), d'oxymores (atroce joie, agréable monstre).
Quant à la thématique - le genre - je suis très curieuse de ce que vous allez en dire. En effet, en dépit de l'époque où le livre a été écrit, on peut y voir un aspect moderne.
Je ne suis pas du tout fan du coté SM. Et moi aussi je trouve que les personnages ne sont pas assez attachants.
Mon intérêt concerne plutôt l'histoire de la littérature à travers ce livre que je n'aurais pas lu sans LIRELLES.

Sandra
Je ne connaissais pas moi non plus. Si la quatrième de couverture m'a tentée, la préface de Maurice Barrès ne m'a pas convaincue. Et il en a été de même des premiers chapitres.
Le personnage principal est décrit comme une personne intelligente, avec un certain caractère, or elle est trop rapidement déconcertée, sous l'emprise de Jacques ; cette passion m'a semblé incompréhensible, trop rapide : j'ai été bloquée par le fait que je n'y croyais pas. L'homme n'a rien de charismatique, et pour moi ni talent, ni beauté : ça va donc bien trop vite !
Bref, j'ai abandonné au chapitre 6, ne rentrant pas du tout dans le livre.
Je n'ai pas non plus adhéré à l'écriture qui pour moi n'a rien non plus d'exceptionnel.
Quant à l'inversement du pronom "il" et "elle", je n'ai pas trouvé cela pertinent. Pourquoi le terme d'homme/amant pour Raoule et de femme pour Jacques ? Le genre pouvait être maintenu. Les appétits sexuels, les sentiments passionnels et de dépendance amoureuses, ne sont pas inhérents au genre.
Certes, Rachilde était peut-être une autrice intéressante, par la tenue de son salon, son succès à l'époque etc., mais bon, pas d'emballement pour cet ouvrage.

Joëlle L
J'ai lu ce livre dans la mauvaise version (avec la préface de Maurice Barrès - qui vaut le détour !). Quand je me suis aperçue de mon erreur, j'avais déjà lu le livre en entier. Je me suis alors procuré la bonne version et j'en ai lu à peu près la moitié.
Même si la version non expurgée me semble mieux, je suis globalement déçue. Ce n'est pas très bon. Style ampoulé, trop de clichés, pas très subtil. Les personnages manquent de nuance et c'est bien regrettable dans un roman qui repose sur l'ambiguïté.
À peu près à la même époque et dans la même veine sont parus
- 1874 Les Diaboliques (Barbey d'Aurevilly) 10 ans avant Monsieur Vénus
- 1883 Contes cruels (Villiers de l'Isle Adam)
- 1884 À Rebours (Huysmans)
- 1885 Les Chants de Maldoror (édités en 1869 mais restés dans un placard)
De mémoire, je les ai tous trouvés plus riches et complexes, plus intéressants.
Nettement plus tard est paru un roman qui pourrait être mis en parallèle avec celui-ci (intrigue choquante pour son époque, autrice très jeune et qui fera carrière ensuite), mais avec un vrai travail sur le style : c'était Bonjour tristesse. On pourrait aussi citer le premier Despentes (Baise moi).
Ici, on est "pâle comme une morte", les larmes sont "brûlantes", les pauvres sont sales et méchants ou veules (Jacques Silvert et sa sœur), les nobles sont héroïques (le soupirant), pieux (la tante), déterminés et audacieux (l'héroïne). En plus les noms sont gratinés ("de" Raittolbe : en prime, on ne devrait pas mettre la particule s'il n'y a ni le titre ni le prénom devant le nom - madame Ermangarde, "Raoule" de Vénérande).
On se perd de temps en temps dans une forêt de détails décoratifs qui datent (l'atelier organisé pour Jacques, les toilettes portées dans certaines circonstances…) et qui ralentissent l'action, voire l'anéantissent. Et là, on s'ennuie. Les descriptions sont faibles.
Ce qui me dérange aussi c'est la misogynie. La féminisation de Jacques est l'occasion de marquer le mépris du féminin (cf. 1er § du chapitre 8, par exemple : "Jacques aimait Raoule avec un vrai cœur de femme. Il l’aimait par reconnaissance, par soumission").
Je suis personnellement peu intéressée par les relations SM. Je passe...
Il y a tout de même des choses à sauver : des remarques de Jacques, des déclarations de Raoule et des notations en passant qui ne manquent pas d'humour ; par exemple : le groom qui "eut une grimace d'homme fait qui croit tout possible, même en temps de pluie." Le même groom reçoit Marie et se dit que ce pourrait être quelqu'un d'influent "car les costumes perdent de plus en plus de leur signification sous la République"...
J'ai remarqué le chapitre 7 qui expose bien le propos et n'est pas trop ronflant. C'est justement un chapitre qui ne serait peut-être pas d'elle…
Enfin, la poupée. J'ai pensé à l'exposition l'exposition Kokoschka au Musée d'art moderne où on voyait en photo la poupée à l'image d'Alma Mahler qu'il s'était fait confectionner grandeur nature quand elle l'avait quitté. On est vers 1920.


