Zoyâ PIRZÂD en Iran nécessairement voilée

Le Goût âpre des kakis, nouvelles traduites en 2009 du persan (Iran)
par Christophe Balaÿ

Livre de poche, 2012, 216 p.


Zulma
, 2009, 224 p.


Quatrième de couverture
 :

Un bassin, des massifs de roses et un plaqueminier donnent de quoi faire au jardinier d'une vieille dame qui, depuis la mort de son mari, se sent très seule et en danger dans sa grande maison au cœur de la ville. Les fleurs donnent des fruits, les kakis mûrissent et elle ne se prive pas d’en offrir, notamment à son locataire. Des liens subtils se tissent entre eux, que vient troubler l’apparition d’une fiancée…
Comme dans ses autres recueils de nouvelles, Zoyâ Pirzâd explore avec subtilité, lucidité, tendresse et une certaine nostalgie les chassés-croisés de la vie amoureuse.
Kaléidoscope, facettes distinctes d’un même objet : le couple. Mais le couple en ses murs, fracassé aux parois de l’Iran d’aujourd’hui, écartelé entre modernité et tradition. (Xavier Lapeyroux, Le Monde diplomatique)

(En vidéo : Lecture de la nouvelle "L'harmonica" par le comédien Bernard Bollet, Musée Guimet, 7 décembre 2020, sur facebook)

Zoyâ PIRZÂD
Le goût âpre des kakis (1997, traduit en 2009)

Nous avons lu ce livre pour le 2 avril 2021.
Il comporte cinq nouvelles :
- "Les taches"
- "L'appartement"
- "Le Père-Lachaise"
- "L'harmonica"
- "Le goût âpre des kakis"

DOC autour du livre en bas de page
 

Nos 13 cotes d'amour

Monique L(avis transmis)
Ces petites nouvelles sont bien écrites mais ne m'ont pas intéressée.
La question que je me pose : est-ce représentatif des couples iraniens dans les années 60 ? Toutes ces personnes maniaques ? Le goût pour des intérieurs surchargés ?...
Les deux nouvelles que j'ai malgré tout appréciées sont celle de l'appartement et les deux femmes si différentes et celle qui a donné son nom au recueil bien que la fin m'ait laissée en suspens.
J'ouvre au ¼. Voici mon avis très rapide car je n’ai pas goûté aux charmes iraniens (s’il y en a ?) de ces nouvelles.
Bonne soirée à vous tous.
Fanny(avis transmis)
Avis partiel ce soir, j'ai lu "Les taches", "L'appartement" et "Le Père-Lachaise".
Je suis très partagée sur mon ressenti. Je trouve le style d'écriture agréable et à chaque début de nouvelle, je suis saisie par l'accroche. Cependant au bout de quelques pages, il se produit toujours le même phénomène : je perds le fil, je m'emmêle dans le nom des personnages, je suis même parfois dans la confusion entre les différentes nouvelles.
D'un point de vue personnel, beaucoup de relectures de travaux d'étudiants impactent mon temps de lecture, mais aussi ma disponibilité pour me laisser happer par le récit, mais justement je pensais que le format nouvelles serait particulièrement adapté à cette période.
Je me demande aussi s'il n'y a pas pour moi un problème de rythme, comme si chacun des récits était soit trop long (l'intérêt recule passé l'accroche du début) ou trop court (pour avoir le temps de s'attacher aux personnages et d'être tenue en haleine par le fil narratif).
Je vais poursuivre ma lecture jusqu'au bout, et sans déplaisir pour autant. J'ouvre ½.
Bel échange virtuel à vous.
Manuel(avis transmis)
Quel bonheur ces cinq nouvelles traversées d’une forme de mélancolie.
Ma préférée est "Le Père-Lachaise" dont l’intrigue se déroule sur plusieurs années. Proust est cité (Minouche veut le lire en français) et une découverte à faire, Sadegh Hedayat. Morad est cinéphile : Fellini Roma, La Grande Illusion. Il se faisait une idée de Paris grâce au cinéma (p. 122 : j’ai l’impression qu’ici rien n’a changé depuis la Seconde Guerre mondiale !). J’aime ce parallèle entre le cinéma et la littérature : la possibilité de s’ouvrir au monde. Sa femme rejette d’une certaine façon un fiancé traditionnel pour se tourner vers Mourad. Serait-ce une forme de progressisme ?
Les saules, les plaqueminiers, la neige à Téhéran, la nature est présente dans toutes les nouvelles.
J’aime que ces nouvelles n’aient pas d’unité de temps. L’auteure s’en sort haut la main dans tous ces récits de quelques pages. Voilà, j’ai aimé cette lecture dépaysante. J’ouvre aux ¾. Je vous invite à regarder le doc sur Arte La Longue guerre Iran-Israël (1/2 et 2/2) ; le Shah n’était pas un tendre.
Quelqu’un connaît un bon resto iranien ?...
Séverine
C'est drôle parce que je ne savais pas que c'étaient des nouvelles et j'avais seulement lu la deuxième de couverture, donc je ne comprenais pas en lisant la première nouvelle pourquoi le fameux jardinier évoqué dans cette deuxième de couverture tardait à arriver… Bref, je dois dire que le temps passant, les trois premières nouvelles se confondent, s'embrouillent, mais il persiste une atmosphère, un lien entre toutes ces femmes sorte de desperate housewives. On est dans une littérature de l'intérieur, le "foyer", le monde ménager y est important. Je trouve que l'auteure rend subtilement, par touches, le quotidien de ces femmes iraniennes, coincées entre liberté et carcan familial. J'ai beaucoup aimé la nouvelle "L'harmonica" qui se passe, cette fois, avec des hommes ; je les ai trouvés touchants. Et pour moi, la dernière nouvelle qui est très différente est une version moderne du conte des Mille et une nuits, on ne sait pas trop quand ça se situe : il y a un côté lointain et par certains "indices", on comprend que c'est tout de même contemporain. Et là encore, la maison, l'intérieur reviennent comme le thème majeur.
Puis j'ai lu le roman C'est moi qui éteins les lumières : j'ai été absorbée par la lecture de ce livre qui raconte la vie d'une femme au foyer dont le quotidien, rythmé par le départ au travail de son mari, le retour des enfants de l'école, les visites de sa mère et de sa sœur en quête d'un mari, est bouleversé par l'arrivée de nouveaux voisins : un collègue de son mari, sa mère et sa fille, copine de ses enfants. Elle va être attirée par ce veuf, intriguée par sa mère… C'est une belle découverte ! J'ouvre ¾ le livre de nouvelles, qui a été balayé par le roman que j'adore et que j'ouvre en grand. J'aime beaucoup la sélection de Zulma et ça me confirme que l'on est rarement déçu par leur catalogue.
Françoise
J'étais contente de lire un livre de chez Zulma que j'aime beaucoup. Je n'avais pas vu non plus vu que c'étaient des nouvelles et j'ai malheureusement été refroidie quand je l'ai compris. Je ne suis pas très enthousiaste. Il ne va pas me rester grand chose de ces histoires de couples.
J'ai été mal à l'aise du fait que ces histoires sont hors contexte, cela m'a rappelé quand nous avions lu Ami de ma jeunesse d'Amit Chaudhuri où il est bien gentil à Bombay ; à part la mention du Taj, on ne sait rien, ignorant totalement son environnement. Là j'ai eu la même impression, et ça m'a posé problème, ces femmes d'une certaine classe sociale avec aucune allusion à la condition de la femme en Iran. Je ne comprends pas qu'elle ne voie que ça, qu'elle ignore le reste. Je comprends que ce ne soit pas son projet mais ça semble tellement "hors sol".
Ça se lit bien, mais aucun personnage n'est particulièrement attachant. Je suis restée sur ma faim. Pourquoi ce livre, j'ai pensé. Ouvrir un quart ? Mais non, je ferme.
Rozenn
Je n'ai lu que la première nouvelle, je ne sais pas pourquoi parce que j'aime les nouvelles et la première nouvelle m'a beaucoup plu. Elle m'a surtout déconcertée : je l'ai trouvée assez fascinante, on ne sait pratiquement rien sur les personnages et pourtant ils existent. Je n'ai pas trouvé que la femme était émancipée, faisant tout ce que l'autre lui disait. Dans l'écriture, dire si peu sur les personnages et arriver à ce qu'ils existent et qu'il y ait des interactions, il y a quelque chose de très fort.
Après je me suis intéressée à la Commune et aux échecs et avec la pandémie, je n'arrive pas à gérer mon temps qui est élastique. Tout à coup je me suis dit je vais le finir, ça va j'ai la journée et puis la journée est passée... mais je vais certainement lire le roman que tu as aimé : C'est moi qui éteins les lumières.
Comment j'ouvre ? Je n'ai donc pas lu jusqu'au bout alors que ça me plaisait. J'ouvre en grand concernant un cinquième du livre pour cette première nouvelle parce qu'elle me pose problème, elle m'intrigue.
Geneviève
Toutes les conditions étaient réunies : j'aime les nouvelles, j'aime le titre, j'apprécie les éditions Zulma et je suis intéressée par l'Iran. Or je suis un peu déçue. Je n'ai pas été accrochée du tout par la première nouvelle. Je trouve ça décevant, un univers fade, un peu désuet. Certes je m'attendais au thème de la domination des femmes par les hommes, mais c'est traité de manière très conventionnelle, sur le thème de de l'incommunication. Je n'ai pas non plus été convaincue par le format, à mi-chemin entre nouvelle et roman, avec un fil conducteur ténu. J'ai été plus tenace que Rozenn puisque j'ai lu jusqu'à la quatrième nouvelle. Les personnages d'hommes sont peu intéressants, presque squelettiques, seule la relation mère-fille et l'univers des relations entre femmes en général m'ont parfois paru intéressants.
Et puis dans la traduction bien les choses m'ont gênée : par exemple il y a une tache sur une robe de chambre et quand la tache est enlevée, il s'agit en fait d'un manteau. On dégraisse le jus d'hibiscus et ensuite on parle de détachage : détachage n'est pas dégraissage ! La femme décrit ce qu'elle aime chez son mari et ce sont ses cheveux à elle qu'on décrit ! Ces exemples sont comme de petits cailloux dans la lecture et discréditent l'histoire, ce qui empêche de s'installer dans la lecture. Je n'ai donc pas accroché, sauf pour l'atmosphère de femmes dans le chapitre "L'appartement". J'ouvre ¼, ce qui est rare pour moi ; j'en ai lu quatre, ayant eu l'impression d'avoir fait mon devoir.

