Lyonel Trouillot en 2010


Kannjawou,
Babel, 208 p.

Quatrième de couverture :

«  Cinq jeunes gens rêvent en vain d’avenir dans le misérable quartier de la rue de l’Enterrement, à Port-au-Prince. Confrontés à la violence des rapports sociaux et aux dégâts causés par des décennies d’occupation militaro-humanitaire, ils n’ont pour viatique que le fantasme d’improbables révolutions, les en­seignements du “petit professeur” ou les injonctions de man Jeanne, farouche gardienne des règles d’humanité élémentaire – règles que les nantis et les représentants interchangeables des ONG planétaires qui viennent s’encanailler au “Kannjawou”, le bar local, bafouent allègrement, habitués qu’ils sont à détour­ner le regard de l’enfer ordinaire d’un peuple simplement occupé à ne pas mourir.
En convoquant avec éclat la dimension combative dont toute son œuvre porte la trace, Lyonel Trouillot met en scène la tragédie d’un pays en quête d’un projet collectif salvateur. 
»

Lyonel Trouillot (né en 1956)
Kannjawou (2016)

Nous avons lu ce livre en septembre 2019.
C'est le quatrième auteur haïtien que nous lisons après René Depestre, Dany Laferrière et Yanick Lahens.

Voir en bas de page pour quelques repères sur Lyonel Trouillot et ses œuvres. Et voici 34 cotes d'amour :