(photo prise par Joëlle à l'exposition)

Ma conclusion : un mauvais livre sur une bonne idée. À ranger au rayon des curiosités.

Véronique
Je signale que j'ai lu entièrement le livre (applaudissements connaissant Véro) !
Je suis à peu près d'accord avec l'avis de Joëlle, et notamment la conclusion.
Je n'ai pas été prise par le livre où les caractères des personnages ne ressortent pas.
Cependant l'intérêt du livre vient de son aspect "curiosité". Et puis à l'époque, ses variations sur le genre sont originales, nouvelles.
Il est vrai que je n'avais pas trop envie de ce type de lecture car il y a de la violence, des violences, sur les corps.
Les descriptions à rallonge n'apportent pas grand-chose, avec leur côté daté. La fin on s'y attend. (Face aux protestations) oui ! même la poupée. J'ai l'impression d'avoir déjà lu ça dans la littérature bas de gamme.
Je n'ai rien lu sur Rachilde, alors que c'est sûrement intéressant.
Je suis contente de l'avoir découverte.

Claire (épouvantablement trop longue)
J'ai tout de suite aimé le style avec la description du personnage : "Autour de son torse, sur sa blouse flottante, courait en spirale une guirlande de roses ; des roses fort larges de satin chair velouté de grenat, qui lui passaient entre les jambes, filaient jusqu'aux épaules et venaient s'enrouler au col."
J'ai tout de suite aimé l'excès, le sens de la pose, et c'est pourquoi je ne me suis pas posé la question de la vraisemblance de la passion, gênante pour Sandra : on est dans de l'esthétisme, le jeune homme est beau et notre héroïne craque pour sa beauté et pas pour son ... être profond.
J'ai donc aimé cet excès, dans les descriptions du corps sensuelles ou inattendues ("le cou avait un petit pli, le pli du nouveau-né qui engraisse"), les descriptions d'objets aussi : les "morsures du peigne", les chaises prennent "des poses effarées".
Et Rachilde n'y va pas de main morte : "Jacques se tordait, perdant son sang par de véritables entailles que Raoule ouvrait davantage avec un raffinement de sadique plaisir." Heureusement plus loin, "Les plaies se fermèrent au souvenir des caresses" : et hop !
L'excès délibéré, mais aussi la distance ; j'ai souri, notamment à propos de la chanoinesse dont le chic vestimentaire est le linceul : "La chanoinesse, elle, s'enveloppait pudiquement d'un suaire de dentelles qui voilait une robe de couleur pensée." Et qui attend de s'éclater quand notre héroïne sera mariée : "je pourrai donc réaliser mon vœu le plus cher, quitter ce monde de vanités et me retirer aux Visitandines, où j'ai mon voile tout prêt. Béni soit le Seigneur !".
J'ai rigolé au dialogue avec sa nièce complètement dégenrée :
(La tante chanoinesse) : -"Souvenez-vous, ô très douce Vierge Marie qu'on n'a jamais entendu qu'aucun de ceux qui ont eu recours à vous aient été délaissés"...
(la nièce) - "Lui a-t-on jamais demandé la grâce de changer de sexe? songea la jeune femme, embrassant la vieille dévote en soupirant."
Je n'ai pas détesté la préciosité, la pose ("Elle éprouvait ce vague de l'être"), les mots rares (on boit le champagne dans un hanap, on baisse les lambrequins de l'atelier, on moque "un gommeux stupide", Raoule se dit trop empaumée, on a dans la famille trop de parchemin dans le caractère), j'ai apprécié les références artistiques du genre floue : Antinoüs (l'amant de l'empereur romain Hadrien) revient souvent ("l'Antinoüs du boulevard Montparnasse") ; si je n'avais pas vu l'exposition "Héroïnes romantiques" au musée de la vie romantique, je n'aurais pas eu en tête en lisant "la nouvelle Sapho ne pouvait encore faire le saut de Leucade" un tableau qui y était présenté où la poétesse de Lesbos, sa lyre dans les bras, est sur le point de se jeter dans le vide par désespoir amoureux... (Divers commentaires s'expriment alors pour laisser entendre que Sapho n'aurait rien fait de tel...) bon, le tableau lui existe...


