Nous
avons lu pour le 11 mai 2025
Madelaine
avant l'aube de Sandrine COLLETTE

JC Lattès, 252 p
Ce
11 mai 2025, nous étions 13
à réagir sur le livre :
- en direct (9) : Aurore, Claire Bi, Claire Bo, Felina,
Joëlle, Laetitia, Nelly, Patricia, Véronique
- par zoom (1) : Agnès
- par écrit (3) : Anne, Marie-Yasmine, Sophie de Paris,
Étaient prises ailleurs (4) : Flora, Mar, Sophie de Nice, Stéphanie.
Les tendances concernant
le livre
|
Ce fut clair : une majorité de séduites, voire fans, s'est
distinguée. Et des rétives, soit partiellement, soit totalement.
Les enthousiastes
(8)
:
Anne,
Aurore,
Claire Bi, Joëlle,
Laetitia, Nelly, Patricia,
Véronique
Les rabat-joie
(5) :
Agnès,
Claire
Bo,
Felina,
Marie-Yasmine,
Sophie
de Paris.
Anne, souffrante, mais pas à cause
de la lecture...
J'ai beaucoup aimé ce livre.
J'ai aimé comment c'était écrit.
J'ai mis du temps à me remettre du fait que je n'avais pas compris
que Bran était un chien.
J'ai trouvé l'histoire dure, mais les sentiments beaux.
Pas trop la force d'en dire plus...
Sophie
Sur le flanc d'un bus parisien, j'ai vu il y a quelques jours une pub
pour le livre de Sandrine Collette. "500 000 lecteurs conquis",
disait la pub.
Eh bien je ne fais pas partie de ces 500 000 lecteurs conquis.
C'était mon premier livre de cette autrice
dont j'avais entendu parler mais que je n'avais jamais lue. Avec un a
priori positif, je me suis lancée dans Madelaine avant l'aube.
Rapidement j'ai senti que ce livre ne me conviendrait pas, que j'étais
"à côté", que je n'adhèrerais pas.
Dès les premières pages, j'ai été frappée
et gênée par la noirceur appuyée de la narration.
Un sentiment de drame mis en scène avec lourdeur, insistance, répétition.
Ces phrases courtes qui s'enchaînent pour dire la même chose,
creuser le sillon, rajouter du pathos là où il y en a déjà
plein. La lecture de ce livre m'a pesé sur l'estomac comme un gâteau
trop gras, roboratif.
Et puis il m'est tombé des mains, assez vite. Je me suis ennuyée.
L'histoire est téléphonée, on se doute de ce qui
va arriver. Les descriptions répétitives des journées,
de la nature aux différentes saisons
L'écriture m'a semblé prétentieuse, laborieuse, à
la recherche du bel effet. Pour moi, ce livre sonne faux.
Je ne tire pas un trait sur Sandrine Collette.
J'aurais aimé l'aimer, ce livre.
J'ai vu deux extraits de son interview dans la Grande Librairie.
Elle m'a plu, ce qu'elle a dit m'a plu.
C'est peut-être une rencontre qui viendra plus tard, avec un autre
livre, au bon moment.
Marie-Yasmine
Je regrette de ne pouvoir être avec vous pour discuter de ce roman,
parce que je pressens des avis très différents.
De
mon côté je dois différencier le fond du récit
de sa forme.
La lecture m'a été très pénible.
Les phrases hachées remplies de virgules m'ont coupé le
souffle. Le récit quasi toujours au présent et descriptif
m'a semblé une scène d'exposition sans fin. J'ai noté
une phrase qui n'était même que trois mots côte à
côte (page 86 de l'EPUB "Le vin la chaleur la fatigue").
Mais ce que je pardonne le moins au récit, c'est ce chapitre où
l'on découvre, lorsqu'il est tué en se sacrifiant, que Bran
est un chien. Cela aurait pu être magistral si cela avait été
bien exécuté : mais tous le récit nous trompe volontairement
en parlant de pieds, d'être un homme qui n'a pas le droit d'être
consolé, en séparant dans le discours "les chiens"
sans jamais s'y inclure, etc.