Rozenn
J’aurais bien aimé échanger avec vous sur ce livre qui m’a séduite et passionnée mais je suis à Caen.
Séverine (avis transmis)
Mon avis sera bref car j’ai décidé d’arrêter ma lecture, n’arrivant pas à accrocher et ayant trop de choses à lire (probablement plus à mon goût !). Ça me semblait bien parti : j’aimais les messages passés en filigrane de la présentation des personnages et l’engagement de l’histoire. Mais je me rends compte qu’en voulant en parler, je ne sais même pas quoi dire tant j’ai déjà oublié le peu que j’ai lu… c’est dire ! Je pense, en fait, que l’histoire de ces personnages m’ennuie… et c’est bien triste car ils sont peut-être fort intéressants et l’histoire de leur pays aussi. Je suis probablement passée à côté de cet auteur… ou ne l’ai pas lu (ou tenté de le lire) au bon moment… Je retiendrai juste une citation que je vais me garder de côté : "Ce ne sont jamais ceux qui n’ont rien qui veulent tout, tout de suite. Mais ceux qui ont un peu. Un peu beaucoup. Déjà beaucoup. Déjà beaucoup trop. Ceux qui savent déjà ce que c’est qu’avoir. Un peu de biens. Un peu de pouvoir. Un peu beaucoup de biens. Un peu beaucoup de pouvoir." Je l’ouvre un quart, ne serait-ce que pour cette citation.
Catherine
Ce n'est pas un livre gai. J'ai aimé la rue de l'Enterrement, le cimetière omniprésent, les voleurs de cercueils, les rapports entre les cinq protagonistes, les scènes de leur enfance. Il ne se passe pas grand chose mais l'ambiance étouffante et désespérante dans laquelle vivent les habitants pauvres de ce pays est très bien rendue. J'ai trouvé intéressant tout ce qui touche à l'histoire d'Haïti, que je connais très mal, les deux occupations, avec la perte de souveraineté qui en découle pour le pays. J'ai été, comme d'autres, étonnée par la vision qui est donnée des ONG qui sont considérés par les habitants de la rue comme des occupants. J'ai aimé la place importante que prennent les livres dans le récit ; la seule note d'espoir qui persiste est liée à la littérature et à la transmission de la culture. Le personnage de Man Jeanne, en revanche ne m'a pas vraiment convaincue, il m'a semblé un peu convenu. Contrairement à Bain de lune, il n'y a aucune référence mystique, aucune évocation du vaudou ; peut-être est-ce parce que cela se passe à Port-au-Prince et non à la campagne. J'ai trouvé ce livre bien écrit avec beaucoup de phrases qui interpellent. Il y a une ambiance, une histoire qui m'ont touchée. Je l'ouvre aux ¾.
Annick A
J'ai du mal à en parler. Le thème et les questions sont intéressants, mais la manière de les aborder est superficielle, notamment la manière dont il parle des ONG. Le narrateur fait partie du groupe des cinq, tout en étant extérieur, cela fait de lui un voyeur et me l'a rendu antipathique. Le regard extérieur empêche le lecteur d'entrer dans l'histoire. Je n'ai pas beaucoup aimé, c'est un livre désabusé avec un regard noir. Il aurait mérité d'être traité autrement. Ce n'est pas mal écrit, avec des phrases intéressantes. J'ouvre ¼.
Danièle
Je rejoins Annick. Le roman veut faire nous faire entrer dans l'histoire d'un peuple très pauvre qui a continuellement été dominé, soumis à des dictatures, et encore maintenant avec l'Occupation des ONG. L'auteur parle des deux grandes Occupations, avec un grand O. Mais, par manque de connaissance de l'histoire d'Haïti, je n'ai pas toujours compris ses allusions, et le style était souvent trop elliptique pour qu'il puisse m'aider à y entrer. (Les notes communiquées par Claire m'ont aidée a posteriori à m'en faire une idée plus précise).
J'ai eu du mal à cerner les personnages, qui m'ont souvent déroutée. Tout en étant en quelque sorte des intellectuels (étudiants en psychologie ou en linguistique), ils s'enferment dans un univers limité, fermé par l'avenue du cimetière, comme par peur de s'aventurer. J'ai eu le sentiment de personnages désincarnés, ce qui m'a empêchée d'éprouver de l'empathie pour eux et pour leur situation. Ce qui n'a pas tardé à me procurer un sentiment de culpabilité, devinant que je devais passer à côté des véritables intentions de l'auteur, dont le lyrisme indigné me faisait sentir le poids et la rage. Le petit professeur a pris forme au moment de sa mort, dans des passages très émouvants, mais pas les autres personnages, qui restent inconsistants. J'ai été choquée par la vision des ONG, considérées comme une force occupante au même titre que les dictatures. Cela ne correspond pas à l'idée que je m'en faisais. Cela aurait mérité d'être objectivé et développé. J'ouvre un quart, je suis déçue, tout en éprouvant une sorte de mauvaise conscience...
Henri
Je suis comme vous. J'ai assez vite décroché, malgré plusieurs heures de train qui constituent des conditions idéales. Je n'ai pas eu de plaisir de lecture. Le style et le format des phrases courtes m'ont agacé, c'est reproduit, ce n'est plus un style. Je suis cependant reconnaissant au groupe, car on n'est pas là pour se faire plaisir...
Le mérite du livre est qu'il reste une sorte de matière désabusée. Toute forme d'interface avec les autres pays ou entre les personnages est désabusée. Je reconnais la valeur de témoignage du livre, qui renforce l'image de ce pays pauvre. Le plus pauvre du monde, n'est-ce pas. Certaines phrases c'est vrai ramassent le contenu. J'ouvre à moitié peut-être par culpabilité.
Françoise D
Je suis partagée. Je l'ai lu facilement, mais sans grand enthousiasme. On a envie de l'aimer, par capital sympathie pour l'auteur et pour le pays. Cela m'a beaucoup fait penser à Bain de lune et pour moi les deux livres se complètent. Le style et l'écriture me semble un peu faciles. J'ouvre à moitié, à l'image de mon sentiment partagé.
Claire
Je me souvenais de l'enthousiasme d'Étienne quand il nous l'a proposé et étais très partante, ai démarré sur des chapeaux de roues, puis me suis dit il ne se passe rien, ça n'en finit pas la description d'une situation, je rejoins Séverine dans le décrochement. Mon avis se résume page 170 : "je préfère les histoires qui touchent vite au cœur du propos". C'est idiot car cela peut être passionnant qu'il ne se passe rien. Je me suis demandé pourquoi j'ai décroché : d'accord avec Annick, les personnages n'ont pas de chair ; le narrateur n'a pas de nerfs, pas d'émotion et me rejette à distance ; rien ne me retient dans le thème qui me barbe alors qu'il devrait me passionner ; il y a aussi ce passé composé qui rend le récit mou. Le passage de l'incendie, avec l'évocation des livres qui brûlent, est réussi. Mais les deux dernières pages, c'est la cata. J'ouvre au quart par intérêt pour découvrir les raisons de l'enthousiasme d'Étienne.
Geneviève
Ce qui est intéressant, comme souvent dans le groupe de lecture, c'est que j'ai bien ressenti ce qu'ont décrit ceux qui ont peu aimé le livre, mais j'en ai tiré des conclusions inverses. J'ai lu le roman facilement, mais avec le même sentiment de flottement au début que beaucoup ont décrit. Je n'ai pas été gênée par le fait qu'il ne s'agisse pas d'un récit à proprement parler, avec un déroulement d'événements et surtout une intrigue. C'est précisément la restitution d'un monde enfermé dont les habitants ne parviennent jamais à sortir, d'où d'ailleurs l'usage du passé composé et non du passé simple, qui aurait dynamisé le récit. Certes, le seul personnage qui a vraiment de l'épaisseur est Wodné avec la peur qui l'envahit, mais la manière dont cette peur finit par paralyser sa compagne Joëlle et son adorateur, le "petit professeur", est très intéressante. Le narrateur est lui aussi transparent ou, plutôt, il se veut neutre, ce qui permet ce regard extérieur qui englobe le quartier, l'université et la boîte où se retrouvent les expatriés. L'auteur choisit de ne pas décrire ces "expats", encore moins analyser leur rôle dans l'île en tant que personnes, mais de les saisir dans une de leurs réalités : celle d'une "boîte" où ils se retrouvent le soir et où se crée un petit monde toujours en partance, entre deux histoires d'amour éphémères. Ayant fait plusieurs missions en Afrique, je retrouve cet "entre soi" de ceux qui sont entre deux mondes, et qui s'oppose à ceux qui vivent là et sont condamnés à ne jamais en sortir. J'ai été touchée par l'histoire de la "petite brune", perdue entre son monde et son amour imaginaire. Seules les deux dernières pages sont un peu faiblardes, mais il était difficile de sortir de ce monde immobile...
Christelle
Je n'ai pas tout à fait fini. Peut-être que je m'arrêterai avant les deux dernières pages... Comme il ne se passe pas grand-chose, j'aurai quand même une vision globale du livre pensé-je. Les trois premières pages, je les ai reprises car j'ai eu des difficultés avec le style haché. Finalement, j'ai beaucoup aimé le style, ces phrases courtes concises, traduisant les souvenirs, souvent par bribes, du narrateur. On semble être entre rêve et espoir : des rêves il y en a, oui, au départ, mais l'espoir, lui, est absent. Cette absence est très dure. Une phrase résume selon moi la malheureuse dynamique du groupe : "Julio ... Il avance lentement, comme vers une fatalité. Nous semblons tous glisser dans la fatalité." Partir comme seule issue ? Ce n'est pas évoqué. Le titre signifie la fête en haïtien, mais la seule qu'on voit, c'est celle des expats. J'aurais aimé plus de clarté haïtienne, or là on est dans la pénombre continuelle. Nous donner un seul point de vue m'a paru parfois excessif, mais ça permet d'appréhender l'état d'esprit de ces jeunes et d'y réfléchir. Je vais continuer et j'ouvre aux ¾.
Fanny
En le lisant, je m'attendais à un enthousiasme du groupe et suis donc étonnée. J'ai eu du plaisir, bien que ce ne soit pas joyeux. J'ai aimé le style. J'ai eu un peu de mal à certains moments, notamment pour entrer dans le livre : est-ce le manque d'épaisseur des personnages ? Est-ce parce qu'ils sont nombreux ? Mais je vois plus le livre comme une balade. Le narrateur ne m'est pas antipathique, et le fait que son point de vue soit extérieur ne m'a pas gênée. J'ai aimé certains passages, par exemple quand il est enfant au milieu du cyclone, c'est imagé, joli. Je rejoins ceux qui l'ont déjà dit : j'ai beaucoup aimé certaines phrases au fil du récit j'ai trouvé qu'elles sonnent justes et résonnent au-delà du roman. La fin de m'a pas marquée, c'est vrai que ça tombe à plat. Je n'étais pas allée au bout du livre de Yanick Lahens, c'est différent celui-là. J'ouvre aux ¾.
Monique L
Je m'attendais aussi à de l'enthousiasme de la part du groupe.
Ce qui me marque le plus dans ce livre, c'est la langue et le style qui me touchent profondément. C'est une langue magnifique, fluide, poétique. L'auteur a le sens de la formule et de la métaphore.
Ce récit est dramatique, plein d'humanité, parfois cocasse. J'ai trouvé une certaine douceur malgré le sujet. Le narrateur, qui tient son journal pour ne pas oublier, nous raconte les petites et grandes histoires des habitants de son quartier, leurs illusions et leurs renoncements. Ce qui relie ces personnages c'est le pouvoir des mots qui leur permet d'analyser et de décrire le monde qu'ils sont impuissants à transformer : "Sentinelle des pas perdus. Sans pouvoir rien y changer, nous passons beaucoup de temps à deviser sur les itinéraires."
C'est un plaidoyer contre l'oppression et l'occupation d'Haïti à qui on dénie le droit de s'administrer lui-même. L'auteur y exprime l'absence d'espoir, même parfois le désespoir, mais aussi le besoin de rêver et d'espérer. Il y déplore son impuissance et le manque de perspectives pour la jeunesse.
La peinture des personnels des organismes internationaux ou humanitaires est terrible et tellement réaliste ! Ils sont vécus comme des occupants.
Tous les personnages ont une personnalité bien campée, même les personnages secondaires. Je me suis sentie au milieu d'eux pendant toute ma lecture. J'ouvre en entier.
Jacqueline (qui nous a fait du féroce d'avocat et des mini tartes des Caraïbes délicieuses aux oignons pimentés)
Intéressée par la littérature haïtienne, j'avais autrefois emprunté du même auteur Ne m'appelle pas Capitaine que je n'avais pas fini et là aussi, j'ai eu un peu de mal au démarrage. Mais, il y avait le groupe lecture… et puis surtout man Jeanne ! Man Jeanne qu'on ne voit pas mais dont on entend la voix et c'est extraordinaire !
Je suis arrivée à la création du centre culturel : "Sophonie est allée voir man Jeanne, lui a exposé son idée. Man Jeanne a jugé que c'était bien. "Des jeunes avaient fait des choses comme ça au temps de la première Occupation. Il en était sorti des gens bien. Pas tous. Il est des gens, tu as beau les exposer au meilleur, ils choisiront toujours le pire. Mais, on va le leur créer ce Centre aux gamins." Elle a organisé la collecte, nous a ensuite donné l'argent quelle avait recueilli pour acheter les premiers livres. Wodné  voulait des ouvrages formateurs, des sortes d'initiation à l'instruction civique et la conscience sociale. Sophonie préférait une juste part des choses. Pourquoi les enfants pauvres ne pouvaient-ils descendre vingt mille lieues sous les mers, voyager en ballon et se battre à l'épée pour venger leurs amis ? Si tu n'as pas de rêves, au nom de quoi veux-tu faire la guerre au réel ?" (p. 43) Il y a la problématique d'Haïti, mais moi qui lis à des enfants je vois que c'est aussi la mienne... je suis, alors, entrée dans le livre. Pour moi c'est un très grand livre, par la manière dont c'est écrit, avec des phrases courtes mais percutantes. Je me suis retrouvée à Haïti. La petite brune m'a renvoyée à Vers le Sud de Dany Laferrière. Le père Anselme exproprié de ses terres faisait écho à Bain de lune, comme la situation de ces jeunes à celle du jeune Fignolé, musicien militant disparu de Port-au-Prince dans La couleur de l'aube de Yanick Lahens...
Un récit trop distancié ? Mais il s'agit plutôt de ne pas s'appesantir.
J'ouvre en grand, un peu plus qu'en grand. C'est un très beau livre sur l'écriture au travers de l'engagement du narrateur dans ce journal. C'est aussi un beau livre sur l'engagement militant avec l'histoire du "petit professeur" ; et je retiens aussi : "Tu sais comment on devient un militant ? Faut commencer par être humain et un humain ça parle des autres en s'excusant". Ce livre pose toujours un regard bienveillant, sur tous ses personnages, et ce n'est pas un hasard s'il se termine par une déclaration d'amour...
Annick L
J'ai adoré ce roman. Et j'ai été surprise par les critiques que j'ai entendues…
Par exemple moi j'ai bien aimé le parti pris du narrateur modeste, en retrait, qui laisse la place à ceux qu'il met en scène. J'aime aussi ce style, les phrases courtes, comme des impressions jetées au fil du texte. D'autant que cette unité est rompue par quelques scènes particulièrement marquantes, dont on peut apprécier la force d'évocation : par exemple celle du suicide du professeur ; ou la scène de la danse solitaire de" la petite brune", Sandrine, qui cherche à séduire de nouveau son amant haïtien d'un soir dans le bar des expatriés ; ou quand les jeunes de la bande des cinq vont sur la plage privée et font en direct l'expérience du cloisonnement social qui organise la géographie de leur ville.
Par ailleurs, j'ai été interpellée par le tableau très sombre qu'il brosse des humanitaires : j'approuve le travail des ONG en général et je pensais qu'ils avaient un rôle positif à Haïti. Qu'ils soient vécus comme des occupants m'a fait réfléchir. Bref j'ai été intéressée.
J'avais lu un autre roman de cet auteur, Rue des pas-perdus, aussi pessimiste mais écrit très différemment. Ici, au début du livre, ça paraît flotter, on passe d'un sujet à l'autre, sur lesquels le narrateur revient, de façon obsédante, et peu à peu une cohérence se crée. La construction est remarquable. Bien sûr c'est désespéré, il ne se passe rien, mais c'est aussi un parti pris : le lecteur se retrouve enfermé dans cet immobilisme et je comprends que pour certains lecteurs ce soit insupportable. Moi je trouve ça astucieux de plonger le lecteur dans cette réalité.
J'ai bien aimé le parallèle qui a été fait avec le roman de Yanick Lahens, les deux romans sont complémentaires en effet, même si cette romancière écrit dans un flux plus luxuriant, voire délibérément exotique. Mais leur vision converge quant à l'absence d'espérance pour les habitants de ce petit pays exsangue. J'ouvre en grand.
Etienne(c'est le premier livre proposé par Etienne dans le groupe, après plusieurs tentatives infructueuses...)
Je suis tombé par hasard sur ce livre dans une librairie. La première bonne surprise : pas de côté folklorique (vaudou, exotisme…). J’ai l’impression que ceux qui ont apprécié en ont parlé mieux que ce que je pourrais le faire. Étonnamment je suis d'accord concernant ce que vous n'aimez pas. Mais comme Geneviève, c'est ce que j'ai aimé ! J'ai adoré ce rapport réel/imaginaire, cette impression de contour flou des personnages. Cette bande, a-t-elle une existence ? Elle m'a d'abord fait penser à Pennac, puis, non ! C'est de la rage. J'ai été pris aux tripes par ce cri de rage, qui est désabusé en même temps.

