L'avis de Mathilde (confinée à Montreuil) sur :

Avant que j'oublie d'Anne Pauly


 

Difficile d'expliquer ici, et surtout par écrit, combien ce pseudo roman (qui se révèle être une autobiographie), m'a "happée et bouleversée"… et ce, dès la 1ère page !

Je viens, en effet, du même milieu que l'auteure : celui où les "boîtes à sucres décorées de petits bretons" devenaient multi-usages, où les "BN " étaient le suprême luxe de nos goûters, et où les mots croisés force 1, 2, 3 et plus… faisaient aussi partie de de notre éducation à domicile.
En deux soirées de lecture, j'ai cru retrouver l'odeur de la crème à raser de mon père ou celle des quelques gouttes d'eau de Cologne dominicales versées sur notre mouchoir pour "sentir bon"…

Le "cadre de vie et le milieu" étant posés, c'est du père de l'auteur, Jean-Pierre Pauly, dont il est principalement question ici : sa fin de vie, sa maladie, son décès à l'hôpital, son enterrement, l'horreur pour l'auteure d'avoir eu à vider, quasi seule, son "château de briques et de bois" à… Carrières-sous-Poissy ! et de sa profonde solitude aussi, APRÈS !
Avec son lot de découvertes inattendues… : comme celle de cette amie d'enfance, Juliette, totalement inconnue (qui fut, fort probablement, le seul Vrai Amour de son père et son Amie jusqu'à la fin).

Un père qui faisait, certes, tourner l'auteure en bourrique, mais pour qui (même raté, alcoolique, violent envers sa mère et égocentré), elle trouve des mots qui prouvent un AMOUR DÉBORDANT : mon macchabée, ma racaille, mon unijambiste, mon roi misanthrope, mon vieux père carcasse…

Ce décès, a donc été pour la narratrice l'occasion de "redécouvrir" ce père tant décrié (il faut voir son étonnement lorsqu'elle découvre que l'église est bondée à l'enterrement). Elle comprend, enfin, que si elle s'est toujours sentie si proche de lui, c'est qu'ELLE LUI RESSEMBLE sur bien des points, et que pour cette raison, elle se sent bien loin de son frère).

Mais le livre ne se limite pas qu'à cela :

- On y trouve un INCROYABLE HUMOUR (hérité de son père justement !) qui vient, avec bonheur, contrebalancer tout ce que cette histoire peut avoir de triste, voire de glauque (surtout à l'hôpital...)
Ainsi, lors du choix du cercueil avec son "pragmatique" et "radin de frère" : "On ne va tout de même pas le mettre dans une boîte en carton !".
Ou bien lorsqu'elle évoque la messe à l'église, avant le cimetière : "ce fut la messe la plus longue de toute l'histoire de la Chrétienté !"

- Quant au STYLE et au VOCABULAIRE, ils sont magnifiques !
Avec un arrêt sur images, particulier pour moi, page 104 : cette "avalanche" de noms (qui ont peut-être barbé certaines d'entre vous…) moi, m'a ravie.
Sans oublier l'usage de mots d'argot (je suis d'ailleurs étonnée que l'auteure, née en 1976, puisse encore utiliser des termes comme "on a plié les gaules").

- Enfin, et quoiqu'en filigrane, ANNE PAULY nous parle aussi d'ELLE :
   › Son ascension sociale a pu se faire grâce à l'école laïque et républicaine.
   › Elle a de vrais ami.e.s.
   › Lesbienne, elle a une compagne de vie, une "fiancée", Félicie. Il faut lire sa colère quand le curé lui demande, encore une fois, si elle a des enfants : "Non, mon Père, je suis une grosse gouine nullipare, parce que le patriarcat m'interdit de faire famille avec qui je veux".
    › Elle a revendiqué le droit au mariage pour tous et toutes : à l'église, au bras de Félicie, elle lui dit : "c'est le mariage, t'es prête ?" et imagine qu'on y joue leur "Wedding march", sans compter la fête chez elles, qui a suivi l'annonce du vote positif à l'Assemblée.
    › Elle est féministe et parle très bien de la violence au quotidien d'hommes à l'égard de leur femme. Mais elle, qui a vraiment connu cette violence là, nous dit : "Encore aujourd'hui, quand j'entends, dans les reportages sur les violences conjugales, des gens s'indigner de ce que certaines femmes n'aient pas le courage de partir, j'ai envie de leur dire 'J'aimerais bien vous y voir'.
J'aimerais bien vous voir, un dimanche soir, la paupière bleuie et la chemise de nuit déchirée, préparer une valise à la hâte pour un foyer d'urgence éclairé au néon. J'aimerais bien vous voir, couverte d'insultes et de menaces, trouver l'énergie de courir à la gare avec vos enfants pour monter dans un train sans savoir si le retour sera possible et à quelles conditions.
"

Je ne connaissais pas du tout Anne Pauly — ce livre est donc une belle découverte pour moi, et il m'a énormément plu… et je ne vais pas manquer, bien sûr, d'en parler autour de moi.

 

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