À un moment, l'avis de Bran change même sur la condition
des femmes et sur les violences sexuelles qu'elles subissent lorsque Madelaine
lui raconte son agression par Léon. C'est d'ailleurs là
que ma femme m'a dit que j'aurai dû me douter qu'il ne s'agissait
pas d'un homme, puisqu'il a écouté son récit et a
réalisé que jusqu'à présent il avait tourné
la tête lâchement. Je n'ai pas réussi à pardonner
d'avoir été volontairement trompée, d'autant que
j'aurais été très bon public pour une histoire d'amitié
entre une vieille femme, une petite fille et un chien traité comme
leur égal. J'ai l'impression que le lecteur est sous-estimé
et que l'auteure considère que sans la tromperie nous n'aurions
pas été capables de comprendre cette histoire d'amitié
sincère et tout aussi importante que les amitiés entre humains.
Je suis d'autant plus ennuyée de n'avoir
pas supporté le style du récit que j'en ai beaucoup aimé
le fond. Les sujets abordés sont très profonds et intéressants.
Les personnages sont bien construits et nuancés. L'histoire de
cette petite fille est passionnante, sa rage et sa détermination
sont fascinantes. Son refus de l'ordre établi permet de remettre
en perspective la situation de misère et d'asservissement de ce
groupe d'êtres humains à la vie si difficile. Je n'ai jamais
été autant heureuse d'être à jour de mes vaccins
et de vivre dans un pays qui possède la sécurité
sociale et l'abondance alimentaire. J'en conseillerai la lecture à
quiconque osera un "c'était mieux avant".
Le visionnage de l'entretien avec l'auteure à
La Grande Librairie m'a permis de mieux comprendre le rapport au
temps et aux animaux présent dans le livre, mais ne me l'a pas
rendu plus intelligible malheureusement.
Une lecture plutôt mitigée donc, sauvée
par ses personnages et par sa fin (une très jolie fin que de voir
le petit tyran accroché à un arbre les boyaux à l'air,
même si j'espérais un petit acte symbolique avec un autre
de ses organes que la pudeur m'interdit de nommer).
Bonne séance à toutes, et au plaisir
de vous retrouver la séance prochaine, sans tétanos, sans
famine et sans gelées !
Véronique
J'avais, avant notre choix, repéré
3 ou 4 livres de Sandrine Collette à la bibliothèque de
Bagnolet. Le premier ouvert comportait une scène horrible de naufrage
où une mère abandonne son enfant dans l'eau. Je me suis
dit que je ne pouvais pas lire ça, que c'était trop cruel
(Juste
après la vague).
Là, ça me convient mieux.
L'urgence du drame court tout le long du livre et. On se doute de quoi
il s'agit.
Je l'ai lu d'un trait dans le train. J'ai bien aimé.
J'ai apprécié les descriptions, la
façon de décrire. Il y a des répétitions,
oui, mais tout ce qui concerne la nature, les chevaux, c'est merveilleux.
Quand j'ai vu qu'il s'agissait d'un chien, j'ai pensé avoir mal
lu : ça m'a déstabilisée.
La petite fille est un personnage superbe. Ça m'a bien convenu.
Dans ce livre, il n'y a que des drames et peu de moments où ça
se passe bien.
Est-ce que j'en lirai un autre de cette autrice ? Je suis en tout cas
contente de l'avoir lu. Je le conseillerais.
Joëlle
C'est sûr, j'ai déjà
lu plus gai. Mais à part ça, c'était très
bien. Ce qui m'a plu, c'est la manière, plutôt que l'histoire.
La construction d'ensemble, la maîtrise de la narration, le travail
sur le style. Enfin, de la littérature, et de la bonne. Et comme
ce n'est pas une traduction, on peut apprécier le texte sans filtre.
La construction du suspense
Le prologue nous met en alerte, évidemment. Puis des petites touches,
des fausses pistes et une nette piqure de rappel dans la partie 3 : "Madelaine
dit qu'elle ne retournera pas à l'église, Ambre l'oblige,
par ces temps-là il n'est pas question de se faire montrer du doigt.
De toutes façons, ce n'est pas par là que la suite du malheur
arrive ; mais tous l'ignorent encore."
