Russel Banks
American Darling

Nous avons lu ce livre en mars 2007.

Florence
Je ne lis pas volontiers de littérature nord-américaine. J'ai du mal avec l'impérialisme. En littérature aussi. Mais Claire m'avait laissé entendre que ce livre-ci valait vraiment la peine. Alors je l'ai emporté en vacances et... je l'ai dévoré ! (Merci Claire !) Tout de suite, j'ai été saisie par la personnalité extraordinaire de la narratrice et intéressée par son récit : sa construction bien sûr. Tout est dit dés le début et pourtant, le suspens reste entier. C'est très fort. L'itinéraire "révolutionnaire" d'Hannah m'a révélé tout un pan de l'histoire politique américaine que j'ignorais. Et surtout, l'Histoire véritable du Libéria, enchâssée dans le roman comme une part de la fiction, s'est révélée absolument passionnante pour moi. J'ai eu envie d'en savoir plus et j'ai pu vérifier que Russel Banks "n'inventait rien" sur l'Histoire du pays. Son invention, prodigieuse, consiste simplement, si j'ose dire, à mêler l'Histoire à son histoire. C'est virtuose !
Une seule petite réserve sous forme de question : que vient faire le 11 septembre là-dedans ? Pourquoi l'auteur laisse-t-il entendre à la fin du roman que tout ce qui a eu lieu avant devient dérisoire ? Comme si la tragédie américaine (quelques centaines de morts) avait infiniment plus d'importance que la tragédie libérienne (quelques centaines de milliers de morts), ce qui, pour moi, est loin d'être évident... J'ai tendance à voir là, encore une fois, un effet de cette vision du monde "ethnocentrée" qui me déplaît tant chez les Nord-américains. Mais peut-être est-ce précisément le sujet d'American Darling...
Manuel
Pour moi, ce livre figure parmi le top 3 des livres que j'ai lus avec vous. J'ai été, comme on dit communément, emporté.
Pour la forme : les changements de temps, dès le début créent une tension, une dynamique qui donnent au récit une grande part de son attrait. Je ne me suis jamais ennuyé et j'ai toujours été plus curieux encore de la suite des événements même si leur issue nous est donnée en plein milieu du roman ! J'ai aimé les métaphores, les images, le mode très direct du récit, ses ruptures narratives et surtout le "je". L'illusion que le narrateur se confie au lecteur est parfaite.
Ensuite le fond : j'ai appris un tas de choses dans ce roman sur le Libéria en plus de ce que nous avons lu (je pense surtout à Ebène) et de ce que j'ai vu au cinéma (Blood diamond, Lord of War ou Le dernier Roi d'Ecosse). Je ne sais pas si c'est une impression, mais les Américains portent un jugement très critique sur leur politique en Afrique que n'ont pas les Européens ou qui est différent. Je me trompe sûrement...
J'ai beaucoup aimé le destin de cette femme avec ses rêves, son combat pour sauver les chimpanzés qui est vain... La crudité de certains de ses propos qui tapent dans le mille : sur ses rapports avec son mari, les Africains, ses enfants et ses descriptions en général. Le retournement de situation également : ses idéaux révolutionnaires ont servi à libérer un nouveau dictateur.
Chez Russell Banks, tout n'est pas noir, tout n'est pas blanc et c'est ce qui, pour moi, fait toute la valeur et la force de sa démarche et de son livre : prendre son lecteur pour un adulte afin de lui ouvrir les yeux sur un monde qui va toujours plus mal comme il semble le dire à la fin du roman.