Annick L
J'ai été très déçue aussi. J'étais pourtant très heureuse de lire des nouvelles d'une Iranienne, j'adore les nouvelles, je me réjouissais, à l'avance, de faire une plongée en Iran.
Mais j'ai trouvé ce recueil un peu fade et j'ai rarement accroché, à part la dernière nouvelle où il y a une cohérence, dans ce petit monde à part, et une continuité autour de cette vieille dame qui fait venir un locataire - on peut suivre son évolution, rythmée par des personnages qui vont entrer et sortir de sa vie, donc j'ai apprécié davantage.
Pourtant la première nouvelle commençait bien et j'ai souri de ce stéréotype de femme obsédée par le ménage, le nettoyage et les taches en tout genre, le personnage est campé de façon efficace. Dans la seconde, "L'appartement", j'ai été perturbée par la reprise de l'évocation du saule pleureur, en relisant j'ai compris que deux personnages, très contrastés, s'y croisaient. Mais cette difficulté éprouvée me fait dire qu'il manque un élément dans la structuration du récit : ça flotte.
En plus, comme Françoise, j'ai trouvé dommage qu'à aucun moment ces histoires ne fassent écho au statut des femmes en Iran et au poids de la dictature religieuse. J'ai lu un entretien dans lequel cette auteure rejette tout ancrage politique. C'est son choix. Mais ça m'a laissé sur ma faim, j'attendais autre chose. J'ai pensé au film La séparation où on était plongé dans l'Iran actuel, avec ce conflit douloureux entre tradition et modernité, j'avais beaucoup aimé et j'étais curieuse de replonger dans ce monde-là. Mais ces histoires sont racontées sans ancrage dans un contexte. Du coup je n'ai pas eu envie de lire un roman de cette auteure parce qu'elle ne m'intéresse pas, je m'arrêterai là…
Pour la première et la dernière nouvelle et parce que c'est facile à lire (une nouvelle chaque soir) j'hésite à l'ouvrir entre ¼ et ½… Choisissez pour moi !

Séverine
Un demi ! Un demi !
Annick
Désolée Séverine mais, que ce soit sur le plan littéraire ou sur le sujet des femmes en Iran, je vais m'arrêter à un quart.

Rozenn
On peut pas reprocher à un auteur de ne pas traiter le livre qu'on voudrait lire

Annick
Je suis d'accord, mais...