Les fausses pistes
1) Voir venir la catastrophe annoncée : le chevreuil braconné
? Mais non. Les événements climatiques, les famines, mais
non plus. Les morts ? Non, c'est banal dans leur quotidien. On attend,
on se demande, on ne voit pas vraiment venir, même si on suppose
que les Ambroisie pourraient bien être dans le coup. Ambroisie,
selon mon Robert = nourriture des dieux de l'Olympe, source d'immortalité.
Sandrine Collette me dit que le pouvoir féodal va se maintenir.
Il n'y aura donc pas non plus de jacquerie, comme j'aurais pu imaginer.
2) Identifier le narrateur des parties 1 et 2 : dans la première
phrase de la partie 1, "Je me tiens sur le pas de la porte à
côté de Rose et nous sommes là à écouter
les chiens qui aboient", je comprends qu'il y a une maison ou
une construction, que ce n'est pas Rose qui me parle, mais quelqu'un qui
l'accompagne. Évidemment, je n'imagine pas qu'il s'agit d'un chien,
puisqu'il y a "nous" d'un côté et "les chiens"
de l'autre. Le narrateur dit "nous" et fait partie de ce "nous"
au même titre que les habitants du village. Pourtant, quelque chose
ne collait pas. Il avait un regard surplombant sur les enfants, même
s'il était à leur côté. Son prénom (Bran)
n'était pas plus bizarre que Artaud ou Mayeul. Mais quand il faut
ramener le chevreuil, il reste avec Madelaine mais ne l'aide pas. Je me
posais des questions qui restaient sans réponse. Jusqu'à
ce que le chien soit tué en défendant Madelaine. Et là,
enfin, il a des pattes et une fourrure. Mais on est à peu près
à la moitié du livre
Des moments d'écriture formidables
- La mort du fils Ambroisie vue par lui-même (fin de la partie 3).
On est du côté de celui qui reçoit les coups, on nous
fait partager son incrédulité et la sensation de ralenti.
- Les événements climatiques, le froid, le gel. Leur effet
sur les humains et plus encore sur la nature et les cultures. La minutie
des descriptions ne les rend pas fastidieuses, mais captivantes. Ce sont
des passages que je lisais en apnée. Pour moi, digne de ma grande
référence, l'accident de la mine dans Germinal.
Presque parfait
Et puis c'est très bien écrit. C'est un récit qui
m'absorbe. L'écriture ne se borne pas à raconter, à
décrire. Elle évoque et m'oblige à comprendre, sans
trop m'expliquer. C'est toute la différence avec, par exemple
Nos Armes qu'on avait lu en début de saison et qui était
pour moi beaucoup trop explicatif.
Un regret tout de même : l'échange des jumelles trop expliqué,
trop vite. J'aurais préféré qu'elle laisse planer
le doute. J'aurais aimé patauger davantage.
Mais sinon, bravo !
Nelly
Au début, pour reprendre la suite après les remarques de
Joëlle, j'étais un peu paumée, avec les jumelles :
laquelle est mariée à qui ? Il m'a fallu parfois revenir
en arrière. Cela m'a gênée que dans ce roman classique
il n'y ait pas d'identification du lieu et de l'époque. Comment
ce système féodal s'est-il mis en place ? Cela ne m'a pas
foncièrement dérangée pour comprendre le déroulement
de l'histoire, mais je me suis posé la question.
J'ai beaucoup aimé le livre. Il m'a vraiment captivée. J'ai
été tout de suite absorbée. Il y a un suspense dès
le début. On sent que ça va être tragique. C'est bien
sûr à l'opposé d'un roman feel-good ! Mais il y a
un plaisir à suivre et se laisser happée par le suspense.
Néanmoins au bout d'un moment, j'en ai eu assez de tout ce malheur.
Un petit espoir ? Une belle récolte ? Eh bien non, il y a le gel
qui s'installe, interminable.
C'est très bien décrit. Mais que du malheur, ça plombe.
Les sentiments sont devinés, mais pas tellement évoqués
: pas d'expression du sentiment, ça m'a manqué. Cela ne
changerait rien à l'issue de l'histoire bien sûr, mais cela
ajoute de la noirceur.