Sapho à Leucade, 1801, Antoine-Jean Gros (1771-1835)
Musée d'art et d'histoire Baron-Gérard à Bayeux

J'ai pensé comme Laetitia et Joëlle à l'atmosphère décadente et raffinée de Huysmans à qui le musée d'Orsay a consacré une exposition il y a trois ans.
Même si j'ai été très surprise qu'elle/il appelle son amant/amante Jaja, ce qui tranche un peu avec l'ambiance..., je conviens que parfois c'est lourd : "Au centre, sous la veilleuse retenue par quatre chaînes d'argent, la couche nuptiale avait les contours du vaisseau primitif qui portait Vénus à Cythère. Une profusion d'amours nus accroupis au chevet soulevaient de toute la force de leurs poings la conque capitonnée de satin bleu. Sur une colonne en marbre de Carrare, la statue d'Eros, debout, l'arc au dos, soutenait de ses bras arrondis d'amples rideaux de brocart d'Orient, retombant en plis voluptueux tout autour de la conque, et, du côté du chevet, un trépied en bronze portait un brûle-parfums étoilé de pierres précieuses où se mourait une flamme rose dégageant une vague odeur d'encens. Le buste de l'Antinoüs aux prunelles d'émail faisait face au trépied. Les fenêtres avaient été reconstruites en ogive et grillées comme les fenêtres de harems, derrière des vitraux de nuances adoucies." Ouf !
Ou c'est théâtral un peu ridicule : "Je m'en vais ! Adieu pour toujours. Tu ne me reverras plus! Tes larmes m'ont purifiée et mon amour vaut ton pardon.
Elle s'enfuit, folle d'une atroce joie, plus voluptueuse que la volupté charnelle, plus douloureuse que le désir inassouvi, mais plus complète que la jouissance
"…
Et c'est vrai qu'on n'est pas à l'abri des clichés, avec les "abîmes insondables" forcément, mais j'ai eu cette impression plus rarement que Joëlle.
Et puis j'ai trouvé les relations incroyables d'audace dans les renversements compliqués. Et justement, pour répondre à Sandra qui dit "Pourquoi le terme d'homme/amant pour Raoule et de femme pour Jacques ? Le genre pouvait être maintenu", c'est ce qui permet de raffiner, sinon ce serait bien trop simple, bien trop banal : dans le genre trop simple, j'ai bien aimé le renvoi du lesbianisme à la banalité : "être Sapho, ce serait être tout le monde !"
L'excès, la préciosité ne tombent pas dans le kitsch, mais une scène constitue vraiment un clou limite ; à la fin, Jacques, jamais nommé d'ailleurs "Monsieur Vénus" (et en cela le titre est parfait), va donc mourir en duel à la dernière page : le baron qui l'a tué se jette sur lui pour le sauver, appuie sur la blessure avec ses lèvres, tâchant "d'aspirer le sang qui coulait à peine", c'est là que c'est le clou : il "voulut de nouveau sucer la plaie, parce que le sang ne coulait toujours pas.
Alors Jacques le repoussa et lui dit, plus bas encore:
-Non! laissez-moi, vos moustaches me piqueraient...
Son corps frissonna en se renversant en arrière. Jacques était mort.
" Oh le coup des moustaches !