Françoise
Moi aussi je suis d'accord, mais c'est l'intérêt du lecteur qui intervient.

Annick
Dans notre groupe on part de notre ressenti, c'est éminemment subjectif ce que je dis. Et quand on commence un livre, on a des attentes.

Claire
Vous parlez Annick, Geneviève d'aspect désuet, vieillot, vous pensez à quoi ?

Catherine
Quelqu'un a parlé des années 60, mais pour moi ça se passe bien plus tard.

Geneviève
Oui, ça a été publié en 1997. Ça me fait penser à un univers des Choses de Perec, d'accumulation d'objets, malheureusement sans le talent de Perec !

Séverine
Des objets très kitsch à la mode orientale...
Laura, entre et
Je me disais justement il y a peu qu'il fallait que je lise des ouvrages d'auteurs ou d'autrices étrangers, autre qu'américains ou anglais. Ma phrase sonne un peu comme s'il fallait que je découvre la partie "exotique" du monde. Mais c'est bien cela, d'une certaine manière : ouvrir les yeux sur le monde, sortir de l'occident, se faire une idée, même si minime, de ce qu'est l'art littéraire d'une culture différente. Du coup, j'étais contente de lire l'ouvrage, et j'en ai un peu parlé autour de moi. Surtout que je trouve la forme assez intéressante : des nouvelles, courtes ou longues selon les points de vue, permettent de s'attacher aux personnages, de rentrer dans l'histoire, mais de nous en faire sortir aussi soudainement, par force. Alors que, personnellement, j'y restais accrochée. Tellement que j'ai confondu l'histoire de deux nouvelles : mon esprit était encore dans "L'Appartement", alors que je lisais "Le Père-Lachaise". J'ai mis du temps à comprendre cette nouvelle, car j'ai mis tout autant de temps à me rendre compte que les deux protagonistes n'étaient pas cousins. Mais mis à part ça (j'ai ri de mon étourderie), j'ai vraiment apprécié les sujets, qui vont ce qui nous est le plus connu (du moins le plus médiatisé), c'est-à-dire une sorte de soumission des épouses aux maris, jusqu'au moins médiatisé, comme la vieillesse et la solitude ; en passant par la pure gentillesse-douceur-acceptation du mari pour sa femme. Le recueil a été publié en 1997, mais je me demande ce qu'il en est aujourd'hui, 24 ans après, en Iran ; est-ce plus occidentalisé ? (Je ne dirai pas "évolué", j'ai eu cours sur l'ethnocentrisme, même si je n'en pense pas moins quant à la place des femmes). C'est étonnant comme beaucoup ne semblent pas heureux dans les rôles qu'ils jouent. Je pense ici à la dame de la cabine téléphonique (je ne sais plus quelle nouvelle), qui explique qu'elle pense tout bien faire, le ménage, le repas etc. Mais que son mari n'est jamais satisfait et crie toujours. Quel rôle doit-elle jouer alors ? Si elle prend de l'indépendance, cela n'ira pas, et ce qu'elle fait ne convient pas non plus. En réalité, ce qu'elle est ne convient pas et ne conviendra, semble-t-il, jamais ; car, d'une certaine manière, chercher à savoir ce qu'il faut faire pour que le mari cesse d'hurler, c'est encore une fois agir selon ses ordres et ses désirs. Bref, il y a tiraillement entre ce que la femme est et ce qu'elle doit être. Être femme au foyer et s'y sentir bien ne convient pas (Simine), être indépendante et avoir un boulot ne convient pas non plus (Mahnaz). C'est vraiment une sorte de gêne que j'ai ressenti tout au long du bouquin, sauf pour la dernière nouvelle, que d'ailleurs je n'ai pas apprécié, contrairement aux autres. Mes propos sont bien entendu à améliorer, affiner, je ne suis pas spécialisée en philosophie de la culture et encore moins en philosophie féministe. En bref, c'est un ouvrage que j'ai apprécié, il n'est pas transcendant, mais reste un bon moment de lecture et de découverte.
J'ouvre entre ½ et ¾, car je ne me vois pas l'ouvrir aux ¾, ce qui est beaucoup, mais ½ ce n'est pas assez.
Catherine (qui n'avait lu qu'une nouvelle et demie lors de nos échanges et qui, deux jours après notre séance, en a lu quatre sur cinq)
J'ai récupéré le livre la veille de notre rencontre et donc je ne l'ai pas fini, il me manque la dernière nouvelle. Dommage car c'est elle qui donne le titre du livre et dont parle le quatrième de couverture. Mais même ainsi, globalement j'ai aimé ce livre. J'apprécie les nouvelles, mais c'est un art difficile ; et ici je trouve qu'ici c'est assez réussi. Les nouvelles successives nous permettent de pénétrer dans l'intimité de couples modernes d'Iran, sans doute d'un milieu plutôt bourgeois, vivant à Téhéran. J'ai bien aimé le côté esquissé, l'atmosphère ; les chutes des histoires. Beaucoup de choses sont suggérées plutôt que dites ; il faut être un peu attentif pour ne pas perdre le fil. Les personnages sont plus caricaturaux au début ; ce qui les rend plutôt drôles ; en particulier celui de la femme qui devient de plus en plus experte dans l'art de détacher les vêtements alors que son couple se détériore ; et celui du mari maniaque qui met des gants blancs pour traquer la poussière. C'est drôle mais assez grinçant en même temps, voire un peu flippant. Il y a un chassé croisé entre les deux couples qui se succèdent dans l'appartement, le saule pleureur les reliant entre eux ; et j'ai trouvé cette transition assez réussie. La nouvelle que j'ai préférée est "le Père-Lachaise" ; c'est d'ailleurs le couple qui fonctionne le mieux et la femme la plus autonome. J'ai bien aimé la petite escapade parisienne, assez inattendue ; je ne connaissais pas du tout, même de nom, l'écrivain Sadegh Hedayat, et je savais encore moins qu'il était enterré au Père Lachaise.
C'est un livre intimiste, les personnages féminins sont traités avec beaucoup de subtilité. Je l'ai trouvé bien écrit; je suis contente d'avoir découvert cette auteure et Séverine m'a donné envie de lire le roman C'est moi qui éteins les lumières. J'ouvre aux ¾.