Et en plus, dans une note p. 129, est cité L'Oiseau moqueur que certains d'entre nous ont beaucoup aimé…
Brigitte
Je regrette de ne pouvoir être avec vous ce soir. Sujet très intéressant, mais je pense que Russel Banks ne l'approfondit pas suffisamment. Pourtant le drame du Libéria, notamment le problème des enfants soldats, mérite vraiment qu'on s'y intéresse. Hannah-Dawn ne comprendra pas ses parents, ne communique pas avec son mari et ne comprend que très superficiellement ses propres enfants. Ce qui l'intéresse, ce sont les chimpanzés ! Je n'arrive pas à partager cette passion. J'ai rencontré ces jours-ci des gens qui reviennent du Libéria. Pour obtenir des enfants-soldats qu'ils rendent leurs armes, on leur a donné de l'argent, ce qui leur a permis de s'acheter des super mobylettes ou petites motos et de s'habiller en "fighter" pour pouvoir frimer. Dans les villages, ils ont tué toutes les personnages âgées ainsi que le bétail, ce qui pose pas mal de problèmes. On arrive difficilement à les faire rentrer dans leur famille (qui a peur d'eux) et à ce qu'ils acceptent de respecter les adultes et l'idée de travailler. Le pays est pris en charge par de nombreuses ONG (américaines surtout) qui tentent de reconstruire les pistes, les hôpitaux, les habitations, etc. La présidente actuelle (depuis 2003) jouit d'une bonne réputation, mais Taylor est toujours au Nigéria, je crois, et présente encore un danger potentiel.
Françoise O
Il y a 30 ans, j'étais à l'est du Congo et on m'a proposé d'aller peut-être voir des gorilles. Il fallait s'immobiliser totalement s'ils approchaient. On a senti qu'on était encerclé et l'un d'eux a surgi - j'étais la seule femme du groupe - avec lequel j'ai eu un échange de regard intense, dans un silence total. Le guide m'a fait signe discrètement au bout d'un moment de reculer tout doucement. C'est une expérience qui m'a marquée et que je n'oublierai jamais. Les rêveurs d'Hannah me rappellent cette expérience. Cette femme dans sa grande solitude a l'impression d'avoir trahi les chimpanzés. J'ai eu l'impression d'avoir lu un roman autobiographique et j'ai eu un choc quand je me suis aperçue que l'auteur était un homme. C'est une prouesse.
Claire
Je n'ai pas eu de coup de foudre avec un chimpanzé, mais ce livre m'a BEAUCOUP plu malgré son volume. Comme Manu, je retiens l'effet de la structure : l'anticipation ajoute à l'intérêt, comme les retours en arrière ou les digressions. L'adresse au lecteur créé un effet de mystère et de réalité à la fois. La femme est étonnante : elle est glacée, et en même temps émouvante (avec son père). A plusieurs moments, je me suis demandé si j'avalais des invraisemblances (son mariage). Lors du retour aux USA, avec sa mère, elle me donne l'impression d'une vraie tête à claques. J'ai une réserve sur la pacotille religieuse avec les chimpanzés p. 368 : un parallèle avec la religion et la rencontre avec les rêveurs. Je me suis demandé en permanence si c'était vrai. Les personnages ? La guerre civile ? Le gauchisme ? J'ai énormément aimé ce livre et je reste stupéfiée par la puissance de la structure narrative. Quel travail que ce livre ! J'aimerais savoir comment l'auteur l'a bâti.
Liliane
J'ai lu un peu plus des deux tiers. J'avais lu ici Sous le Règne de Bone. Comme Monique ou Florence, j'ai du mal avec la littérature américaine. Ce qui m'intéresse surtout c'est le Libéria. Le personnage féminin pose des questions (on n'est pas toujours cohérent dans sa vie) mais m'intéresse beaucoup moins. Quand de retour aux USA, elle retrouve les mêmes (Zak…), ça fait perdre de l'intérêt à ma lecture. Banks a une capacité prodigieuse de romancier. La femme me reste étrangère, je la regarde comme un phénomène, tout en rendant hommage à l'écrivain qui a suscité le contexte (Liberia, colonialisme). Je n'ouvre qu'à moitié car il ne me convainc pas complètement, peut-être à cause du personnage féminin. D'autres personnages m'ont parlé davantage. Que cette femme qui ne veut pas être sur des rails soit récupérée par d'autres rails me reste lointain.