Claire
Tu peux nous faire un cri de rage désabusé ?...

Etienne
Il y a une instrumentalisation observée, un regard critique sur les ONG, mais la critique n'est pas acerbe. S'il y a beaucoup de thèmes abordés, ce n'est pas décousu, on passe avec fluidité de l'un à l'autre. Le constat amer est magnifié par l'écriture, dont j'ai apprécié les uppercuts : une écriture sèche, scandée. Et il y a aussi de la tendresse entre eux, ce qui donne une petite lumière quand même. J'ouvre en grand. Les deux dernières pages ? Oui c'est vrai. Mais la lenteur avec ce marasme m'a énormément plu.

Fanny
Je reviens sur la culpabilité, c'est drôle que vous en ressentiez.

Françoise
C'est à cause de ce capital de sympathie.

Annick A
Le sujet ne suffit pas, ça reste superficiel.

Geneviève
Il ne s'agit pas d'une analyse mais d'un roman.

Claire
Ce qui me frappe dans les interviews, c'est qu'il ne parle pas d'écriture, mais uniquement du "sujet" justement.

Etienne
Alors que l'écriture est formidable.

Fanny
Les enfants, je n'arrivais pas à leur donner un âge, à savoir s'ils étaient des enfants ou pas. Mais ça ne m'a pas gênée.

Danièle.
Oui, c'est vrai, on ne sait pas quel âge ils sont.

Annick A
De toute façon, je ne suis pas arrivée à me représenter les personnages. C'est vrai qu'il y a un beau passage sur les enfants : "Les enfants sont capables d'étranges analogies, et malheur à qui prétend savoir où les attendre. Un enfant, c'est jamais une horloge arrêtée, sauf lorsque le malheur les a frappés trop fort et qu'ils n'osent plus bouger. Les enfants, ils voyagent tout le temps, montent au ciel, descendent vers les fonds de mer, dansent avec les couleurs, les mots, marient les vivants et les morts, les jeunes et les vieux, remplacent le réel par le rêve quand le réel est mauvais, te montrent un rêve en te disant : "Tiens, voilà le réel" et te regardent avec un air de défi, des fois que tu voudrais prétendre que leur rêve n'a pas raison. Et puis soudain ça devient pragmatique, plus réaliste que toi, te disent que le père Noël, s'il existait il est bien mort vu qu'il ne passe jamais à la rue de l'Enterrement. Et s'il est pas mort - on peut pas savoir, y a pas de tombe à son nom sous la poussière du grand cimetière - c'est qu'il est occupé ailleurs." (p. 135)

Françoise
Et l'histoire du cercueil ! (Le voleur de cercueil se fait interpeller par les flics alors qu'il sort du cimetière avec un cercueil sur la tête, il leur répond qu'il va changer de cimetière car il ne se plaît pas du tout dans celui-ci... et les flics le laissent partir...!)

Henri
J'ai été agacé par le style fait deux phrases courtes : quand le style est trop évident, ce n'est plus du style. C'est comme Maylis de Kerangal.

Monique
Le rôle de man Jeanne est important, car elle ouvre sur l'histoire du pays.

Annick L
Oui, mais c'est vrai qu'on ne peut pas se la représenter.

Fanny
J'ai l'impression que ce sont surtout les expats que l'on visualise le mieux à travers la description physique que l'auteur en fait.
Entre la première et la deuxième partie, j'ai eu l'impression que beaucoup de temps s'était déroulé.

Henri
À propos de la culpabilité : Danièle se sent solidaire d'un groupe et pense passer à côté de quelque chose et quant à moi, j'avais de bonnes conditions et à chaque fois que je le reprenais c'est une corvée.

Etienne
Je me souviens que tu as dit que tu es bien élevé et que tu as l'habitude de finir ton assiette…

Annick L
Par rapport au groupe c'est ce que j'avais ressenti lors de la soirée sur La saga de Youza qui m'a vraiment barbée alors que la plupart d'entre vous avaient beaucoup aimé.

Claire
Même certains qui ont aimé ont eu du mal au début... Cela me rappelle Carole Martinez qui nous disait qu'elle faisait exprès d'être chiante au début pour faire un écrémage...

Annick A
Au début pour ma part, j'y suis entrée,
mais c'est après...

Danièle
On n'imagine pas leur journée... que font-ils ?

Catherine
Rien !

Annick L
Quand même ces jeunes ont monté un centre culturel pour les enfants du quartier où on leur fait découvrir le pouvoir des mots et des livres. D'ailleurs tout le roman leur rend un hymne vibrant.

Fanny
J'ai retrouvé la phrase que je cherchais : "Les romans. C’est une des choses qui nous lient. Lui, un presque riche qui avait dans son enfance le luxe de choisir lequel de ses deux parents il préférait, habite un quartier où poussent encore des fleurs, une maison à étage avec une chambre d’amis, possède une voiture qu’il utilise rarement, une bibliothèque qui compte plus d’ouvrages qu’il y a de tombes dans le premier carré du grand cimetière qui ferme notre rue. Et moi, un petit gars de la rue de l’Enterrement qui n’a jamais eu pour parents que son frère Popol, n’a pas toujours mangé à sa faim, à qui personne n’a jamais enseigné l'art de tenir une fourchette. Dans son enfance, il lisait pour tromper l’ennui. Moi, souvent pour tromper la faim." (p. 27)

Françoise
Et puis, la vision du narrateur n'est pas forcément "la vérité".

Geneviève
L'occupation violente ou douce, avec la gouvernance du pays prise en main, c'est bien une réalité.

Annick L
Cette analyse est développée dans les articles que Claire a sélectionnés.

Monique
Le coût des ONG est exorbitant. C'est très cher pour le service rendu.

Annick L
Ça fait tourner les ONG. Et, pour les humanitaires eux-mêmes, la question de savoir ce qui les pousse à s'engager dans ce type d'actions est posée dans le livre à plusieurs reprises.

Annick A
Le narrateur fait partie du groupe des cinq, il observe. Je trouve qu'il s'extériorise, s'autorisant des jugements à longueur de temps.

Etienne
C'est toujours bienveillant.

Annick A
Vous trouvez ça bienveillant ? Le chapitre sur la petite brune est violent.

Fanny
C'est touchant.

Françoise
C'est ambigu concernant cette pauvre fille paumée.

Christelle
C'est le seul moment d'humanité. Là il y a une entraide.

Fanny
Ce n'est pas complaisant.

Henri
Quand il y a une grande distance, on ne peut pas communiquer. Le narrateur est lui désengagé, passif. Les militants "sont des humains", les ONG sont de passage. Ça ne marche pas dans le groupe.

Jacqueline
D'ailleurs le groupe n'existe plus.

Geneviève
Ça me rappelle les cités des quartiers HLM, il n'y a pas de sortie : à l'université on vivote, on est dans un entre-deux social, comme l'est ce groupe. Peu à peu ils abandonnent l'idée de changer de monde et s'enferment dans le ressentiment et le sentiment d'injustice.

Jacqueline
Il y a un passage avec une comparaison entre ceux qui ont fait des études et les autres.

Henri
Le bouquin est puissant sous cet aspect. C'est pourquoi je dis qu'on n'est pas là pour le plaisir...

Geneviève
A ce propos j'ai envie de vous parler d'un livre, mais que je ne propose pas au groupe.

(Finalement, nous programmons le livre en question Souvenirs à marée basse de Chantal Thomas...)