Renée
La première nouvelle "Les taches" m'a exaspérée : je déteste cette écriture cinématographique et cette fée du logis, Leila, est exaspérante aussi. Ça commençait mal, je me suis dit je suis tombée dans un piège, ça ne ma plaît pas du tout.
Après ça s'arrange un petit peu heureusement. Elle nous présente divers types d'Iraniennes, des femmes un peu tiraillées entre tradition et modernité. Ce qui m'a plu, c'est que c'est divers, c'est agréable à lire, avec des fins ouvertes.
Mais c'est une description de femmes iraniennes de milieu petit-bourgeois et qui ne s'occupent absolument pas de ce qui se passe en Iran. Je voudrais paraphraser Bertrand Blier qui a dit "Hilter connais pas", là c'est "ayatollahs connais pas". La loi islamique elle sait pas ce que c'est, les fillettes voilées et mariées à 9 ans elle sait pas ce que c'est, les femmes répudiées elle sait pas ce que c'est, les quatre épouses autorisées elle sait pas, les femmes provisoires pour quelques jours ou quelques mois elle connaît pas, l'homosexualité réprimée elle connaît pas.

Claire
Tu aurais voulu qu'il y ait une nouvelle par thématique que tu viens d'énoncer ?...
Renée
Peut-être pas, mais au moins des allusions. Elle veut être éditée, donc elle se censure elle-même ; aucune allusion aux vrais problèmes. J'ai été très très déçue. Je l'ouvre quand même à ¼, parce que, bon, c'est pas mal écrit, mais non, j'ai pas accroché du tout du tout, un quart donc.
Jacqueline  
Je l'ai lu d'une traite il y a plus de 8 jours et j'ai déjà beaucoup oublié, J'aime bien le format de la nouvelle. Je n'ai guère le souvenir qu'il y ait des chutes étonnantes, sauf pour "Le père-Lachaise", alors que c'est un des charmes de la nouvelle. Il s'agit plutôt de tranches de vies de femmes persanes (Comment peut-on être persan ? Je me souviens d'un voyageur, relativement récemment en Iran, qui s'étonnait de l'impression qu'il avait eue de gens comme tout le monde !)
De ce livre il me reste le sentiment de quelque chose de délicat, où les sentiments sont plus suggérés qu'énoncés mais il faudrait vérifier.
Les notes du traducteur, qui est un universitaire (merci Claire pour la doc !) sont parfois très intéressantes (par exemple ils permettent d'appréhender ce qu'il y a de traditionnel un peu suranné dans l'aménagement du sous-sol et du jardin du pavillon de la nouvelle-titre).
J'aurais cependant aimé qu'il soit plus au fait du vocabulaire français de l'environnement ménager. J'ai un peu tiqué sur réclame pour publicité, un terme qui m'a rappelé mon enfance mais un peu vieillot. Je me suis interrogée sur cette "banque" qui revient plusieurs fois dans l'univers de la cuisine en imaginant d'après le contexte qu'il s'agissait de "plan de travail", peut-être de "paillasse". Comme je ne parle pas du tout anglais, je me suis demandé si c'était un anglicisme, j'ai trouvé que "bank" pouvait être le rivage, mais rien sur les éviers, pourtant ça pourrait être une jolie métaphore de ses bords…
Toujours dans la nouvelle-titre, j'ai eu un peu l'impression que la description de la maison, comme "l'escalier en colimaçon qui s'envolait" relevait un peu d'une rédaction de cours moyen, genre appliquée quand on évite les répétitions. Je me suis demandé si cette impression tenait à l'écriture de l'auteur ou relevait de la traduction envers laquelle j'avais déjà quelques reproches….
J'ai lu facilement, avec empathie pour ces femmes. J'ouvre à moitié.
Claire
J'ai commencé Le goût des kakis avec appétit et ai rencontré immédiatement de grandes difficultés : je n'ai rien compris à la première nouvelle, n'ai pas été intéressée par la deuxième ; j'ai démarré sur les chapeaux de roue avec la troisième, "Le Père-Lachaise", j'ai fini le livre conquise, puis suis revenue au début et ma lecture a été alors complètement différente. J'ai aimé :
- la longueur des nouvelles (ni trop, ni trop peu), et ces chapitres à l'intérieur, sobrement numérotés
- un certain humour
- l'aspect elliptique qui oblige le lecteur à s'investir (c'est ce qui a fait obstacle au début pour moi, le livre m'a saisie dans toute ma bêtise passive), à capter l'implicite (l'humour en fait partie), à construire le récit : ainsi, la première nouvelle avance à travers le dialogue, impossible de se laisser aller
- les ruptures temporelles sont nombreuses, sans prévenir, d'un temps à l'autre, d'un espace à l'autre - j'ai trouvé cela remarquable - avec quelques indices parfois, comme le corbeau qui ponctue la nouvelle "L'appartement" ou encore quand on saute d'une scène d'un film à une scène de la réalité sans aucune transition
- les chutes sont pour certaines agréablement frustrantes, laissées en suspens, comme dans "Le Père-Lachaise" ou "L'harmonica"
- les personnages des femmes ont pour moi du relief : compagnes, mères ; des hommes aussi sont attachants, dans "L'harmonica"
- ce qui m'a étonnée aussi, c'est la modernité par rapport aux représentations que nous pouvons avoir de l'Iran : comme dit Jacqueline, ils sont "comme nous". On est aussi bien dans un jardin traditionnel qu'avec Fellini Roma, Alain Delon, La Grande Illusion, la maison de Balzac et la tombe de Proust. J'ai été étonnée de ne pas voir mentionné le voile ou la religion ; si quand même, mais peu : on évoque le pèlerinage d'une femme et le tchador d'une autre ; mais on se trouve beaucoup à l'intérieur où les femmes peuvent être "en liberté". La polygamie aussi est mentionnée, un homme ayant une deuxième épouse. Il est irréaliste de penser comme Renée qu'elle aurait pu mener ses nouvelles sur les ayatollahs, l'homosexualité, le mariage des petites filles à 9 ans..., sauf à se retrouver en prison. J'ai entendu il y a quelques mois au Festival vo l'écrivain iranien Ghazi Rabihavi (qui fut incarcéré et interdit par l’Association des Écrivains d’Iran), expliquer que la censure (des mœurs) empêche de faire dire à un personnage à son épouse "je te fais un café", donc ces critiques à l'intention de notre auteure me semblent choquantes. Il s'est exilé à peu près quand Zoyâ Pirzâd écrivait les nouvelles que nous avons lues :

"Quand j'ai quitté le pays, je n'étais pas seulement interdit de publication mais menacé physiquement, et six mois après mon départ, des assassinats d'écrivains ont eu lieu en chaîne, les corps de mes amis disparus étaient jetés dans le désert." (voir ici)

L'écriture est centrée sur la vie des femmes et pas dans une démarche victimaire dénonciatrice ; j'aime bien quand Zoyâ Pirzâd dit dans une interview (ci-dessous) :

"Certains pensent qu’il faut écrire de la littérature féministe pour libérer des femmes ! Moi, je n'y crois pas ! Au contraire, à mon avis, il faut écrire au sujet de la vie ordinaire de femmes normales. Des femmes qui ne sont pas Jeanne d'Arc. C'est beaucoup plus efficace."

