Pour le 14 mars 2021, nous lisons :

Le goût âpre des kakis de Zoyâ Pirzâd

 
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  LE LIVRE : Le goût âpre des kakis
 

Zulma
, 2009, 224 p.

Cinq nouvelles :
- Les taches
- L'appartement
- Le Père-Lachaise
- L'harmonica

- Le goût âpre des kakis

Prix Courrier international du meilleur livre étranger en 2009

Première parution en 1997

Nouvelles traduites en 2009 du persan (Iran)
par Christophe Balaÿ, professeur de langue et littérature persanes de 1989 à 2014 à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales ("Langues O")


Livre de poche, 2012, 216 p.
 

Quatrième de couverture : Un bassin, des massifs de roses et un plaqueminier donnent de quoi faire au jardinier d'une vieille dame qui, depuis la mort de son mari, se sent très seule et en danger dans sa grande maison au cœur de la ville. Les fleurs donnent des fruits, les kakis mûrissent et elle ne se prive pas d’en offrir, notamment à son locataire. Des liens subtils se tissent entre eux, que vient troubler l’apparition d’une fiancée…
Comme dans ses autres recueils de nouvelles, Zoyâ Pirzâd explore avec subtilité, lucidité, tendresse et une certaine nostalgie les chassés-croisés de la vie amoureuse.
Kaléidoscope, facettes distinctes d’un même objet : le couple. Mais le couple en ses murs, fracassé aux parois de l’Iran d’aujourd’hui, écartelé entre modernité et tradition. (Xavier Lapeyroux, Le Monde diplomatique)

(En vidéo : Lecture de la nouvelle "L'harmonica" par le comédien Bernard Bollet, Musée Guimet, 7 décembre 2020, sur facebook)

   
  L'AUTEURE : Zoyâ Pirzâd
 

Née en 1952 à Abadan d’un père iranien d’origine russe et d’une mère arménienne, mariée et mère de deux garçons, Zoyâ Pirzâd débute sa carrière littéraire après la Révolution de 1979.
Outre son œuvre de fiction, elle a aussi fait des traductions, dont celles d'Alice au pays des merveilles ou de poèmes japonais.

   
  PUBLICATIONS de Zoyâ Pirzâd
 

Zoyâ Pirzâd a publié deux recueils de nouvelles et trois romans. Ses livres sont tous publiés aux éditions Zulma, traduits par Christophe Balaÿ, certains repris en Livre de poche.
- 1991 (en Iran) : Comme tous les après-midi, 18 nouvelles, Zulma, 2007
- 1997 (en Iran) : Le Goût âpre des kakis, 5 nouvelles, 2009, Prix Courrier international du meilleur livre étranger 2009 ; deux nouvelles sont également publiées à part : "L'appartement" et "Le Père-Lachaise".
- 1998 (en Iran) : Un jour avant Pâques, roman, 2008
- 2001 (en Iran) : C'est moi qui éteins les lumières, roman, 2011 ; obtient quatre récompenses en Iran, dont celle du meilleur livre de l’année ;
gros succès en Iran.
- 2004 (en Iran) : On s'y fera, roman, 2007

   
  LE CONTEXTE IRANIEN : l'impact sur les femmes et sur la littérature
 

La révolution iranienne, également appelée révolution islamique ou révolution de 1979, a transformé l'Iran en république islamique, renversant l'État impérial d'Iran. L'ayatollah Khomeiny, après son exil de Neauphle-le-Château, revient à Téhéran prendre le pouvoir.
La guerre Iran-Irak (1980-1988) a fait environ 800 000 morts et a énormément marqué la vie iranienne.