Danièle (le lendemain)
Comme d’hab, super soirée, toute de contraste. Mais je dois dire que les réflexions de ceux qui ont aimé m’ont fait comprendre des choses, et en particulier, que ce que j’ai pris pour du vide ou de l’inconsistance, reflétait en fait l’état d’esprit des personnages, presque comme une défense devant l’absence d’issue. Intéressant !

 

AVIS DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN réuni le 27 septembre 2019

AnlonÉmilie Ana-CristinaAnne FaustineMargot
Anne-MarieFrançoise HMonique MNathalie B


Ana-Cristina
Le livre m'a plu tout de suite, dès la première page, vraiment. Il m'aurait plu encore davantage je crois si j'avais pu le lire sans interruption, dans un seul mouvement.
J'ai beaucoup aimé le style, poétique, très sincère, sans pose. L'auteur ne se sent pas obligé d'expliquer ce dont il parle. Je lui en sais gré. Pourtant je ne connaissais quasiment rien de l'histoire d'Haïti. Mais Lyonel Trouillot en dit suffisamment pour que je comprenne de quoi il parle. De plus, ses propos sont universels.
Il y a beaucoup de tendresse, dans ce qu'il écrit, de la douceur, qui rend le livre encore plus poignant. A la fin de la page 16, j'ai déjà envie de pleurer. Je sens que l'auteur devrait crier et il ne fait que murmurer. "Les coups de pioches des voleurs de cercueils" résonnent comme dans une histoire pour enfants écrite pour qu'ils aient un peu peur. J'aime l'expression : "Les pilleurs de talent".
L'équilibre est rompu entre la place donnée à la vie et la place donnée à la mort. Alors, il faut, pour continuer à vivre, compenser, c'est-à-dire trouver un équilibre plus intime, moins cosmique, moins général tout simplement. Les généralités, les grands discours ne valent rien quand il s'agit de s'en sortir au quotidien. L. Trouillot écrit (p. 87) : "Ce peut être une erreur de penser aux grandes choses en oubliant les petites." Je pense que nous avons tous notre "rue de l'Enterrement", puisque nous avons tous une vie qui nous mène inévitablement à la mort. La question est de savoir comment on y vit dans cette rue. Il est difficile d'être avec ceux de la rue. Être dans sa rue ne veut pas dire ignorer les autres, les refuser. L'équilibre entre le dedans et le dehors est toujours difficile, voir impossible ; la vie est sa recherche. Joëlle a-t-elle raison ? Faut-il prendre le risque de partir pour aller là où on pense pouvoir exister ? Ou est-ce un leurre ? Je suis pour le leurre. On ne quitte jamais sa "rue de l'Enterrement", mais s'il y a une chance, ne serait-ce que minime, de pouvoir enfin exister, même si c'est "ailleurs", il ne faut pas hésiter. Page 42 : "j'éprouvais du mal à choisir entre ce qui est et ce qui sera. Entre le don et le possible." "Le don" est représenté par Sophonie, "le possible" (ce qui est possible de faire), par Joëlle.
J'ai trouvé très émouvant l'épisode de l'incendie (p. 167-168). Le "petit professeur" représente la meilleure part d'Haïti, tout comme man Jeanne. Cet épisode symbolise pour moi l'histoire d'Haïti. Les pompiers qui arrivent vraiment vraiment vraiment longtemps après le feu, éteint par les habitants. J'aime beaucoup le personnage du "petit professeur". A propos de lui et de sa place dans cette rue, voici deux vers d'un poète russe, qui lui vont comme un gant :
"Le cœur parle si bas qu'on le distingue à peine
Dans le chaos hurlant des passions humaines
."
Et en lisant "l'enterrement d'Anselme"…, là j'ai pleuré. Surtout en lisant le "pas touche" que le voleur de cercueils a pris soin d'écrire sur le cercueil.
Il y a certains passages que je n'aurais sans doute pas aimé lire sous la plume d'un autre auteur. Des remarques un peu "gentillettes", ici, ne me dérangent pas. Par exemple un (voir plusieurs) passages qui rappelle la maxime "la vérité sort de la bouche des enfants". Non, dans ce livre, tout me paraît juste, à la bonne place.
Anne-Marie
J'ai été impressionnée par ce que j'ai appris d'Haïti, j'ignorais que cette île avait subi de telles épreuves, entre les guerres, les deux occupations étrangères, les épidémies, inondations, etc.
Ce n'est pas étonnant que ce peuple ait appris la résignation. Mais j'ai vu sur internet plusieurs interview de l'auteur, à propos de ce livre, et lui n'est pas résigné, c'est au contraire un homme engagé, et ce qu'il nous dit c'est sa colère, son refus de la "compassion idiote" comme il dit, la compassion des ONG peut-être, qui ne comprennent pas bien.
Il montre le contraste entre la fête que font les occupants (Kannjawou des Blancs, en quelque sorte) et la misère des habitants. Mais il dit aussi, et c'est très important pour lui, le pouvoir des mots et de la littérature : les mots permettent de garder du rêve et les livres sauvent du désespoir.
J'ai absolument adoré ce libre foisonnant, qui est partagé entre la tendresse et la colère politique.
Il y a une résignation molle au malheur des habitants, un accommodement permanent au malheur. Leur seule vie est d'exister les uns pour les autres qui viennent du même monde (la solidarité n'est pas illimitée).
Le bar Kannjawou est la rupture, le lieu de croisement des riches/blancs qui s'encanaillent et les habitants. Pour les habitants, le kannjawou est une grande fête donnée pour tout le monde. Le terme est ici dévoyé.
Le texte est à la fois poétique et très violent. Mais la violence est dite sans hurler.
Françoise H
Je partage les propos précédents. J'ajouterai que l'auteur fait passer un message en l'incarnant : il n'y a pas de théorie, on fait un voyage avec des personnes que l'on pourrait croiser. L'auteur connaît ses personnages.
Margot
J'ai ressenti la même chose et c'est un bonheur de découvrir cet auteur. Je suis contente de ne pas avoir connu l'histoire de l'île avant de lire ce livre, ma lecture en aurait été teintée.
La rue de l'enterrement, qui n'est pas vraiment une rue, est le milieu entre les vivants et les morts, les pauvres et les plus pauvres. Il y a une puissance de l'inertie qui les contraint tous. Ce livre est sans pathos, on ne s'étend pas dans la tristesse, comme dans l'amour.
Le "livre" est très présent : bibliothèque, journal, petit professeur, centre culturel.
C'est écrit par fragments et on apprend au fur et à mesure qui sont ces personnages. Les pilleurs de tombes sont extraordinairement vivants, très concrets.
Il y a des pages magnifiques (p. 73, 115, 123-124).
Faustine
Je rebondis sur un élément : la manière dont le livre est écrit m'a fait me remémorer les feuilletons télé où l'on suivait un personnage de l'enfance à l'âge adulte. À travers le temps qui passe et le quotidien des différents personnages, on apprend à connaître ce pays. Les petites histoires font comprendre la grande Histoire. On apprend au fur et à mesure du texte les liens qui unissent les personnages, leur âge, leur vie et leur évolution. J'ai aimé ces petites touches qui m'ont permis d'entrer dans cette rue et d'être avec ses habitants.
Également, malgré l'horreur de ce qui est raconté, l'écriture est douce.
Nathalie B
Malgré toutes difficultés, voire les horreurs, vécues par les habitants, l'auteur emploie pour les dénoncer la douceur. Ce qui rend finalement son récit encore plus troublant et plus fort. Il décrit tous ses personnages avec une grande tendresse, par petites touches, et ils nous apparaissent avec toute leur humanité si proches de nous. J'ai été émue et admirative par leur courage et leur force de vie face à des conditions d'existence si épouvantables. Même si trop de coups les empêchent de se révolter.
J'ai été très intéressée par le terme "Les occupants" qui sont en fait les membres des ONG censés venus aider la population. Et cela renvoie à un sentiment qui parle à tous. Comme par exemple, quand un groupe arrive dans un lieu, une entreprise rachetée par exemple, pour prendre les commandes, sans se soucier de l'histoire de l'entreprise, de ceux qui l'ont faite et qui sont toujours là. Le même sentiment d'occupation peut être vécu. Le roman de Trouillot décrit très bien les sentiments humains que l'on retrouve partout. J'ai beaucoup aimé la justesse du ton par lequel le roman nous parle à l'oreille de ce qui se passe au loin et qui est pourtant si proche.
Par ailleurs j'ai trouvé la composition de son roman très fine, avec ses petits chapitres.
Émilie
Tout est très réaliste, les personnes et l'évolution de leurs liens sont universels.
L'histoire est un peu statique, comme une photo. Ce n'est pas tout à fait un roman. Mais rien ne bouge non plus dans la vie des personnages. L'écriture retranscrit donc bien l'ambiance.
Le style n'est pas artificiel, l'auteur est fidèle à ce qu'il veut dire.
Mais j'ai lu le livre au début de l'été et il ne m'en reste pas grand-chose, je n'y pense plus. Alors que les livres que j'ai beaucoup aimés me restent en tête et j'en ai des réminiscences.
Monique M
J'ai aimé ce livre, ce regard acéré sur l'injustice faite à ce pays occupé par des forces étrangères, un pays vaincu, exploité jusque dans sa chair, où persistent les coutumes ancestrales, les croyances, les superstitions et où s'exprime la force vive d'une jeunesse privée d'avenir.
Je trouve que le parti-pris de décrire l'action à travers le regard d'adolescents donne beaucoup de puissance au livre. Ce regard a une acuité particulière, c'est à la fois un regard lucide, désabusé, et un questionnement sur ce bloc hostile que constitue les occupants ; des occupants, aux mœurs superficielles, dévoyées, si éloignées de celles de ces ados. J'aime ce jeune homme, le petit dernier de la bande, scribe et narrateur, dont on sent le goût de vivre, la soif de connaissance, il est la voix de l'auteur : "Il écrit la rage, le temps qui passe, les petites choses, le pays, la vie des morts et des vivants qui habitent la rue de l'Enterrement". Et c'est à travers ce regard d'enfants qui n'ont rien, vivent à deux pas du cimetière, dans des logements insalubres, que l'on découvre l'occupation, le débarquement des troupes étrangères, la misère sordide et l'impuissance des habitants. : "C'était comme si les gens s'étaient couchés" dit l'auteur. Dans ce décor de misère, deux personnages de lumière : MAN JEANNE la "Juste", la gardienne, l'âme et la mémoire des valeurs ancestrales de l'Ile, celle qui a dit "Écris petit" et LE PETIT PROF, celui qui apporte aux enfants la connaissance par la lecture et la vision d'un ailleurs porteur d'humanité et d'espoir.
J'ai aimé le style, l'écriture ardente, engagée, souvent poétique ; on sent que l'auteur aime profondément ce pays, le connaît de façon intime, en respecte les valeurs, les tentatives de survie. Il éprouve pour eux de la tendresse, connaît les liens qui unissent ces familles où les enfants "ont un seul parent ou pas de parent du tout" ; il connaît la solidarité et les valeurs fortes portées par les anciens, évoque les superstitions (les pilleurs de cercueils veulent s'approprier le talent d'un défunt en volant une partie de son corps). Tout cela est fluide, vivant, terrible (la petite brune, Marc le prédateur, l'impuissance, la misère…).
J'ai été fascinée par la justesse et la puissance de certaines phrases et passages, comme s'il les avait écrites avec la révolte de son âme d'adolescent et même avec son sang :
P. 29 : "Un pays occupé est une terre sans ciel et sans ligne d'horizon".
P. 57 :
"Se peut-il que tous les pas de notre enfance, quand Sophonie libérait les lézards et les libellules… n'aient été que des pas perdus".
P. 65 :
"Joëlle qui veut aller voir le "milieu du vent, cette folie furieuse qui ne laisse rien à sa place, fait monter au ciel les choses de la terre…"
P. 73 :
Les deux enfants assis sur le muret face au Kannjawou observant le comportement dévoyé des occupants : "Après avoir garé leur 4x4 les clients se bousculent déjà à l'entrée. Marchent vite. Avides, têtes chercheuses, fauves lâchés. N'arrêtent pas de danser en avançant vers la piste. S'embrassent. S'admirent dans une sorte d'entre-soi. Constituant un monstre compact et cependant à plusieurs têtes, plusieurs jambes, plusieurs bouches, tournant sur lui-même, rapaces contre rapaces, frénésie contre frénésie. Je te mange, tu me manges… corps pressés de consommer les corps, l'alcool, quelque chose qu'ils peuvent palper, ingurgiter, malaxer, mâchonner jusqu'à l'overdose".
P. 35 : "Les enfants, c'est cette force incontrôlable qui marche dans le milieu du vent… un enfant c'est jamais une horloge arrêtée, sauf lorsque le malheur les a frappés trop fort et qu'ils n'osent plus bouger".
P. 14 :
"Quand aucun expert ne viendra nous dicter nos chemins comme si nos vies étaient des fautes d'orthographe".
P. 39 :
Le jeune cadre éméché dont le véhicule tue un passant en le projetant dans le fossé et que l'on se contente de renvoyer sur le continent : "Un corps dans l'avion, un dans le fossé ; un corps vivant et un corps mort ; un qui aura le choix d'oublier ou de se souvenir, un autre dont personne ne se souviendra".
P. 48 :
Marc le prédateur, "fantôme bombant le torse sous sa guayabera, que la honte ne tue pas mais dont la dernière volonté est d'être là demain. Profiter. Bouffer le cul, le con, le cœur de l'autre. Bouffer l'air, le temps, les fleuves, les villes, les routes, les gratte-ciels, les sentiers, les périphériques, la Grande Ourse et la Petite Ourse, les archipels, les continents, les ponts, l'eau qui passe sous les ponts, les humains qui se jettent dans l'eau. Empiffrer le monde. Leur modèle, c'est l'ogre." Admirable description !
P 158 :
La poésie des croyances de Man Jeanne "Qui meurt en une saison triste emporte dans sa tombe une tristesse éternelle qui se mêle à la terre, la salit, la défait et rend son cœur stérile".
Tout cela relaté par cet irrésistible petit dernier de la bande qui écrit le soir dans sa mansarde près du cimetière où résonne comme un leitmotiv, le bruit des pelles et des pioches des voleurs de cercueils. Ce livre est saisissant.
Anne
Le livre est poétique ("pilleurs de tombes") avec aussi de l'humour.
Étant en période de deuil, je me suis demandé quelle était la différence entre ces gens dans la misère qui créent autour de la mort et moi qui me bats avec l'administration.
Je ne dirai pas que l'auteur est un homme d'amour, mais un homme plein d'intériorité, qui élabore autour de sa haine.
Il n'y a pas de révolte, mais écrire est un moyen de se révolter. Le livre est très intense, les relations y sont intenses. L'auteur est empathique, on le sent avec tous les personnages.
Anlon(avis transmis)
J'ai trouvé le style aussi pauvre que l'intrigue maigre, donc je ferme ce livre dont je n'ai lu que le tiers.


