Michèle Desbordes
Les Petites Terres

Nous avons lu ce livre en juin 2008.
Nous avions lu un autre livre de cette auteure, La Demande, en 2000.

- Pourquoi « Les Petites Terres » ?
- C'est le nom d'une petite presqu'île où elle habite en Guadeloupe.

Geneviève 
Dès le début, j’ai été amusée par le parallèle avec Maîtres et serviteurs de Michon. J’ai eu peur de m’ennuyer, mais j’ai été captée par l’écriture, toute en finesse, en nuance. Cet amour de fin de vie interroge sur la place de la sexualité... Par ailleurs, c’est charnel, spirituel, visuel : les lumières, les brumes, le brouillard, qui amènent la lumière d’Italie. En filigrane, la perte du fils est à peine évoquée ; mourir au bord d’un fossé : est-ce une mort réelle ou symbolique ? Elle a un univers à elle, très particulier, sans complaisance dans la description historique. Il y a une réflexion sur la vie, la répétition des gestes, qui font sa force.
En fait l’histoire de Léonard de Vinci avec une très jeune fille est parallèle dans La Demande ; le premier, il a travaillé sur les cadavres ; il y a don du corps mais pas dans l’amour et dans le désir : même la demande n’est pas formulée. Ils existent l’un pour l’autre, la relation est subtile.
Les verbes à l’imparfait donnent une sorte d’immobilité. Le style est très particulier qui tourne et retourne.
Françoise G 
C’est difficile de parler d’un livre comme celui-ci. Il est tellement délicat et essentiel que c’est compliqué. J’en parle même avec une certaine gêne... On dit de son œuvre que c’est une écriture sur le rien... ici son amant, son mari, qui est mort. Elle se rapproche et s’éloigne sans cesse, dans une nécessité d’écrire. Ce livre est une somme, un bilan de son œuvre, de sa vie, au moment où elle sait qu’elle va mourir ; il fait écho à cette autre mort qui l’a beaucoup affectée. Il y a tout ce qui a fait le sel de la vie. C’est une biographie, mais sans la précision de ce genre, elle est faite de choses et d’autres, d’associations et de ruptures. Elle dit « elle » en parlant de la vieille, de l’amante d’Hölderlin, d’elle-même, c’est parfois irritant, comme une séance d’analyse... L’écriture est merveilleuse, montrant ce que c’est qu’écrire, que vivre. Les références littéraires – Virginia Woolf, Hölderlin, Malcom Lowry – semblent pleines de beauté, mais de douleur aussi. Il y a comme un mouvement dans l’immobilité. Je garde trois scènes qui ont rapport avec la marche, le mouvement : cet homme qui ne fait rien d’autre que marcher en Guadeloupe (qui rappelle aussi la marche chez Holderlin comme moteur de l’écriture), la veille dame en Guadeloupe immobile sur sa chaise, la scène à Boulogne où elle marche et voit arriver son ex-mari, ex-amant, scène à la fois tragique et ordinaire. Il y a fuite de ce qui peut être trop fort. Pourtant elle ira voir cet homme en fin de vie, qui a perdu la tête ; elle sent beaucoup de culpabilité de l’avoir quitté : « j’aurais du vivre comme j’écrivais ». Il y a une poésie qui prend à la gorge, c’est très très beau. Et cette attente de sa propre mort... c’est sûrement une femme qui n’a pas eu d’enfant. Je suis très impressionnée par la scène du rêve. C’est l’histoire d’une déchirure et d’une impossible réconciliation que le livre ne suffit pas à épuiser.
Françoise O 
Je suis d’accord avec bien des choses que Françoise vient de dire. J’ai beaucoup aimé la lecture de ce livre. Moi qui ne suis pas sensible au style, je suis touchée par le côté obsessionnel, le coté répétitif des scènes qui ne m’a pas pesé. Les déplacements, les voyages, le train... je n’y ai pas senti l’approche de la mort. L’histoire de la relation avec son ex-mari suggère la difficulté de leur relation, la déchirure permanente avant qu’elle le quitte. C’est un livre qui fait souffrir mais qui est très beau.

Jacqueline
J’ai aussi beaucoup de mal à parler de ce livre. Du mal à le lire aussi : on ne veut pas comprendre, il y a défense contre ces émotions. J’avais lu La Demande, La Robe bleue. J’avais le souvenir de quelque chose qui coulait, de phrases courtes, différentes de ce qui est là : une écriture sinueuse, très intime, comme des notes que l’on jette. Je n’ai pas lu Un été de glycine sur Faulkner, mais je l’imagine très proche de l’écriture de ce livre. On a lu beaucoup de livres sur ce qu’on écrit, pourquoi, qu’est-ce qui va rester, par exemple le livre de Jeanne Benameur, de Nicole Malinconi.
Si l’histoire est lourde, il n’y a pas d’apitoiement, c’est tout en finesse, en tact : elle parle de cet homme toujours avec amour, y compris de sa déchéance (il avait 25 ans de plus qu’elle) ; ce point de vue sur les gens que l’on aime est extraordinaire ; et tout ce qu’elle ne dit pas... Elle a voulu publier sous son nom à lui et a commencé à écrire après leur séparation. C’est un livre que j’aime, qui me touche, mais que je ne pourrais pas recommander à quelqu’un. Il est trop proche de moi, je ne sais comment l’ « ouvrir ».
Claire 
J’avais eu des réserves sur La Demande, qui ne m’avait pas conquise, je me suis dit, après Pierre Michon, encore du Verdier, du méditatif fatiguant... Je suis en fait enthousiasmée. On ne se repose jamais, c’est comme un flot qui rebondit sans cesse, je suis captée par l’écriture. Il y a même de l’humour (elle dit qu’elle est pétrie de tragique depuis le biberon...) ; on passe d’une langue presque châtiée, à des ruptures familières. Je n’ai pas compris pourquoi il y a sans cesse des italiques.