Situation des femmes : Les lois favorables à l'émancipation des femmes ont été remises en question dès l'avènement de la Révolution de 1979. Une modification de la loi abaisse l’âge légal du mariage de 18 ans à l’âge de la puberté – 9 ans pour les filles et 15 ans pour les garçons – avec l’obligation du port du voile (dès l'entrée à l'école primaire) et l’interdiction de la mixité.
Il est à noter qu'avec autoritarisme le dévoilement des femmes avait été rendu obligatoire en 1936 ; les agents en charge des lois étaient appeler à déchirer le voile des femmes. Dans les deux cas, la liberté des femmes n'existe pas. Actuellement les obligations sont les suivantes : toutes les parties du corps doivent être couvertes à l’exception du visage, des mains et des pieds ; pratiquement dans la rue, les femmes ne sont pas obligées de porter tchador, burqua, niquab, hidjab, mais un voile donnant lieu en ville à une véritable élégance (voir ici). En revanche dans les administrations, la contrainte est bien plus grande : le maghnaeh noir ou tchador doit être porté.
Le mariage est la seule union légitime en Iran, toute autre union entre homme et femme est interdite et passible d'une peine. Selon la charia, l'homme a le droit d'épouser quatre femmes. La religion chiite permet également à l'homme musulman chiite de pratiquer le mariage temporaire (quelques heures, quelques jours, quelques mois...) avec une ou plusieurs compagnes provisoires tout en épousant quatre femmes. L'adultère est un crime qui condamne à la lapidation : il doit être avoué par les accusés ou approuvé par le témoignage de quatre hommes juste (ou trois hommes et deux femmes justes...) qui ont vu clairement l'acte sexuel - ce qui rend la lapidation assez rare mais suscite la terreur. Le divorce dépend de l'accord de l'époux. Cependant, des mesures efficaces sont prises dès 1988-1989 concernant le contrôle des naissances (distribution gratuite de préservatifs, sensibilisation sur les moyens de contraception féminine et masculine), permettant aux femmes d'être très actives dans les domaines qui leur sont permis.

Un système d'éducation nationale ne faisant aucune distinction entre garçons et filles avait été organisé en 1936 où les premières femmes faisaient leur entrée à l'université de Téhéran. Le droit d'éligibilité et de vote leur fut accordé en 1963. Actuellement les femmes ont un niveau d’éducation égal à celui des hommes — les universités iraniennes accueillent autant de filles que de garçons, c'est à souligner —, mais elles n’ont pas accès au marché du travail à parité avec les hommes.

Une émission de radio récente est éclairante : Négocier l’émancipation : une lutte sans fin, Quid des femmes ?, France Culture, "Iran : 40 ans de révolution" (3/4), 6 février 2019, 58 min. La vie quotidienne des Iraniens apparaît tiraillée entre loi islamique et envies de modernité. De la rue à l’espace intime, les espaces de liberté se négocient..., avec Fariba Adelkhah, anthropologue franco-iranienne, directrice de recherche à Sciences po, et Leyla Fouladvind, sociologue.

Changer de sexe en Iran 
Le travestissement est interdit, mais les hommes et les femmes qui désirent changer de sexe sont paradoxalement autorisés à subir une intervention chirurgicale. Ils peuvent alors demander un certificat de naissance révisé, indiquant leur nouvelle identité, avec laquelle ils peuvent se marier. La Fondation de l'Imam Khomeini accorde des prêts à ceux qui en ont besoin. Un religieux, Hodjatoleslam Karimian, a proposé que le changement de sexe soit "un droit humain"...

Quant à l'homosexualité, le Code pénal iranien fait froid dans le dos :

Article 110- La sodomie est punie de la peine capitale ; le juge religieux choisira les modalités de la mise à mort.
Art. 121- Les relations sexuelles sans pénétration entre deux hommes sont punies de 100 coups de fouet pour chacun. (Note: Si le partenaire actif est un non musulman et le partenaire passif un musulman, le premier sera condamné à mort.)
Art. 122- Si les coupables sont punies à trois reprises pour des relations sexuelles sans pénétration, la quatrième fois ils seront condamnés à mort.
Art. 123- Lorsque deux hommes sans liens de sang se trouvent nues sous la même couverture sans nécessité apparente, ils seront passibles de jusqu’à 99 coups de fouet.
Art. 124- Si un homme embrasse l’autre de
manière lascive, il sera condamné à jusqu’à 60 coups de fouet.
Art. 127- Mossahiqa se dit des relations sexuelles entre femmes impliquant les parties génitales.
Art. 129- Chacune des partenaires sera condamnée à 100 coups de fouet.
Art. 131- Si les coupables récidivent et sont châtiées à trois reprises, elles seront condamnées à mort après la quatrième récidive.
Art. 134- Si deux femmes sans liens de parenté se trouvent nues et sans nécessité apparente sous la même couverture, elles seront condamnées à plusieurs coups de fouet qui pourrait atteindre les 100 (extrait du site www.iranfocus.com).

