Le mur invisible, traduit de l'allemand par Liselotte Bodo, Patrick Charbonneau et Jacqueline Chambon, Actes Sud Babel, 352 p.

Quatrième de couverture :

Voici le roman le plus célèbre et le plus émouvant de Marlen Haushofer, journal de bord d’une femme ordinaire, confrontée à une expérience-limite. Après une catastrophe planétaire, l’héroïne se retrouve seule dans un chalet en pleine forêt autrichienne, séparée du reste du monde par un mur invisible au-delà duquel toute vie semble s’être pétrifiée durant la nuit. Tel un moderne Robinson, elle organise sa survie en compagnie de quelques animaux familiers, prend en main son destin dans un combat quotidien contre la forêt, les intempéries et la maladie. Et ce qui aurait pu être un simple exercice de style sur un thème à la mode prend dès lors la dimension d’une aventure bouleversante où le labeur, la solitude et la peur constituent les conditions de l’expérience humaine.


Actes Sud Littérature
coll. "Les Inépuisables", 2014

Quatrième de couverture :

Une catastrophe sans doute planétaire mais dont l’origine chimique ou nucléaire restera indéfinie va bouleverser l’existence d’une femme ordinaire. Elle se retrouve soudain séparée du reste du monde par un mur invisible au-delà duquel toute vie semble s’être pétrifiée durant la nuit. Le roman le plus célèbre et le plus émouvant de Marlen Haushofer.

Ce livre a été adapté au cinéma par Julian Pölsler en 2012.

Marlen Haushofer (1920-1970)
Le mur invisible (1963)

Le nouveau groupe a lu ce livre autrichien en avril 2019.

Ana-Cristina, Émilie
Anne-Marie, Françoise, Monique, Nathalie

Françoise
C'est moi qui effectivement ai proposé ce livre que j'ai lu il y a un an et demi. Une amie me l'avait recommandé et j'y ai moi-même trouvé beaucoup de plaisir. Dès les premières lignes, il m'a happée, alors que la plupart du temps j'ai besoin de lire plusieurs chapitres avant d'entrer dans l'univers de l'auteur. On comprend tout de suite qu'il y a eu une catastrophe. L'enjeu initial – comprendre ce qui s'est passé – disparaît assez rapidement. C'est l'histoire d'une femme qui a échappé à la mort et qui est confrontée à une question que chacun d'entre nous se pose un jour : qu'est-ce que je fais de ce temps qui me reste ?
Je l'ai relu pour ce soir, et j'ai éprouvé le même plaisir.
Émilie
Je n'ai pas beaucoup accroché. Je l'ai quand même lu pour savoir ce qui se passait à la fin. C'est très descriptif. On sait tout ce qu'elle fait, les tâches avec les plantations, les récoles selon les saisons, sa vache… J'ai trouvé assez rébarbative et peu palpitante cette succession de faits. Les animaux finissent par être une raison de son existence qu'elle ne semblait pas avoir vraiment trouvée auparavant. Je cherchais son message : qu'est-ce qu'elle voulait nous dire ? Cela a un côté un peu Robinson, mais elle a beaucoup plus que lui au départ : un chalet, des vivres, une vache qui en plus est pleine. Quoiqu'il en soit, la fin n'en est pas une, puisqu'elle continue ce qu'elle fait. Même s'il y a dans les dernières pages l'épisode avec l'homme, ce qui donne de la dramaturgie au récit.

Ana-Cristina
Je ne me souviens pas de la fin. Je l'ai lu il y a un an et ce que tu dis ne me parle pas. Qu'est-ce qui se passe ?

Émilie raconte la fin à Anna-Cristina qui ne souvient vraiment plus du tout et en est très surprise.