Le chien comme chroniqueur ne m'a pas dérangée. C'est assez
original. Et assez logique. J'ai trouvé l'idée crédible.
La scène du meurtre m'a bouleversée. À la fin du
chapitre, j'avais besoin de de respirer. La description du corps de la
victime avec tout ce pathos, c'est horrible, comme dans un fait divers.
Et pourtant ce n'est pas du voyeurisme. Quelle est la volonté de
l'auteure en allant si loin ?
Paradoxalement, j'ai trouvé les derniers instants du frère,
puis de l'acceptation de sa mort, décrits avec nuance et une certaine
beauté.
Mon avis global est très positif.
Agnès
Pour
vous donner une idée de mon état d'esprit quand j'ai terminé
ce livre, je me suis intérieurement exclamé en le refermant
: "C'est du grand n'importe quoi !". Ce roman m'a énervée,
je crois que je l'ai détesté.
Je n'ai
aucun reproche à lui faire en ce qui concerne l'écriture,
riche, fluide, habile, maîtrisée.
Deux aspects de l'ouvrage m'ont même plu : la découverte
que le jeune garçon recueilli par Rose, la vieille femme, soit
en fait un chien, c'était une surprise adroitement amenée
et, rétrospectivement, j'ai beaucoup apprécié qu'elle
fasse de ce chien un narrateur de l'histoire (comme Virginia Woolf avec
Flush). Par ailleurs, j'ai trouvé saisissante et très
picturale, ou cinématographique, l'image des corps suspendus dans
les arbres qu'on ne peut pas enterrer à cause du gel.
Donc, hormis ces trois points positifs, ce livre m'a :
- tout d'abord beaucoup ennuyée - la description des malheurs de
ces deux familles est interminable, la misère, la faim, le froid,
la pluie, les morts, les mauvaises récoltes, la litanie n'en finit
pas. On se demande quand un événement va surgir, quand une
action va enfin nous sortir de cet ennui. 90 % du roman sont absolument
monothématiques. Le style est très descriptif, la forme
trop classique, les chapitres de présentation des lieux et des
personnages sont trop longs. Et que de noirceur. Je me suis vraiment demandé
ce que voulait nous raconter l'autrice.
- finalement fortement agacée - l'action se précipite à
la toute fin et c'est une accumulation de drames qui se succèdent,
le viol et le meurtre d'Aelis, son remplacement cousu de fil blanc par
Ambre, l'assassinat du fils du seigneur, de son cheval, l'exécution
des fils des paysans en représailles...
Bref, noir c'est noir, il n'y a pas d'espoir.
Je ne comprends absolument pas pourquoi ce livre a eu autant de succès
et des prix (Goncourt des lycéens entre autres).
Felina
J'avoue
avoir tenu bon dans ma lecture de ce livre uniquement grâce au prologue.
Ce dernier évoque un événement tragique inconnu,
et je pense avoir persévéré tout au long du roman
dans l'unique but de découvrir enfin cet événement.
Toute la première partie, où il ne se passe pas grand-chose
à part la description de la vie dure, de la misère, du travail
acharné dans les champs, de la famine, du froid... Durant cette
longue partie, je n'ai pas abandonné aussi parce que l'écriture
est riche, belle, poétique et évocatrice. Je m'y suis donc
un peu accrochée. Le rythme est lent, l'atmosphère très
sombre.
Puis, le choc de découvrir que le narrateur de la première
partie était un chien ! Je ne l'avais absolument pas compris...
Et puis enfin il y a la partie du livre qui raconte l'événement
annoncé dans le prologue et là, je n'ai plus réussi
à décrocher.
C'est un livre que je n'ai pas vraiment aimé, mais que je n'ai
pu quitter en raison du suspense.
Claire Bo
J'avais lu il y a 4 ans dans le cadre du club de lecture de
Violette & co Nuds
d'acier. Tu te souviens Aurore ?
Aurore
J'avais beaucoup aimé !
Claire
J'avais détesté ce livre pour sa violence et son sadisme
à la limite du supportable (un homme est capturé et enchaîné
dans la cave d'une ferme miteuse isolée, par deux frères,
des vieillards, qui font de lui leur esclave).
