Sorj Sorj CHALANDON, Retour à Killybeg, Le Livre de poche, 336 p. (
paru en 2011 aux éditions Grasset)

Quatrième de couverture :

"Maintenant que tout est découvert, ils vont parler à ma place. L'IRA, les Britanniques, ma famille, mes proches, des journalistes […]. Certains oseront vous expliquer pourquoi et comment j'en suis venu à trahir. Des livres seront peut-être écrits sur moi […]. Ne vous fiez pas à mes ennemis, encore moins à mes amis. Détournez-vous de ceux qui diront m'avoir connu. Personne n'a jamais été dans mon ventre, personne. Si je parle aujourd'hui, c'est parce que je suis le seul à pouvoir dire la vérité. Parce qu'après moi, j'espère le silence." Killybegs, le 24 décembre 2006, Tyrone Meehan.

"Imaginer et comprendre la vie du héros dont la trahison a remis en cause les fondements de la vôtre, le faire, en lui donnant une seconde vie de fiction, résume et couronne le travail d’un écrivain." Philippe Lançon, Libération.

"Un roman enflammé mais paradoxalement serein." André Rollin, Le Canard enchaîné.


Grand prix du roman de l’Académie française 2011.

Adaptation en 10 épisodes par France Culture en juin 2018

Sorj Chalandon (né en 1952)
Retour à Killybegs (publié en 2011)

Le nouveau groupe a lu ce livre en novembre 2023. Nous avions lu Le quatrième mur en 2015.

