Quatrième de couverture :

« "Je sais que tu as toujours été un type droit et que tu en es fier. Mais pose-toi une question : Pourquoi dire la vérité? Qu'est-ce qui nous y oblige ? Et pourquoi faut-il considérer la sincérité comme une vertu? Suppose que tu rencontres un fou qui affirme qu'il est un poisson et que nous sommes tous des poissons. Vas-tu te disputer avec lui? Vas-tu te déshabiller devant lui pour lui montrer que tu n'as pas de nageoires? Vas-tu lui dire en face ce que tu penses? Eh bien, dis-moi!"
Son frère se taisait, et Édouard poursuivit : "Si tu ne lui disais que la vérité, que ce que tu penses vraiment de lui, ça voudrait dire que tu consens à avoir une discussion sérieuse avec un fou et que tu es toi-même fou. C'est exactement la même chose avec le monde qui nous entoure. Si tu t'obstinais à lui dire la vérité en face, ça voudrait dire que tu le prends au sérieux. Et prendre au sérieux quelque chose d'aussi peu sérieux, c'est perdre soi-même tout son sérieux. Moi, je dois mentir pour ne pas prendre au sérieux des fous et ne pas devenir moi-même fou."»

Les 7 nouvelles :
- Personne ne va rire
- La pomme d'or de l'éternel désir
- Le jeu de l'auto-stop
- Le colloque
- Que les vieux morts cèdent la place aux jeunes morts
- Le docteur Havel vingt ans plus tard
- Edouard et Dieu

Milan Kundera
Risibles amours
(recueil de sept nouvelles écrites entre 1959 et 1968)

Le nouveau groupe parisien a lu ce livre en mai 2018.
Nous avions lu La Valse aux adieux en 1986 et L'immortalité en 1990.