Synthèse des AVIS DU GROUPE BRETON réuni le 10 octobre 2019, rédigée par Chantal, et suivie de quelques avis détaillés
JeanSuzanne
ChantalChristineMarie-OdileYolaine
Edith  •Marie-Thé

Plusieurs aspects du roman ont rassemblé tout le monde :
- l'écriture, belle écriture, avec des images très fortes ; un rythme syncopé, phrases très courtes, chapitres courts, pour les uns rendant le texte répétitif, pour les autres le rendant très musical
- le "dépaysement" certain ressenti devant ce pays lointain, ces gens aux comportements différents, par exemple devant la mort
- ce roman est un hommage vibrant à la culture, à la force des mots, aux livres, avec l'espoir qu'ils pourront changer le destin de ce pays
- l'humour qui tout au long allège un peu la noirceur de la situation
- enfin, l'aspect documentaire a été relevé par tous, nous incitant à chercher et essayer de mieux connaître le passé et l'actualité d'Haïti, ce qui a donné lieu à de longues discussions, à la fois sur le passé de luttes, d'occupations, et sur le présent où la pauvreté s'est encore aggravée suite au séisme de 2010
- et la grande question suscitée par ce texte : le rôle des ONG et de l'ONU : quelle limite, bien ténue entre aide humanitaire et "emprise "sur la vie des Haïtiens ? Sont-elles notre "bonne conscience" ?

Réserves émises par certains : c'est un roman ambigu, plus un témoignage qu'un roman, et un témoignage uniquement à charge sur la nocivité des "occupants" étrangers que sont les ONG et L'ONU.

Enfin, pour d'autres, ce roman est un plaisir littéraire, la lecture en est "jubilatoire" ! l'écriture "flamboyante" !En conclusion, si le regard de l'auteur est sans concession sur la situation de son pays, il pose toujours un regard "aimant" sur chacun des personnages, haïtien ou étranger de passage.

Et... la couleur de peau du petit professeur fut une autre grande question : certains l'ont vu noir, d'autres blanc, d'autres noir clair !!!!

Et dernier constat unanime. Et désespéré : ENCORE un livre de souffrance !!!

