L'avis de Claire sur :

Le Consentement de Vanessa Springora


  J'ai trouvé ce livre remarquable.
Par son ton, sa composition, son écriture et son objectif. Certes le contenu dépasse la dimension littéraire. Mais je le considère avant tout comme une œuvre.
S'il s'agit de dénoncer ce pédophile, qui en plus d'abuser de la fragilité de V. et de compromettre son équilibre à jamais, l'utilise, la manipule, à des fins littéraires, elle le fait en l'enfermant dans un livre, en prenant le chasseur à son propre piège, comme elle dit dans le prologue, et ça, c'est magistral.
Le livre commence par évoquer les contes, des réservoirs à histoires, et il s'agit bien de nous conter une histoire, avec ses personnages, ses tensions, ses rebondissements, du suspense comme lors de la poursuite de la brigade des meneurs, des scènes, comme les soirées à trois avec la mère, son presque happy end. Sa vie est un roman, c'est peu de le dire, et dès le départ, avec ces parents incroyables — on les inventerait, on dirait c'est caricatural, invraisemblable. La lectrice que je suis a frémi comme dans un thriller et, même si je n'oubliais pas qu'il ne s'agissait pas de fiction, c'est le livre que j'appréciais.

Chaque partie s'impose, et avec en ouverture une citation, chargée de sens et de référence à point nommé (Proust à deux reprises, une définition du dictionnaire, Nabokov), et des titres qui sont tous des noms, renvoyant à des faits, passés : L'enfant, La proie, L'emprise, La déprise, L'empreinte et le dernier est un verbe, dynamique, Écrire, avec la seule citation d'un auteur contemporain, une femme, pleinement féministe (Chloé Delaume). J'aime qu'elle ait défendu le roman Lolita et Nabokov que j'aime beaucoup. Voir les citations ICI.

J'ai apprécié l'expression qui resserre le sens : par exemple ce prologue qui formule le projet, des expressions qui disent beaucoup avec peu, soit par euphémisme (par exemple au sujet de sa mère "le ménage est souvent remis au lendemain", qui veut dire que l'appartement était un souk), soit en formules tranchantes (par exemple à 14 ans on n'est pas censé se retrouver dans le lit d'un homme de 50 ans "sa verge dans la bouche à l'heure du goûter"). L'écriture est tenue, jamais emportée. Parfois même, avec un sourire : à l'hôpital, son père fait une scène au point qu'une infirmière le prie de se calmer ou de déguerpir : "Mon père attrape son manteau (en cachemire) et disparaît aussitôt" — limite humour froid.
Elle sait évoquer une ambiance (un dîner), une époque (la pétition).
Le seul moment que j'ai trouvé plus faible, c'est la déprise, j'ai trouvé que c'était plus délayé, plus commenté.

C'est un livre que j'ai trouvé captivant. Et par ailleurs, c'est un livre important.

Je l'avais vue à La Grande Librairie, parfaite, impressionnante, juste.

J'ai lu des articles autour du livre qui a fait événement et je trouve cela mérité. J'en ai fait une revue de presse pour le groupe dont la lecture m'a sidérée pour ce qui est des appuis dont a bénéficié Matzneff jusqu'il y a peu. J'ai été très intéressée par les articles de fond montrant l'évolution des points de vue de la société sur la pédophilie et des conséquences juridiques d'ailleurs. Je suis prise d'ailleurs dans ce mouvement. J'étais lectrice des chroniques dans Le Monde qu'a signées Matzneff pendant plusieurs années (de 1977 à 1982) et que j'appréciais. Je n'avais pour ma part aucune idée des ravages que peut faire une relation sexuelle et/ou amoureuse entre un enfant ou adolescent et un adulte et étais moi-même attirée par de très jeunes personnes...

Pour revenir au livre, je trouve dommage quand l'impression de lire un témoignage, l'intérêt pour le seul témoignage, l'emportent au détriment de ce que Vanessa Springora a fait littérairement.
Je suis très contente que nous l'ayons programmé à Lirelles — je ne sais plus qui en a eu l'idée la première, merci à elle.

 

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