Après une première publication en italien en 2006, Le jardin de Shahrzad (publié en 2009 en France aux éditions KTM, spécialisées dans les textes de fiction consacrés à l'amour lesbien), met en scène des amours entre femmes en Iran ; le pseudonyme Vida est collectif (trois lesbiennes et une transexuelle : voir ICI l'interview d'une des auteures).

Censure et littérature : L'impact du régime sur la littérature s'exerce par la censure : chaque livre avant impression devant obtenir l'autorisation de publication, les maisons d'édition par conséquent examinent minutieusement chaque ouvrage. Puis l'autorisation de distribution reste entre les mains du Bureau du livre du ministère de la Culture. Le mot ''censure'' n'étant jamais prononcé en Iran, on parle plutôt d'''audit''. Certains ouvrages ou auteurs sont jugés ''impubliables'', en raison de leur message ''anti-islamique'', ''contre-révolutionnaire'' ou ''subversif'' : la censure peut concerner les thèmes contre les traditions ou contre les lois islamiques et entraîne des suppressions complètes de quelques parties, ou se contente de quelques petits changements. Par conséquent, les romanciers iraniens évitent les sujets risqués et les scènes problématiques : par exemple, les détails d'une relation intime n'ont pas de place dans le roman iranien.

La littérature persane est renommée pour sa poésie. Les poètes Saadi (1210-1292), Hafez (1325-1389) et Rûmi (1207-1273) sont révérés. Le Cantique des oiseaux est un recueil de poèmes célèbre de Farîd-ud-Dîn ‘Attâr (1142-1220).
Le poème du XVe siècle, Layla et Majnûn, les Roméo et Juliette de la littérature persane, est mentionné dans le roman lesbien cité plus haut (Le jardin de Shahrzad) car l'héroïne s'identifie à Majnûn, poète androgyne et mystique fou d'amour. Les deux amantes se recueillent devant le mausolée du poète Hafez.
Le classique iranien évoqué dans la nouvelle "Le Père-Lachaise" est La chouette aveugle, publié en 1936 par Sadegh Hedayat, considéré comme l'un des plus grands écrivains de l'Iran moderne : on lui doit pour la première fois en Iran une véritable écriture romanesque, car avant lui la littérature n'était presque exclusivement que représentée par la poésie. Il est mort à Paris en 1951, enterré au cimetière du Père-Lachaise (85e division).

Des écrivaines iraniennes

Deux poétesses célèbres
- Parvin E’tesâmi (1907-1941) respecte la tradition classique littéraire persane. L’originalité de son oeuvre réside dans une autre forme de poésie, celle du monazereh, ou dialogue, mettant en jeu des êtres humains, des bêtes, des plantes, des objets, des notions.
- Forough Farrokhzad (1935-1967), morte à 33 ans a aussi réalisé des films, joué sur scène. Le film de Kiarostami Le vent nous emportera est titré d'après l'un de ses poèmes. Plusieurs livres sont traduits en français, ainsi que ses oeuvres complètes. Elle est l’une des figures les plus marquantes de la poésie persane au XXe siècle. L'article suivant fait le point sur son apport exceptionnel : "Retour sur l’œuvre de Forough Farrokhzâd et sa reception", Mahsa Hashemi Taheri, La Revue de Téhéran, n° 109, décembre 2014.
Voir aussi "Deux grandes figures féminines de la poésie iranienne contemporaine : Parvin E’tesâmi et Forough Farrokhzâd", Afsaneh Pourmazaheri et Nahid Zandi, La Revue de Téhéran, n° 55, juin 2010.

La première romancière
C'est en 1969 que sort en Iran le premier roman dont à la fois l'auteur, le narrateur et le personnage principal sont... une femme. Il s'agit de Sou Va Choun (Le deuil de Siavosh) de Simine Daneshvar (1921-2012), best-seller de qualité qui reçoit un accueil jubilatoire du public et est réédité quinze fois de suite. L'auteure introduit une révolution dans la prose persane : pour la première fois de l'histoire de cette prose, la femme iranienne est représentée à travers le regard d'une femme et non celui d'un homme. Jadis vues par les hommes, les femmes iraniennes dans la littérature étaient souvent dépossédées de leurs corps et émotions, ou réduites à un statut social idéalisé d'épouse, de veuve ou de mère.