Yolaine
Bien aimé la forme, cette rêverie qui s’approfondit au fil des pages et de l’accumulation des souffrances qui s’abattent sur Haïti, et le fond, ce melting-pot où les plus pauvres ne sont pas forcément ceux qu’on croit, mais sans que le narrateur ne se départisse de sa bienveillance et de son désir de paix. La dénonciation des humanitaires est quand même un peu cruelle mais me paraît salutaire. Je ne l’ai pas ouvert en entier parce que c’est un livre un peu difficile, le plaisir de la lecture n’est pas immédiat.
Marie-Thé
J'ai adoré. L'écriture est merveilleuse, j'ai vu dans ces pages envoûtantes un cri, la souffrance d'un peuple, d'une terre déchirée, outragée par ces puissances étrangères censées panser les plaies... J'ai bien sûr pensé à Aimé Césaire, à Frantz Fanon, qui mettaient si haut la dignité de l'homme. C'est intense, bouleversant, ce livre dit la colère, le combat, mais aussi les espoirs, les projets, les rêves d'un groupe face à la misère et à l'injustice. J'ai été très sensible à l'évolution de ce groupe, à la création du centre pour des gamins, "pour inventer l'avenir", pour avoir des amis "à défaut de parents", la culture, les livres, l'écriture, j'ai rêvé avec eux... Si avec "la bande des cinq", j'ai espéré moi aussi, j'ai été découragée par Wodné, pour lire finalement ceci : "Les quatre autres, nous devenons au fil des jours, sans trop vouloir le reconnaître, les plus riches parmi les pauvres, ou les pauvres les mieux lotis. Il leur manque les mots, les connexions. Ou, s'ils bougent, c'est sur un bateau dont ils ignorent la vraie destination."
"Kannjawou", ce mot chantant veut dire "grosse fête", collective. Mais : "Un pays occupé est une terre sans vie." Et avec des espoirs abandonnés, l'individualisme remplace la solidarité, etc., etc. "Il ne restait plus rien à préserver. Ni rêves, ni dignité."
Avis très réducteur, je pourrais continuer longtemps, très longtemps... Je terminerai quand même par ceci : "Quel soi-même on finit par être, au bout de quel parcours ?" J'ouvre en grand.
Marie-Odile
J'ai lu Kannjawou il y a un bon moment, sans prendre une seule note, et je ne l'ai plus en ma possession... Je dirai juste que je l'ouvre aux ¾.
J'ai aimé l'atmosphère de ce texte. J'ai trouvé les personnages attachants, dans un mélange de résignation et de lucidité. Je me suis interrogée sur l'âge du narrateur, peut-être en raison d'une certaine naïveté dans l'expression. J'ai aimé le pittoresque de cette rue de L'Enterrement, la frontière ténue entre les vivants et les morts. Lorsque le voleur de cercueil se fait passer pour un mort qui a décidé de changer de cimetière, laissant les policiers effrayés, j'ai ri !
A travers les allusions aux "deux Occupations", c'est une part de l'histoire d'Haïti qui m'est apparue. J'ai trouvé intéressant, car inhabituel, le point de vue sur les ONG et leurs représentants. On est loin du regard valorisant. Pas d'illusions, pas de complaisance, une certaine amertume atténuée par l'intérêt porté aux individus...
Voilà le peu qui me revient.
J'ai lu dans la généreuse documentation que Lyonel Trouillot a écrit des textes chantés par Toto Bissainthe que j'avais complètement oubliée et que j'ai réécoutée avec une certaine nostalgie quarante ans après...
Édith
Grand OUVERT autant pour le fond que pour la forme. Un régal de lecture !
"Cette habitude du journal elle m'est venue depuis l'enfance. Pour mes 6 ans, Sophonie m'avait offert un carnet... Ecrire n'est pas une chose courante à la rue de l'Enterrement." Le ton est donné et déjà je suis dans le texte en appétit… avec les mots acquis par l'école et la culture pour dire au plus près sa vérité son ressenti. Je vais connaitre par les "mots" du journal de l'auteur comment cinq jeunes des quartiers du bas de la ville organisent leur vie avec l'occupant, autour de Man Jeanne et le bar Kannjawou. "La fête" !
La 4e de couverture est le résumé très fidèle du contenu du livre… Mais il faut par la lecture "tranquille" si je le peux, au regard de la densité du texte, traverser les 192 pages pour en sortir éblouie.
Éblouie oui, car tout au long de la lecture (dévorante) mes yeux ont envie de "sauter" les lignes et les mots, les images, les remarques…, tellement le texte va vite d'une courte phrase à l'autre - même trois mots pour faire phrase - d'une sentence drôle, émouvante, poétique simplement, pétillante, profonde, lourde du constat du malheur d'être "occupé". Humour des situations et parfois tristesse à peine voilée sur les situations des différents partenaires.
L'auteur m'a entraînée dans sa fougue de conter le désespoir, l'humour je le redis et sa philosophie du quotidien dans un lieu occupé, le malheur d'être né pauvre, le bonheur de grandir avec MAN JEANNE, la mémoire des lieux, la sagesse incarnée, la bonté aussi. POPOL, SOPHONIE, JOËLLE, Le PETIT PROFESSEUR, WODNÉ, ANSELME, HANS et VLADIMIR ses fils, Monsieur LAVENTURE, La PETITE BRUNE dite Sandrine, RÉGIS et MONSIEUR VALLIÈRES et sa femme ISABELLE. Et l'OCCUPANT MARC… Et HALEFORT (truculence du chapitre p. 115-116 avec les zombis) dans la rue de l'Enterrement, car au bout il y a le cimetière des pauvres. La vie et la mort…, les cortèges et leurs suiveurs, la vérité des morts dites par les vivants qui ont les mots.
P. 159 à 165, touchantes pages du suicide et du testament du petit professeur. Des phrase que j'ai lues et relues : p. 160 à propos du passé pour le lien avec le présent, p.162 l'évocation des livres vivants, Hugo, Zola, évoqués par leurs œuvres en proie aux flammes "c'est le langage qui meurt là-haut. Le bon usage du langage et du cœur". Et le plaisir pour moi lectrice d'entendre la douleur et la joie paradoxalement de vivre rue de l'Enterrement. Mais aussi àtravers eux, un pan de l'histoire douloureuse de HAITI.
Il est des chapitres courts qui sont autant de scènes truculentes ou nostalgiques. Tout au long de la lecture, j'ai soulignés des passages d'une force de réflexion jubilatoire. J'ai apprécié comment Trouillot place l'acquisition des mots comme la seule possibilité d'exister vraiment, dans la mesure où il est alors possible de se situer dans leur réalité haïtienne, de dire leurs observations, de dénoncer de s'opposer. Chance d'avoir fait des études pour Sophonie, Joëlle et Wodné, et choix divergents malgré tout. La révolution culturelle impossible, malgré la mobilisation de Wodné, l'action entravée par l'usure et la répétition… de la jeunesse à l'âge adulte et l'impuissance du pays…
Les amours de Wodné et du petit professeur si différent dans leur rapport à Joëlle. Un tantinet de point de vue féministe de l'auteur… résignation de Joëlle à l'emprise de Wodné, même si elle a vite connu la peur de ce dernier et sa manière brutale de s'affirmer dans ses prises de pouvoir. Episode racontant le voyage pour aller au cœur du cyclone( cimetière).
Et après, le suicide du Petit Professeur etces phrases p. 164 : "je ne verrai jamais plus son sourire….Mais on tente de ces choses vaines pour s'opposer à la violence des faits, refuser la réalité…..Comme si nous n'étions nés que pour subir, soumettre notre vouloir à sa méchanceté" (la réalité).
Je relis pour finir ces lignes p .167 une définition terrible du colon :
"Nul n'est savant comme un colon. Un jour, il t'apprend comment planter les choux. Un autre comment éteindre le feu. Mais les choux ce n'est pas toi qui les manges et le feu il t'a déjà brûlé…"
Quand on met en face l'histoire d'Haïti et de leur lutte pour leur indépendance… Que peuvent les livres ?
Et pourtant j'ai souvenir qu'au moment du tremblement de terre à Port-au-Prince il y a quelques années, beaucoup pariaient sur la force de ce peuple qui lit produit des livres et vit sa culture.
Je recommande ce livre et vais l'offrir à ma fille qui a vécu un an en Haïti au moment des émeutes de la faim et juste avant le séisme si destructeur de la ville et des habitants.
Katherine (internaute d'origine québécoise attendant qu'une place se libère dans un de nos groupes)
J'ai été très émue par cette œuvre et la magnifique poésie de Lyonel Trouillot ; je vous remercie pour cette découverte, ce fut un réel plaisir !

 

QUELQUES REPÈRES SUR LYONEL TROUILLOT ET SES ŒUVRES
- Parcours
- Œuvres
- Contexte historique dans le livre Kannjawou
- Presse sur Kannjawou : radio, vidéos, articles

•PARCOURS
-
Né en 1956 à Port-au-Prince (Haïti). Passe 7 ans de son adolescence aux États-Unis, de retour à Haïti en 1975 à 19 ans.
- L
a famille Trouillot est une famille d'avocats, d'où les études de droit qu'entreprend Lyonel en Haïti, qu'il abandonne en deuxième année pour se consacrer à l'écriture. C'est aussi une famille d'intellectuels, démangée par l'écriture... : un frère (Michel-Rolph) anthropologue et historien, une sœur (Jocelyne) devenue rectrice de l'université Caraïbe à Port-au-Prince et auteure de livres pédagogiques et de livres de littérature jeunesse, une autre sœur (Évelyne) poétesse et romancière, un oncle (Henock) romancier et historien...
- Lyonel
se fait remarquer par ses écrits dans différents journaux et revues d’Haïti et de la diaspora (nombreux poèmes et textes critiques). Il est très engagé dans la résistance à l’oppression de son pays, qu’il a toujours refusé de quitter (sauf en 1980-1982 où il s'installe à Miami à cause de la répression politique). Dans les années 1990, il anime Cultura, une revue littéraire lancée dans le cadre du projet franco-haïtien de promotion du livre et de la lecture.
-Professeur de littérature à l’Institut français d’Haïti et à l’Université Caraïbe (dont sa sœur est rectrice), il poursuit parallèlement ses activités littéraires en publiant une œuvre poétique et romanesque (poèmes composés en créole et romans écrits en français).