Annick entre et
J'ai une impression mitigée : depuis le début ce personnage de femme me dérange, je ne suis pas en empathie, ça aurait pu arrêter ma lecture. Cette femme est abstraite et elle est incapable de sentir. Ce qui sauve ce personnage, c'est sa lucidité sur elle-même. Elle développe une explication de son incapacité maternelle. J'ai trouvé quand même cela artificiel, elle n'a que des impressions fugaces. Elle fuit, on a l'impression d'être à côté en tant que lecteur. Par moments, j'en avais assez. Quand elle revient dans sa famille, il y a un regard échangé avec le père mourant, ce passage est fabuleux. Le thème du regard est récurrent. Celui qui voit ou qui ne voit pas. Elle ne communique pas avec sa mère car sa mère ne l'a jamais regardée. Finalement, ce livre me paraît très intéressant, avec une capacité d'auto-analyse. Le regard est un aveuglement et une lucidité progressive.
Françoise D
Ce personnage de femme est prodigieux, je ne m'en sens pas proche - ce n'est pas nécessaire - mais j'y ai cru et je rends hommage à l'auteur pour cette réussite. Au début je me suis demandé "comment a-t-elle pu survivre à tout ça ?" ; et puis l'auteur fait si bien qu'on comprend son parcours. Rien ne me paraît invraisemblable : cette femme est étrangère dans ce pays, étrangère à son mari, puis à ses enfants (et n'était-elle pas déjà étrangère à sa famille -raison pour laquelle elle a choisi la marginalité ?) ; pas étonnant qu'elle se "tourne" vers les chimpanzés. Françoise a raison, Hannah est extrêmement seule, tout le temps. Comme vous, j'ai été conquise par la construction et le contexte historique tant américain que libérien. Tout m'a plu. Ce livre m'a fait penser à Disgrâce de Coetzee, non par l'écriture beaucoup plus âpre, mais par l'atmosphère. Je compare aussi ce livre à Mating (traduit par Accouplement) de Norman Rush, qui raconte également l'histoire d'une femme en Afrique, au Botswana, mais l'auteur se livre trop souvent à des généralités sur "les femmes" dans la bouche de son personnage féminin, ce qui ôte à la vraisemblance (et ce qui prouve qu'il n'est pas si facile de construire un personnage féminin). J'avais moins aimé Sous le Règne de Bone, mais adoré De Beaux Lendemains, mis en scène au cinéma par Atom Egoyan.
Geneviève
Je suis une inconditionnelle de Banks, j'ai adoré aussi Le Pourfendeur de nuage. Il y a un souffle dans tous ses livres, cette manière de traverser tous les continents avec une finesse psychologique. Cette façon d'allier l'histoire et le roman me fascine. Et l'histoire qui est la nôtre. J'en ai besoin. Cette étrangeté avec cette femme me captive. On se demande quelle est son histoire ; son étrangeté à l'Afrique, avec ses enfants, ses parents est honnête et reste opaque. Elle a un regard rétrospectif sur elle-même passionnant. Le rapport à l'humain, ce qui motive l'amour ou non, cette difficulté à s'approprier sa propre histoire, cette étrangeté, je la partage complètement.
Rozenn
J'ai peu à en dire. Je l'ai lu en une journée après un retour d'Afrique, j'en ai peu de souvenirs. C'est l'histoire d'une manipulatrice, on ne sait pas quelle est la part de vérité et de mensonge. C'est une femme insupportable d'égocentrisme et d'autoprotection. Ce livre m'a happée mais je ne sais pas si je le relirai.