J'ai aussi aimé découvrir cette autre forme de nouvelles, des micronouvelles, dans Comme tous les après-midi (18 nouvelles dans un petit livre), avec de petits tableaux, des miniatures. Mais les femmes m'ont semblé plus enfermées que dans Le goût des kakis, il n'y a pas d'humour et donc j'ai préféré l'autre livre où l'on sent un souffle de liberté personnelle : femme qui divorce, femme sans enfant, femme seule, femme qui travaille.
Bon, c'est moi la coupable qui ai proposé ce livre qui a fait ce flop, en particulier auprès d'Annick, Françoise, Geneviève, Monique, Renée : je pensais que la forme que j'ai trouvée remarquable en faisait un livre "pour le groupe lecture". Je l'ai lu et découvert dans un autre groupe où, tout au contraire de nous, il y a eu quelques réserves, mais la majorité (des filles !) fut conquise ; donc, c'est pas gagné d'avance...

Annick
Je reviens sur la façon de décrire ces couples divers qui ne m'a pas intéressée. Je cherche à comprendre pourquoi je ne trouvais rien à saisir, pourquoi je trouvais ça si lisse. C'est peut-être c'est un problème de traduction, avec des dissonances qui ont perturbé ma lecture.

Renée
Oui, moi c'est pareil, c'est trop lisse, ça n'accroche sur rien.

Annick
C'est de la soft littérature…

Catherine
Elle suggère plutôt qu'elle ne dit, elle crée une atmosphère où on entre ou pas.

Séverine
C'est très subtil.

Rozenn
On m'avait offert une tasse où était écrit "Un maison propre est le signe d'une vie gâchée" et je trouve que ça résume très bien ce que j'ai ressenti à la lecture de la première nouvelle.

Laura
Les tâches m'ont intéressée, car il s'agit d'une façon d'effacer quelque chose dans le couple.

Catherine
Oui, il y a certainement quelque chose de symbolique.
Plus on sent le malaise dans son couple, plus elle devient performante question taches, c'est drôlement bien fait.

Séverine
C'est ce que je disais : des desperate housewives...

Catherine
Tout à fait !

Rozenn
Quant aux kakis, il y a quelques années au marché, j'ai glissé sur un kaki, j'ai fait un grand écart et je me suis trouvée immobilisée pendant plusieurs mois... et après j'ai voulu goûter des kakis.

Claire
Pas rancunière !

Rozenn
Au contraire, c'était pour me venger. Et c'est pas bon.

Séverine
Ça dépend !

Claire
Moi j'adore ça... c'est sûrement pour ça qu'on aime cette auteure Séverine.

Séverine
La subtilité des kakis, c'est qu'il faut qu'ils soient très mûrs...

Rozenn
C'est très glissant en tout cas...

Séverine
On peut dire que pour toi, Rozenn, c'est vraiment âpre, le goût des kakis...

Catherine
Amer !

Renée, témoignant des mœurs du sud
Toute ma vie, j'ai vu jeter des kakis, alors que maintenant on en voit sur les marchés à des prix fous. Chez nous, on ne les mange pas. On les laisse sur les arbres, toutes les feuilles tombent, cela fait comme des lanternes en hiver, c'est très joli...

Claire
Manu demande si on connaît un restau iranien. Il y a un quartier iranien dans le 15e.

Jacqueline, habitante de l'arrondissement
Il y a plein de restaurants rue des Entrepreneurs, mais que je n'ai jamais essayés... j'ai acheté des choses dans les épiceries...

Claire
Pour imiter les personnages de la nouvelle "Le Père-Lachaise", je suis allée pour la première fois de ma vie au cimetière en question (voir mon petit reportage ICI). J'y ai rencontré Ivan, guide sur mesure depuis 10 ans uniquement dans le cimetière, prêt à faire une visite pour Voix au chapitre uniquement littéraire...

(Après la soirée)
Le kaki de Chine est un arbre d'origine chinoise dit aussi plaqueminier du Japon. Les Européens ont pris connaissance de l'existence de ce fruit au XVIIe siècle par la description du Jésuite Matteo Ricci qui vécut 18 ans en Chine (1552-1610).
C'est Joseph Banks, botaniste participant au premier voyage du Capitaine Cook autour du monde (1768-1771), qui serait à l'origine de l'introduction du kaki en Europe. (Il fut aussi le premier à ramener un kangourou...). Nous avions lu Le retour d'Anna Enquist, dont la narratrice est la femme de James Cook, mais elle ne semble pas avoir goûté aux kakis...
À Paris, on peut voir l'un de ces arbres au Jardin des Plantes, au Parc Monceau, devant le square Héloïse et Abélard dans le 13e, au parc des Buttes-Chaumont...


DOC autour du livre

  ZOYÂ PIRZÂD et ses PUBLICATIONS

Née en 1952 à Abadan d’un père iranien d’origine russe et d’une mère arménienne, mariée et mère de deux garçons, Zoyâ Pirzâd débute sa carrière littéraire après la Révolution de 1979.
Outre son œuvre de fiction, elle a aussi fait des traductions, dont celles d'Alice au pays des merveilles ou de poèmes japonais.

Les publications de Zoyâ Pirzâd
Deux recueils de nouvelles et trois romans sont tous publiés aux éditions Zulma, certains repris en Livre de poche :
- 1991 (en Iran) : Comme tous les après-midi, 18 nouvelles, Zulma, 2007
- 1997 (en Iran) : Le Goût âpre des kakis, 5 nouvelles, 2009, Prix Courrier international du meilleur livre étranger 2009 ; deux nouvelles sont également publiées à part, en numérique : "L'appartement" et "Le Père-Lachaise".
- 1998 (en Iran) : Un jour avant Pâques, roman, 2008
- 2001 (en Iran) : C'est moi qui éteins les lumières, roman, 2011 ; obtient quatre récompenses en Iran, dont celle du meilleur livre de l’année ; gros succès en Iran.
- 2004 (en Iran) : On s'y fera, roman, 2007.