J'ai été intéressée par les aventures de l'édition du livre et ne parlons pas de l'auteure, un personnage romanesque à souhait.
De Rachilde, j'avais lu jadis La Tour d'amour, roman extrêmement bizarre qui m'avait captivée par l'écriture et qui avait lui aussi une dimension sadique.
Je me suis procurée un livre qui fait suite à une thèse de la Québécoise Vicky Gauthier, Rachilde : écrivaine fantastique monstrueuse, illisible, que j'ai abandonné très vite... barbant super barbant.
Joëlle m'a signalé le livre de Cécile Chabaud, Rachilde homme de lettres, récemment sorti aussi, typique de la biographie romancée.

Felina
J'ai aimé et pour les mêmes raisons. J'ai adoré le langage, y compris les mots rares que j'allais chercher dans le dictionnaire, pour ma culture.
J'ai été charmée par les descriptions - je me suis même pâmée…
La lecture, en créant cette atmosphère décadente, entraîne une sensation rêvassante, comme inspirée par le haschich que je n'ai pas pris.
À la fin, j'ai lu les préfaces et j'ai bien aimé la première de Victoire Tuaillon.
Je dois admettre que j'ai pris un plaisir (coupable) à la lecture de la soumission d'un homme. Cette Raoule, je ne l'ai pas trouvé si scandaleuse que ça, ni pornographe : de façon inversée, elle a le rôle d'un gentleman de l'époque qui a une liaison avec une femme, juste belle. Je n'ai pas été choquée par le sadisme.
C'est le miroir d'une époque. J'ai aimé.

Patricia
Je connais Rachilde depuis peu grâce à une visite du cimetière de Bagneux où elle est enterrée. Mathilde, la guide, nous en a parlé en termes peu élogieux à cause de l'antiféminisme, xénophobie, antisémitisme de Rachilde, qui font qu'à la fin de sa vie elle s'est retrouvée complètement isolée et oubliée (confirmé par wikipédia). J'ai appris également qu'il y avait une chanson écrite par la chanteuse Juliette intitulée "Monsieur Vénus".
Néanmoins, j'ai quand même lu son livre avec plaisir, il s'agissait de la version tronquée qu'on trouve en pdf sur internet.
J'ai sauté la préface écrite par Maurice Barrès car le début m'a profondément agacée.
Je trouve que cette lecture reste dans la continuité d'Anaïs Nin, notre précédente lecture, hormis le fait qu'on n'a pas lu de roman érotique d'Anaïs Nin. Le roman Monsieur Vénus est plutôt dans le registre du sadomasochisme. Elle inverse le rôle homme/femme. On voit que ce qui est choquant quand un homme se fait brutaliser par une femme, ne l'est pas quand c'est l'inverse, si on se replace dans l'époque fin XIXe.
Ce que j'ai noté tout de suite, c'est un ton comique et exagéré, mais très spirituel, une écriture très intéressante par le vocabulaire employé qu'on n'utilise plus de nos jours. La lecture est très rythmée, le début se lit comme un poème en vers. Il y a plein de sous-entendus dans les mots utilisés, c'est très drôle.
En même temps, j'ai trouvé étonnant, qu'à cette époque, concernant le phénomène transgenre, elle utilise le même vocabulaire que de nos jours. Par exemple : "nés dans la mauvaise enveloppe", elle parle de "transition" pour Jacques qui devient femme dans son imaginaire.
Elle est très drôle, quand elle parle de demander à la Sainte-Vierge un changement de sexe.
De même, quand elle dit "Être Sapho ce serait être tout le monde", ça veut dire qu'elle pense qu'être lesbienne est intégré dans les mœurs déjà à cette époque.
Elle évoque un peu la psychanalyse quand elle parle des hystériques de la Salpêtrière, à propos de Raoule au début.
Bref je ne me suis pas ennuyée (sauf des longueurs parfois au milieu du livre), et surtout j'ai bien ri. Contente de l'avoir lu.

