L'avis de Marion (confinée à Nantes) sur :

Avant que j'oublie d'Anne Pauly


 

Ce n'est pas d'aujourd'hui, que je m'interroge sur les rapports des filles, des femmes, des homosexuelles et des lesbiennes avec leur père. Ce livre m'a montré crûment la complexité de cette relation quand elle existe dans un contexte de violences conjugales.
Cette chanson après tout, c'était à peu près à l'image de ce qu'on avait toujours vécu avec nos parents : de l'amour, des cris, des drames, du désespoir avec, en fond, des trompettes et des violons. L'amour en premier. Voyons.
Comment une femme qui a vu son père, couteau à la main, immense et ivre mort, courir après maman autour de la table en éructant... ou les enfermer dehors toutes les deux parce qu'elles étaient rentrées trop tard après lui, ou encore,... un dimanche soir, la paupière bleuie et la chemise de nuit déchirée, préparer une valise à la hâte pour un foyer d'urgence éclairé au néon... couverte d'insultes et de menaces, trouver l'énergie de courir à la gare avec vos enfants pour monter dans un train sans savoir si le retour sera possible et à quelles conditions... Pour échapper à ses excès à lui d'alcool, de colère ou de jalousie.
C'est elle qui avait lâché en premier, d'épuisement. Elle est morte, la première.

Comment cette femme, l'auteure, peut-elle revendiquer cet amour inconditionnel pour son père violent ? Malgré tout, tu sais, je suis aussi de ton côté. L'alcool a bon dos, il se contente de libérer au jour ce qui grouille au fond des hommes dominants, l'amour de la chasse, du pouvoir, de la possession, la jalousie qui s'ensuit, la violence pour garder la proie qui s'avise de résister, plutôt la perdre...
Lui ne sera pas perdu, sa fille est là, qui a partagé grâce à lui de quoi survivre, l'amour de la nature, de la musique, des mots..., et ses efforts désespérés pour sortir de sa classe sociale. Ca ne s'oublie pas certes. Il y a aussi la pitié, éternelle mauvaise conseillère des femmes, l'éducation au soin des hommes. Que c'est complexe, cette salade de sentiments mitigés à la sauce "amour" !
De la mère, on ne parlera plus, cette vie sans panache et si semblable aux autres vies de femmes, n'inspirera guère sa fille. C'est de l'amour pour son père qu'il était important de parler, dans son premier roman... j'ai souhaité de tout mon cœur ne jamais oublier son odeur et la douceur de sa peau sèche. Quel cadeau post mortem, ce livre à l'écriture pleine de force et de talent qui se bat pour réhabiliter l'humanité d'un père !
La narratrice a un père qui n'a jamais levé la main sur elle, la violence masculine dans la famille était pourtant largement présente, j'ai beaucoup aimé la façon dont elle raconte les séquelles de la peur, de l'ambiance de guerre civile qui régnait chez nous et qu'elle s'emploie à surmonter au quotidien, avec son frère notamment.

La puissance de l'écriture m'a aidée à avaler quelques pilules amères pour la personne politique que je suis avant tout : par exemple, le dédouanement du prêtre. Mais, isolé au fond de sa petite église avec ses psaumes pour toute compagnie, le pauvre homme n'y était pour rien. En réalité, en pareille circonstance, je m'en foutais du patriarcat. Cette phrase passe très bien dans ce contexte. Tant de phrases de ce genre, lourdes de sens, passent ainsi très bien, le tout est de trouver le contexte, un contexte d'épidémie par exemple où les vieilles personnes meurent dans la solitude avant d'être jetées à la chaîne dans un trou.
L'irruption de Juliette parachève cette image d'humanité déjà bien installée par la fille du défunt. Il en sort comme le grand gagnant du souvenir. Pour l'instant, car la fille sait bien que la vraie mort c'est l'oubli, presque inexorable, qui va terminer l'histoire. La vie va reprendre son cours avec son "amoureuse", sa "fiancée" (l'indigence de cette relation m'a frappée, quel besoin d'ajouter cette histoire homosexuelle ?), les visites à la famille, les discussions avec les potes...
Heureusement il y a le Livre, et son écriture.
Mais moi, je continue à penser à cette femme, sa mère qui vivait avec ses enfants dans l'angoisse, et est morte d'épuisement. Qui lui rendra son humanité, à cette femme pourchassée ? Une autre écriture ?

À lire, grande interview intéressante d'Anne Pauly par Johan Faerber sur le site du magazine Diacritik

 

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