Une héroïne des lettres
Shahrnoush Parsipour, née en 1946, emprisonnée quatre fois durant plus de cinq ans, a une oeuvre remarquable, avec 10 romans, des nouvelles, ses Mémoires de prison, a traduit des oeuvres anglaises et françaises vers le persan, est l'auteure d'essais, etc. Son roman Femmes sans hommes a été adapté au cinéma.

Sur les écrivaines iraniennes contemporaines, deux livres, deux articles
- Les mots et les enjeux : le défi des romancières iraniennes de Leyla Fouladvind, L'Harmattan, 2014. Résultat de sa thèse de sociologie soutenue en 2012 à l’EHESS, le livre se fonde sur huit écrivaines dont Zoyâ Pirzâd (et Farkhondeh Aghayi, Tahereh Alavi, Fattaneh Hadj Seyyed Djavadi, Chahrnouche Parsipour, Moniro Ravanipour, Parinouche Sani’i et Fariba Vafi). Elle avait écrit auparavant La femme poétique : l'image de la femme chez les poètes persans (1885-1964), Éditions Universitaires Européennes, 2010. Et a traduit du français en persan La mort en Perse d'Annemarie Schwarzenbach, éd. Nachr Tarikh, Téhéran, 2008.
- Les mots sont mes armes : les femmes écrivains iraniennes et la liberté de mouvement de Farzaneh Milani, Lettres personnes, 2012, publié d'abord aux États-Unis en 2011 (Words, Not Swords : Iranian Women Writers and the Freedom of Movement). Elle avait déjà écrit Voiles et paroles : la voix émergente des femmes écrivains iraniennes en 1992.
- "Iran La littérature féminine", Habibi Faranguis, Confluences Méditerranée, n° 67, 2008.
- "Le discours littéraire des Iraniennes", Katâyoun Vaziri, La Revue de Téhéran, n° 93, août 2013

Relevant du témoignage plus que de la littérature, voici d'autres livres de femmes sur l'Iran, dont certains furent des best-sellers ; aucun n'est écrit en persan, aucun par une femme vivant en Iran (contrairement à Zoyâ Pirzâd:

- 2000 : Persepolis de Marjane Satrapi, franco-iranienne vivant à Paris, qui a adapté Persepolis, BD autobiographique, à l'écran.
- 2016 : Désorientale de Négar Djavadi, scénariste, réalisatrice et écrivaine franco-iranienne, vivant à Paris.
- 2003 : Lire Lolita à Téhéran de Azar Nafisi, professeure, romancière iranienne exilée, devenue américaine.
- 2014 : Vivre et mentir à Téhéran de Ramita Navai, journaliste anglo-iranienne vivant à Londres.
- 1988 : Jamais sans ma fille de Betty Mahmoody, américaine, connue surtout pour ce livre et sa lutte pour les droits des enfants.

Les commentaires de Farzaneh Milani, qui enseigne la littérature persane et les women's studies à l'Université de Virginie, incitent, dans le livre cité plus haut (Les mots sont mes armes), à considérer avec prudence deux de ces livres : Lire Lolita à Téhéran et Jamais sans ma fille. Elle montre en effet que ces deux ouvrages, d'une part font l'impasse sur l'activité voire l'activisme d'Iraniennes, et d'autre part dressent un tableau empreint d'erreurs ; par exemple, le club de lecture qu'animait Azar Nafisi n'était pas interdit comme elle le présente (clandestin). En revanche, elle approuve l'introduction de Marjane Satrapi à Persepolis, qui est bien plus nuancée sur l'état de la société iranienne.