Jacqueline
Je l'ai lu à sa sortie. J'étais scotchée, j'ai soutenu le choix mais je ne l'ai pas relu. Vos commentaires m'incitent à le relire ; pour l'horreur de cette histoire, cette froideur, ce retournement de situation... J'ai du mal à supporter ces personnages pris dans une utopie et qui sont floués. Je n'apprécie pas la noirceur des romans de Russel Banks. Le Pourfendeur de nuages ? C'est génial !
Katell
Avec Françoise D., nous avions insisté pour mettre ce livre au programme. Je l'ai lu l'an dernier et c'est certainement un des meilleurs romans que j'aie jamais lus. Contrairement à certaines, j'adore la littérature américaine. Je pense que c'est une littérature totale, dans le sens où " elle peut nous tendre la main quand nous sommes profondément déprimés, nous conduire vers les autres êtres humains autour de nous, nous faire mieux comprendre le monde et nous aider à vivre " pour reprendre les termes de Tzvetan Todorov (La Littérature en péril, que je viens d'achever). J'ai lu pas mal de romans de Russel Banks, que je tiens pour l'un des plus grands écrivains de notre temps (va-t-il être nobélisé ?) : l'accessible Sous le Règne de Bone, Continents à la dérive, le difficile Pourfendeur de nuages, le tragique De beaux lendemains (je recommande également le très beau film d'Atom Egoyan où Russel Banks fait une courte apparition à la fin), Affliction...
Dans American Darling, je retiendrai d'abord la performance de cet auteur homme qui fait vivre une femme avec cette subtilité et cette sensibilité ; la construction du récit qui entremêle passé et présent, la diversité des lieux évoqués (l'Amérique de la fin des années soixante au Libéria) et la complexité de l'itinéraire et du destin. Il nous donne à voir que l'on n'est jamais ni tout noir, ni tout blanc, que chacun porte un soi une part d'ombre. Il m'a fait aussi penser à ce roman magnifique de Philippe Roth, Pastorale américaine, où il y a également une héroïne issu d'un très bon milieu et qui devient terroriste à la même époque !
Sylviane (du groupe breton dont les avis suivent)
Voici un roman dur, décrivant des scènes et périodes historiques très difficiles. Mais malgré tout passionnant ! J'avais hâte de poursuivre chaque soir la lecture. Ce qui est un bon signe !
Il s'agit donc du portrait d'une femme qui s'engage assez tôt, d'abord en réaction contre ses parents et ses origines sociales. Un engagement qu'elle va payer en se trouvant forcée à changer d'identité et à fuir son pays. En Afrique, elle va prendre conscience que les idéaux ont leur limite, ne sont souvent qu'utopiques, que l'être humain peut être très contradictoire, avoir un comportement en opposition radicale avec son discours... Que le seul but d'une grande majorité d'Hommes est de dominer les autres. On se trouve donc avec ce roman, face à l'essence de l'humanité et... à l'inhumanité (en Amérique ou en Afrique).
Voilà pour l'essentiel ce que je retiens de ce roman que je conseillerais à mes lecteurs !
Nathalie
J'ai beaucoup aimé ce livre. Roman politique, avant tout. Je l'ai aimé pour plusieurs raisons :
- tout d'abord pour l'écriture, l'écrivain a su mêler "une histoire" avec l'Histoire
Puis ensuite :
- pour l'héroïne, une femme déterminée et froide, mais tout au long du roman je me pose la question dit-elle vraiment la vérité ? A la fin du livre, je n'en suis toujours pas convaincu ??!!
- et ensuite, parce que ce livre m'a permis de faire des recherches sur le Libéria, et d'apprendre quels liens pervers unissaient les États-Unis et le Libéria.
Marie Thé
J’ouvre ce livre au 1/4. Juste pour la force qui s’en dégage. Je n’ai pas aimé du tout, presque détesté ; c’est cauchemardesque. Il y a assez d’horreurs dans les médias, je n’ai pas envie d’en retrouver dans mes lectures. Et puis je n’aime pas le style du livre non plus.
