Quatrième de couverture :

"On fait avec le vieux parent comme on a fait avec ses enfants : on voudrait qu'il mène une vie saine, fasse du sport, ait de bons amis, se porte bien et ne vous colle pas aux basques. On fait ce qu'on sait faire. On devient tyrannique."

C'est la maison de retraite. Il y a les dames, le directeur, le docteur, la coiffeuse, l'aimable mon-sieur B. et le très aimable monsieur des pompes funèbres. Il y a la mère, et la fille qui vient en visite. Et aussi les amis et les proches.
Il y a l'hôte secret, que nul ne doit regarder, le corbeau qui contemple de son oeil noir cette ultime comédie des vivants, et attend son heure.

Pierre Fleutiaux a publié des ormans et des nouvelles chez Gallimard, aini que des livres pour la jeunesse. Elle est notamment l'auteur de Nous sommes éternels, prix Femina 1990

Pierrette Fleutiaux
Des phrases courtes, ma chérie (2001)

Nous avons lu ce livre en mai 2002. L'auteure était présente.

Manuel
J'ai beaucoup aimé ce livre. C'est un livre personnel, très juste, et qui me fait découvrir un continent étranger : celui des rapports mère-fille. Il me semble qu'entre hommes (père-fils), il y a plus d'espace, plus de liberté. Bien qu'extérieur au livre d'une certaine façon, j'ai été intéressé par le thème de la vieillesse, qui m'a rappelé des émotions relatives par exemple à l'héritage d'objets.

Loana
Moi je ne suis pas du tout extérieure…, je suis très concernée. J'ai lu ce livre dès qu'il est sorti, accrochée par le titre, par le thème. J'ai lu aussi Allons-nous être heureux ? que j'ai bien aimé aussi et où j'ai retrouvé des choses communes. Il y a des passages très forts (sur le rapport de la fille avec le corps de sa mère), mais avec une distance, une légèreté.

Jacqueline
J'ai du mal à parler de ce livre, faute de distance par rapport aux émotions qu'il suscite. Ce livre permet d'affronter le deuil de la mère qui elle ne peut affronter la vie. Les situations sont si proches du vécu et les sentiments contradictoires évoqués avec justesse. J'ai aimé les métaphores. J'admire la capacité de l'auteur à créer des images.

Liliane
Je ne ferai pas d'analyse, je n'ai pas de fil conducteur. Je me suis reconnue dans quelques épisodes : "la crevaison du dimanche", "la tour de contrôle"... L'humour allège un peu le sujet. J'ai lu Annie Ernaux et Simone de Beauvoir sur ce thème. C'est très difficile de parler de ce livre sans parler de soi. Dans Les phrases courtes, la mère est dans une situation confortable, maison de retraite haut de gamme, ce qui n'empêche pas sa souffrance d'être hors la vie. Comment supporte-t-on de voir ses parents malheureux dans leurs derniers jours? Les maisons de retraite très ordinaires ajoutent d'autres maux, ce sont pour moi des mouroirs. Je trouve choquant que notre culture nous fasse considérer les maisons de retraite comme une étape normale, nous en oublions nos responsabilités. Ce livre néanmoins est apaisant, il montre les limites de chacun : comment peut-on accepter cette fin de vie ? On fait comme on peut, répond-il, avec quand même beaucoup d'amour. C'est un livre très juste.

Françoise
C'est la première fois je crois qu'un livre me fait cette impression : je ne m'y suis pas projetée, c'est lui qui s'est imposé à moi, je m'y suis trouvée de plain-pied, comme partie intégrante de moi-même, son objet étant aussi le mien. De plus, le fait qu'il n'y ait pas de nom rend le sujet plus "universel", plus facile à s'approprier (Mais pourquoi faire exception pour l'amie Aurore ? ). Loin de me rebuter (ce qui peut être le cas quand on considère la lecture comme une évasion), le style de P. Fleutiaux, sa manière de raconter, la gravité du sujet -mais évitant le pathos- qui n'empêche pas un certain humour, de l'ironie, m'ont parfaitement convenu, fonctionnant comme une chambre d'écho. Le ton est juste et pudique ; l'écriture simple, belle, poétique parfois. J'ai été frappée par l'importance du corps et de la peau tout au long du récit. Quand M.-M. Lessana (Entre mère et fille : un ravage) nous disait que son livre était à propos du corps -ce que personne n'avait remarqué- ici c'est flagrant, et il y a bel et bien rapt : "j'ai même pu être sacrément captée, mais jamais autant que dans ces voyages de la penderie, sous la cellophane" (p. 140). Il y a des phrases percutantes, dont l'évidence donne l'impression de les avoir déjà pensées soi-même, mais sans les avoir aussi bien formulées (c'est là toute la grâce de l'écriture) : "Je suis le soutien de son déclin, mais elle est le miroir du mien et il me faut porter à la fois mon vieillissement présent et mon vieillissement futur…" (p. 152) ; "Le problème des vieux, c'est qu'il n'y a que des enfants autour d'eux(p. 191). Ce n'est pas un récit qui fait prendre conscience du vieillissement et de la mort, c'est le récit de La (sa/ma/notre) prise de conscience du vieillissement et de la mort.

