Délicieux extraits de Bain de lune, de Yanick Lahens, Points, 2015

Le couple Jimmy-Cétoute (la narratrice), avant le mariage

Jimmy m’a prise sous l’emprise de l’alcool. Par terre. Sur le sol nu. Il a défait sa braguette qui s’est ouverte sur un sexe déjà droit et menaçant. A enlevé son pantalon en se contorsionnant. Et sans la moindre considération, en se moquant bien de me faire mal, il m’a écarté les jambes et pénétré dans un déchirement atroce. J’ai bien cru que mon vagin allait exploser. Quand j’ai poussé mon premier cri sous lui, il a juste dit dans des mots que je voulais rassurants mais qui ne l'étaient pas : "Tu finiras par aimer ça." (p. 116)

Le couple Tertulien-Olimène

Les charmes d'une adolescente de seize ans avaient, dans les fourrés, halliers et hautes herbes, décuplé pendant quelques mois les ardeurs d'un homme qui voyait approcher avec frayeur ses soixante ans. Il la prenait quelquefois avec douceur et fermeté. D'autres fois avec gourmandise ou voracité. C'était selon. Quelquefois sans dire un mot. Parfois en l'insultant pour ce plaisir auquel il ne s'attendait pas. Il l'avait prise comme son père Orvil prenait Ermancia sa mère dans l'unique pièce de la case. Par surprise, au moment même où elle s'assoupissait. Mais, une fois qu'il l'eut définitivement installée dans cette maison, Tertulien prit Olmène comme un propriétaire. Tous les accouplements se déroulaient selon un ordre immuable. À vouloir garder son muscle tendu le plus longtemps possible sans vraiment se soucier d'Olmène, Tertulien finissait toujours par se fatiguer et sombrer dans le sommeil. Si un long grognement indiquait que pour lui quelque chose avait dû se passer, ce n'étaient pour Olmène que d'interminables minutes, toutes semblables et sans tension, sans début, sans milieu et sans fin. Sans plaisir à faire chavirer son bon ange, à lui faire éclater l'âme. Sans la lassitude d'un corps rassasié, repu. Alors, dans ces moments-là, forcément, les pensées d'Olmène flottaient vers d'autres préoccupations bien terre à terre : les légumes de soleil qu'elle ferait pousser avec l'aide de ses frères, tes deux chèvres, le porc et la volaille qu'en plus de la vache elle garderait dans un bel enclos derrière la maison, le four à pain qu'elle ferait construire, et puis le commerce qu'elle développerait entre Saint-Domingue et les villages d'ici comme Mme Yvenot. Tertulien s'arrêtait par épuisement et les deux restaient là, figés, silencieux.
Très vite Olmène ne goûta plus à aucune volupté, mais se contenta d'apprendre à laisser exulter son corps à la douceur des choses et au souffle épris, quoique déjà fatigue, d un homme mûr. Ce qui n'empêchait pas Olmène de lui préparer les mets dont il raffolait, un tchaka*, du petit mil ou du poisson séché. De lui frotter les pieds dans la bassine d'eau quand il le réclamait et, penchée au-dessus de sa tête, de lui enlever quelques cheveux blancs tandis qu'il s'abandonnait à une douce somnolence.
Tertulien avait des bras robustes, le poitrail d'un homme qui avait toujours mangé à sa faim et au-delà, le regard et la démarche d'un homme puissant. Olmène, le port, le regard et la démarche d'une jeune femme soumise à un homme puissant. (p. 101-102)

 

 

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