Monique
Michèle Desbordes avait commencé une œuvre poétique qu’elle n’a jamais pu achever et ce sont des citations de La nuit de Jacob.

Claire
Mais ces changements de typo n’ont pas toujours la même valeur apparemment, bref, c’est pas le plus emballant. L’auteur rechigne à la fiction, à l’autobiographie, et pourtant... Dans l’une de ses interviews, elle dit qu’ « esclave » comme elle l’est du dépouillement, du « moindre mot », elle ne fait « qu'ôter et ôter encore, jusqu'au stade ultime où il devient impossible de le faire une dernière fois » : dans ce livre, je trouve que ce n’est heureusement pas le cas, ça coule... Les livres sur l’écriture sont souvent assommants : là c’est passionnant. Elle est bibliothécaire - directrice de bibliothèque universitaire, à Orléans où Georges Bataille était bibliothécaire (j’adore les bibliothécaires). La personne qui est dans l’écriture est étonnante : une artiste.
Monique (qui a proposé ce livre) 
J’aime vraiment beaucoup Michèle Desbordes. Elle a écrit très tard, en 1996, alors qu’elle a 56 ans. Elle a écrit beaucoup de poésie, dont une partie est publiée. J’avais lu L’Habituée, son premier livre, sans beaucoup aimer. J’avais préféré La Demande, puis L’Emprise. Il y a eu une séparation, une blessure d’enfance ; il y a ce souvenir essentiel d’une scène ou elle est portée sur les épaules de son père par une nuit étoilée. C’est un livre universel ; c’est comme si on regardait avec un télescope. Elle s’éloigne de cet amour et se déplace beaucoup, avec des états d’âme dans le train, entre Orléans et Paris ; elle évoque un documentaire sur les trains, durant son enfance. Ses références littéraires sont fortes aussi. J’ai beaucoup aimé le retour du thème de la vieille femme dehors sur sa chaise avec l’amour de ses fils qui la sortent et la rentrent à la maison. C’est un livre complet, par ses thèmes, son écriture : un chef d’œuvre !! Elle a écrit sur Artemisia, la première femme peintre de la Renaissance à s’être portraiturée et à avoir déposé une plainte pour viol : une figure de femme forte.
Françoise D 
Dès les premières lignes me voilà embarquée sur les bords de la Vienne, à M. quand j’ai quitté P. et qu’il ne le savait pas encore, ma dernière promenade en ce lieu, que je quittais aussi, que je ne reverrais jamais. Bien sûr, la comparaison s’arrête là, mais le ton est donné.
Le même que dans La Demande, cette appréhension du temps, de la durée, un ton inimitable, une écriture exceptionnelle. Cet homme qui n’en finit pas de mourir, mais l’auteure parle d’elle aussi, évidemment, c’est un livre testamentaire, et qui nous parle de nous. Elle me parle de ma séparation, de la mort de mon père, l’absence de dialogues, cette écriture intimiste renvoie à son propre monologue intérieur, à ses propres errances. Là est son immense talent. Sa voix nous emmène en nous-mêmes. Ici pas de littérature-évasion, mais au contraire introspection profonde. Rare. Précieux. Ceci étant dit, j’aimerais bien savoir qui était cet homme, comment se fait-il que personne ne l’ait nommé ?
Manuel
Je n'ai pas fini ce livre : je resté totalement de marbre face à ce petit monde nombriliste. Pour moi, c'est ce que j'apprécie le moins dans la littérature française d'aujourd'hui. C'est barbant à lire, avec un tas de citations : on se retrouve à Venise avec un évocation du Don Giovanni de Losey, pourquoi ? Un livre pour happy few...

C’est Jacques Desbordes, raconte par exemple Jean-Yves Masson à qui elle dédicacera La Robe bleue, son livre sur Camille Claudel : http://poezibao.typepad.com

Une interview de Michèle Desbordes qui dit tout tout tout :
http://pagesperso-orange.fr

Une revue de presse sur Les Petites Terres sur le site de l’éditeur, Verdier : http://editions-verdier.fr/livre/les-petites-terres/
et un article aussi dans Libération : http://www.liberation.fr

Sur La Demande que nous avions lu dans le groupe en 2000 : http://editions-verdier.fr/livre/la-demande/

 

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Quatrième de couverture : C'est un récit d’un seul tenant, tout entier livré à l’évocation d’un amour dont la secrète permanence – au-delà des déchirements, de l’exil et de l’ultime séparation – est la part lumineuse du dernier livre de Michèle Desbordes.