Claire
J'avais lu le livre il y a quelques mois et l'ai relu parce que nous recevions l'auteur. Relire me barbe. Mais là ça n'a pas été le cas. Je l'ai relu en m'attachant à un thème, l'écriture, qui ponctue le livre et la relation à la mère. Quelques exemples regroupés à mon gré :
- Comment écrire sur elle : je cherche de l'aide, des modèles. Je ne sais pas écrire un témoignage. Je ne suis bien que dans la fiction. Je ne suis pas à l'aise dans ce que j'écris, ce tâtonnement autour de ma mère, et donc de mon je à moi. Mon je à moi n'est pas dans le coup. Mon amie Aurore m'a dit il faut que tu mettes des noms. J'ai mis les noms. Puis j'ai tout enlevé. Seul reste je qui est moi. Dans les autres livres, je n'est pas moi. L'est-il dans ce livre sur ma mère ? Je ne crois pas que la femme dont je parle soit ma mère, ni que le je que j'emploie soit moi.
- Pendant que mes collègues écrivains participent des colloques, je m'occupe des magasins de vêtements pour personnes âgées.
- Les jeunes femmes écrivaines que je rencontre m'assimilent-elles à des gens âgés ?
- Je voulais que tu sois pharmacienne. J'écris ma rédaction : fais des phrases courtes, dit ma mère. Réaction à mon premier livre édité : c'est ce que tu voulais tu es contente mon petit. Je n'ai pas pris garde au manque d'effusion dans la voix. Mes livres chez mes parents étaient rangés derrière d'autres livres. Mes premiers livres l'ont désespérée. Quand je lui remets mon dernier livre, un billet glissé, ta petite récompense comme autrefois.
- Je m'acharne pour ramener sa lutte sous les yeux des vivants. Une configuration apparaît, j'utilise ma mère. J'ai écrit des romans, j'ai fait du nu. J'entends son souffle, pendant que j'écris ces pages.

Pierrette Fleutiaux écrit à propos d'un dîner avec sa mère : "Je m'efforce de rassembler des dîners en une occurrence unique". Je crois que l'auteur a procédé ainsi pour beaucoup des éléments du livre, élaborant en une occurrence unique des occurrences diverses des scènes de bravoure : le dîner, mais aussi la robe, le restaurant, l'encyclopédie, le coiffeur, le médecin, etc. Il me semble qu'en choisissant un autre thème, le fil serait aussi riche. Je trouve la composition savante. L' intérêt est maintenu tout le long, pourtant c'est comme dans le Titanic, on sait comment ça finira : la fin -la mort donc- est évoquée de loin en loin (maintenant qu'elle n'est plus là). La mort arrive p. 211, mais l'auteur fait revivre son personnage p. 216, pour ensuite partir deux ans plus tard. Un autre thème passionnant, c'est le passé révolu, la campagne, les traditions, les héritages, l'Ecole normale. Et les mots de la vieillesse : cardigan, souliers, corsages, combinaison, vestibule, mouchoir L'écriture a un ton fait d'humour et l'émotion est rarement évoquée. Il y a de l'analyse, par exemple pour le cadeau, mais la douleur, elle, n'est pas analysée, à peine dite (une telle douleur).
Il y a des blocs : la nurserie de vieillards, un collier au lieu du visage de ses enfants, ces scènes derrière la tâche foncée sur la cuisse, qui font choc, et puis l'humour… Une seule réserve : la cellophane, je m'en serai passée. Ma mère (80 ans) a aimé ce livre, et l'a lu en tant que fille…

Monique
Je l'avais lu il y a 8 mois, un livre pour moi. Il est le condensé du dernier mois de ma mère que je n'ai pas vue vieillir. J'ai adoré ce livre. Pour les thèmes et pour la façon dont c'est écrit. Parmi les thèmes, le rapport au corps, les réactions telles que "ferme les rideaux, on va nous voir", on partage intensément des choses banales qui ne "se racontent pas". Les facettes différentes évoquées (professionnelles, sociales, etc.) n'évitent pas les ventouses mère-fille. Le fait que l'on ne peut concevoir la mort est présent. J'ai été émue par des passages d'ordre personnel - ma mère était paysanne. J'ai pu lire de façon apaisée à cause d'un travail d'écriture remarquable avec mots et des phrases simples pour aller le plus loin possible sur le fil du rasoir, mais toujours en sécurité. C'est émouvant, mais jamais bouleversant.