•ŒUVRES
Très variées : romans, nouvelles, récits, poésie, littérature pour la jeunesse, direction d'ouvrages, articles, co-fondation de revues haïtiennes, textes de chansons (interprétées par Tambou Libète, Manno Charlemagne, Toto Bissainthe, Jean Coulanges et Atis Endepandan).

En France, ses romans sont publiés par Actes Sud :
- Rue des Pas-Perdus, 1998 ; poche Babel 2002
- Thérèse en mille morceaux, 2000 ; poche Babel 2012
- Les Enfants des héros, 2002 ; poche Babel 2007
- Bicentenaire, 2004 ; poche Babel 2004
- L'Amour avant que j'oublie, 2007 ; poche Babel 2009
- Haïti, 2008, avec des photographies de Jane Evelyn Atwood
- Lettres de loin en loin, 2008, correspondance avec Sophie Boutaud de la Combe, Française employée des Nations unies
- Yanvalou pour Charlie, 2009 ; poche Babel 2011
- La belle amour humaine, 2011 ; poche Babel 2013
- Parabole du failli, 2013 ; poche Babel 2016
- Kannjawou, 2016 ; poche Babel 2018
- Ne m'appelle pas Capitaine, 2018.

Toujours chez Actes Sud, des "non fiction" aussi :
- Le doux parfum des temps à venir, 2013
- Dictionnaire de la rature, avec Alain Sancerni et Geneviève de Maupeou, 2015
- Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours, co-éd. Atelier Jeudi soir, 2015

Pour de très nombreuses informations sur cet auteur et son œuvre, voir le site Île en île (consacré aux auteurs francophones des îles et de leur diaspora).

•CONTEXTE HISTORIQUE dans le livre Kannjawou

Des événements en jeu dans le roman :
- 2010 : séisme en Haïti
- 2004-2017 : présence de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti avec une aide internationale durablement installée
- 1915-1934 :
occupation d'Haïti par les États-Unis
- 1934-2010 : dictatures récentes, dont celles des Duvalier (1957-1986)
Voir ci-dessous pour un historique développé. Et pour lire l'histoire récente évoquée par Lyonel Trouillot lui-même (avant la publication de Kannjawou), voir "Haïti, une occupation molle", propos recueillis par Louis Weber, Savoir/Agir, n° 29, 2014.

Des personnages réels :
-
Le révolutionnaire nationaliste Charlemagne Péralte (1885-1919)
- La chanteuse Lumane Casimir (1917-1953)

•PRESSE sur le livre Kannjawou

Radio : "Six ans après le séisme : Haïti dans l’œil de Lyonel Trouillot", Caroline Boué, La Grande Table, France Culture, 12 janvier 2016, 29 min

Vidéos
- La Grande Librairie : Destination Port-au-Prince avec Lyonel Trouillot, 15 janvier 2016, 13 min
- Festival Étonnants Voyageurs : rencontre autour de son ouvrage Kannjawou au 29 mai 2016, 7 min

Quelques articles (variés)
- "Le petit monde du Grand Cimetière", Corinne Renou-Nativel, La Croix, 20 janvier 2016
- "En Haïti, nous n’avons pas la maîtrise de notre pays", entretien avec Jean-Louis Le Touzet, Libération, 22 janvier 2016
- "Lyonel Trouillot décrit la jeunesse haïtienne face à son avenir", Valérie Marin la Meslée, Le Point, 2 février 2016
- "L. Trouillot, Kannjawou", Elena Pessini, Studi Francesi, n° 181, 2017.