Sur le fond, je n’aime pas l’héroïne, la violence en elle, qu’elle semble traîner dans son sillage d’un continent à l’autre. Je pense qu’elle a beaucoup agi par opposition à ses parents.
La filiation, le sol, ont une place importante dans le livre, mais je n’ai pas envie non plus de m’y attarder. Cela m’a un peu fait penser à Coetzee. Par d’autres aspects je retrouve La Constance du jardinier. Autre chose : quelques clichés sur l’Amérique ou l’Afrique m’ont agacée. Je préfère m’arrêter là, je n’ai pas aimé, c’est tout. Sur l’Afrique j’avais adoré le livre de Le Clezio L’Africain : rencontre du père et de l’Afrique ; ou encore Karen Blixen d’écrivant les splendeurs de l’Afrique et de l’amour.
Lona
Lecture facile, traduction parfaite, histoire passionnante.
Est-ce une autobiographie ? On pourrait le penser. Pourtant l'auteur est un homme, mais il raconte tellement bien l'histoire de cette femme Hannah ! Une américaine, bourgeoise, enfant gâtée, révolutionnaire, activiste, maoïste et terroriste : son inconscience, son irresponsabilité, sa recherche constante d'identité, sa fuite en avant, son instabilité affective et sexuelle, vie de femme faite d'interrogations, de recherches, de dénis, m'ont profondément interrogé, parfois agacée, mais j'ai suivi avec intérêt le parcours de cette femme.
Il faut replacer l'écrit dans l'histoire même du Libéria : un pays entièrement " fabriqué " par les Américains. Suite à des soulèvements et pour des raisons économiques et sociales (ces esclaves abolitionnistes, dangereux et trop nombreux, devenaient une réelle menace à court terme). Le gouvernement américain les renvoie en Afrique et leur " attribue " une terre relativement vide et inculte, oubliée des colons blancs. Ces nouveaux esclaves affranchis, dont certains étaient des bagnards et des évadés, reproduisent le schéma classique : colons/colonisés, mais il s'agit d'un schéma particulier, colons noirs/colonisés noirs. La théorie américaine de libération des esclaves, d'autonomie, de démocratie, de bonne conscience s'écroule et c'est l'échec : corruption, intérêts privés, pays en régression économique et sociale, pays de non droit, scènes de guerre, cupidité, soif de pouvoir, alcoolisme, analphabétisme, violence, sauvagerie, cannibalisme, folie... En arrière-fond de lobbyings (hévéas, riz, agrumes, fer, diamant, bois, cacao, profits pharmacologiques).
Les descriptions sont retransmises avec une précision parfaite : la ferme aux USA, l'amitié entre les femmes, les scènes de vie africaine, le village, les rites et les rituels, les odeurs, la pauvreté, la richesse des nantis du gouvernement, l'illettrisme, les viols, les dieux, les tabous, les gris-gris, les animaux... C'est comme si on y était : même dans la sauvagerie et la violence ! De très belles pages également lors du retour aux USA et la rencontre du père.
Pourquoi cette Hannah est-elle tombée amoureuse de Woodrow ? Par intérêt sécuritaire ? Et pourquoi l'épouser, elle qui a vécu cette alliance comme une " prise de butin " ? Elle a eu une telle facilité à abandonner mari/fils/chimpanzés/parents/amis : sa façon de se protéger, de ne pas créer d'attache ?
Etait-elle capable de sentiments ? N'était-elle pas une " invalide " affective, une perpétuelle révoltée, violente, marginale, toujours en fuite, une névrosée ? Les seuls moments où elle a manifesté une semblant d'humanité c'était avec ses chimpanzés enfermés : contact par le regard. L'enfermement et le manque de paroles sont importants dans ce récit : son propre enfermement dans sa bulle sociale, protégée des problèmes extérieurs à sa villa de nantie, le manque de paroles des singes, son art de compartimenter sa vie... Ensuite, trop tardivement elle a redécouvert son père, mourant et la parole n'a plus passée (p.496). Trop tard aussi elle s'est rapprochée de sa mère âgée et diminuée. Trop tard, elle exprime des regrets envers le Libéria (p.287).