Ana Cristina
J'aime beaucoup. Quand j'avais 15-16 ans, j'ai lu tous les romans de Milan Kundera. J'ai donc relu Risibles amours. En parallèle, j'ai relu Le rideau (un essai), puis La Valse aux adieux (un roman) et L'art du roman (un essai aussi).
Les romans et les essais s'imbriquent. Je me sens très proche de lui : si j'écrivais des romans, j'aimerais qu'ils ressemblent aux siens, même si nous n'avons rien en commun, si ce n'est l'amour du genre romanesque. Je pense que ses essais et ses romans sont indissociables. Risibles amours est l'illustration de sa théorie sur la manière d'écrire un roman. Il met ses personnages dans des situations dans lesquelles ils expriment leur petitesse. Il manipule l'ironie avec brio. Je ressens cette légèreté dont on parle chez Kundera.
J'en ressors plus attentive aux autres, et à moi-même. Elles sont forcément un miroir, une illustration que personne n'est parfait. Les choses sont plus compliquées qu'elles n'y paraissent. Milan Kundera disait : "le romancier n'est ni historien, ni prophète, plutôt un explorateur de l'existence." Une fois que je le referme, je me rends compte que tout n'est pas dit. Il ne juge pas ses personnages. Il les place dans des situations dont leur faiblesse se nourrit. Je peux observer les aspects les moins reluisants de la nature humaine. La légèreté n'empêche ni le sérieux ni la gravité. On ne voit que ce qu'on veut voir. Dans "Le colloque", il semble nous demander : "Savez-vous ce que vous voulez ?". C'est sans doute celle que je préfère.
Son style est une paire de lunettes de soleil qui me permet de profiter de sa lucidité sans me brûler les yeux. Les fins des nouvelles sont souvent très bonnes, en particulier dans "Personne ne va rire". (Ana lit la fin de la nouvelle : "Aucun homme n'est celui pour qui il se prend […]").
J'ai adoré Kundera. Ouvert en (très) grand.
Audrey
Je suis très déçue. J'étais très contente de lire ce livre. Je avais lu quand j'étais beaucoup plus jeune La vie est ailleurs, et L'immortalité. Je ne m'en rappelais plus beaucoup. Je m'attendais à être emportée. Je me suis pas mal ennuyée. Je trouvais que ça manquait de fluidité.
Je sens pourtant bien que ça n'est pas dépourvu d'intérêt et de profondeur. Risibles amours contient beaucoup de questionnements qui relèvent de l'intime, des aspects de l'âme humaine. Il y a également une réflexion sur le vieillissement, notamment dans "Que les vieux morts s'adressent aux jeunes morts", sur la relation aux autres et à la société, "Havel 10 ans plus tard" (ou 20 ans plus tard, dans les éditions autres que celles d'Audrey), notamment le passage sur le journaliste qui se sépare de sa petite amie parce qu'Havel lui a dit qu'elle n'est pas intéressante. C'est une bonne observation de la place de l'homme dans la société.
Il y a également un questionnement sur l'amour-propre, notamment dans "Le colloque" où le docteur se pense au centre de tous les regards. Il décrit très bien la manière dont les hommes s'approchent, pourquoi ils se lient, pourquoi ils s'attachent, ce qu'est le plaisir, la séduction. On est toujours un peu entre le mensonge et la vérité. Le mensonge est une sorte de jeu.
Dans la nouvelle "Personne ne va rire", sa première réaction c'est le mensonge pour ne pas mentir (dans la critique de l'essai). Il ment sur l'agression, sans jamais une part de sa vérité. Les personnages se mentent à eux-mêmes, notamment Havel dans "Le colloque". (Audrey cite les passages où la maîtresse du patron vient séduire Havel et qu'Havel prend la défense du patron.) Il met en relief beaucoup de questions, de circonvolutions que les hommes créent en se liant.
Néanmoins j'ai moyennement apprécié.
Françoise H
Je l'ai lu il y a très longtemps et je ne l'ai pas relu. J'en avais gardé un très mauvais souvenir.
J'ai relu L'insoutenable légèreté de l'être. Milan Kundera a dit "l'essence du roman c'est la suspension du jugement moral". J'ai lu 150 p. de L'insoutenable légèreté de l'être : je pense que cet homme-là a beaucoup d'idées sur beaucoup de choses, notamment sur l'amour. Je le soupçonne d'inventer des histoires pour faire passer des choses pour faire une démonstration. On accuse Zola de faire la même chose. Autant je ne l'ai jamais vu chez Zola autant chez Kundera je ne vois que ça.
Ce sont des histoires psychologisantes. Elles pourraient m'intéresser si elles n'étaient pas racontées comme ça. Il y a un passage où il liste une série de mots qui sont interprétés différemment par l'homme et la femme. Je n'ai pas besoin d'explications de texte.
C'est agréable à lire. C'est bien traduit. On voit les scènes. Peut-être qu'il applique la suspension du jugement moral mais il ne me fait pas adhérer.
Il est aux antipodes de ce que j'aime dans le roman. Il ne faut pas me donner les clés, m'expliquer ce que je dois voir.
Julius
Je partage assez ce que dit Françoise et comme Audrey, j'ai été déçu.
De L'insoutenable légèreté de l'être, je ne me rappelle que le plaisir que j'avais eu de le lire. Plus récemment, j'ai lu La plaisanterie. Il aborde beaucoup de thèmes et ça pourrait être intéressant. Je trouve que les constructions sont creuses. La mécanique fonctionne mais c'est dommage qu'il ne donne pas plus corps aux personnages.
C'est assez inégal. La fin du livre sauve l'ensemble, notamment la nouvelle "Edouard et Dieu". La question du libre-arbitre est présente : est-ce que les personnes sont libres d'agir comme ils le souhaitent ?
Ses personnages masculins sont très cyniques et ça m'a beaucoup gêné. On dirait qu'ils n'ont pas de libre-arbitre.
Dans toutes les nouvelles, il dépeint l'homme comme trop petit pour l'amour. Les personnages masculins passent leur temps à être méchants. Je trouve le livre un peu cruel. Cela ne m'a pas rendu Kundera très sympathique. J'étais gêné par le style ou l'absence de style notamment dans "Le colloque" qui ressemble à une pièce de théâtre. Cela m'a rappelé ce qu'il n'y a pas de mieux dans le nouveau roman.
J'ai eu envie de laisser tomber.
Anne
Bien amères les Risibles amours. Je ne suis pas sûre de jamais aimer totalement ce qui est amer… oui, Kundera nous conduit à travers toute sorte d'amertumes avec cynisme. Cela est pourtant fait avec une intelligence puissance dix, j'ai donc vite compris que je ne pourrais pas fermer ce livre aux contenus qui parle de la mise à mort de désir et d'amour… Tous deux tournés en dérision jusqu'à l'os. De la chair, il n'en reste pas un gramme, en dépit de la recherche constante de la sexualité qui est un pâle ornement pour les bénéfices de Narcisse. Il y a de quoi se jeter à l'eau.
Pourtant ce livre m'a fascinée par l'étonnant vide des personnages désabusés et je me suis sentie dans un labyrinthe sans issue où l'on me racontait les reflets négatifs sans issue d'un amour insaisissables ; et j'ai eu le sentiment que je pouvais tourner dans ses détours jusqu'à épuisement du moral. Ce n'est donc pas un livre qui m'a consolée de mes chagrins quotidiens, qui m'a fait voir grand, qui m'a montré le beau, qui m'a expliqué que malgré tout, la générosité ça existe. Non, "rien de rien" chantait Edith Piaf de sa voix chaude et Kundera aussi le dit avec une implacable intelligence tueuse d'espoir. Mais comme cela est bien dit !! Et avec humour !! Milan connaît l'art, si l'on peut appeler cela "art", de la manipulation. Les personnages évoluent dans le seul but de tirer une satisfaction perverse qui n'appartient en rien au monde de l'attention envers l'autre. Mais après tout, ai-je fini par me dire désespérée mais moi aussi avec humour, pourquoi ne pas éliminer ces sentiments envers les autres qui font souffrir, qui s'accompagnent toujours d'un grain de de culpabilité, de crainte de perdre l'amour de l'autre, de manque de confiance en soi ? Pourquoi en effet ne pas envoyer au diable tout ces vieux fatras ? Les auto-stoppeurs par exemple, continueront sans doute à se rencontrer plus que les 13 jours de vacances qui leur restent (peut-on appeler leur relation une rencontre ?) car lui, voudra sans doute faire revenir la putain qu'il hait mais qui lui a inspiré tant de jouissance, et pareil pour elle qui dans son rôle de jeune fille pure se soumettra à ce jeu… Ils jouissent dans la transgression, dans l'interdit et éviteront ainsi les embûches des émotions. Au pays de la manipulation, la haine est plus solide que tout et qu'on ne le pense, la putain plus intéressante que la mère et comme le dit François Ricard dans sa postface, tout cela "est un remarquable marché de dupes". Alors je ne sais pas comment ouvrir ce livre écrit avec une intelligence rare sur un sujet sur la destructivité. Allez, ce livre n'a pas pansé mon cœur, mais il m'a fait penser, je l'ouvre aux trois-quarts. Je garde le dernier quart pour celui qui saura en plus m'émouvoir et être poète.