Mais l'ayant vue moi aussi à la télé aimant les animaux
(bien qu'un peu vaseuse sur les chiffres...), j'étais pleine d'allant,
pour la raison suivante : le livre a eu le prix Goncourt des lycéens,
faisant suite à Triste tigre, donc me voilà d'emblée
motivée !
En exergue, figure une expression latine dont je ne vois pas le sens après
avoir lu le livre : "Qui es in caelis" (notre père
"qui es au cieux").
Première page, aïe, un cliché : "rapide comme
le vent" et il court "à s'en déchirer la
poitrine", bon...
La construction m'a semblé au service de la tension, avec notamment
des "flashforward", comme
le prologue destiné à mettre en haleine et dont la suite
est page 213. Soit ! Va falloir que tu tiennes jusque-là, Sandrine
! Et de temps en temps une piqûre de rappel, comme l'a signalé
Joëlle
L'écriture m'a semblé efficace, avec de temps en temps un
terme un peu recherché, par exemple "le corps dévoré
par une violence qui n'a pas été harassée".
J'ai trouvé réussi le un coup de théâtre avec
la découverte de l'identité du narrateur du début
du récit p. 138, c'est une jolie surprise : mais il faut accepter
que Bran raconte en mourant..., ça ça craint. Quant à
la petite Madelaine, formidable, elle a du ressort et apprend à
manier la hache en deux coups de cuiller à pot : bon là
aussi faut gober.
Pour ce qui est de la scène déterminante de violence, je
n'ai pas compris pourquoi la famille n'avait pas caché le corps
du fils du seigneur, puisqu'apparemment personne n'avait vu le meurtre,
dit-on. Et l'enfant qui avait prévenu le père, ne savait-il
pas pourquoi on l'avait envoyé l'avertir ? Le père se prive
de son cheval, son outil de travail : ça va pas tête !
J'ai trouvé plutôt bien que l'époque reste floue historiquement
: bon, c'est le Moyen Âge, comprend-on peu à peu (et l'invention
de l'araire sera signalée p. 200, répandue en Europe - ai-je
cherché - entre le Xe et le XIIIe siècle). Une fois que
c'est clair, j'ai trouvé étonnant que l'église ait
si peu de place, alors qu'elle était quotidiennement présente
alors : je me suis mise à noter quand elle était évoquée
(p. 162, 175, 199, 224) ; j'ai trop senti que l'auteure ne la porte pas
dans son cur... au détriment de la vraisemblance historique,
pourtant bien travaillée pour ce qui est de la dureté de
la vie des paysans jadis.
À certains moments, il y a des sortes de réflexions sur
l'oppression des pauvres, p. 58-59-60 par exemple, et j'ai trouvé
ça assez plat. La vie est dure, tout y passe, on a droit à
tous les maux possibles pour bien comprendre.
J'ai lu le livre jusqu'au bout, sans difficulté, pendant un voyage,
d'une traite comme Véro. Pourtant, il ne m'a pas emballée.
Pourquoi ? J'ai trouvé qu'il y avait l'intrigue bien noire pour
faire vibrer le lecteur à la noirceur, mais c'est tout. En fait,
j'ai eu l'impression de n'avoir rien à me mettre sous la dent.
Un certain savoir-faire, mais au service de quoi ?
J'ai écouté des interviews après : oui, elle est
sympathique et agréable à regarder.
C'est un peu comme le
livre de Marion Brunet que nous avons lu : j'y ai trouvé un
savoir-faire et c'est un peu tout. Serait-ce parce que le "genre"
du polar ou du thriller est principalement fondé sur une intrigue,
une tension, un suspense, et que ça ne me suffit pas ? Un peu grossier
comme explication j'en conviens...
Laetitia
Une amie m'avait parlé de l'auteure, hyper enthousiaste, notamment
pour le roman On
était des loups.
J'étais ainsi très partante - étant
attirée en plus par l'univers des polars et thrillers - et j'ai
beaucoup aimé !