Rêves, utopie, culpabilité : en fait, elle a toujours eu un temps de retard : sa révolution, son mari, ses enfants, ses chimpanzés, ses parents. Tous morts.
Pour la petite histoire :
Après plusieurs coups d'état, les uns plus atroces que les autres, aujourd'hui le Libéria a une femme présidente : Eilen Johnson (elle était en lice aux élections présidentielles avec un footballeur) ; le chômage est à plus de 60%, le taux de criminalité est important car les armes n'ont pas toutes été rendues après la guerre et la situation est dite " volatile " car beaucoup de Libériens ne souhaitent pas la paix (pour des raisons de pouvoir, d'intérêts privés et de corruption). Ce pays est actuellement sous contrôle UN et (le séduisant !) Charles Taylor doit comparaître prochainement au TPI de La Haye pour crimes de guerre. (je pense que l'épisode de la fuite de Taylor de la prison américaine fait partie de la fiction : à vérifier !)
Il reste un long chemin pour réinsérer les enfants soldats, panser les blessures et retrouver la confiance à défaut d'instaurer un semblant de paix. L'Afrique : un pays d'avenir ?
Lire au sujet des enfants-soldats, le livre d'Ahmadou Kourouma Allah n'est pas obligé.
Jean-Luc
J'ai apprécié l'histoire du cheminement d'Hannah qui essaie de toutes ses forces de faire coïncider sa vie avec son engagement révolutionnaire. Malgré ses déconvenues et son choix paradoxal d'être la femme d'un ministre important d'un gouvernement pourri, elle reste fidèle à elle-même, luttant jusqu'au bout pour des valeurs d'égalité, de liberté et de fraternité. Son combat, souvent ridicule, s'arrête quand même, lorsque l'homme (Charles Taylor) en qui elle avait mis sa confiance révolutionnaire se révèle être un tyran sanguinaire de la pire espèce.
C'est un choc : elle revient à une vie simple d'agricultrice au pays de son enfance.
Mon'
J'ai été aussi passionnée à cette seconde lecture que je l'avais été à la première. Je trouve très fort le personnage d'Hannah, dans sa complexité, son histoire et celle de tous les êtres qui l'entourent. Ils sont nombreux et on croit véritablement à leur existence. Ce livre nous fait vivre l'Afrique et mieux prendre conscience de ce qui s'y passe dans son incohérence.
Lil
Un grand livre : une construction en boucle, très maligne, qui entretient le suspens et une superbe écriture qui vous emporte et, « délicieusement », vous immerge dans la béatitude et l'horreur. On se prend au jeu, avec passion : on vit, souffre, pleure, rit (un peu !), espère avec les personnages.
L'Afrique nous entre par tous les sens... L'histoire du Libéria et de cette pauvre Afrique de l'Ouest malmène nos consciences de nantis manipulateurs et exploiteurs... Pauvre, pauvre Afrique... Quelle image de violence, de terreur, de misère, de désespoir, nous sommes-nous construite au fil de nos nombreuses lectures sur ce continent, cette année ?! Je ne parlerai pas du problème des enfants soldats évoqué dans ce livre : un drame bien au-delà des mots. Et, balayés par le flot de la grande Histoire, les petits destins personnels : celui d'Hannah, si complexe, si irritante et touchante à la fois, pur produit de son époque et de son milieu, mal à l'aise parmi les hommes, profondément heureuse et intuitive avec les animaux, paumée, emportée par l'Histoire et qui essaie de s'y caler du mieux qu'elle peut en fonction des circonstances... Hannah et son problématique instinct maternel, Hannah qui ne se sent exister que dans le regard de ses chimpanzés ( le thème du "regard qui construit"récurrent dans ce livre), Hannah dont je me suis sentie si proche, parfois...