Audrey
Les personnages sont théoriques.

Ana-Cristina
C'est ce que j'aime. C'est une boîte de Petri : on crée une situation et on observe comment les personnages agissent.

Nathalie
Ce qui me rappelle le film Mon oncle d'Amérique d'Alain Resnais dans lequel les théories de Laborit sont illustrées par les comportements humains dans les scènes suivantes.
Valérie
Rien que le titre Risibles amours me paraît antinomique. On parle de tout sauf d'amour. L'année dernière, j'avais relu L'insoutenable légèreté de l'être. J'avais eu du mal à le finir. L'image qu'il me donne de la femme me choque profondément. Elles ont le plus mauvais rôle : ce sont soit des dindes, soit on les manipule (notamment dans "Les auto-stoppeurs").
Je n'ai plus du tout envie de lire des romans de Kundera. Je n'aime pas le style de la nouvelle. Ce sont des espèces d'histoires. A part la première, qui reflète la vie dans un état communiste. Je les ai toutes lues sauf la dernière.
Pour "Le colloque", qui est écrit sous un format qui rappelle les pièces de théâtre, j'ai tout de suite regardé combien il y avait d'actes. Je n'irai jamais voir ça au théâtre. Il n'y a pas de corps. Je ne vois pas en quoi on parle d'amour.
Je suis d'accord avec Anne et Audrey. Je ne comprends pas l'exaltation d'Ana Christina. Ce n'est pas un livre sur l'amour ou sur le désir. Pour moi, ce n'est pas ça la séduction. Je l'ai lu mais c'était par devoir. Je m'étais dit que j'en lirai d'autres mais ce que j'ai lu m'a choquée. C'est creux. C'est mal écrit.