        
   

Pour avoir un éventail de l'œuvre de Zoyâ Pirzâd, on peut lire :
- le livre programmé : cinq longues nouvelles (
Le Goût âpre des kakis)
- un recueil assez court de 18 micro-nouvelles (
Comme tous les après-midi)
-
et un roman (C'est moi qui éteins les lumières, par exemple).

Le traducteur
Christophe Balaÿ a été professeur de langue et littérature persanes de 1989 à 2014 à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales ("Langues O").

Il a dirigé l’Institut français de recherche en Iran à Téhéran, de 1998 à 2003.
Il a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire de la littérature persane, par exemple La genère du roman persan moderne ou Aux sources de la nouvelle persane.
Et a traduit de nombreux écrivains iraniens contemporains et tous les livres de Zoyâ Pirzâd.

  LE CONTEXTE IRANIEN : politique et littéraire

La révolution iranienne
Également appelée révolution islamique ou révolution de 1979, a transformé l'Iran en république islamique, renversant l'État impérial d'Iran.
L'ayatollah Khomeiny, après son exil de Neauphle-le-Château, revient à Téhéran prendre le pouvoir.
La guerre Iran-Irak (1980-1988) a fait environ 800 000 morts et a énormément marqué la vie iranienne.

La situation des femmes
Les conséquences du régime islamique sont très contraignantes : port du voile, âge du mariage, possibilité de divorce, polygamie, adultère, éducation... voir le détail ici.

L'impact du régime sur la littérature
Il s'exerce par la censure : chaque livre avant impression devant obtenir l'autorisation de publication, les maisons d'édition par conséquent examinent minutieusement chaque ouvrage. Par conséquent, les romanciers iraniens évitent les sujets risqués (politiques) et les scènes problématiques : par exemple, les détails d'une relation intime n'ont pas de place dans le roman iranien.

La littérature persane
- L'Iran est renommé pour sa poésie, qui peut être épique, historique, philosophique, amoureuse, mystique...
Les poètes Saadi (1210-1292), Hafez (1325-1389) et Rûmi (1207-1273) sont révérés.
Goethe, que nous avons lu il y a quelques semaines, découvrit Hafez l'auteur du Divan, à 65 ans et, inspiré de sa poésie persane à thèmes soufis, écrivit Le Divan occidental-oriental (en ligne ici).

- Le roman est un genre importé d'Europe, et tout particulièrement de France : les premiers romans persans paraissent au début du XXe siècle. Les premières nouvelles sont publiées en 1921. La nouvelle se développe râce aux revues littéraires.
Le classique iranien évoqué dans la nouvelle "Le Père-Lachaise" est La chouette aveugle, publié en 1936 par Sadegh Hedayat, considéré comme l'un des plus grands écrivains de l'Iran moderne : on lui doit pour la première fois une véritable écriture romanesque. Ce n'est pas une fiction, il est bien enterré au cimetière du Père-Lachaise... (voir précisions et images ici).

Des écrivaines iraniennes
- Des poétesses célèbres : Fatemeh (1817-1852), appelée aussi Tâhereh la Pure, Parvin E’tesâmi (1907-1941), Forough Farrokhzad (1935-1967).
- La première romancière : Simine Daneshvar publie en 1969 le premier roman dont à la fois l'auteur, le narrateur et le personnage principal sont... une femme.
- Une héroïne des lettres : Shahrnoush Parsipour, née en 1946, emprisonnée quatre fois durant plus de cinq ans, a une œuvre remarquable, avec 10 romans, des nouvelles, des Mémoires de prison.
- Relevant du témoignage plus que de la littérature, voici d'autres livres de femmes sur l'Iran, dont certains furent des best-sellers ; aucun n'est écrit en persan, aucun par une femme vivant en Iran (contrairement à Zoyâ Pirzâd) :

- Persepolis (2000) de Marjane Satrapi, franco-iranienne vivant à Paris : elle a adapté Persepolis, BD autobiographique, à l'écran.
- Désorientale (2016) de Négar Djavadi, scénariste, réalisatrice et écrivaine franco-iranienne, vivant à Paris.
- Lire Lolita à Téhéran (2003) de Azar Nafisi, professeure, romancière iranienne exilée, devenue américaine.
- Vivre et mentir à Téhéran (2014) de Ramita Navai, journaliste anglo-iranienne vivant à Londres.
- Jamais sans ma fille (1988) de Betty Mahmoody, américaine, connue surtout pour ce livre et sa lutte pour les droits des enfants.

Pour des détails sur le contexte littéraire iranien, voir ICI.

Cliché de femme iranienne chez un poète français
Vous aimez le kitch ? Vous aimerez, de Leconte de Lisle,
"Les roses d'Ispahan"...

  ARTICLES au sujet de Zoyâ Pirzâd

"Le Goût âpre des kakis", de Zoyâ Pirzâd : des kakis en guise de chaînon manquant, Nils C. Ahl, Le Monde, 18 juin 2009.
Vu d'Iran. Hommes, femmes, rendez-vous manqués, Hassan Mahmoudi, Courrier international, 22 octobre 2009.
Scènes de la vie de couple en Iran, Xavier Lapeyroux, Le Monde diplomatique, novembre 2009.
Le jeu des identités : mère, grand mère, fille, femme divorcée, femme au foyer ou femme indépendante dans les textes de Zoyâ Pirzâd, Katâyoun Vaziri, La Revue de Téhéran (mensuel iranien consacré à la culture et aux traditions iraniennes en langue française), n° 83, octobre 2012.
L'alchimie délicate de la littérature persane. PORTRAIT. Les petits riens de Zoyâ Pirzâd, Agnès Rotivel, La Croix, 7 mai 2015 ("Je ne suis pas une personne politique, la seule chose qui m'intéresse ce sont les gens.")
Mal-être persan, David Fontaine, Le Canard enchaîné, 8 juillet 2009.
"Proust en voisin nous rejoint", Courrier international, 30 juillet-19 août 2015 : Zoyâ Pirzâd envoie une carte postale du Père Lachaise (voir la nouvelle "
Le Père-Lachaise").

  INTERVIEWS de Zoyâ Pirzâd

Rencontre : Zoyâ Pirzâd : "Les mots dépendent des personnages", Le Monde, 18 juin 2009, propos recueillis par Nils C. Ahl :

"Les cinq textes correspondent à cinq façons différentes de considérer une même expérience à travers des personnages autonomes. Elle voulait cinq tons, cinq registres de langue sans rapport entre eux."