Les raisons principales de mon enthousiasme :
- Alors que j'évoque en général la forme après,
je mets cette fois, comme Joëlle, en premier avant tout, l'écriture.
Très sensorielle, précise, des adjectifs choisis, des rythmes
ternaires, des mots quelquefois "rares". J'ai entendu dire que
Sandrine Collette appréciait Marguerite Duras. Cela m'a éclairé
notamment dans l'expression des silences, "signifiants".
- J'ai trouvé la narration très habile. Dans les
deux premières parties, on se demande qui est "Bran"
et puis le début de la troisième partie nous révèle
la "personnification" du chien. J'ai trouvé le procédé
ingénieux et j'ai bien aimé me faire avoir, contrairement
à Marie-Yasmine. Le cheval est présent aussi. Les animaux
sont vus de façon sensible.
- La construction : discrète et efficace - en quatre parties
avec un prologue et une "chute" à la fin des parties
1, 2 et 3, un peu à la manière des séries. Il y a
du rythme et du suspense dès le départ. L'auteure sème
par ailleurs des indices, des éléments annonciateurs de
la tragédie finale : p. 80, la petite fille reçoit une "hachette"
de la part d'Eugène, certes pour la protéger mais
"En voyant la hache, elle s'éclaire. Nous ne saurons jamais
pourquoi l'outil lui semble si immédiatement familier, pourquoi
elle l'attache à son côté et ne la quittera plus.
Elle apprend à s'en servir, s'en sert pour tout, même ce
qui n'a pas besoin de hache. Elle est d'une habileté effrayante,
l'arme est un prolongement d'elle-même" (p. 80)
Ensuite, il y a l'épisode du chevreuil tué. Le lecteur sent
peu à peu le drame se rapprocher, via aussi les sons.
- Quant à la vraisemblance ? C'est pour moi un conte noir,
voire un "conte cruel", un peu à la manière de
"il était une fois". On note l'importance de la forêt
- très présente dans les contes - et Sandrine Collette
a d'ailleurs écrit Et
toujours les forêts. Le "fleuve Basilic", le village
"Les Montées", ce sont des noms inventés. Je ne
crois pas non plus à la dextérité de Madelaine avec
sa hachette. Il y a un côté intemporel, avec des éléments
réalistes mêlés à ceux du conte.
- La Nature est un personnage à part entière ; l'écriture
rend très bien compte des odeurs, bruits, du froid, des blés,
du travail de la terre etc. Télérama évoque
"un roman noir et sensoriel".
- La violence est partout : des grands espaces et des huis clos
très étouffants ; l'auteure évoque par ailleurs beaucoup
le froid, la famine (cf. l'expression "fille de faim"),
la maladie (Artaud) ; la question du viol ; la dimension sociologique
à travers les Maîtres - dominants - et les paysans.
- Madelaine : elle est intéressante même si encore
une fois je ne trouve pas ses capacités vraisemblables C'est elle,
la "petite", qui change les vies de tous. Elle est en colère
et veut la justice. Je suis intriguée par la dernière phrase
du livre "
et elle se met à rire" : comme
si elle si elle nous disait "je vous ai bien eus".
En conclusion, c'est pour moi un roman bien écrit qui emmène
le lecteur dans une histoire prenante. L'invraisemblance ne m'a pas gênée.
C'est un coup de cur.
Claire Bi
Le livre m'a plu. Il m'a fallu environ 100 pages pour vraiment entrer
dedans, l'écriture ressemblait un peu trop à celles d'autres
publications de ces dernières années (Cécile Coulon,
Wendy Delorme, Clara Dupont-Monod par exemple), à la fois fluide
et âpre, douce et brutale, une succession de tableaux distancés
avec peu de dialogues. L'aspect conte m'a bien plu, que d'autres Lirelles
ont relevé : l'époque et le lieu assez indéterminés
avec des noms imaginaires et des invraisemblances qui ajoutent de l'étrangeté.
Mais jusqu'à la 100e page, j'avais un peu l'impression d'avoir
déjà lu des histoires comme celle-ci, je voulais être
surprise par le texte.
