L'avis de Patricia sur :

L'esprit de conversation de Chantal Thomas

   
 

J'approuve l'annulation de la sortie. C'est dommage mais ma devise c'est "la prudence pour se protéger et protéger les autres".
Voici mon avis sur le livre et les réflexions qu'il m'inspire.

J'espère que la longueur ne va pas en rebuter certaines mais difficile de faire court tant le sujet est passionnant…

Je connaissais Chantal Thomas de nom car elle avait été maintes fois récompensée. Je n'avais rien lu d'elle, sauf en 2017 avec Souvenir de la marée basse qui parle de son enfance et de sa mère (beau livre émouvant). Son dernier livre (East Village Blues, qui est aussi autobiographique) a fait parler de lui à Lirelles quand elle raconte son expérience du Katmandou et des émotions qu'elle y a vécues, livre que j'aimerais lire un jour… Le choix que Claire a proposé avec L'esprit de conversation (qui est un essai sorti en 2011), correspond mieux au cœur de sa spécialité, le XVIIIe siècle.

Concernant la collection Rivages poche, question que je me pose : quel est le lien entre le très beau tableau d'Hokusai de la couverture et le contenu du L'esprit de conversation. Peut-être la chambre bleue de Mme de Rambouillet ?

Le sujet de la conversation est un sujet très intéressant, voire passionnant, et le livre aborde un angle historique, sociétal et féministe (les salons étaient tenus principalement par les femmes), ainsi qu'un aspect artistique avec les tableaux cités, et littéraire. Elle donne d'abord l'avis de différentes personnalités au sujet de la conversation, parfois avec humour, dont font partie des personnes nostalgiques du temps des salons (époque où il n'y avait pas internet ;-)). Et elle livre son point de vue sur la conversation de nos jours (qui n'est pas forcément celui de ceux cités dans son livre).

Principalement, elle dépeint trois salonnières d'époque et de style complètement différents, replacées dans le contexte politique et féministe, mais montrant cette même passion addictive qui leur donnait l'occasion de briller (un peu comme nos réseaux sociaux de maintenant une drogue pour certains).
- L'une est du début XVIIe siècle (époque décisive des précieuses et, à mon avis, d'un des premiers féministes, Molière). Mme de Rambouillet est délicate, aime la beauté, et porte une extrême attention à la façon de s'exprimer. Son univers se résume à sa chambre bleue et son jardin. Elle aurait aimé le célibat. Y a-t-il un sous-entendu quand elle cite Christine de Suède (lesbienne notoire) ou bien je vois le mal partout ? À noter : mariée à 12 ans avec 7 enfants.
- La deuxième du début XVIIIe siècle, Mme du Deffand, ancienne libertine. Elle ne prête pas attention à la beauté des objets et des paysages, mais seulement aux personnes (et aux chiens semble-t-il) et au plaisir de l'intelligence. Elle aime la langue écrite et parlée, est de caractère difficile, piquante, aime être admirée.
- La dernière, Mme de Staël, du début XIXe siècle, éduquée à l'extrême, indépendante, écrivaine, passionnée par la politique comme son père, vive, intelligente, elle fait des portraits en conversation dans ses romans, notamment Corinne et l'Italie (roman que j'ai lu il y a très longtemps ce qui m'a permis de ne pas me perdre dans ses descriptions). Dans son salon, elle prend plaisir à couper la parole. Elle a du mal à associer sa vie amoureuse et sa vie intellectuelle.

Toutes déplorent que les femmes ne reçoivent pas la même éducation que les hommes. Ce sont des féministes à leur façon.

Je trouve l'écriture de Chantal Thomas très agréable, spirituelle tout en restant simple. Mais, à la fois, la lecture du livre n'est pas fluide. Il y a les références aux tableaux qui nous obligent à googliser, j'aurais aimé qu'ils apparaissent dans le livre. Je sais que c'est compliqué à cause des droits d'auteur (F. Delphy n'avait pas pu mettre de photos). Il y a les références à certains romans comme La guirlande de Julie, L'astrée et le Grand Cyrus (Mme de Scudéry), romans-fleuves du XVII-XVIIIe, que j'ai retrouvés par Google, qui permettent de se documenter si on souhaite approfondir. Elle cite les livres Adolphe et Cécile et De Mme de Staël et de ses ouvrages de Benjamin Constant.

Parfois on a l'impression que le livre n'est pas fini, on reste un peu sur sa faim, notamment concernant Mme de Rambouillet, mais il s'agirait à mon avis d'un manque de matières précis.
Par moment dans la description des trois salonnières, elle ponctue par des citations de personnages, hors du contexte, d'époque, etc., on se demande pourquoi ça tombe là (par exemple Christine de Suède pour Mme de Rambouillet, Fritz Zorn pour Mme du Deffand), on finit par comprendre (je crois), mais cela oblige à se triturer l'esprit.
En revanche, que sous-entend-elle quand elle parle de l'"art du non-dit et d'insolence" au sujet de Mme de Deffand ? Dommage j'aurais aimé avoir des exemples.

Mon point de vue sur la conversation de façon générale :
Je suis d'accord avec elle quand elle dit qu'on ne peut plus converser dans les lieux publics (restaurant, bar, etc.) à cause de la musique et le niveau sonore des conversations. En revanche, pourquoi parle-t-elle des centres commerciaux, pourquoi irait-on dans un centre commercial pour causer ???
Personnellement, je trouve affligeant les conversations qu'on entend souvent dans les bars et les restaurants, et le pire c'est au travail, je comprends quand elle parle d'abrutissement.
Il est, souvent, difficile de parler politique en famille, sauf si on connaît l'opinion des autres, d'où l'intérêt de créer des communautés et de se regrouper par affinité (comme Lirelles). De nos jours il y a beaucoup d'intolérance, et il est difficile de débattre quand on est d'avis différents, il n'y a qu'à voir les débats à la télévision, dont on ne sort pas plus informés, mais abattus de tant de bassesse. Les réseaux sociaux se multiplient et représentent un besoin de la société actuelle, entre ceux qui aiment s'exposer et ceux qui restent passifs à regarder et écouter mais aussi il y a ceux qui donnent leur avis de façon parfois violente, des déchaînements de haine.

Autre chose, il faudrait faire une analyse sociologique et psychanalytique pour comprendre pourquoi les salons et la conversation sont surtout l'apanage des femmes (Rousseau parle de frivolité et d'effémination, Proust préfère la conversation avec lui-même. A mon avis, les hommes font beaucoup de monologues ou ne parlent tout simplement pas, on a l'exemple nos pères qui ne parlent presque pas à leurs enfants, contrairement aux mères).

Conclusion sur le livre : je suis enchantée de cette lecture enrichissante et qui m'a portée à réfléchir. J'encourage à lire plus d'essais à Lirelles…


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