Quatrième de couverture 
:
Quand Ryszard Kapuscinski arrive comme journaliste en 1958 à Accra, la capitale du Ghana, il ne peut soupçonner que ce voyage sera le début d'une passion qui ne le quittera plus jamais. Pendant des années, ce grand reporter doublé d'un écrivain sillonne le continent noir, habite les quartiers des Africains, s'expose à des conditions de vie qu'aucun correspondant occidental n'aurait acceptées.
Ryszard Kapuscinski
Ebène : aventures africaines

Nous avons lu ce livre en février 2003.

Katell
Une belle découverte. Merci à celui qui l'a proposé. C'est qui ? Il paraît que c'est un "classique", m'a dit un ami qui connaît bien l'Afrique. Enfin, pour ceux qui n'y connaissent rien - je n'y ai jamais été et je connais très mal la culture africaine - c'est un très beau livre, très accessible. J'ai aimé le style narratif, entre le reportage (on sent le journaliste) et le journal de voyage. J'ai aimé l'alternance entre ses aventures (dans le désert, la brousse, en ville...), les chapitres sur certains conflits, les dictateurs (Amin Dada...), les peuples, les explications sur la culture. Par exemple, je n'avais strictement rien compris au conflit du Rwanda et là, tout s'éclaire ! J'ai aimé aussi son regard, il est polonais, donc, pas tout à fait occidental (au sens de grande puissance coloniale), et j'ai aimé qu'il n'ait pas froid aux yeux. Kapuscinski est même un pédagogue parce qu'il décode des actes complètement incompréhensibles pour un occidental (sur le culte des morts, la lenteur...). Il m'a donné envie d'aller un jour là-bas. Grâce à ce livre, je me sentirai sans doute moins déboussolée.
Régine
Je ne connaissais pas ce livre, et je connais très peu l'Afrique. Ce n'est pas de la littérature au sens habituel des livres qu'on lit ici ; mais j'ai été très intéressée, ça sonne très vrai. Toutes les histoires racontées ont été vécues par l'auteur : le paludisme, la chaleur, les insectes… Je fais confiance à l'auteur. J'ai aimé ce qu'il dit sur les jerricanes qui font la queue à la place de leur propriétaire, qui ont des couleurs gaies. C'est un récit désespéré sur l'Afrique. L'histoire du Libéria est terrible, avec les anciens esclaves qui imposent leur volonté aux autochtones et les réduisent en esclavage. L'enfant Peul de Hampaté Bà était moins désespéré. C'est un constat très pessimiste sur l'avenir de l'Afrique.
Jacqueline
Je ne l'ai pas terminé, j'en suis au coup d'état à Zanzibar, mais je suis très prise par cette lecture. Au départ, c'était merveilleux, les descriptions, les explications simples. J'ai beaucoup de mal à m'intéresser aux histoires politiques, mais j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup de fraîcheur, un point de vue original. C'est un récit touchant.
Monique
Je suis emballée, j'ai pensé à Hampaté Bà, bien que là c'était un regard intérieur au pays. La première réflexion de l'auteur "L'Afrique est immense, elle contient une variété de toutes les expériences humaines ; à la moitié du 19e siècle, il y avait 10 000 royaumes" m'a fait penser à la Bible. On passe du paradis à l'enfer : les relations entre l'Europe et l'Afrique, l'esclavagisme, les armes… L'histoire du Rwanda est impressionnante ; ce peuple qui a été colonisé pendant des années sans le savoir… On peut imaginer qu'avant les colons la vie était très belle, mais en fait il y avait aussi de l'horreur (cf. les Touaregs). Ce livre est un kaléidoscope. L'histoire de Zanzibar est moins intéressante. C'est le mauvais côté du journaliste que l'auteur nous montre dans ce passage.
Il manque une carte pour suivre le récit. Je suis étonnée de l'absence de certains thèmes comme le sida, la sexualité, la famille, les naissances ; on voit toujours les gens mourir, on ne les voit jamais naître.
L'auteur a un regard très particulier et un grand talent de conteur. Le serpent, les routes, la chaleur, le réveil d'un village, l'exécution d'un président, l'immensité des arbres, la façon de se saluer qu'ont les Africains, le cimetière des éléphants ; des histoires atroces magnifiquement racontées, comme l'échange du cadavre contre le poisson, l'échange du sel et de l'or… L'auteur a la capacité de capter l'être au monde des Africains. Il sait montrer l'extrême dénuement, la façon d'être ensemble : les femmes qui vont au marché sans avoir rien à vendre, pour être avec les autres ; la nuit et les esprits, la nourriture parfois abondante, parfois très rare. Il y a des chapitres inoubliables dans l'horreur. C'est un document incontournable.