Katherine
J'ai terminé le livre aujourd'hui. IL y a longtemps que je n'avais pas aimé un livre comme ça. C'est un chef- d'œuvre, le style est incroyable, simple, politique, punchy. Il rend bien l'ambiance pesante. L'exploration du personnage est bien faite. Le contexte historique bien exposé, il contextualise bien. C'est légèrement long vers la fin. Il s'articule avec son livre Le Traître, que je n'ai pas lu.
J'ai adoré ce livre et il me donne envie de tout lire de cet auteur. Il décrit bien la souffrance des gens. J'ai aimé chez lui tout ce que j'aime chez Nicolas Bouvier. Pour moi c'est l'antithèse de Del Castillo. Je l'ouvre en grand.
Jean-Paul
J'ai aussi adoré ce livre. En plus, pour les anciens comme moi, cela nous replonge dans l'histoire, celle qu'on ne connaissait pas trop. L'histoire sordide des prisons, cela nous parle, nous rappelle des choses. C'est un livre prenant du début à la fin.
Est-ce vraiment un traître ? Qu'aurions-nous fait à sa place ? On dirait qu'au fur et à mesure du livre il change de point de vue vis-à-vis de l'IRA. A la fin on voit qu'il pense qu'il va contribuer à la paix. On se souvient d'avoir entendu parler de ça aux actualités. On voyait l'IRA comme des terroristes. Je ne connaissais pas le fait que les Irlandais se sont rapprochés de l'Allemagne pendant la guerre, par haine de l'Angleterre. La condition des prisonniers est frappante. On se demande comment la France voyait ce conflit à l'époque. C'est incroyable tout ce qu'on apprend. Le personnage de la femme Sheila est très bien. La première partie du livre décrit bien la vie des catholiques à Belfast. J'ai eu du mal à croire que tout cela était vrai, mais c'est vrai en fait ! J'ouvre en grand, et j'ai envie de lire les autres livres de cet auteur.
Monique
C'est éprouvant de lire un récit où la guerre prend tant de place en ce moment. Mais le roman est formidable, l'auteur l'a écrit avec ses tripes, on sent qu'il aime l'Irlande, qu'il la connaît, qu'il a fraternisé avec son peuple et les troupes de l'IRA, qu'il les comprend. Sorj Chalandon a été reporter de guerre, il a couvert la guerre de l'IRA contre les protestants d'Irlande du Nord et les Britanniques, il sait de quoi il parle. J'ai écouté une de ses conférences sur YouTube intitulée "Du grand reportage à la littérature : l'homme est attachant, très sobre et authentique comme son écriture. Il disait que lorsqu'il couvrait ces événements pour Libération, il avait un carnet à spirales où il écrivait les faits pour son journal sur la page de droite, et ce qu'il ressentait sur la page de gauche afin de s'en servir plus tard dans ses romans. Il disait aussi son admiration pour le peuple irlandais, seul pays où les combattants de l'IRA lui ont dit d'aller interroger le camp adverse pour mieux comprendre.
Ce livre est beau par son intensité, ses phrases courtes, au plus près de la réalité des situations, ses mots vibrants de justesse, ça sent la vie, la mort, la fragilité et la force de ce peuple face à l'injustice qui lio est faite, l'intensité du lien à sa cause et sa patrie. Ce n'est pas seulement l'histoire de Tyrone Meehan, c'est aussi la rencontre de beaux personnages : le père Patraig mélange de violence "Quand mon père avait bu, il cognait le sol, déchirait l'air, blessait les mots… Quand mon père avait bu il faisait peur", de panache et d'engagement irréductible : debout sur une table du Mullin's, "il chantait yeux fermés, une main sur le cœur, son pays déchiré, ses héros morts, sa guerre perdue. Lorsqu'il chantait notre terre, les fronts étaient levés et les yeux pleins de larmes", de délire lorsqu'il conte à son fils de 6 ans l'histoire du prince et de la princesse vivant dans un donjon qui s'écroule un peu plus à chaque naissance, dont la mère meurt et les enfants sont transformés en corbeaux. Et puis Sheila l'épouse, la silencieuse qui accepte tout, ne demande rien, a tout deviné, comprend, lui prépare son sac pour la retraite finale à Killibegs, dans la maison du père où il sera exécuté. Cette chaumière qu'il avait refaite à la chaux blanche où il retournait souvent pour le souvenir de sa mère ranimant la cendre, du père assis à table, poing sous le menton. Il y allait manger ses souvenirs, son enfance, son amour de la patrie. Il y a Jack le fils qui refuse la trahison du père : "J'ai besoin de toi mon fils" dit Tyrone. "Je ne peux pas. C'est trop douloureux. C'est trop dégueulasse ce que tu nous as fait papa. (…) Jack ? (…) Je t'aime. (…) Il m'a regardé, sidéré (…) À reculons, il a pris le chemin qui mène à la route. Sans un mot. Il est parti de face. Il quittait la maison, son enfance, le vieux puits, la flamme caressante des bougies, les lutins, la forêt, il quittait le village de ses ancêtres, son père, toute l'Irlande que je lui avais donnée. Il marchait les bras écartés. Il trébuchait sans voir. Mon enfant, mon fils, mon petit soldat. Il pleurait. Il était bouche ouverte en masque de souffrance. Il fuyait. Il se sauvait de moi. Ses pas craquaient le bois, la pierre, la terre gelée. J'avais posé une main sur la glacé du mur, je ne pouvais plus rien. Ni pour lui, ni pour moi. Je n'étais même plus traître, j'étais mort. Et lui aussi. Et nous tous. Et tous les autres à venir. Et je ne savais plus où était notre drapeau." Bouleversant. Dans ce livre, on voit