Et puis c'est arrivé, quand elle nous emmène sur l'idée
d'une possible transgression du groupe de l'ordre social qui semble aussi
immuable que le cycle des saisons. Je me demandais si elle partirait sur
une jacquerie amenée peu à peu, avec l'épisode du
chevreuil braconné par Madelaine et mangé par la famille
("Mais cela est resté en nous. Nous avons transgressé
quelque chose. Nous sommes des dieux et des misérables, nous avons
osé sans en avoir l'étoffe, sans en assumer les conséquences
(...) nous avons mangé la viande et nous sommes vivants. C'est
cela qui nous marque plus que tout, la surprise qu'on puisse enfreindre
les règles sans qu'il arrive quoi que ce soit"), avec
ce personnage de Madelaine qu'elle décrit comme un détonateur,
un élément extérieur plus qu'un vrai personnage d'ailleurs.
L'arrivée de la famine et du froid m'a happée, qui anéantissent
la pensée, amènent au constat que quand quelqu'un meurt
- ce qui est vécu différemment d'aujourd'hui, comme la mortalité
infantile - c'est une bouche de moins à nourrir ("pleurer
érode encore un peu la vitalité qui fait tant défaut").
La description de la famine et du froid monte dans un crescendo que j'ai
trouvé sidérant et qui m'a happée.
J'ai trouvé les personnages d'hommes plus travaillés que
ceux des femmes. Ce regard d'une autrice sur l'intériorité
de personnages masculins m'a bien plu. Eugène, que son devoir a
obligé à rester après la mort de son frère
ainé alors qu'il aspirait à partir, sa volonté d'insoumission
aux seigneurs par le travail de débardage, ses sentiments pour
Ambre, les risques inédits qu'il prend pour protéger Madelaine,
sa droiture et sa vision du destin. Germain, l'aîné de la
génération suivante qui lance toutes ses forces physiques
et mentales dans la culture de sa terre, son angoisse de l'incontrôlable,
ses rapports à la souffrance ou à la beauté pages
180-181. L'auteure insiste à deux, trois reprises sur le moment
où on atteint les limites de ce qu'on peut penser avec le cadre
de référence que l'on a. Avec les questionnements et associations
d'idées que ces deux personnages - notamment, deux chefs de famille
- tentent de faire pour rendre ce qu'ils vivent intelligible, supportable.
J'ai dû poser le livre pendant l'épisode de l'agonie du frère
et son impact sur la famille, aussi insoutenable que magistralement mené.
La façon de nous faire entrer dans l'intériorité
de paysans taiseux du passé m'a fait penser à La
Table-aux-Crevés de Marcel Aymé, que je vais sans
doute relire du coup.
Bref le Goncourt des lycéens, toujours une bonne pioche ! J'irais
écouter des captations d'échanges entre l'autrice et eux.
Patricia
Petite anecdote : ma sur qui m'a offert
le livre à Noël est fan de Sandrine Collette et de plus c'est
sa voisine ; elle la voit souvent au marché d'Étang-sur-Arroux.
D'après elle, c'est quelqu'un de tout simple.
J'ai regardé l'émission la Grande Librairie après
avoir lu le livre. Cela faisait quelques mois que je l'avais lu. Malgré
les nombreux livres qu'elle a écrits, tout ce qu'elle a dit dans
son interview, je l'ai bien retrouvé dans ce livre, l'attachement
à l'enfance, aux animaux, la nature, la forêt, la dureté
du monde rural, le fait que dans la noirceur de la vie, elle cherche à
y montrer, malgré tout, de la lumière.
Dans Madelaine avant l'aube, la lumière vient des enfants,
en particulier de Madelaine. Elle veut montrer l'insouciance des enfants,
qui travaillent dur malgré leur jeune âge, dans l'espoir
d'une meilleure vie pour leurs parents et pour eux. C'est avant qu'ils
ne perdent définitivement toutes leurs illusions, avant qu'ils
ne deviennent adultes (d'où le titre "avant l'aube" peut-être),
C'est ça qui est le plus triste.
C'est le premier livre que je lis d'elle et franchement, j'ai été
bluffée.