Claire
Je suis d'accord avec Monique sur les manques. Je l'ai lu il y a un mois et demi en Guyane et la forêt équatoriale était un cadre qui convenait bien ; j'ai adoré, mais je ne parviens plus à vibrer avec le même enthousiasme. J'ai aimé cette fresque historique associée à des détails personnels. Certains moments d'analyse sont très subtils, par exemple la différence d'appréciation du temps entre les Africains et les Occidentaux. J'admire la composition du livre, je suis Salman Rushdie qui dit de Ryszard Kapuscinski qu'il était le créateur "d'un mélange époustouflant de reportage et d'art". Je suis personnellement à la fois fascinée par l'Afrique (je suis allée dans une dizaine de pays d'Afrique noire et ai habité au Cameroun) et très ambivalente vis-à-vis des Africains.
Je n'ai jamais senti le moindre racisme chez l'auteur, alors qu'il semble très difficile de vivre longtemps en Afrique sans le devenir...
Annick
J'ai lu jusqu'à Zanzibar. Je suis captivée par cette lecture, séduite par l'alternance entre reportage et récits plus intimes. Je ne connais pas l'Afrique et je suis intéressée par son regard sur les choses : à la fois du dehors et qui pénètre finement ce qui l'entoure. Il a une soif de comprendre ; il a un statut particulier de blanc pauvre. Le récit est simple, pas jargonnant, il ne joue pas à l'érudit. C'est un livre remarquable, original dans sa composition. J'aime le côté road-movie, je me suis laissée embarquée...
Geneviève
J'ai commencé lentement, puis j'ai été de plus en plus captivée par cette aisance à passer d'un registre à l'autre. C'est un kaléidoscope, finalement très structuré par le point de vue de l'auteur. On éprouve physiquement la chaleur, le paludisme… L'auteur n'est jamais dans le jugement. Il se situe bien par rapport à ce monde qui l'entoure, il a une bonne distance. Il nous donne des explications lumineuses, notamment sur le Rwanda, le Libéria.
Annabel
C'est moi qui ai proposé ce livre, je l'ai lu il y a un an et demi. Je ne suis jamais allée en Afrique, mais j'ai eu l'impression de me trouver devant une fenêtre ouverte sur ce pays. Je suis reconnaissante à l'auteur pour ce qu'il a écrit : le rapport au temps, la capacité d'inertie, qu'on acquiert quand on se trouve par exemple en Inde. J'ai retrouvé des sensations que j'avais eues en Inde et j'ai beaucoup appris en lisant ce livre ; il me semble mieux comprendre ce qui se passe dans le crâne des Africains que je croise dans le métro. C'est une ouverture sur l'histoire des Africains ; les tribus qu'on a obligé à s'habiller…
Caroline
Je n'ai pas vraiment accroché. Certaines choses sont très pertinentes ; l'auteur n'émet aucune pensée raciste, il a des relations simples, faciles avec les Africains ; il donne des clés pour comprendre la différence culturelle : le temps, le bus (je connais aussi le Cameroun), l'auteur qui vit dans un quartier pauvre et se fait cambrioler simplement parce qu'il fait partie de cette communauté. Je connais le problème de l'acheminement des dons. Je n'osais pas lire ce livre dans le métro, de peur que les africains pensent que j'étais en train de lire quelque chose sur eux. Ce récit trop haché m'a frustrée. Il y manque l'esprit, la grandeur de l'Afrique, l'esprit du voyage.
Je n'ai pas retrouvé l'atmosphère que j'ai connue, et je suis déçue par l'écriture.
Loana
Je suis d'accord avec tout ce qui a été dit, et j'aime encore moins qu'avant ce livre. Il est séducteur et dangereux. On dit kaléidoscopique, journalistique, pour excuser le peu d'intérêt du récit. C'est un livre raciste, qui généralise. L'auteur prétend savoir ce qu'il y a dans la tête des mouches ! C'est extrêmement gênant : "comme c'est intéressant ce petit tour chez les sauvages si différents de nous !"
Il n'y a aucune analyse économique. C'est un livre monstrueux. Si on lit des essais, que ce soit des essais sérieux. Ce n'est pas un roman, ce n'est pas un essai. Les Africains sont externalisés.