Françoise
Son message ? On ne peut pas vivre sans amour. Elle a justement trouvé un sens avec ses animaux. Ce qui est marquant également, c'est qu'elle perd montre, réveils, elle n'a plus l'heure et ne connaît le temps que par les corneilles qui viennent le matin. Elle s'écarte complètement de la civilisation.
Nathalie
Il y a plus de 25 ans, j'ai parcouru ce livre, qui m'avait été conseillé. J'avoue que je n'avais pas été emballée par sa lecture qui m'ennuyait.
Je peux donc très bien comprendre Émilie car alors j'avais ressenti la même chose. Comme très vite, on sait qu'elle a perdu son chien, et que je déteste que les animaux meurent dans les livres, je suis allée lire la fin. Et elle y tue le seul homme qu'elle croise ! Un comble. Elle est la seule humaine, elle croise un autre humain et elle le tue ! Bref, je l'ai parcouru en diagonale, et je n'ai pas aimé. Cependant l'histoire m'avait profondément marquée.
Lorsque j'ai relu ce roman ou plutôt réellement lu, j'ai cette fois beaucoup aimé. J'ai aimé ce personnage de femme qui prend la décision de ne pas renoncer, de continuer à vivre, essentiellement pour ses animaux, quoiqu'il en coûte, et d'accepter cette vie-là, aussi dure soit-elle. Elle a un sens du devoir très développé. Avec courage et détermination, même malade et parfois aidée par son chien, elle ne s'abandonne pas. C'est la différence semble-t-il avec l'homme qu'elle croise et qui est tombé dans la bestialité. Il est tout l'inverse des animaux qui, eux, pour elle, sont des amis et qui ont des caractéristiques humaines, tels qu'elle les décrit. Ainsi à la fin, elle considère son chien comme un ami avec qui elle parle beaucoup : "Cet été-là, j'oubliais complètement que Lynx était un chien et pas un homme. Je le savais, mais cette différence n'avait pour moi plus aucun sens… Il avait fini par régner entre nous une tranquille compréhension silencieuse" (Babel, p. 309). Je note qu'en revanche il n'y a pas eu un mot échangé entre l'homme et elle. Cette femme apprendra à être elle-même et savoir qui elle est, accepter de voir bouger son être en fonction de ce qu'elle vit. Elle semblait ne pas bien se connaître avant la catastrophe. Ce roman a été écrit en 1963. Pour la femme, encore plus en Autriche qu'en France, la situation n'est pas simple. Les femmes sont ce que la société pense qu'elles sont. Elles ont pris le masque qui leur a été alloué. Notre héroïne, dure à la tâche, pugnace, n'a plus de masque, n'ayant plus besoin de se travestir. Et elle apprend à apprécier qui elle est, une femme vaillante, dévouée, généreuse, imaginative, et en harmonie avec Mère nature. En même temps, cette femme a avec ses animaux la même relation qu'elle avait avec ses filles petites ou son mari malade. Elle a besoin d'être nécessaire aux autres pour se sentir vivante. Cela chez elle n'a pas changé. Ce qui explique sans doute l'éloignement d'avec ses filles devenues adolescente ou "presqu'adultes". Je crois deviner que dans sa vie d'avant, elle avait construit un mur entre elle et les autres. Devant le mur extérieur, que l'on ne peut voir à l'œil nu, elle réintègre sa relation aux autres que sont les animaux.
L'auteure décrit une femme qui a une quarantaine d'années, en Autriche, où régnaient encore les 3 K (Kinder, Küche, Kirche). Et elle se dit que si un homme avait été avec elle, il l'aurait sans doute laissée travailler durement pendant qu'il se serait prélassé dans son fauteuil. Elle vit aujourd'hui dans un monde qui n'est pas régi par les hommes et où elle a fait sa place, et non une place assignée. Ce livre a connu une lecture féministe dès sa sortie.
Monique
Je ne l'ai pas tout à fait lu comme vous, mais plutôt comme un polar existentiel (je dis polar car l'angoisse de la narratrice revient régulièrement dans le récit), ou encore un conte moraliste qui nous incite à ne pas nous déconnecter de la nature, source d'émotions, de ressourcement.
J'ai aimé l'idée majeure de ce récit : faire apparaître de façon inquiétante et fantastique un mur entre deux mondes ; l'un autrefois trépidant, avide de consommation et de plaisirs factices ; l'autre, naturel, authentique, proche de sa nature originelle. On se demande ce qui va se passer, et en fait, non, la vie de la narratrice va continuer de la même façon bucolique et prégnante. Il y a là une façon de nous faire comprendre l'absurdité de notre existence, de notre mode de vie qui a élevé une barrière entre nous et nos besoins profonds. Pourquoi ce mur invisible ? Est-ce une menace qui va se mouvoir plus avant, envahir tout l'espace ? Ou la protection plus avant, d'un lieu où persiste une nature encore intacte ? Ce récit est un après-Houellebecq, de celui de la carte et le territoire en tous cas.

Toutes les lectrices présentes sont d'accord avec le fait qu'effectivement, on peut tout à fait situer cette histoire après la catastrophe attendue par Houellebecq.
A ce stade, Monique fait un aparté sur notre précédente lecture de Houellebecq, La carte et le territoire, livre qu'elle avait déclaré ouvrir en grand.

Monique
D'ailleurs, pour ma lecture de Houellebecq, j'ai réfléchis après notre discussion. Aujourd'hui je n'ouvrirai La carte et le territoire qu'aux ¾ : l'auteur m'a bluffée, il est brillant, intelligent, mais il est antiféministe, et surtout, dans ce livre, je n'ai senti aucune compassion pour l'humanité.