Portrait : Zoyâ Pirzâd ou l’écriture fragmentée Lucie Geffroy, L'Orient Littéraire, novembre 2009 :

"Ma mère, Arménienne à 100 %, a épousé un musulman et est devenue musulmane. À l’école arménienne, on me regardait de travers parce que mon nom ne finissait pas en ian."
"J’ai la hantise d’ennuyer le lecteur, si un de mes personnages parle trop, je lui rabats le caquet sans états d’âme."

Interview vidéo sur le site de la Librairie Mollat, 22 juillet 2011, 5 min : très intéressante, elle explique ses influences, son intérêt pour les femmes ("Les femmes sont plus intéressantes que les hommes"), l'universalité des réactions...

Entretien par Naghmeh Tarjoman Porshkoh, réalisé le 24 juillet 2015 pour sa thèse soutenue en 2018, dont voici quelques extraits.

La censure
Zoyâ Pirzâd : "Cette question n'a jamais changé ma manière d'écrire. J'écris pour moi-même et même au moment d'écrire, je ne pense jamais au fait que mon oeuvre est publiable ou pas. Si le livre obtient son droit de publication et est distribué, tant mieux ; sinon j'attends. (...) Mes oeuvres n'ont jamais subi la censure. Je tiens toujours ma parole. Je ne change jamais le récit que j'écris. Je préfère qu'il ne soit pas publié."

Le lien vie/fiction
"Tout influence un auteur. Toute une vie, cette nappe, toi-même, même ton collier ! Moi, j'oublie tout, j'oublie le nom des gens, j'oublie tout. Je suis souvent dans la lune. Pourtant, c'est très bizarre, quand je me mets à écrire, le moindre détail ressurgit dans ma tête. Par exemple, il est possible que je me souvienne de ton collier et que je le mette au cou d'un personnage."

"Moi, je travaillais, à l'âge de dix-huit ans, dans une agence de voyages. […] Aussi ai-je créé un personnage qui travaille dans une agence de voyages. Dans la nouvelle "Père Lachaise", il existe un jeune couple dont la femme, Taraneh, travaille dans une agence de voyages. Effectivement, les gens t'influencent. Globalement, la vie, cet arbre, cet endroit t'influencent au moment de l'écriture."

Une écriture féminine ?
mon avis, cette question n'a pas d'importance. Tout dépend de qui tu es et de ta manière d'écrire. Par exemple, Balzac était un homme, pourtant il portait beaucoup d'attention aux détails des couleurs. Certainement, il existe des différences entre homme et femme, mais peu importe quelle est la différence. Un livre est bien écrit ou mal écrit. Peu importe qu'il soit rédigé par un homme ou par une femme."

Le féminisme
"
Certains pensent qu’il faut écrire de la littérature féministe pour libérer des femmes ! Moi, je n'y crois pas ! Au contraire, à mon avis, il faut écrire au sujet de la vie ordinaire de femmes normales. Des femmes qui ne sont pas Jeanne d'Arc. C'est beaucoup plus efficace."

L'écriture : la non-description
"Tu peux rencontrer quelqu'un qui t'influence, au bout d'un certain temps tu peux complètement oublier son visage mais sa personnalité et son caractère resteront gravés dans ton esprit".
La création du personnage ressemble à une esquisse : "Je présente l'idée générale puis chaque lecteur le dessine selon son goût. Il n'est pas nécessaire de préciser tous les détails. Moi, je me limite à certaines particularités générales comme la couleur des yeux ou la forme des cheveux et c'est tout."

• Entretien dans Courrier international, 3 novembre 2009

Le prix Courrier international du meilleur livre étranger a couronné cette année l'écrivaine iranienne Zoyâ Pirzâd pour son recueil de nouvelles Le Goût âpre des kakis, paru aux éditions Zulma. Entretien avec cette auteure qui occupe une place atypique dans la littérature persane.

Vous venez de recevoir le prix Courrier international pour Le Goût âpre des kakis et vous avez également reçu de nombreuses récompenses en Iran, notamment pour votre dernier roman C'est moi qui éteins les lumières (à paraître en 2011 aux éditions Zulma). Est-ce très important pour vous de voir vos œuvres diffusées à l'étranger et récompensées par des prix ?
Zôya Pirzâd
: C'est un véritable encouragement de voir que mon travail est reconnu, que des gens l'ont lu et aimé. C'est pour cette raison que cela m'a fait plaisir de recevoir le prix Courrier international. J'aime quand des gens viennent me voir pour me parler des livres, ou quand je lis des commentaires sur des blogs. Mais je n'aime pas trop m'asseoir avec des intellectuels pour parler littérature. Je n'ai pas vraiment le sentiment de faire partie d'une lignée ou d'un groupe d'auteurs iraniens, parce que le genre de la nouvelle et ma manière d'écrire sont tota
lement différents de ce qui s'est fait et se fait en Iran. Je pense qu'être un écrivain c'est tout simplement écrire. L'autre volet du métier, le contact avec les lecteurs, est très intéressant. Le lecteur ne ment pas, il a aimé ou pas !

Vos personnages principaux sont souvent des femmes. La femme iranienne telle qu'on la découvre à travers vos œuvres semble coincée entre la pression familiale, la nécessité de travailler et ses désirs d'épanouissement personnel.
J'écris beaucoup sur les femmes car elles sont au centre de mes préoccupations en ce moment. Le fait que les femmes soient considérées comme forcément dépendantes des hommes, c'est quelque chose qui me dérange. En Iran, en Arménie, en Inde, dans beaucoup de pays de culture non occidentale, la fille est d'abord, lorsqu'elle naît, la fille de son père, puis elle est la femme de son mari, puis la mère de son fils. Le sort de la femme est toujours lié à celui d'un homme. Voilà ce que la société attend des femmes : travailler à la maison, se marier, puis avoir des enfants. C'était le cas en France il y a une cinquantaine d'années. Néanmoins, la situation a évolué en Iran. Les nouvelles du Goût âpre des kakis reflètent largement la réalité, à savoir que certaines femmes travaillent et que d'autres restent à la maison, comme dans beaucoup de pays. La particularité en Iran, c'est que la famille est encore très envahissante. Dans mon roman On s'y fera par exemple, on m'a souvent demandé comment il était possible qu'Arezou, une femme de caractère, qui dirige une entreprise et qui a des hommes sous ses ordres, soit si soumise aux exigences de sa mère et de sa fille. Beaucoup m'ont dit que cela n'était pas crédible. Mais la relation mère-fille est vraiment spéciale, et on en a une double preuve dans ce roman. On voit beaucoup de femmes très fortes aux prises avec leur mère. Elles sont coincées entre leurs obligations et leurs aspirations. Arezou est obligé de travailler, de subvenir aux besoins de sa famille, mais, dans son cœur, elle veut être amoureuse, vivre une vie simple.