Claire
J'ai peut-être été complètement dupe dans ma lecture et ça m'inquiète, mais il faudrait mieux me convaincre.

Nicolas (avec des sous-entendus habiles)
Est-ce que l'auteur n'invente jamais ? Tout ce qui est écrit est vrai ?
Christine
Ce livre m'a plu. Je suis troublée parce que j'ai été jusqu'ici marquée par des livres sur l'Afrique écrits par des Européens. Ici, c'est un mélange d'histoire et de regard personnel. L'histoire du Rwanda est claire, intéressante. Les histoires du lion, du cobra… : on sent l'auteur assez content de lui, comme quand il décide de vivre dans un quartier pauvre (et donc noir). On voit l'Afrique s'enfoncer dans le malheur, avec les coups d'état successifs...

Françoise
Je fais remarquer que l'Afrique continue de s'enfoncer, avec toujours de nouveaux conflits, plus le sida.

Christine
On ne sait rien de l'auteur, il ne parle pas de lui.

Françoise
C'est Tintin !

Christine
Le seul moment où il est intéressant, c'est quand il tombe malade.
Françoise
J'ai eu beaucoup de mal à aller jusqu'au bout. Je me suis forcée à cause de vos commentaires. En effet, j'ai trouvé très instructifs les passages sur le Rwanda et le Libéria, sur Fachoda, donc sur l'Histoire. Mais en revanche, les "petites histoires" m'ont frustrée, je n'ai pas aimé la forme du récit : il saute du coq à l'âne, c'est décousu, on a du mal à suivre, il nous laisse en plan avec des anecdotes qu'il ne termine pas ; il hésite entre le reportage, le journal… Il dit certaines choses intéressantes, mais la plupart du temps, il enfonce des portes ouvertes, car sur le fond rien n'a changé : la misère des Africains, les enfants enrôlés pour combattre, etc., tout cela est malheureusement plus que jamais d'actualité, et à part les deux passages dont j'ai parlé, il enfonce des portes ouvertes. L'écriture est laborieuse, avec des maladresses, des redites ou est-ce la traduction ? Parfois on a des détails ou des précisions inutiles qui alourdissent le récit, et parallèlement, on aimerait qu'il argumente certaines de ses assertions. Et puis, au début il nous dit qu'il n'y a pas une Afrique, que c'est un continent avec une diversité énorme, ce qui ne l'empêche pas ensuite de nous raconter comment est l'Afrique et « l'Africain »… Ce ne fut pas un grand plaisir de lecture, mais j'ai appris des choses.
Sandrine
Tout d'abord un grand merci pour la personne qui a proposé ce livre ! J'ai commencé à le lire ce week-end et en deux jours, j'en suis déjà à la moitié, je ne lis pas : je dévore. Ce récit est pour moi un régal ! Outre mon intérêt pour le sujet - à savoir la décolonisation de l'Afrique sub-saharienne - ce livre est à la fois une autobiographie, un roman d'aventures des temps modernes, un roman historique, un récit journalistique au quotidien … et surtout, et c'est là sa très grande richesse, une analyse de la situation politique, économique et culturelle de l'Afrique subsaharienne post-coloniale bien plus pragmatique et réaliste que tous les rapports poussiéreux et théoriques écrits sur le sujet ! Les événements, les lieux et les situations relatées, le sont ici sans hypocrisie ni faux semblants, ce qui est extrêmement rare sur ce sujet bien précis ! L'auteur est polonais, un "blanc", venu d'un pays non colonisateur, n'ayant aucune fortune sur place … Tous ces éléments expliquent peut-être la neutralité dans ces propos, et lui permettent ainsi de décrire la vérité telle qu'il la voit et la vit, sans déchaîner aucune passion ni faire dévier son analyse d'une manière ou d'une autre. L'auteur vit l'Afrique de l'intérieur, avec ses richesses et ses faiblesses et décrit sa réalité avec beaucoup de pudeur et de simplicité, telle qu'elle est et non telle qu'on veut qu'elle soit, ou telle qu'on souhaiterait qu'elle soit. Et en plus, dans un style très agréable à lire !
Paul
J’ai découvert l’Afrique à l’Ecole, au collège, puis au lycée. Mais je ne connais de l’Afrique, ni ces habitants, ni ses mœurs, ni ses coutumes. Mes connaissances sur ce continent se limitent à la période de la décolonisation et l’accession des Etats à l’indépendance. Mais rien sur les Africains. En lisant ce livre j’ai appris, compris, un peu plus sur ce continent. Ce livre s’apparente plus à un récit de journaliste qu’à un roman. L’avantage c’est qu’il se lit très facilement et rapidement. Les propos de l’auteur sont d’autant plus intéressants qu’il porte un regard objectif. On voit là l’empreinte journalistique. Qui veut comprendre les drames du Rwanda, du Liberia, de Somalie, de l’Ethiopie, voilà un excellent ouvrage. Pour autant ce livre ne s’apparente pas à un ouvrage de géopolitique car il n’est pas raconté de l’extérieur, mais vécu de l’intérieur, et c’est ce qui en fait tout l’intérêt. L’auteur nous fait ressentir l’Afrique. On découvre la rudesse du climat, sa faune, sa flore. Ce qui retiendra notre attention, c’est les différences entre nos civilisations, nos modes de vie, nos croyances. Il y aurait beaucoup à dire sur ce livre. L’essentiel c’est qu’il permet de comprendre. A chacun d’entre nous de conclure. Je regrette seulement qu’un pays n’est pas été abordé, je pense à l’Afrique du Sud. Je trouve cela assez étonnant.