Quelques autres femmes iraniennes marquantes
- Pourandokht et Azarmidokht, soeurs, furent successivement impératrices perses de la dynastie sassanide au VIIe siècle.
- Fatemeh (1817-1852), appelée aussi Tâhereh la Pure, fut une poétesse (dont des poèmes sont traduits en français), pionnière du mouvement féministe en Iran du XIXe siècle. Première femme apparaissant non voilée en public, elle fut une figure du mouvement Baha’i qui se prononça pour l’émancipation féminine et apporta son soutien aux féministes iraniennes. Après 4 ans d'emprisonnement, Fatemeh finira exécutée pour avoir tenté de tuer le roi Nasseredin Shah (qui fut reçu en grande pompe par la reine Victoria au château de Windsor en 1889). Quand on lui annonça son exécution par pendaison, elle se fit belle et déclara fièrement : "Vous pouvez me tuer quand vous voulez, mais jamais vous n'arriverez à empêcher l'émancipation des femmes !" Elle fut finalement étranglée avec son foulard de soie par un soudard ivre et son corps fut jeté au fond d'un puits et recouvert de pierres.
- Shirin Ebadi, née en 1947, reçoit le prix Nobel de la paix en 2003. Avocate féministe défendant les droits de l’homme, elle permet ainsi aux militantes iraniennes du droit des femmes de faire davantage entendre leur message en Occident. Ancienne juge et présidente du tribunal de Téhéran sous le Shah, aujourd’hui avocate au Barreau de Téhéran, Shirin Ebadi défend des prisonniers politiques et des enfants. Elle est également à l’origine de la célébration en Iran de la journée internationale de la femme et elle crée la Société pour la protection des droits de l’enfant.
- Faegheh Atashin, née en 1950, mieux connue sous son nom de scène Googoosh, est une célèbre chanteuse pop interdite de représentation publique depuis la révolution islamique, comme toutes les chanteuses.
- Tahmineh Milani, née en 1960, est une réalisatrice iranienne, auteure de Deux femmes sorti en 1999.
- Mahsa Shekarloo (1970-2014), fonde en 2000 le premier webmagazine féministe iranien, baptisé Badjens, jeu de mots entre l'anglais "bad" et le persan "jens", qui peut se traduire par "mauvais genre".

   
  ARTICLES au sujet de Zoyâ Pirzâd
 

"Le Goût âpre des kakis", de Zoyâ Pirzâd : des kakis en guise de chaînon manquant, Nils C. Ahl, Le Monde, 18 juin 2009.
Vu d'Iran. Hommes, femmes, rendez-vous manqués, Hassan Mahmoudi, Courrier international, 22 octobre 2009.
Scènes de la vie de couple en Iran, Xavier Lapeyroux, Le Monde diplomatique, novembre 2009.
Le jeu des identités : mère, grand mère, fille, femme divorcée, femme au foyer ou femme indépendante dans les textes de Zoyâ Pirzâd, Katâyoun Vaziri, La Revue de Téhéran (mensuel iranien consacré à la culture et aux traditions iraniennes en langue française), n° 83, octobre 2012.
L'alchimie délicate de la littérature persane. PORTRAIT. Les petits riens de Zoyâ Pirzâd, Agnès Rotivel, La Croix, 7 mai 2015 ("Je ne suis pas une personne politique, la seule chose qui m'intéresse ce sont les gens.")
Mal-être persan, David Fontaine, Le Canard enchaîné, 8 juillet 2009.
"Proust en voisin nous rejoint", Courrier international, 30 juillet-19 août 2015 : Zoyâ Pirzâd envoie une carte postale du Père Lachaise (voir la nouvelle "
Le Père-Lachaise").

   
  INTERVIEWS de Zoyâ Pirzâd
 

Rencontre : Zoyâ Pirzâd : "Les mots dépendent des personnages", Le Monde, 18 juin 2009, propos recueillis par Nils C. Ahl ("Les cinq textes correspondent à cinq façons différentes de considérer une même expérience à travers des personnages autonomes. Elle voulait cinq tons, cinq registres de langue sans rapport entre eux.")

Portrait : Zoyâ Pirzâd ou l’écriture fragmentée Lucie Geffroy, L'Orient Littéraire, novembre 2009
(
« Ma mère, Arménienne à 100 %, a épousé un musulman et est devenue musulmane. À l’école arménienne, on me regardait de travers parce que mon nom ne finissait pas en “ian”» .
« J’ai la hantise d’ennuyer le lecteur, si un de mes personnages parle trop, je lui rabats le caquet sans états d’âme. »)

Interview vidéo sur le site de la Librairie Mollat, 22 juillet 2011, 5 min : très intéressante, elle explique ses influences, son intérêt pour les femmes ("Les femmes sont plus intéressantes que les hommes"), l'universalité des réactions...

Entretien par Naghmeh Tarjoman Porshkoh, réalisé le 24 juillet 2015 pour sa thèse soutenue en 2018, dont voici quelques extraits.