Chronologie d'Haïti depuis 1492
- 1492 : Christophe Colomb découvre l'île d'Hispaniola (Saint-Domingue). Les populations natives de l'île sont décimées.
- 1697 : le développement de l'industrie sucrière est à l'origine de "l'importation" de près de 500 000 esclaves africains. Le traité de Ryswick avalise l'occupation par la France de la partie ouest de l'île.
- 1789-91 : insurrections d'esclaves dirigées par Toussaint Louverture.
- 1794 : abolition de l'esclavage dans les colonies françaises par la Convention.
- 1795 : l'Espagne cède à la France la partie est de l'île (traité de Bâle).
- 1801 : Toussaint Louverture est proclamé gouverneur général de Saint-Domingue. Il instaure un régime autoritaire et ne reconnaît que formellement l'autorité de Bonaparte.
- 1802 : Bonaparte envoie une expédition, sous les ordres du général Leclerc, rétablir l'ordre colonial. Toussaint Louverture est déporté en France. L'île se soulève entièrement, sous la conduite de Jean-Jacques Dessalines et Henri Christophe.
- 1804 : proclamation de l'indépendance d'Haïti, au lendemain de la déroute des armées françaises. Dessalines est nommé empereur.
- 1806 : Jean-Jacques Dessalines est assassiné.
- 1808 : les Espagnols récupèrent la partie orientale de l'île cédée à la France en 1795.
- 1807-1820 : guerre civile. Henri Christophe se proclame roi dans le Nord du pays. Au sud, une république est fondée par le mulâtre Henri Pétion. Jean Pierre Boyer, le successeur de Pétion, réunifie le nord et le sud en 1820 et conquiert la partie espagnole en 1822.
- 1825 : la France obtient d'Haïti qu'une indemnité de 150 millions de francs soit versée pour liquider le contentieux créé par la rupture des liens coloniaux. Il faudra plus de 100 ans à Haïti pour rembourser cette écrasante créance.
- 1844 : Saint-Domingue est définitivement séparée en deux États : la République d'Haïti et la République dominicaine.
- 1847-1859 : Faustin Soulouque prend le pouvoir à Haïti et se proclame empereur.
- 1915-34 : intervention militaire des États-Unis après une longue période d'instabilité.
- 1950 : dictature du colonel Magloire.
- 1957 : François Duvalier, devient président de la République à la suite d'un scrutin contesté. Il se proclame président à vie.
- 1964 : François Duvalier, surnommé "Papa Doc" s'appuie sur les Noirs contre les élites mulâtres. Son pouvoir repose sur la milice des "tontons macoutes", au détriment d'une armée affaiblie.
- 1971 : à la mort de François Duvalier, son fils Jean-Claude, "Bébé Doc", 19 ans, lui succède.
- 1986 : un soulèvement populaire renverse Jean-Claude Duvalier qui se réfugie en France. Le général Henry Namphy prend le pouvoir à la tête d'une junte militaire.
- 1987 : les élections présidentielle et législative sont annulées à la suite des massacres perpétrés le jour du scrutin.
- 1988 : Leslie Manigat est élu président de la République. Les élections ont été boycottées par l'opposition. Nouveau coup d'État du général Namphy. Le chef de la Garde présidentielle, le général Prosper Avril, renverse le général Namphy.
- 1989 : Prosper Avril restaure partiellement la constitution de 1987.
- 1990 : le général Avril démissionne. Un accord entre l'armée et les partis politiques permet à Ertha Pascale Trouillot, présidente de la Cour suprême, d'assumer l'intérim de la présidence jusqu'aux élections. Le père Jean Bertrand Aristide est élu président de la République avec 66,7% des suffrages.
- 1991 : Jean Bertrand Aristide est renversé par un coup d'État dirigé par le général Raoul Cédras. Les États-Unis et la CEE suspendent leur aide économique.
- 1993 : renforcement des sanctions contre Haïti. Embargo sur le pétrole et les armes. Raoul Cedras accepte les propositions d'un médiateur préconisant le retour du président Aristide. Face à la mauvaise volonté des militaires, l'ONU rétablit les sanctions.
- 1994 : des sénateurs nomment le juge Émile Jonassaint président provisoire de la République. L'embargo commercial total décidé par l'ONU entre en vigueur. 16 000 boat-people, victimes de la misère et de la répression, tentent de gagner les côtes américaines. Le Conseil de sécurité de l'ONU autorise les États-Unis à utiliser "tous les moyens nécessaires " pour chasser la junte. À la suite d'une médiation de l'ancien président américain Jimmy Carter, et sous la pression de l'US Army, les militaires acceptent de quitter le pouvoir en octobre. Les soldats américains de l'opération "Soutenir la démocratie" débarquent à Port-au-Prince (20.000 hommes). Retour du président Aristide, après deux ans d'exil aux États-Unis.
- 1995 : les troupes américaines cèdent la place à la mission des Nations unies en Haïti (Minuha). Elle sera remplacée par la Mitnuh qui quittera le pays en 1997, laissant sur place 300 moniteurs qui poursuivent la formation de la police haïtienne. Celle-ci remplace l'armée haïtienne, dissoute en avril. En décembre, René Préval, ancien Premier ministre et partisan de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide, est élu président de la République. Le taux d'abstention atteint 75%.
- 1996 : scission de la formation au pouvoir, Lavalas (l'avalanche en créole). Jean-Bertrand Aristide, résolu à se présenter à l'élection présidentielle de 2000, s'oppose au programme de réformes de son ancien allié René Préval, et crée son propre parti politique, la Famille Lavalas.
- 1997-1999 : instabilité politique due en grande partie à la rivalité entre les partisans de la famille Lavalas et ceux de l'Organisation politique Lavalas (OPL).
- 2000 : attribués aux partisans de la Famille Lavalas, de nombreux actes de violence entachent la campagne électorale en vue des scrutins législatif, sénatorial et locaux. Assassinat de Jean Dominique, directeur de Radio Haïti-Inter et commentateur politique le plus célèbre de l'île. Selon des résultats partiels, la famille Lavalas remporte le premier tour des élections générales. L'Organisation des États américains (OEA) met en doute la régularité du scrutin. Le deuxième tour des législatives prévu le 25 juin est reporté. Menacé, le président du Conseil électoral a fui le pays le 18 juin. Second tour des élections boycotté par l'opposition. L'OEA a refusé de cautionner ce scrutin. La famille Lavalas remporte 18 postes de sénateur sur les 19 qui étaient à renouveler, ainsi que 60 des 83 sièges de la Chambre des députés. L'élection présidentielle, boycottée par l'opposition, est remportée par Jean-Bertrand Aristide avec 91,7% des suffrages. L'opposition estime que seulement 5% des électeurs inscrits ont participé au scrutin.
- 2001 : à la veille de l'intronisation d'Aristide à la présidence, l'Union européenne et la Banque inter-américaine de développement imposent des sanctions financières à Haïti pour manquements à la démocratie. Un journaliste, Brignol Lindor, menacé pour avoir invité des personnalités de l'opposition dans le cadre d'une émission qu'il anime, est tué à coups de machettes. Une tentative de coup d'état avorté fait huit morts. L'opposition accuse le pouvoir d'être l'auteur d'un "montage" destiné à la réduire au silence.
- 2002 : l'Organisation des États Américains (OEA) vote une résolution prévoyant des élections au cours du deuxième trimestre 2003.
- 2003 : grève générale lancée par le "groupe des 184", large coalition de la société civile, incluant le patronat, à Port-au-Prince. Amiot Métayer, un chef de bande au service du président Aristide, dont l'OEA réclamait l'arrestation est assassiné à Gonaïves. Son groupe impute cette exécution au pouvoir et passe dans l'opposition sous le nom de Front de résistance révolutionnaire de l'Artibonite. Ce meurtre entraîne quinze jours d'émeutes dans la troisième ville du pays. Les évêques haïtiens proposent la création d'un "conseil électoral consensuel". Accepté par le président, ce plan est rejeté par l'opposition.
- 2004 : l'opposition présente une "alternative de transition" sur deux ans prévoyant le départ d'Aristide et son remplacement par un président de transition choisi parmi les juges de la Cour de cassation. Le patronat recommande à la population des actions de désobéissance civile. Les Gonaïves, quatrième ville d'Haïti, tombe aux mains du Front de résistance révolutionnaire de l'Artibonite. L'opposition politique et la société civile, regroupées au sein de la Plate-forme démocratique, prennent leurs distances avec le mouvement insurrectionnel armé. Les insurgés se dotent d'un "commandant en chef" en la personne de Guy Philippe, un ex-commissaire de police. Un plan international de réglement de la crise est présenté à Aristide qui l'accepte. L'opposition continue d'exiger sa démission. Les insurgés s'emparent de Cap-Haïtien, deuxième ville du pays, et contrôlent près de la moitié du pays. Aristide signe une lettre de démission et quitte Haïti. Le président Bush donne l'ordre à des Marines de se déployer en Haïti. Le Conseil de sécurité de l'ONU vote une résolution permettant l'envoi d'une force internationale intérimaire. Guy Philippe, le chef militaire des insurgés, entre triomphalement dans la capitale, accompagné d'une cinquantaine d'hommes armés. Deux jours plus tard, sous la pression des États-Unis, les insurgés déposent les armes. Plusieurs entités de la société civile désignent leurs représentants à un futur Comité des sages dont la création est prévue par le plan international de réglement de la crise en Haïti. Le Brésil annonce sa participation à la force multinationale de paix de l'ONU en Haïti. Gérard Latortue, économiste, qui a fait la majeure partie de sa carrière à l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), est choisi comme Premier ministre par le Comité des Sages. Le Conseil de sécurité vote la création de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah). Placée sous commandement brésilien, elle compte 6000 soldats et 1500 policiers. Jean-Bertrand Aristide trouve asile en Afrique du Sud.
- 2004 : le cyclone Jeanne ravage le pays, faisant plus de 2 000 morts et 250 000 sans-abri. Le nord de l'île est dévasté et en proie à l'insécurité. Port-au-Prince et Les Gonaïves sont le théâtre d'affrontements très violents entre bandes armées et forces de l'ordre, faisant plus de 50 morts.
- 2005 : réunis à Cayenne à l'initiative de la France, les bailleurs de fonds d'Haïti approuvent 380 programmes d'aides rapides à mettre en œuvre pour accélérer la reconstruction. Face à la recrudescence de la violence, le Conseil de sécurité des Nations unies renforce les effectifs de la Minustah pour assurer le bon déroulement des élections prévues pour la fin de l'année. L'Union européenne, qui avait gelé en 2001 son aide au développement en faveur d'Haïti, débloque 72 millions d'euros pour soutenir les efforts de démocratisation. Le gouvernement porte plainte, devant un tribunal fédéral de Miami, contre l'ancien président Jean-Bertrand Aristide pour détournement de plusieurs dizaines de millions de dollars de fonds publics et pour "avoir encouragé et protégé le trafic de drogue".
- 2006 : l'ancien président René Préval remporte l'élection présidentielle avec 51% des suffrages. Le parti du président Préval arrive en tête des élections législatives. Investiture du gouvernement de coalition de René Préval. Il s'agit du premier exécutif élu depuis la fin du régime d'Aristide en 2004.
- 2007 : les troupes de l'ONU lancent une offensive contre les gangs du bidonville de Cité-soleil à Port-au-Prince.
- 2008 : la flambée des prix alimentaires provoque des émeutes de la faim. Plusieurs cyclones dévastent Haïti, tuant au moins 800 personnes, et laissant des centaines de milliers de sans-abri. L'effondrement d'une école à Port-au-Prince fait plus de 90 morts.
- 2009 : Bill Clinton est nommé émissaire spécial des Nations unies pour Haïti. Le FMI et la Banque mondiale approuvent un allégement de la dette équivalant à 1,2 milliard de dollars EU en faveur d'Haïti.
- 2010 : un séisme de magnitude 7 sur l'échelle de Richter frappe le pays. Le bilan, selon les autorités, est de 222 050 morts, 310 900 blessés, plus d'1 million de sans abri et 1,5 million de sinistrés. Conférence internationale des donateurs pour Haïti à New-York. Plus de cent pays et les principales organisations internationales promettent des dons de près de dix milliards de dollars échelonnés sur 18 mois. Une épidémie de choléra frappe le pays. A la mi-décembre, 109.000 personnes ont été affectées et 2.400 personnes sont mortes de la maladie. L'ouragan Tomas aggrave les conditions de vies des réfugiés du tremblement de terre. 1,3 millions de personnes vivent dans les mêmes conditions qu'en février. Élection présidentielle dans un climat de tension. La rue s'enflamme après l'annonce, par la Commission électorale, que Mirlande Manigat et Jude Célestin s'affronteront au second tour, laissant Michel Martelly hors course.
- 2011 : l'ancien dictateur Jean-Claude Duvalier, "Baby Doc", rentre en Haïti après 25 ans d'exil. Après une médiation de l'OEA, le parti du pouvoir, Inité, retire la candidature de Jude Célestin pour le deuxième tour de l'élection présidentielle. Le Conseil électoral décide alors d'inverser les résultats provisoires du premier tour. L'ex-président Jean-Bertrand Aristide rentre en Haïti après sept ans d'exil en Afrique du sud. Le second tour de la présidentielle se déroule dans le calme. Michel Martelly a remporté l'élection présidentielle avec 67,57% des suffrages exprimés contre 31,74% pour Mirlande Manigat, selon les résultats préliminaires du Conseil électoral. Les résultats donnent lieu à des explosions de joie à Port-au-Prince (historique extrait de l'Express).

 


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