J'ai beaucoup aimé son écriture fine pleine d'empathie et
d'humanité, chaque détail a son importance, c'est bien ficelé,
elle nous emporte. On a du mal à le lâcher. J'ai même
versé ma petite larme à un moment, je ne me souviens plus
à quel moment.
À mon avis c'est une des meilleures autrices françaises
de son temps, digne de Victor Hugo. Comme a dit Joëlle, "enfin
de la vraie littérature !"
Son empathie vis-à-vis des animaux, elle la montre en mettant le
chien comme narrateur dans la première partie du roman jusqu'à
la mort du chien page 137. J'ai trouvé cette idée de construction
géniale. L'histoire tenait grâce au chien. À partir
de là, il n'y a plus de narrateur. Le fait aussi, qu'elle nous
tienne en haleine dès le début, on sait qu'il s'est passé
un grand malheur mais on ne sait pas quoi, on l'apprend assez tard dans
le livre. C'est bien fait car pas ennuyeux du tout.
Il y a de très belles scènes de solidarité et de
générosité. Certes le roman montre des scènes
horribles, voire atroces. La dureté des hivers, la maladie, la
famine, les scènes de viols, la peur, la vengeance, la domination
des maîtres (comme dictateurs) qui ont tous les pouvoirs sur le
petit peuple. Heureusement, il y a toujours la résilience, pas
le temps de s'apitoyer tant il y a du travail pour sauver la famille.
Par vengeance et pour défendre sa famille adoptive, Madelaine devient
un monstre, sa mère adoptive aussi devient un monstre, elle tue
le cheval du fils du maître de façon atroce en voulant sauver
Madelaine. On y voit de quoi les gens, même les plus doux, sont
capables pour sauver les leurs.
Pour reprendre quelques commentaires du groupe, ça ne m'a pas dérangée
du tout les quelques invraisemblances et de ne connaître le lieu
et l'époque. Comme dit Laëtitia, c'est comme une sorte de
conte. À mon avis, les répétitions qu'on trouve dans
le livre sont voulues pour accentuer les propos, sans être lourdes
du tout.
Elle laisse le flou dans la fin de l'histoire, chacun peut interpréter
à sa façon. Que va devenir Madelaine ? Y aura-t-il une suite
(Laetitia nous a fait remarquer la dernière phrase du livre)
?
Conclusion : j'ai adoré et j'ai hâte de lire d'autres livres
d'elle !
Aurore
Waouh, quelle claque ! Je savais que je risquais d'aimer ce roman, même
si le résumé ne me tentait pas plus que ça ; je ne
pensais pas que j'allais autant l'aimer !
Il est très bien écrit, les descriptions sont extraordinaires,
on a l'impression qu'il ne se passe pas grand-chose dans cette contrée
indéterminée, dans un temps tout aussi inconnu.
Une contrée pauvre et souvent figée par le froid, qui subit
les assauts du climat et des propriétaires terriens.
Pourtant, quelques petits événements surviennent au milieu
de ce paysage enneigé ; quelle surprise aux deux tiers du livre
! J'ai dû relire la première partie parce que j'ai eu peur
de ne pas avoir été assez attentive ; j'ai été
très émue par ce tournant inattendu de l'histoire. Je suis
rarement autant tombée dans le panneau dans un récit, bravo
à Sandrine Collette !
Tout est noir, tout est sombre (sauf la neige de l'hiver qui dure une
éternité), les éléments tragiques se succèdent,
le récit ne laisse pas le lecteur indifférent. La nature
se ligue contre les bêtes, contre les hommes, les hommes se liguent
contre les hommes et contre les femmes.
J'ai beaucoup aimé la construction, simple mais efficace (le début
qui annonce la fin, l'arrivée soudaine de Madelaine qui va conduire
à la catastrophe, on le sait, les éléments distillés
qui annoncent cette catastrophe à venir, la tension du récit
qui nous laisse croire que toutes les actions entreprises par les personnages
sont vaines car la catastrophe est inévitable).
L'écriture est majestueuse : les métaphores animales et
relatives à la nature sont époustouflantes de par leur double
sens.
Et la fin ? Aussi noire et cruelle que le reste.
Un coup de cur, mais comment une autrice aussi agréable peut-elle
écrire des livres aussi noirs ?

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