À propos de la censure

Zoyâ Pirzâd : « Cette question n'a jamais changé ma manière d'écrire. J'écris pour moi-même et même au moment d'écrire, je ne pense jamais au fait que mon oeuvre est publiable ou pas. Si le livre obtient son droit de publication et est distribué, tant mieux ; sinon j'attends. (...) Mes oeuvres n'ont jamais subi la censure. Je tiens toujours ma parole. Je ne change jamais le récit que j'écris. Je préfère qu'il ne soit pas publié. »

Le lien vie/fiction
« Tout influence un auteur. Toute une vie, cette nappe, toi-même, même ton collier ! Moi, j'oublie tout, j'oublie le nom des gens, j'oublie tout. Je suis souvent dans la lune. Pourtant, c'est très bizarre, quand je me mets à écrire, le moindre détail ressurgit dans ma tête. Par exemple, il est possible que je me souvienne de ton collier et que je le mette au cou d'un personnage. »
« Moi, je travaillais, à l'âge de dix-huit ans, dans une agence de voyages. […] Aussi ai-je créé un personnage qui travaille dans une agence de voyages. Dans la nouvelle "Père Lachaise", il existe un jeune couple dont la femme, Taraneh, travaille dans une agence de voyages. Effectivement, les gens t'influencent. Globalement, la vie, cet arbre, cet endroit t'influencent au moment de l'écriture. »

Une écriture féminine ?
« À mon avis, cette question n'a pas d'importance. Tout dépend de qui tu es et de ta manière d'écrire. Par exemple, Balzac était un homme, pourtant il portait beaucoup d'attention aux détails des couleurs. Certainement, il existe des différences entre homme et femme, mais peu importe quelle est la différence. Un livre est bien écrit ou mal écrit. Peu importe qu'il soit rédigé par un homme ou par une femme. »

Le féminisme
«
Certains pensent qu’il faut écrire de la littérature féministe pour libérer des femmes ! Moi, je n'y crois pas ! Au contraire, à mon avis, il faut écrire au sujet de la vie ordinaire de femmes normales. Des femmes qui ne sont pas Jeanne d'Arc. C'est beaucoup plus efficace. »

L'écriture
-
La non-description : « tu peux rencontrer quelqu'un qui t'influence, au bout d'un certain temps tu peux complètement oublier son visage mais sa personnalité et son caractère resteront gravés dans ton esprit ». Elle ajoute que la création du personnage ressemble à une esquisse : « Je présente l'idée générale puis chaque lecteur le dessine selon son goût. Il n'est pas nécessaire de préciser tous les détails. Moi, je me limite à certaines particularités générales comme la couleur des yeux ou la forme des cheveux et c'est tout. »
- Une dimension cinématographique ? « Quand j'écris, je vois la scène qui se déroule. Je veux que mon lecteur la voie aussi. Cela vient sans doute aussi beaucoup du fait que mon écriture est fondée sur l'observation. J'observe beaucoup, les gens qui me parlent ou quand je fais la queue à la banque par exemple, et je saisis forcément quelque chose. Lorsque j'écris, je me projette moi-même dans la scène, c'est ainsi que cela fonctionne. »

Entretien dans Courrier international, 3 novembre 2009

Le prix Courrier international du meilleur livre étranger a couronné cette année l'écrivaine iranienne Zoyâ Pirzâd pour son recueil de nouvelles Le Goût âpre des kakis, paru aux éditions Zulma. Entretien avec cette auteure qui occupe une place atypique dans la littérature persane.

Vous venez de recevoir le prix Courrier international pour Le Goût âpre des kakis et vous avez également reçu de nombreuses récompenses en Iran, notamment pour votre dernier roman C'est moi qui éteins les lumières (à paraître en 2011 aux éditions Zulma). Est-ce très important pour vous de voir vos œuvres diffusées à l'étranger et récompensées par des prix ?
Zôya Pirzâd
: C'est un véritable encouragement de voir que mon travail est reconnu, que des gens l'ont lu et aimé. C'est pour cette raison que cela m'a fait plaisir de recevoir le prix Courrier international. J'aime quand des gens viennent me voir pour me parler des livres, ou quand je lis des commentaires sur des blogs. Mais je n'aime pas trop m'asseoir avec des intellectuels pour parler littérature. Je n'ai pas vraiment le sentiment de faire partie d'une lignée ou d'un groupe d'auteurs iraniens, parce que le genre de la nouvelle et ma manière d'écrire sont tota
lement différents de ce qui s'est fait et se fait en Iran. Je pense qu'être un écrivain c'est tout simplement écrire. L'autre volet du métier, le contact avec les lecteurs, est très intéressant. Le lecteur ne ment pas, il a aimé ou pas !