Christine
J'ai apprécié avant tout l'écriture. Des mots qui commencent un chapitre : Poule, grain, farine. Les énumérations : les laboratoires, les universités… Je suis sensible à l'humour, à ces litanies qui reviennent, à l'expression de l'affection, la rivalité, la colère, l'impatience. J'aime comment l'auteur nous fait participer à l'élaboration du livre. Une grande place est laissée au lecteur. La première lectrice est dans le livre : Aurore.

Martine
Le titre (bon à mes yeux) m'a d'emblée attirée: il promettait un livre sur l'écriture d'une part, et l'amour d'autre part, deux sujets qui me tentaient à priori. J'ai découvert en lisant la quatrième de couverture qu'il s'agissait des liens entre mère et fille, la première au crépuscule de sa vie. Le ton de l'extrait, non larmoyant mais assez drôle et sobre, m'a séduite. Contrairement à plusieurs des intervenantes précédentes, je n'en ai pas fait une lecture principalement affective : mes parents vont bien et semblent loin d'une perte grave d'autonomie. Mais ce livre, très bien écrit, m'a fait réfléchir sur le relais des prises en charge, ce glissement progressif jusqu'au moment où le ou les parents réclament voire exigent d'être "maternés" par leurs propres enfants ; lesquels se "soumettent" plus ou moins facilement à ce qui ressemble parfois à de la tyrannie. Mme Fleutiaux rend bien compte de ces tiraillements, nés en fait dès que la notion de "tour de contrôle" s'est imposée dans les rapports mère-fille adolescente ou jeune adulte. L'auteur signe à mon avis la meilleure définition de la vieillesse : "La vieillesse, c'est que plus personne n'a besoin de vous, plus personne ne sollicite votre cerveau". Ou que l'on ne peut plus se rendre utile. Ce qui me fait méditer sur cette volonté quasi forcenée de notre siècle à vouloir absolument prolonger la vie, et l'espérance de vie. Pour quoi ? A leur manière, les faits divers récents sur l'euthanasie posent la même question. Seul bémol à ce livre que j'ai aimé : j'ai craint que l'auteur ne tombe dans le cabotinage et la fausse modestie feinte lorsqu'elle écrivait craindre ne plus savoir rédiger. Ce fut une fausse alerte au début du livre.

Roselyne
Je n'ai pas aimé le titre, un type de titre qui m'empêche de lire un livre… Mais j'ai beaucoup aimé le livre. Je l'ai lu de façon diluée dans le temps, y compris chez Jean-Louis David… Quand j'ai eu fini, c'est comme si j'avais vécu, comme si c'était fini, comme si une étape de ma vie était terminée, comme si j'avais vécu un deuil. Je suis mère, grand-mère, belle-mère… Je me suis occupée de ma grand-mère, pire que dans le livre, j'allais chercher du sang que je devais mettre dans le frigo. Ma fille par contre m'a montré qu'elle ne savait pas bien s'occuper de moi… Quand on est une mère d'un certain âge, c'est pas facile de trouver la juste distance avec ses enfants. En lisant le livre, je me suis demandé comment se passerait la situation avec ma mère avec qui je n'ai pas eu de tendresse maternelle, comment se passerait la proximité obligée. J'ai aimé beaucoup beaucoup de passages.

Sandrine
Je crois que ce livre est l'une des œuvre si ce n'est l'œuvre qui m'a le plus émue, et cela depuis bien longtemps. Et ceci pour deux raisons : le thème certes d'une part, mais aussi cette écriture qui sert si bien cette histoire. Le thème tout d'abord. Comment être indifférent quand on parle des relations parent-enfant, de la vieillesse et de la mort, de l'amour.
Des thèmes universels et intemporels… et donc à double tranchant, parce qu'en les abordant il est si facile de tomber dans des banalités et des platitudes. Et c'est là que l'écriture de P.Fleutiaux intervient et évite avec brio cet écueil. Une phrase à la fois sobre, par sa structure et son vocabulaire, et profonde, car elle plonge le lecteur dans un monde d'émotion et d'imaginaire. Beaucoup de pudeur et de retenue aussi : on ne tombe jamais dans le pathétique. Ajoutez une pointe d'humour pour agrémenter le tout. Ce qui m'a frappée dans cette œuvre est de constater que P.Fleutiaux a réussi cette "mission impossible" qu'est de réunir dans une même écriture, ou plutôt qu'elle a créé une écriture qui évoque avec force à la fois le concret de la vie (dans la proximité charnelle, dans toute sa complexité d'une relation mère-fille) mais aussi une approche ou l'imaginaire et l'imagination ont une place à part entière (je pense notamment à l'évocation de la cellophane). C'est ce savoureux mélange, qui à mon humble avis, donne à cette œuvre toute sa dimension littéraire.