l'Irlande, ses pubs, sa bière à la mousse ocre brun qu'il boit comme un mélange de terre et de sang, le patriotisme vibrant des irlandais et leur rejet des britanniques "Quand le Go Ahead fait escale pour avarie dans le port de Killibegs, les habitants leur offrent un drapeau irlandais de courtoisie tout neuf dont la foule applaudit la montée des couleurs tandis que leur drapeau sommeillait à l'arrière, immense, enroulé par notre vent autour de son mât". On voit la guerre, les bombardements, la souffrance du peuple, la détermination des engagés, la saleté, l'horreur des cachots, les grèves de la faim sous une Thatcher inflexible qui laissera les grévistes mourir les uns après les autres. Le style est superbe, les phrases courtes, incisives comme des morsures, vibrantes de passion. Exemples : lorsqu'on trouve le père mort, "son bras gauche était levé, poing fermé comme s'il s'était battu avec un ange"… Lorsque Tyrone est interrogé par un membre de l'IRA, "Il écoutait mes yeux, pas ma réponse". La prison : "Un plafond voûté de briques, un sol de sang caillé, une lucarne haute qui épuisait le jour" ; sa confession au prêtre : "Ses yeux pleuraient les miens" ; l'enterrement de Tom Williams dont il porte le cercueil : "J'emmenais Tom. Je portais mon chef sur mon dos, mon ami, mon frère. Je le ramenais chez lui. J'allais ouvrir son lit de terre et y jeter mon enfance".
Julien
Dans Retour à Killybegs, Sorj Chalendon nous plonge au cœur des tumultes de l'IRA et de la lutte des Irlandais catholiques, un conflit dont il a été témoin en tant qu'envoyé spécial. Le personnage central, Tyrone, est façonné par et pour l'Irlande. Tourmenté par l'ombre de son père, un homme absorbé par ses idéaux plutôt que par ses responsabilités parentales, Tyrone grandit dans les rues confinées du ghetto de Belfast. Son destin semble prédestiné à l'engagement dans l'IRA, où il gravit les échelons jusqu'à devenir un héros martyr, notamment le jour tragique où il tue accidentellement son ami et lieutenant de l'IRA, Danny. Cette erreur marque le début de sa peur d'être découvert, craignant de briser le mythe héroïque qu'il incarne.
Le roman explore aussi le poids des attentes héritées. Par son père, Tyrone se retrouve prisonnier d'un rôle trop grand pour lui, un héritage de patriotisme qui oriente toute son existence. Cette dynamique se reflète également dans la relation entre Tyrone et son fils Jack, qui voit en son père un héros, sans comprendre la malédiction que représente cette perception. Après des années de conflits contre les Britanniques et des séjours en prison, Tyrone se lasse de la lutte. Il réalise le caractère désuet de ce combat dans une société qui évolue loin de son patriotisme fervent. L'IRA exige qu'il continue la lutte, notamment en mémoire de Danny, mais Tyrone choisit de se détourner des actions mortelles de l'organisation. Le conflit entre les Irlandais et les Britanniques s'estompe progressivement, face à un monde qui rejette ces vieilles querelles. Le roman capture cette transition, notamment à travers le personnage de Walder, agent du MI-5, qui encourage Tyrone à honorer les mémoires des disparus et participe au processus de paix. Le combat s'efface avec ses derniers martyrs, laissant Tyrone perdu dans les échos d'un passé révolu.
Le roman de Chalendon est cinématographique dans ses descriptions et ses actions, mêlant solennité et tragédie. Les personnages, marqués par leur lucidité ou leur souffrance, soulignent la complexité du conflit irlandais. Des jaillissements poétiques nous font percevoir la lumière dans cette misère et cette horreur du quotidien. L'auteur fait preuve d'une réflexion aiguë sur la portée limitée de ce conflit, interrogeant la possibilité d'une paix durable dans un héritage patriotique.
Lahcen
Je trouve ce livre un chef-d'œuvre aussi. L'écriture est simple mais lapidaire. J'ai été abasourdi par la violence de ce conflit dont je ne savais rien. Il n'y a pas de manichéisme dans le livre. Les détentions inhumaines sont très bien décrites, c'est très violent. On voit bien le déchirement du pays, la résistance irlandaise. Les personnages sont très bien construits. Moi aussi j'ai envie d'en lire plus. J'ouvre en grand.
Anne-Marie
Tout a été dit et je suis entièrement d'accord, c'est un livre très puissant. En plus je sais que les détails choquants sont vrais, je connais des Irlandais qui m'ont raconté. On voit bien en même temps dans ce livre la relative indifférence des Irlandais du sud. C'est vrai que ce conflit n'est pas présenté de manière manichéenne, il y a même des Anglais qui semblent humains.
Je suis frappée aussi de l'empathie de l'auteur pour le peuple irlandais beaucoup plus que pour l'IRA dont il ne semble pas approuver tous les comportements. On dirait que l'auteur pense parfois que c'est le peuple irlandais qui est le plus abîmé par l'IRA, plus que les Anglais qui de toutes façons seront les plus forts et gagneront. Le peuple est manipulé dans son nationalisme. Tout cela est bien montré, de même que la dignité des femmes et leur souffrance héroïque. Et oui tout est vrai, y compris ce que se passait dans les prisons. On reconnait là le talent du journaliste, du reporter de guerre.

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

 

 

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