Vos personnages principaux sont souvent des femmes. La femme iranienne telle qu'on la découvre à travers vos œuvres semble coincée entre la pression familiale, la nécessité de travailler et ses désirs d'épanouissement personnel.
J'écris beaucoup sur les femmes car elles sont au centre de mes préoccupations en ce moment. Le fait que les femmes soient considérées comme forcément dépendantes des hommes, c'est quelque chose qui me dérange. En Iran, en Arménie, en Inde, dans beaucoup de pays de culture non occidentale, la fille est d'abord, lorsqu'elle naît, la fille de son père, puis elle est la femme de son mari, puis la mère de son fils. Le sort de la femme est toujours lié à celui d'un homme. Voilà ce que la société attend des femmes : travailler à la maison, se marier, puis avoir des enfants. C'était le cas en France il y a une cinquantaine d'années. Néanmoins, la situation a évolué en Iran. Les nouvelles du Goût âpre des kakis reflètent largement la réalité, à savoir que certaines femmes travaillent et que d'autres restent à la maison, comme dans beaucoup de pays. La particularité en Iran, c'est que la famille est encore très envahissante. Dans mon roman On s'y fera par exemple, on m'a souvent demandé comment il était possible qu'Arezou, une femme de caractère, qui dirige une entreprise et qui a des hommes sous ses ordres, soit si soumise aux exigences de sa mère et de sa fille. Beaucoup m'ont dit que cela n'était pas crédible. Mais la relation mère-fille est vraiment spéciale, et on en a une double preuve dans ce roman. On voit beaucoup de femmes très fortes aux prises avec leur mère. Elles sont coincées entre leurs obligations et leurs aspirations. Arezou est obligé de travailler, de subvenir aux besoins de sa famille, mais, dans son cœur, elle veut être amoureuse, vivre une vie simple.

Vous avez le sens du détail, une écriture très minutieuse, et pourtant on ne sait pas grand-chose sur vos personnages.
Anton Tchekhov a dit que lorsqu'on décrit une pièce au début d'un roman, si l'on parle d'un fusil accroché à un mur, alors il faut que ce fusil revienne à un moment donné de l'intrigue, qu'il ait un sens. On ne fait pas une description de musée. Lorsque l'on décrit une maison, on montre le caractère de son personnage. Si on trouve dans mes nouvelles un appartement surchargé, où il y a par exemple et un chauffage électrique et une cheminée, on sait que l'on se trouve dans une famille de nouveaux riches de Téhéran. Les choses ont davantage d'impact lorsqu'on les dit de manière indirecte. Les personnages peuvent aussi donner des informations sur eux-mêmes à travers les dialogues. Je pense que pour le lecteur c'est plus intéressant. Je souhaite surtout qu'il ne s'ennuie pas. Pour moi, c'est le plus important, car moi-même en tant que lectrice, si ça ne m'intéresse pas, je me lasse très vite.

Vous dites vous inspirer beaucoup des films classiques et vous avez une écriture très cinématographique, où l'on peut même imaginer les gros plans.
Quand j'écris, je vois la scène qui se déroule. Je veux que mon lecteur la voie aussi. Cela vient sans doute aussi beaucoup du fait que mon écriture est fondée sur l'observation. J'observe beaucoup, les gens qui me parlent ou quand je fais la queue à la banque par exemple, et je saisis forcément quelque chose. Lorsque j'écris, je me projette moi-même dans la scène, c'est ainsi que cela fonctionne.

