Pour ce 10 octobre 2021, nous étions 15 à avoir découvert Les Vilaines et à exprimer nos réactions de trois façons :
- 5 présentes, en direct : Brigitte, Claire, Flora, Lucie, Nathalie
- 4 en visio : Agnès, Joëlle M, Patricia, Sandra
- 6 absentes dont les avis ont été lus : Aurore, Clara, Joëlle L, Mathilde, Muriel, Stéphanie

Voici sur Les Vilaines de Camila SOSA VILLADA
nos RÉACTIONS

Des différences entre nous

D'abord concernant une impression générale :
- ont rejeté : Joëlle L, Mathilde, Muriel
- ont été déçues : Agnès, Joëlle M
- ont apprécié un peu, beaucoup, passionnément : Aurore, Brigitte, Claire, Clara, Flora, Lucie, Nathalie, Patricia, Sandra, Stéphanie.

Certaines avaient lu autour du texte lui-même avant, ne serait-ce que la quatrième de couverture, ce qui crée une attente : on s'attend à des scènes dures, on envisage d'emblée une dimension autobiographique ou documentaire. D'autres ignoraient tout du texte et ont pu le prendre pour pure fiction, l'ont considéré comme un roman.

Certaines ont lu avec aisance en espagnol (Brigitte, Nathalie), d'autres plus lentement incomplètement (Muriel, Stéphanie), d'autres en traduction donc.

Ce qui arrive à l'héroïne est dur et le contexte l'est également : certaines l'ont mal vécu, ont trouvé pénibles, voire horribles, les violences, les humiliations, ce qui ne contribue pas à faire aimer le livre, ressenti comme sombre, cru, dérangeant, voire plus. D'autres n'en ont pas été affectées, trouvant que le récit ne tombait nullement dans le pathos : des éléments (fantastique, moments de joie, solidarité) et l'écriture transcendent ce que vit la narratrice. Patricia souligne le côté poétique pour elle de cette vie de trans. Lucie retient cette phrase "Être trans c'est une fête" et souligne que si la mort est très présente, la mort c'est aussi la vie.

Certaines ont été insensibles à l'écriture ou ont regretté son côté parfois cru, quand d'autres l'ont trouvé réussie, voire belle, l'aspect trash contribuant à captiver, y compris celles qui n'ont pas lu en espagnol.

Le fantastique a suscité plusieurs réactions : incompréhension sur ce choix, sa raison, sa fonction, son utilité même, ou au contraire acceptation voire familiarité avec le "réalisme magique" sud-américain, qui apporte une légèreté au récit, avec un intérêt pour ces échappées. Stéphanie y trouve aussi "les voies étranges qu'a la mémoire de modifier le passé".

Certaines ont approché le livre comme un premier roman, d'autres ont nuancé en disant qu'elle avait déjà écrit, pour le théâtre ou des poèmes. Néanmoins nous sommes curieuses de la suite, comme nous l'avons été pour Fatima Daas  ou Anne Pauly : que sera un deuxième roman ?

La construction, avec les alternances entre la vie de la communauté trans et l'enfance de la narratrice, a lassé certaines, voire les a perdues dans le temps, quand d'autres ont apprécié et trouvé intéressant ce mouvement entre présent et passé qui évite une narration linéaire banale. Pour Sandra, l'enfance permet de comprendre l'adulte. Pour Nathalie, il s'agit d'un récit initiatique qui donc parcourt le temps. Mais l'histoire elle-même a déçu Joëlle M ; Flora regrette le fatalisme de ces destins.

Clara ajoute une autre alternance, celle de l'Argentine rurale d'où vient le personnage principal et l'Argentine cosmopolite où se situe le récit, et le contraste entre "la maison d'Encarna, un havre de paix coloré et végétal au milieu de l'enfer".

Les trans ? Plusieurs ont souligné la "sororité", le partage qui imprègne la communauté. Pour Aurore, c'est "une vision très intéressante de la transidentité, comme je n'en avais pas lu/vu depuis longtemps". Claire appréhendait l'étrangeté et le fait que le mec sourd sous la nana : or elle s'est presque identifiée à Camilla, éprouvant une grande sympathie/empathie. Muriel a exprimé au contraire une répulsion.

Le rôle du bébé a été perçu diversement : déception qu'il ne soit pas plus central dans tout le récit, ou au contraire impression qu'il joue un rôle déterminant. Différents personnages ont été évoqués : la Tante Encarna bien sûr (qu'Agnès a retrouvée dans un documentaire brésilien, Indianara, qui l'a aidée à poursuivre le livre), les hommes sans tête, le parc même qui pour Sandra est un acteur. Ce qui a tenu Brigitte "en haleine, c'est la peinture de ces personnages hors du commun, décrits comme des héros picaresques décidés à mener leur vie hors normes sociales".

Certaines s'en sont tenus au livre, d'autres ont prolongé leur découverte par celle de l'auteure qui les a enthousiasmées.

Des précisions de "spécialistes"

Nathalie, prof d'espagnol, et Brigitte qui a vécu au Pérou, ont été sensibles à des informations qui nous manquaient et que des notes auraient pu nous apporter, notamment sur la situation politique (deux présidents sont cités), sur des femmes évoquées qui tiennent du mythe : Cris Miró, figure emblématique de la mouvance LGBT des années 1990 en Argentine, Deolinda Correa, vénérée par la tía Encarna (Brigitte nous détaille les infos utile dans son avis).

Nathalie nous a montré comment l'auteure des Vilaines s'inspire de Garcia Lorca (qu'elle voit autrement après avoir lu ce livre, supposant désormais qu'il était trans...).

Elle a relevé plein d'"américanismes" : par exemple, le cochon se dit chancho en Argentine mais cerdo en Espagne.

Au passage, Nathalie a évoqué Sor Juana Inés de la Cruz, religieuse et poétesse, qui, lorsque sa mère la prévient que les femmes n'ont pas le droit d'étudier à l'université, annonce de son projet de se déguiser en homme pour accéder au savoir, tout ça au 17e siècle !

Le titre Les Vilaines, bien trop gentil, affadit La Malas : Nathalie proposerait Les femmes de mauvaise vie.

Autre question de traduction : "las travestis" en espagnol est traduit "les trans" que Brigitte conteste au profit du terme de "travesti". Mais elle est mouchée par deux autres spécialistes... :

Sandra puis Agnès nous ont fait un cours impeccable sur les trans. Ajoutons que la traductrice indique qu'elle s'est entendue avec l'auteure pour traduire en français "travestis" par "trans".

Nathalie s'est procuré un autre livre de Camila, un essai de 2018, El viaje inútil, avec des passages entiers qui figureront deux ans plus tard dans Las malas : dans cet essai, précise Nathalie, "l'autrice relate la longue dérive qui va de l'enfance à l'exercice de la prostitution, le passage du travestisme au théâtre et le choc avec l'écriture comme lieu de possibilité et de danger, d'expression et d'effacement... On y apprend que son père lui apprit à lire et que c'est sans doute le seul vrai lien et bon souvenir qu'elle conserve de lui et que sa mère lui lisait des contes... sans doute une autre explication pour comprendre son penchant pour le fantastique."

Des avis individuels

Si les autres sont restés oraux, huit avis écrits, bien différents, des brefs, des longs, sont représentatifs de notre diversité d'appréciation du livre : cliquez pour lire les réactions d'Aurore, Brigitte, Clara, Claire, Joëlle L, Mathilde, Muriel, Stéphanie.

 

Lirelles a programmé Les Vilaines de Camila Sosa Villada en octobre 2021