Sabine
J'ai apprécié ce livre pour sa pudeur, sa lenteur. Les personnages, enfin les personnages vivants, sont extrêmement touchants, on aime leur sensibilité. J'ai beaucoup aimé la pudeur de la maman qui part en étant la plus discrète possible. J'ai aimé que le livre parle au début d'un sujet qui m'est très cher en ce moment : lequel des deux entre mon père et ma mère va mourir le premier ? J'ai vu que je n'étais pas la seule à être asticotée par cette question morbide. La question que j'aimerais poser par rapport à ce récit : est-ce que l'auteur prend des notes, ou a un journal ; ou est-ce une écriture "rétroactive" ? Comment élabore-t-elle ce récit ? J'aimerais lire un autre livre pour voir si l'on y trouve la même lenteur à petites touches ou si elle est propre à la description de la personne âgée qu'est la mère.

Pendant les échanges, Pierrette Fleutiaux nous a appris qu'elle était jurée du prix Marguerite Audoux. C'est elle qui nous incitera avec un enthousiasme convaincant à lire Marie-Claire de Marguerite Audoux que nous lirons à deux reprises, quelques mois après l'avoir rencontrée en 2002, puis 15 ans plus tard (en présence de son biographe).

Les midinettes ont demandé une dédicace :

Comment avions-nous bénéficié de la présence de Pierrette Fleutiaux ? Nous avions programmé son livre et Claire a découvert qu'elle avait un site internet, l'a contactée en lui demandant si elle accepterait de venir. Elle est venue alors qu'elle ne connaissait personne : chapeau ! C'est pourquoi elle mentionne dans sa dédicace ci-dessus une "réunion inattendue".

Juste deux photos ici de notre rencontre avec Pierrette Fleutiaux.

Le lendemain de notre soirée, Manuel était dans sa salle de sports et, tout en faisant ses biscotos, se met à discuter avec un co-athlète : de quoi parlent-ils penserez-vous ? De leurs performances bien sûr ? Que nenni ! De leurs lectures ! Et c'est ainsi que Manuel découvre, après avoir rencontré la veille Pierre Fleutiaux, qu'il se muscle avec le père d'une enfant dont Pierre Fleutiaux est la marraine. Il nouera avec lui une amitié et Manuel, le webmaster de Voix au chapitre, rencontrera ainsi plusieurs fois Pierrette Fleutiaux à qui il apportera son aide pour son site d'écrivaine... juste retour des choses.

20 ans plus tard...
Nous avons des liens avec un groupe de lecture de Tenerife (groupe espagnol mais qui lit en français) et dont les avis sur des auteurs que nous lisons sont mis en ligne. Parmi les rédacteurs réguliers d'avis, il y a José Luis Atienza. Il raconte :

J'ai un peu parcouru l'historique de vos lectures et y trouvé le nom de Pierrette Fleutiaux, dont vous aviez lu Des phrases courtes, ma chérie, et j'ai pensé que vous aimeriez, peut-être, lire comment je l'ai rencontrée, en 2002. J'étais à l'époque en train de préparer un numéro de la revue ELA (Études de linguistique appliquée)* sur le thème, très peu abordé à l'époque, mais qui m'était très cher, d'"Inconscient et langues étrangères", et j'avais pris contact avec elle parce que j'avais lu, dans un entretien au journal Le Monde, que, pour elle, l'apprentissage de l'anglais avait été une manière de quitter "l'étouffant appartement (langue, pays, famille, contraintes)", et je voulais savoir en quelle mesure l'inconscient y était impliqué, chose dont j'étais convaincu. C'est ainsi qu'en plus d'avoir écrit un long texte sur le thème trimestriel de la revue, j'y ai aussi publié la correspondance que j'ai maintenue avec elle (voir article). À partir de là, nous avons eu des contacts réguliers, j'ai suivi de près sa carrière littéraire, et j'ai mangé avec elle deux ou trois fois à Paris, l'une d'elles chez elle, en compagnie de son mari et d'une amie romancière, Anne-Marie Garat, dont j'ai lu à l'époque deux de ses livres dont les titres m'échappent. Quand Des phrases courtes... a été publié en espagnol, j'ai écrit un court papier dans la presse, et il y a quelques années quand elle a fait paraître son Destiny, nous l'avons lu dans le groupe et il a été question qu'elle vienne à Tenerife pour s'entretenir avec nous. Tout était prêt, mais tout à coup un grand silence de sa part. Ce n'est que des semaines ou des mois après, que j'ai appris sa mort par un article de la rubrique "Disparitions" du journal Le Monde.

 

Nous écrire
Accueil | Membres | Calendrier | Nos avis | Rencontres | Sorties | Liens