Vous avez le sens du détail, une écriture très minutieuse, et pourtant on ne sait pas grand-chose sur vos personnages.

Anton Tchekhov a dit que lorsqu'on décrit une pièce au début d'un roman, si l'on parle d'un fusil accroché à un mur, alors il faut que ce fusil revienne à un moment donné de l'intrigue, qu'il ait un sens. On ne fait pas une description de musée. Lorsque l'on décrit une maison, on montre le caractère de son personnage. Si on trouve dans mes nouvelles un appartement surchargé, où il y a par exemple et un chauffage électrique et une cheminée, on sait que l'on se trouve dans une famille de nouveaux riches de Téhéran. Les choses ont davantage d'impact lorsqu'on les dit de manière indirecte. Les personnages peuvent aussi donner des informations sur eux-mêmes à travers les dialogues. Je pense que pour le lecteur c'est plus intéressant. Je souhaite surtout qu'il ne s'ennuie pas. Pour moi, c'est le plus important, car moi-même en tant que lectrice, si ça ne m'intéresse pas, je me lasse très vite.

Vous dites vous inspirer beaucoup des films classiques et vous avez une écriture très cinématographique, où l'on peut même imaginer les gros plans.
Quand j'écris, je vois la scène qui se déroule. Je veux que mon lecteur la voie aussi. Cela vient sans doute aussi beaucoup du fait que mon écriture est fondée sur l'observation. J'observe beaucoup, les gens qui me parlent ou quand je fais la queue à la banque par exemple, et je saisis forcément quelque chose. Lorsque j'écris, je me projette moi-même dans la scène, c'est ainsi que cela fonctionne.

Votre écriture est très simple, contrairement à ce qu'on peut lire dans la majorité de la littérature persane.
Je pense que chaque écrivain écrit comme il est. Moi-même je ne suis pas quelqu'un de trop compliqué, c'est pour cela que j'écris comme ça ! Ce que je n'aime pas dans la littérature iranienne, c'est que les personnages ne parlent pas comme dans la vie quotidienne. Quand j'ai commencé à écrire, les mots se sont présentés comme ça, et je me suis dit oui, je suis proche de cette écriture, c'est ma langue. Le dialogue est très important, surtout dans la langue persane, il peut vite être d'un style très lourd. Les auteurs iraniens tentent d'écrire en style direct ou indirect. Moi, tout mon effort est de n'écrire ni en style direct ni indirect. Autant que je peux, j'essaie de rapprocher la langue écrite de l'oral. Mon obsession est de simplifier la langue. De plus, quand on écrit une nouvelle, les mots doivent correspondre au cadre et au rythme de la nouvelle. Dans la nouvelle "Le Goût âpre des kakis", en persan, le rythme est totalement différent de celui de la nouvelle "Les Taches". Pourquoi ? Parce que, dans "Le Goût âpre", la femme est une aristocrate qui vit seule dans une grande maison. Le temps passe lentement. Dans "Les Taches", le rythme est très rapide, comme la vie d'un couple qui se délite. C'est particulièrement frappant dans On s'y fera. Lorsque j'ai écrit ce livre, on m'a dit : "Mais étiez-vous si pressée de terminer ce livre ?" Je n'étais pas pressée, je l'ai écrit au rythme de Téhéran, très rapide de nos jours. Dans C'est moi qui éteins les lumières, tout est très lent, car Abadan [la ville natale de Zôya Pirzâd, dans le sud-ouest de l'Iran], dans les années 1960, était une ville très calme. Dans "Le Goût âpre", il y a des mots ne sont jamais utilisés dans "Les Taches", parce que cela ne correspond pas aux personnages. Je recherche la simplicité et la justesse. Et c'est très difficile d'écrire simplement.

Dans votre roman Un jour avant Pâques, vous situez la trame au sein de la communauté arménienne. Vous êtes vous-même d'origine arménienne. Comment conciliez-vous les cultures arménienne et persane ?
La culture arménienne est très différente. Les Arméniens vivent depuis quatre cents ans en Iran mais ils ont conservé beaucoup de leur culture, même s'ils ont emprunté beaucoup à la culture persane. Je possède les deux cultures, et je suis confrontée aux problèmes qui résultent de chacune d'elles. Les Arméniens sont très chatouilleux sur leur langue et leur culture. Au début, je n'étais pas favorable à cette forme d'intolérance. Moi-même je l'ai subie. Ma mère, arménienne à 100 %, a épousé un musulman. Cela a été très difficile pour elle, sa famille l'a rejetée. Je me suis toujours fait importuner à l'école arménienne, parce que mon nom ne finit pas en "ian". Tant que je n'étais pas allée en Arménie, je n'avais pas de proximité avec les Arméniens. En y allant, je me suis rendu compte que si les Arméniens n'étaient pas comme ça, ils n'existeraient plus. Dans Un jour avant Pâques, c'est en quelque sorte de moi que je parle même si l'histoire est fictive.

Dans vos livres, les personnages partent souvent aux États-Unis ou en reviennent. Peut-on parler d'une fascination iranienne pour les États-Unis ?
Les États-Unis ont un rôle très important pour les Iraniens. Tout ce qui vient d'Amérique, la culture américaine, exerce un grand attrait. Surtout depuis la révolution [islamique de 1979], beaucoup veulent partir et vivre le rêve américain, ils pensent que tous leurs problèmes vont s'arranger, ce qui n'est souvent pas le cas, c'est même pire. En Iran, les gens qui vivent aux États-Unis ou qui y vont régulièrement aiment bien le montrer. Ils regardent les autres Iraniens avec une certaine condescendance.
Dans On s'y fera, il y a une femme qui discute avec sa fille chez le coiffeur et qui s'évertue à ponctuer ses phrases persanes de mots anglais. Cette scène s'est réellement produite, je l'ai mise telle quelle dans le livre ! C'est ce que nous appelons la culture losangelesi [de Los Angeles, où vit une très importante communauté iranienne]. Un jour, une Iranienne naturalisée américaine m'a dit : "Je suis tellement fière de mon passeport américain !" Je lui ai répondu que, de mon côté, j'étais très fière de mon passeport iranien. Je ne suis jamais allée aux Etats-Unis et je n'ai pas du tout envie d'y aller !

Propos recueillis par Hamdam Mostafavi
Courrier international, 3 novembre 2009

 

 


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