Emilie
J'avais lu L'insoutenable légèreté de l'être et La valse aux adieux que j'avais appréciés. J'avais particulièrement aimé L'insoutenable légèreté de l'être que je trouvais beaucoup plus nuancé, plus subtil ; donc je partais avec un a priori positif.
Je trouve qu'il y a une cohérence entre les nouvelles, sur le fond et sur la forme, notamment avec des conclusions qui apportent toujours un rebondissement.
En revanche, je partage l'avis de Valérie sur le fait que les personnages de femmes sont particulièrement caricaturés. Mais Julius a raison, les hommes aussi. Je me demande si c'est ce qu'il pense de l'amour. Quand il a écrit ces nouvelles, il avait une trentaine d'années. Si elles reflètent ce qu'il pense, c'est vraiment triste, parce qu'il n'y a rien d'optimiste dans ces nouvelles. En même temps, le titre est Risibles amours, ce qui peut marquer sa distance avec les histoires racontées. On dirait que ça a été écrit suite à un dépit amoureux, dans un moment d'abattement.
Celle que j'ai préféré c'est la première. Il y a une progression du récit, il est pris à son propre piège.
Sinon, ce qu'il ressort c'est que rien ne vaut pas la peine, rien n'a de valeur, ni l'amour, ni la religion. Rien.
Nathalie
J'ai beaucoup lu Kundera dont j'étais complètement accro autour de mes 25 ans. Puis je n'ai plus rien lu de lui pendant 25 ans.
Le roman de Kundera que j'ai préféré est La valse aux adieux mais j'ai eu une expérience particulière avec L'insoutenable légèreté de l'être. Un jour, je l’ai eu à nouveau entre les mains. Je savais que c'était un livre que j'avais beaucoup aimé, dont j'avais beaucoup parlé autour de moi, mais dont j'avais totalement oublié le contenu. Intriguée, je l'ai donc relu. Et je me suis alors aperçue que ce livre faisait en fait partie de ma colonne vertébrale. Je l'avais tellement intégré que ses réflexions, sa façon de dire et de penser, de composer, faisaient parties intégrantes de moi. Ce que je pensais mien était issu de cette lecture effacée. Expérience étonnante.
Pour moi, ses romans sont de la musique ; ils sont d’ailleurs écrits comme des partitions musicales. N’oublions pas qu’il avait hésité à 20 ans entre musique et littérature. Kundera a commencé par écrire de la poésie qui semble avoir été lyrique, comme l’était son engagement communiste. Puis la vie et le régime politique en cours l’ont fait revenir sur ses illusions. Il n’a plus écrit de la même façon. Il a refusé que ses poésies soient intégrées dans le volume de La Pléiade qui lui a été consacré. Risibles amours est, je crois, son deuxième livre, après ses poésies ; il est composé de 7 nouvelles (nombre de ses romans sont composés de 7 chapitres) : on y retrouve tous les thèmes qu’il exploitera par la suite (la lâcheté et le courage, le donjuanisme et le collectionnisme, la jalousie et l’érotisme, le malentendu et le rire, le mensonge et l’intégrité, l’amour et la religion, quelle qu’elle soit – le communisme en était une pour lui). Ses personnages sont rapidement croqués ; il force le trait d’autant qu’il ne prétend pas au réalisme. Ils sont comiques dans le sens bien souvent de pathétiques. Pourtant tous ses personnages sont crédibles et font méditer. Leurs imperfections sont les nôtres. Kundera refuse tout sentimentalisme. Mais il nous rend proche chaque personnage que nous pouvons ainsi comprendre avec la distance nécessaire pour pouvoir penser les actes et la question de l’individualité. En précisant qu’il ne faut jamais avec Kundera identifier auteur et narrateur ! Pour lui, rien de plus éloigné du roman que la mode actuelle d’autofiction dénuée en outre d’esthétisme. Son écriture est sobre et va droit au but.
Je ne suis pas du tout d’accord avec Nancy Huston que j’aime beaucoup par ailleurs. Elle le classe dans la catégorie des Professeurs de désespoir dans son essai éponyme. Selon elle, il est moins misogyne que hostile à la Maternité avec un grand M. Mais Kundera y a répondu : ce n’est pas qu’il n’aime pas la maternité ; ce qu’il n’aime pas, c’est le fantasme de la maternité et la façon dont elle est idéalisée. Ce que Kundera réfute sans cesse, ce sont toutes les croyances qui s’érigent en certitudes et qui permettent en leur nom de bafouer, railler, mépriser, piétiner l’autre, qui ne les partage pas. Kundera nous oblige à nous pencher sur nos certitudes. C’est pour moi un excellent professeur d’esprit critique. Et l’esprit critique permet de ne pas s’illusionner. Le fait de ne plus s’illusionner ne veut en aucun cas dire désespérer. Sa lecture me donne l’impression d’être plus intelligente.

Ana-Cristina
C'est un hymne à l'amour. S'il en avait parlé avec beaucoup de sentiment ça ne nous plairait peut-être pas. Par la légèreté, il montre la gravité. Il refuse les choses révélées, les lieux communs, ce que tout le monde pense. Il fait tout voler en éclat.


 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !


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