Votre écriture est très simple, contrairement à ce qu'on peut lire dans la majorité de la littérature persane.
Je pense que chaque écrivain écrit comme il est. Moi-même je ne suis pas quelqu'un de trop compliqué, c'est pour cela que j'écris comme ça ! Ce que je n'aime pas dans la littérature iranienne, c'est que les personnages ne parlent pas comme dans la vie quotidienne. Quand j'ai commencé à écrire, les mots se sont présentés comme ça, et je me suis dit oui, je suis proche de cette écriture, c'est ma langue. Le dialogue est très important, surtout dans la langue persane, il peut vite être d'un style très lourd. Les auteurs iraniens tentent d'écrire en style direct ou indirect. Moi, tout mon effort est de n'écrire ni en style direct ni indirect. Autant que je peux, j'essaie de rapprocher la langue écrite de l'oral. Mon obsession est de simplifier la langue. De plus, quand on écrit une nouvelle, les mots doivent correspondre au cadre et au rythme de la nouvelle. Dans la nouvelle "Le Goût âpre des kakis", en persan, le rythme est totalement différent de celui de la nouvelle "Les Taches". Pourquoi ? Parce que, dans "Le Goût âpre", la femme est une aristocrate qui vit seule dans une grande maison. Le temps passe lentement. Dans "Les Taches", le rythme est très rapide, comme la vie d'un couple qui se délite. C'est particulièrement frappant dans On s'y fera. Lorsque j'ai écrit ce livre, on m'a dit : "Mais étiez-vous si pressée de terminer ce livre ?" Je n'étais pas pressée, je l'ai écrit au rythme de Téhéran, très rapide de nos jours. Dans C'est moi qui éteins les lumières, tout est très lent, car Abadan [la ville natale de Zôya Pirzâd, dans le sud-ouest de l'Iran], dans les années 1960, était une ville très calme. Dans "Le Goût âpre", il y a des mots ne sont jamais utilisés dans "Les Taches", parce que cela ne correspond pas aux personnages. Je recherche la simplicité et la justesse. Et c'est très difficile d'écrire simplement.

Dans votre roman Un jour avant Pâques, vous situez la trame au sein de la communauté arménienne. Vous êtes vous-même d'origine arménienne. Comment conciliez-vous les cultures arménienne et persane ?
La culture arménienne est très différente. Les Arméniens vivent depuis quatre cents ans en Iran mais ils ont conservé beaucoup de leur culture, même s'ils ont emprunté beaucoup à la culture persane. Je possède les deux cultures, et je suis confrontée aux problèmes qui résultent de chacune d'elles. Les Arméniens sont très chatouilleux sur leur langue et leur culture. Au début, je n'étais pas favorable à cette forme d'intolérance. Moi-même je l'ai subie. Ma mère, arménienne à 100 %, a épousé un musulman. Cela a été très difficile pour elle, sa famille l'a rejetée. Je me suis toujours fait importuner à l'école arménienne, parce que mon nom ne finit pas en "ian". Tant que je n'étais pas allée en Arménie, je n'avais pas de proximité avec les Arméniens. En y allant, je me suis rendu compte que si les Arméniens n'étaient pas comme ça, ils n'existeraient plus. Dans Un jour avant Pâques, c'est en quelque sorte de moi que je parle même si l'histoire est fictive.

Dans vos livres, les personnages partent souvent aux États-Unis ou en reviennent. Peut-on parler d'une fascination iranienne pour les États-Unis ?
Les États-Unis ont un rôle très important pour les Iraniens. Tout ce qui vient d'Amérique, la culture américaine, exerce un grand attrait. Surtout depuis la révolution [islamique de 1979], beaucoup veulent partir et vivre le rêve américain, ils pensent que tous leurs problèmes vont s'arranger, ce qui n'est souvent pas le cas, c'est même pire. En Iran, les gens qui vivent aux États-Unis ou qui y vont régulièrement aiment bien le montrer. Ils regardent les autres Iraniens avec une certaine condescendance.
Dans On s'y fera, il y a une femme qui discute avec sa fille chez le coiffeur et qui s'évertue à ponctuer ses phrases persanes de mots anglais. Cette scène s'est réellement produite, je l'ai mise telle quelle dans le livre ! C'est ce que nous appelons la culture losangelesi [de Los Angeles, où vit une très importante communauté iranienne]. Un jour, une Iranienne naturalisée américaine m'a dit : "Je suis tellement fière de mon passeport américain !" Je lui ai répondu que, de mon côté, j'étais très fière de mon passeport iranien. Je ne suis jamais allée aux Etats-Unis et je n'ai pas du tout envie d'y aller !

Propos recueillis par Hamdam Mostafavi
Courrier international, 3 novembre 2009

 
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