Claire, 18 ans plus tard
Je lis dans Libération, au sein d'une série d'été sur les "journalistes bonimenteurs", un article sur Ryszard Kapuscinski qui fait froid dans le dos :

« Retour sur des affaires de reporters de presse en bisbille avec le réel. Aujourd’hui, le Polonais qui enjolivait sa vie et ses récits.

À l'adolescent ou au jeune adulte à qui vient la drôle d'idée de devenir journaliste, ce métier précaire, mal payé et détesté par la plupart de nos bien-aimés concitoyens, les fous qui le poussent dans cette voie conseillent souvent les mêmes ouvrages. Un Albert Londres sur le bagne ou le Tour de France, parce qu'un "reporter, monsieur, ne connaît qu'une ligne : celle du chemin de fer", un Bukowski, pour faire croire qu'alcoolisme et véracité peuvent faire bon ménage, ou un Ryszard Kapuscinski, par exemple sur cette fameuse guerre de cent heures entre le Salvador et le Honduras, qui aurait été déclenchée à cause d'un match de foot (c'est faux, mais c'est plus joli raconté comme ça). Ryszard Kapuscinski, né en 1932 et mort en 2007, est un journaliste culte en Pologne. Fils de résistant, longtemps communiste encarté, grand reporter notamment pour son agence de presse nationale, il a roulé sa bosse en pleine guerre froide, couvrant des renversements de régime en Éthiopie, en Iran, déjeunant avec les grands de ce monde et dînant avec la plèbe. L'homme fut de tous les terrains : il savait forcer les détails pour rendre chaque aventure extraordinaire, à la limite, évidente, entre le journalisme et la littérature.
Mais voilà, quatre ans, après sa mort, en 2011, une biographie très enquêtée d'Artur Domoslawski (1) est venue écorner le mythe. Il s'avère qu'il avait embelli la vie de son père, qu'il était sans doute moins courageux que son personnage, qu'il devait probablement collaborer avec les services secrets polonais (mais sans ça il n'aurait pas pu voyager). Il cachait en plus certaines informations quand elles n'allaient pas dans son sens politique, c'est-à-dire la défense des révolutions populaires et communistes. Kapuscinski avait sans doute un rapport autant littéraire et poétique que journalistique à la réalité. C'est ce qui fait la beauté de ses récits, bien plus impressionnants que l'homme lui-même (mais n'est-on pas toujours déçu par les écrivains ?). A la fin de sa vie, il donna des cours de journalisme jugés médiocres. Comme le dit un de ses étudiants de l'époque, il est étonnant "qu'un homme qui avait parcouru le monde pendant la majeure partie de sa vie puisse avoir d'aussi petits pieds".

(1) Kapuscinski, la vérité par le mensonge, d'Artur Domoslawski, éditions les Arènes. »

Quentin Girard, Libération, 20 août 2021

 

 

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