L'avis de Patricia sur :

Le Consentement de Vanessa Springora


 

Mon avis global : Forcément j'ai beaucoup aimé. Ça a été un choc. Je suis restée KO pendant quelques heures, voire quelques jours, après la lecture du livre. C'est un livre qui marque et qui fait comprendre ce qu'est l'enfer que vivent les victimes de la pédophilie et le processus psychologique d'emprise, d'effondrement et de réparation des victimes quand la réparation est possible.

Son écriture : Le ton est neutre, pas de parti pris au départ, objectif, factuel. Simple à lire et à suivre, pas d'effets linguistiques. Très bien décrit. Par la façon dont elle a traité le sujet, il est aisé de se mettre à sa place et de ressentir l'enfer de ce qu'elle a pu vivre. On imagine une gamine devant de telles souffrances, c'est abominable. Elle met en évidence les manquements des adultes à qui elle a demandé de l'aide.

La portée de son témoignage : C'est le témoignage de son expérience, mais qui pourrait tout aussi bien être l'expérience des autres victimes prises dans le piège d'un pervers manipulateur. Elle montre en parallèle la mise en œuvre des mécanismes d'aliénation d'un pervers manipulateur et les étapes psychologiques de la victime. Un tsunami extraordinaire dans le monde littéraire, car GM a quand même eu le prix Renaudot en 2013. C'est hallucinant…

L'époque : Sa mère, qui était "ouverte d'esprit", a fini par admettre sa relation, alors qu'elle savait que c'était un pédophile. Il y avait beaucoup de complaisance de la part de ses proches, ses amis, etc. Cela ne choquait personne à l'époque : elle cite des pétitions signées par les plus grands noms. Seule une minorité était en désaccord : Marguerite Duras, Hélène Cixous, un corbeau ? Denise Bombardier qui a été traitée de "mal-baisée, jalouse du bonheur de jeunes filles tellement plus épanouies qu'elle."
Ses copains d'école avaient compris que c'était une chose horrible.
"Si les relations sexuelles entre un adulte et un mineur de moins de quinze ans sont illégales, pourquoi cette tolérance quand elles sont le fait du représentant d'une élite – photographe, écrivain, cinéaste, peintre ? Il faut croire que l'artiste appartient à une caste à part".
Mais même à notre époque le prix Renaudot n'a choqué personne !!!

Son point de vue sur d'autres polémiques liées à la pédophilie :
Elle pense que Lolita est tout sauf une apologie de la pédophilie.
Son interview sur Nova : je suis déçue qu'elle ne condamne pas plus que ça Polanski, qui a été condamné pour viol. Pour elle, le crime est moindre chez Polanski car son œuvre n'est pas liée à son crime. Tandis que GM a utilisé la pédophilie, les photos, les lettres, sa vie, etc., dans son œuvre.

Elle décrit en fait 10 étapes dans le processus psychologique parallèle du pervers de la victime :

1re étape : L'homme profite d'une carence affective de la victime qui a été abandonnée par son père et qui a tendance à se dévaluer. Pour ça il séduit d'abord la mère. Il teste sa victime. Il devient insistant.

2e étape : Une fois la jeune fille apprivoisée, il l'emmène chez lui. Elle le prend pour un substitut de son père.

3e étape : La jeune fille est complètement sous son emprise, il passe à l'acte. La jeune fille est piégée… Il devient officiellement son petit ami auprès de sa mère et des amis de sa mère. On sent monter le côté sordide de la relation, l'emprise qu'il a sur elle.

4e étape : Progressivement, elle prend conscience douloureusement qu'elle n'est pas la première. D'abord jalousie.

5e étape : Progressivement, avec les soupçons, l'homme se dévoile. Il lui dit qu'elle est folle, hystérique, comme toutes les femmes. Elle se rend compte petit à petit que c'est un malade. Elle finit par le mépriser. Les mots qu'elle utilise pour le décrire sont progressifs : un névrotique, puis un psychopathe, puis un pervers, un ogre, pervers narcissique, prédateur sexuel, manipulateur, stratège, calculateur. Elle voit clair. C'est d'une violence terrible, un choc traumatique. Elle est perdue, elle n'a aucun soutien psychologique, personne à qui se confier… L'effondrement total : tout lui passe par la tête, suicide, syndrome de Stockholm, peur de l'abandon, etc.

6e étape : Elle a la force et l'intelligence de rompre grâce à Youri, un jeune homme qu'elle a rencontré.

7e étape : Le harcèlement pendant 30 ans et l'horreur des publications et de ses succès littéraires. La destruction progressive de la victime qui ne peut avoir une vie amoureuse sereine (le passage à l'acte sexuel la dégoûte car lui rappelle sa mission dans ce bas monde, donner du plaisir aux hommes). Et dès qu'elle va mieux, il réapparaît plus pervers à chaque fois. Termes utilisés très forts : jungle de lianes, royaume des ténèbres, existence gâchée avant d'avoir été vécue. Elle ne veut pas se croire victime, car elle était consentante. Culpabilité énorme, au point de croire que qu'elle méritait la "peine de mort". Épisode psychotique avec une phase de dépersonnalisation.

8e étape : La victime est forte, elle tente de surmonter grâce à l'homme qu'elle aime. Elle vit avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, elle sait qu'il peut réapparaître à tout moment. "Car il ne peut s'empêcher de vérifier, encore et toujours, que son emprise opère sur moi."

9e étape : Avec la prise de parole des femmes qui se fait actuellement (MeToo, etc.), elle se rend compte qu'elle était une victime, elle a pensé que c'était le bon moment de publier ce livre car elle a le sentiment que son témoignage sera pris au sérieux. Elle le fait pour s'aider dans la résilience, mais aussi pour aider toutes les autres victimes, alerter les personnes entourant les jeunes adolescentes qu'il ne faut pas fermer les yeux, mais réagir avec des aides psychologiques, etc.

10e étape : Elle détruit ce qui concernait GM aux archives, elle est soutenue de toute part. La justice s'en mêle heureusement, même s'il y a prescription. Et c'est sans doute ça qui va la sauver sur le long terme.

Espérons qu'elle va s'en sortir…

 

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