Muriel
Je suis tout à fait de l'avis de Nelly.
Je n'aime pas ces histoires SM.
Et je ne croyais pas à cette relation.
Quant à l'écriture, elle n'est pas extraordinaire.

Flora
Moi aussi je partage l'avis de Nelly, en partie. Je n'ai pas réussi à y croire.
Pourtant tous les ingrédients de cette histoire sont intéressants. Et je suis allée jusqu'au bout.
Je ne sais pas si c'est l'écriture, ou les personnages auxquels je ne me suis pas attachée.
Ce qui est intéressant, c'est la thématique, le contexte, la dimension novatrice.
Il y a un moment que j'ai apprécié, c'est lorsque Jacques est présenté dans la soirée mondaine : je l'ai alors visualisé et j'ai pensé à Dorian Gray, un mystère, un magnétisme. ("Des femmes se rapprochèrent de Jacques, la duchesse d'Armonville, contemplant les traits merveilleux de ce roux que la blancheur sidérale de l'illumination rendait blond comme une Vénus du Titien"…)
Oui, c'est un livre qui mériterait une mise en scène, au cinéma ou au théâtre.
Merci pour la découverte. Même si je ne le recommanderai pas.

Aurore
Je l'ai lu dans la version électronique, et la préface m'a beaucoup agacée : "Les jeunes filles nous paraissent une chose très compliquée, parce que nous ne pouvons nous rendre assez compte qu'elles sont gouvernées uniquement par l'instinct, étant de petits animaux sournois, égoïstes et ardents. Rachilde, à vingt ans, pour écrire un livre qui fait rêver un peu tout le monde, n'a guère réfléchi ; elle a écrit tout au trot de sa plume, suivant son instinct. Le merveilleux, c'est qu'on puisse avoir de pareils instincts."
De plus, je me suis rendu compte que la préface allait spoiler, stop, je suis donc passée au livre proprement dit. Un livre qui avait été rejeté et en cela pouvait donner envie de le lire
Je me suis profondément ennuyée. C'est le livre que j'ai le moins aimé depuis bien des années. Je l'ai terminé, mais ce fut une torture…
Dès le début, je n'y ai pas cru. Mais c'est l'ennui qui a dominé. À l'exception des parcours dans les rues en fiacre.
À l'ennui s'ajoute le fait que ce n'est pas spécialement bien écrit. Je l'ai donc lu de façon un peu automatique, jusqu'au duel (Aurore lève les yeux au ciel) : trop de drame pour pas grand-chose.
Le caractère maso ne m'a pas intéressé. La poupée ? Pas grave. Le questionnement sur le genre ? Pas intéressant.
J'ai repris la préface pour finir, cette préface antiféministe...