En refermant ce roman, je me suis dit qu'il nous posait les questions essentielles : Qui sommes-nous réellement ? Quelles sont nos réelles motivations dans les combats que nous menons ? Sont-elles aussi pures et nobles que nous le croyons ? Qu'est-ce qui nous fait agir ? Comment nous arrangeons-nous avec nous-mêmes pour nous en tirer honorablement (on se met la tête sous le bras, peut-être, ou bien « on se la joue », comme Hannah !) ? Pouvons-nous nous analyser en toute objectivité et sans concessions ? Qu'est-ce qui donne un sens à notre vie ? Comment appréhender la vieillesse : "la vieillesse est une lente surprise", dit Banks !
Bref, une réflexion profonde sur l'humilité de notre condition humaine !
Nicole
Si j'avais dû donner mon avis en refermant ce livre, il aurait été très proche du négatif, tant le personnage d'Hannah m'avait exaspéré, peut-être parce qu'il me renvoyait parfois à moi-même. J'avais toutefois apprécié le côté historique du roman.
Puis dans les jours qui ont suivi, je n'ai cessé de penser aux personnages et en particulier à Hannah, et petit à petit le livre a fait son chemin, J'ai essayé de comprendre les agissements de chacun au lieu de les juger, j'ai mesuré leur complexité psychologique et par la-même le talent de l'auteur. Alors comme Hannah je suis passée d'un extrême à l'autre !

Gilles (internaute inconnu)
Bonjour,
J'ai lu ce livre il y a un an et comme ça immédiatement, à brûle pourpoint, je m'en souviens à peine, pourtant je sais qu'il m'avait alors beaucoup plu. Il y a une intrigue, un certain suspens, on est captivé, c'est puissant et romanesque à la fois. L'histoire de cette femme, qui n'est pas d'emblée attachante ni très sympathique, est intéressante avec son amour des chimpanzés tout à fait anglo-saxon en quelque sorte, et sa pugnacité, sa personnalité complexe. L'histoire des enfants soldats est plus qu'instructive, ça prend aux tripes, c'est très vivant sinon actuel. A propos de Charles Taylor, quel bizarre rapprochement suis-je tenté de faire avec le titre du dernier livre d'Arnaud Cathrine La Disparition de Richard Taylor. Je doute qu'il s'agisse du même homme ! Enfin je n'ai pas lu ce livre plus récent. Dans American Darling on découvre l'Afrique très noire, de nuit de surcroît, avec ses côtés vraiment glauques, et ainsi qu'on l'imagine angoissante, sanglante et monstrueuse, l'Afrique des ogres, des Amin Dada et autres président Gbagbo,... poubelle chimique et "compost" des idéaux humanitaires ou révolutionnaires de l'Occident, terrain réel et symbolique des folies, des fantasmes de l'horreur... avant que Bagdad ne vienne depuis deux ans le supplanter dans notre imaginaire, en partie grâce à ces mêmes Américains "militants" ! C'est un très bon bouquin, ce pays - le Libéria - est pareil à l'Angola de Lobo Antunes, un bourbier chaotique et cruel. L'histoire d'amour entre Hannah et l'Afrique est aux antipodes de celle de la belle anthropologue américaine d'Accouplement de Norman Rush au Botswana. Aucun doute après cette lecture "l'Afrique est - toujours et encore - mal partie", mais c'est fascinant, le combat ambigu de l'héroïne et son attitude face à la pourriture de la guerre civile est très prenant.

 

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A cinquante-neuf ans, Hannah Musgrave fait retour sur son itinéraire de jeune Américaine issue de la bourgeoisie aisée de gauche que les péripéties de son engagement révolutionnaire avaient conduite, au début des années 1970, à se " planquer " en Afrique.

 

 

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