Après quelques échanges sur Houellebecq, nous reprenons le cours de notre discussion.

Monique
La narratrice est du bon côté du mur. De l'autre côté, plus rien ne vit. Les pages s'étirent, longues, transparentes, à l'image de la nouvelle vie de la narratrice, dans la rudesse des tâches du quotidien, ou dans la contemplation. Magnifique description de l'orage dont on vit toute la progression, jusqu'au déchirement de la toile du ciel… : c'est très finement observé. On sent que fille de garde forestier, l'auteure a vécu elle-même dans la forêt ; elle la connaît bien et réussit à nous en faire percevoir les aspects changeants selon les heures et les saisons, ainsi que la vie cachée des animaux sauvages qui y vivent. J'admire la générosité, l'amour de cette femme qui continue courageusement à vivre entourée de ses animaux. Ce très beau récit est pour moi une fiction, un conte existentiel, une expérience de survie, une réflexion sur les valeurs essentielles qui devraient guider tout être humain : l'ancrage ou, tout au moins, le maintien du lien avec la nature, terre nourricière, source d'émotions authentiques.
Il y a quelque chose de biblique dans ce récit, comme si le mur était né de la folie des hommes, de l'accentuation à l'extrême de la faute originelle et que leur monde en aurait été puni et pétrifié, alors que la narratrice, placée de l'autre côté serait, entourée de ses animaux, le Noé qui attend la rédemption. Le livre se termine d'ailleurs sur la vision de la corneille blanche qui rappelle la colombe de Noé.
Ce texte est d'une grande poésie, j'en ressens la spiritualité et l'amour de la nature ; certains passages sont d'une grande beauté ; c'est aussi une ode à l'écologie. Je l'ai beaucoup aimé.
Anne-Marie
Je l'ai trouvé intéressant. Moi aussi, je suis entrée dans le bouquin tout de suite. Sa lecture était fluide. Ce n'est que l'écoulement des jours, la routine, les corvées, les saisons… hormis ces deux événements que sont le mur et la fin. Pourtant, ce n'est pas "chiant". La narratrice se livre à des réflexions sur sa vie passée, sur la liberté. L'a-t-elle trouvée ? Elle est quand même assez esclave de ses animaux, sa vache, la traite, les plantations… Tout est très contraignant. Elle ne sait pas combien de temps elle va vivre, elle refuse de se dire qu'elle est condamnée. Elle est forte. En même temps, elle revoit le passé durant lequel elle était seule, s'était éloignée de ses filles. C'est une fable. Elle réapprend la solidarité, la proximité avec ses animaux. Elle imagine parfois qu'elle peut creuser sous le mur, mais cela semble fort peu crédible. Ce mur, c'est une impasse. Mais l'être humain est déterminé : "Le mur m'a obligée à commencer une vie complètement nouvelle mais ce qui me touche, ce sont toujours les mêmes choses qu'avant : la naissance, la mort, les saisons, la croissance et le déclin. Le mur n'est ni mort ni vivant, en vérité il ne me concerne pas et c'est pourquoi je ne rêve pas de lui." Dans cette catastrophe qu'elle pense être du fait de l'homme, y-a-t-il eu des vainqueurs ? Quant elle voit l'homme, c'est comme s'il était l'envahisseur, c'est pour ça qu'elle le tue. Elle-même est une rescapée de guerre. J'ouvre en grand.
Ana-Cristina
J'ai lu il y a un an et n'ai absolument pas eu envie de le relire. Moi, ce livre m'a angoissée. Je n'adorais pas sa lecture, mais j'ai quand même voulu connaitre la fin. Je n'avais d'ailleurs pas du tout ce souvenir. Monique dit que la lecture de ce livre est apaisante. Je n'ai pas ressenti du tout cet effet ! Pour moi, ce mur représente la solitude qu'il y a en chaque être. Et voilà ce qu'il n'y a pas dans ce récit : aucune spiritualité et pas d'intériorité. Le rapport au corps n'existe uniquement que par rapport aux blessures (ampoules, mal de dos…). Il n'y a aucune sensualité. Aucune libido. Un côté très puritain. Je n'ouvre qu'à moitié.

Nathalie
Il existe une adaptation au cinéma, sortie en 2012, par un certain Julian Pösler. J'ai vu la bande annonce. Le film a l'air d'être très fidèle, reprenant des extraits du texte même. J'ai envie de le voir. Il semble très beau.

 

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie - beaucoup- moyennement - un peu - pas du tout
grand ouvert -
¾ ouvert - à moitié - ouvert  ¼ - fermé !

 

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