Brigitte
J'ai trouvé le début assez affriolant. Mais c'est sans doute pour l'avoir ouvert en pleine canicule cet été.
Ma lecture s'est poursuivie en trois temps : un premier tiers emporté par l'originalité du sujet et des personnages, dont se détache celui de la vieille tante toute de noir vêtue et soucieuse de la rectitude de sa tenue comme de l'ordre moral autour d'elle, attendant avec impatience d'avoir réussi à marier sa nièce pour pouvoir entrer au couvent, espoir ruiné par les frasques de ladite nièce.
Dans un deuxième temps, cependant, l'intérêt s'érode peu à peu, au rythme d'un style qui se veut d'un érotisme baroque mais n'est guère plus qu'un style salonnard s'épuisant en expressions qui cherchent à faire mouche, grevé d'oxymores et de clichés faciles, notés rapidement : "L'homme est matière, la volupté est femme", "on ne connaît pas la vie, on l'invente" ; réveillé par Raittolbe Jacques "se révéla grâcieux dans sa stupeur", le baron quant à lui usant de jurons dignes du capitaine Haddock : "Cré nom d'une sabretache"…
Mais tout cela finit par lasser quelque peu, surtout que Jacques pleure beaucoup : "Fils d'un ivrogne et d'une catin, il ne savait que pleurer." Difficile de trouver plaisante une remarque telle que "une âme aux instincts féminins qui s'est trompée d'enveloppe" car rien ne l'a montré jusque-là. Et puis quand Raoule monte par un escalier mal éclairé jusqu'à la mansarde où travaille le fleuriste pour se faire faire une robe de bal, on reste médusé du caractère bien peu probable de la situation, surtout que Rachilde elle-même le suggère en ajoutant un commentaire parfaitement logique, lui : elle aurait dû envoyer sa couturière…
On nage donc en pleine délire verbal, mais inconsistant. Avec, de temps à autres, une belle trouvaille pour malgré tout inciter à poursuivre la lecture : "à les voir valser on imaginait la seule divinité de l'amour en deux personnes, deux sexes distincts en un unique monstre." On dirait presque du Racine, et on imagine la scène au théâtre. Mais le duel atteint des sommets, Jacques n'ayant jamais tenu une arme et devant en outre manier une épée trop lourde pour lui, il suffit à Raittolbe de se fendre et "ah moi qui l'aime, je l'ai tué."
Il faut tenir malgré tout encore un peu car il reste quelques pages et on se demande comment diantre la jeune Rachilde va se sortir de cette histoire…. Et là je me suis sentie récompensée de ma curiosité : superbe dénouement totalement incongru, dans un style soudain presque sobre. Quelle belle idée que ce mausolée secret et sa momie de chiffon… Sacrée Rachilde. Il fallait LIRELLES pour la découvrir.

Agnès
Pourquoi vous ai-je proposé ce livre que j'ai lu il y a plusieurs mois ?
Parce qu'à LIRELLES, on découvre de nouveaux livres, et qu'il me semble intéressant que ces découvertes aient aussi un aspect matrimonial : des livres, des autrices à connaître, que Lirelles ne peut pas ne pas programmer un jour, quitte à pester quand on lit, comme ce jour certaines.
Je n'avais jamais lu Rachilde, qui est satellite par rapport à Natalie Clifford Barney, Renée Vivien…
Cette collection, Imaginaire Gallimard, est vraiment utile dans ses orientations récentes, publiant des livres inédits ou introuvables : de Natalie Clifford Barney justement, de Violette Leduc, d'Andrée Viollis, Criquet, publié en 1934, où une petite fille veut devenir un garçon.
Ce qui m'a frappée, c'est que Rachilde publie Monsieur Vénus en 1884, à 24 ans.
J'ai beaucoup aimé la liberté qu'elle prend et ce thème de l'inversion des genres. L'inversion nous sert à prendre conscience du scandale de la situation habituelle. Elle est jouissive et fait réfléchir.
Quant à la relation sadomasochiste, elle est surtout sadique. (Avis différents qui s'expriment dans le sens : oui, il est consentant, il apprécie…)
J'ai beaucoup aimé le trouble du baron par rapport à Jacques, c'est charmant.
Quant au dernier chapitre, je suis restée ébahie. Glacée. On change de livre. Rupture de ton et de genre. On est dans le gothique, le gore avec le "mannequin de cire revêtu d'un épiderme de caoutchouc transparent. Les cheveux roux, les cils blonds, le duvet d'or de la poitrine sont naturels ; les dents qui ornent la bouche, les ongles des mains et des pieds ont été arrachés à un cadavre. " On est dans l'horrifique.
J'ai trouvé la préface de Victoire Tuaillon très éclairante au sujet de l'inversion : on inverse, mais on ne change rien : elle imagine de refaire la fin, j'ai trouvé sa proposition - une relation harmonieuse à quatre - intéressante. Et j'ai aimé aussi qu'elle imagine que Monsieur Vénus serait un nom parfait pour un drag king...


Sont ensuite évoqués :
d'autres inversions, celles :
- d'Alice Guy, dans son film Les résultats du féminisme (1906)
- de Gerd Brantenberg, autrice norvégienne, dans la dystopie Les Filles d’Égalie (1977)

l'acquiescement au principe formulé par Agnès, concernant le "matrimoine" et LIRELLES

l'intérêt de nos séances, même quand on n'a pas aimé le livre...