L'art perdu des fours anciens de JIA Pingwa

Je n'avais jamais entendu parler de Jia Pingwa, que j'aurais sans doute continué à ignorer sans la liste de Brigitte Duzan. Je pensais avoir tout l'été pour les 1150 pages et "L'art perdu des fours anciens" était un beau titre un peu intriguant, alors je me suis lancée....

Au début j'étais un peu inquiète de distinguer tous les personnages et j'ai fait une fiche... Mais dès le début j'ai été accrochée par le héros "Pissechien" qui a 12 ans et qui m'est apparu comme un Tom Sawyer chinois. Son nom étonnant est celui d'un champignon et il le doit à sa petite taille. C'est par ses yeux et ses pensées que j'ai été plongée dans la vie de Gulu un petit village au milieu des montagnes connu pour ses poteries et que j'y ai vu les échos de la Révolution culturelle. Si petit que soit le village, Pissechien avait à faire avec de nombreux protagonistes nommés sans qu'on n'en sache plus ; d'autre part ces noms que je ne savais pas prononcer étaient un peu proches graphiquement : par exemple, je commençais à connaître Shoudeng "d'une mauvaise condition de classe" parce que parent d'anciens propriétaires et employé subalterne aux fours qui rêve de retrouver le secret de l'ancien Céladon ; et puis est arrivé Shengsheng, l'étudiant de passage pour propager la révolution culturelle et je craignais de confondre.

En même temps, j'ai appris beaucoup sur la Chine et sa culture dans tous les sens du terme : par exemple, je connaissais l'extraordinaire habileté manuelle que nécessite l'art populaire du papier découpé, mais j'ai découvert que derrière, il y a toute une symbolique qui en fait réellement un art... Au travers des propos tenus par les personnages, j'ai été un peu introduite à une pensée chinoise traditionnelle dont, par ignorance, je ne peux bien estimer ce qui revient au confucianisme et ce qui revient au bouddhisme. Par contre, alors que je n'ignorais pas l'organisation des coopératives, ni les affres de la Révolution culturelle, ce roman m'y a plongée en me faisant vivre ce qui s'y passait avec un point de vue plein d'humanisme...

Mon intérêt était constamment relancé à la fois par tous les événements, petits ou grands et par un récit profondément humain. Je ne peux raconter en quelques mots la richesse de ce livre et mon admiration pour ce que l'auteur a su y mettre.
Il m'en restera des personnages magnifiques :
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Pissechien bien sûr ; il a des pouvoirs ; il m'a fait penser au héros du Tambour de Günter Grass, comme lui, confronté à une période terrible ; il ne grandit pas (il rêve même d'être invisible) et, s'il ne fait pas éclater le cristal, une odeur l'avertit de la proximité du malheur sans qu'il puisse savoir lequel ni l'empêcher...
- la "grand-mère" qui élève Pissechien, et lui transmet sa "mauvaise condition" parce que son mari "militaire félon" a suivi les troupes du Guomindang, sa pauvreté, son grand cœur, son utilisation des simples, son art de découper le papier et de faire face à l'adversité
- Cordial, le moine bouddhiste défroqué qui "soigne par la parole" et m'a introduite à une pensée philosophique que j'ignorais
- Fier-à-bras, le bel aventurier qui par son côté hors norme et bien que plus âgé me rappelait un peu le Huck Finn du Tom Sawyer/Pissechien. A posteriori ce livre m'apparaît comme avant tout son histoire...

Vers la fin du livre, Pissechien est très étonné que quelqu'un parle de lui comme "d'un laissé pour compte" et cette appréciation me paraît une clé pour les intentions de l'auteur en le plaçant dans une suite de Lu Xun. D'ailleurs, vers la fin, après le chaos des affrontements Jia Pingwa reprends des éléments d'une nouvelle assez terrible de Lu Xun (je ne l'ai pas lue) où la cervelle des condamnés exécutés est un merveilleux remède…

Jacqueline Kahn

Voir d'autres avis du groupe Voix au chapitre sur d'autres livres chinois : http://www.voixauchapitre.com/archives/2018/chine_litterature.htm

 

 

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