Un camion de cirque débarque un jour de neige trois hommes sur
le bord d'une route : Hésior, le magicien, Zeppo, le clown,
et Nabaltar, le soigneur de fauves. Ils vivent là, dans une ancienne
cabane de chantier, en désaccord avec le temps. Mira, leur amante
est morte. Que subsiste-t-il de cette trapéziste extraordinaire,
qui leur permettait l'envol sur terre ?
Les
demeurées, ce sont une idiote du village et sa fille, fruit d'un
contact éphémère avec un ivrogne de passage. Entre
ces deux êtres d'infortune, nulle parole. Leur amour est silencieux,
bâti sur leur seule présence l'une à l'autre. Leur
vie recluse, solitaire, doit cependant prendre fin lorsque la petite Luce
prend le chemin de l'école.
1958.
Une petite fille est arrachée au pays où elle est née,
l'Algérie. exilée avec sa famille en métropole, dans
une ville de la façade atlantique, elle découvre qu'ils
ne sont que des à moitié, des demi. Quand seront-ils entiers ?
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Jeanne Benameur
Les Reliques
Les Demeurées
Ça tapprendra à vivre
Nous avons lu ces livres en avril 2008.
La séance a lieu en présence de l'auteure.
Françoise G
Dans Les Reliques, la poésie qui devient un roman, cest
quelque chose dinconnu un peu difficile au début, puis merveilleux.
On va à lessentiel et les gens sont très vivants,
très présents. Avec la mère des Demeurées
et dans les trois hommes des Reliques, on a lhumanité
même. Mira me paraît mystique
Jeanne Benameur
... Mira=Marie...
Françoise G
... les trois noms font penser aux Rois mages : il y a quelque
chose de religieux, des relations entre le haut et le bas. En voyant le
mot "roman" sur les livres, on sinterroge. Ces personnages
qui sont là, pourraient être pour des enfants...
Jeanne
... une amie me disait "il faudrait trouver un nouveau mot"
concernant pour moi le texte pour enfants : jécris dans
ce lieu de linfans, "davant le langage" pour amener
à lécriture quelque chose qui est dans le blanc, dans
le silence. Il faut beaucoup travailler. Mon travail, cest denlever.
Je nécris pas pour ceux qui nont pas la parole. Jécris
pour ceux qui lont, la perdent, retournent au lieu davant.
Pour moi, chaque être humain est profondément divin. Par
un lieu, une histoire, une espèce de présence, on refait
alliance avec quelque chose au fond de nous. Mira, ce quelle fait
est miraculeux avec son trapèze et les gens retournent différents
chez eux. Cest le vertical...
Françoise G
... en vous lisant, jai retrouvé des choses que je faisais
moi-même enfant, je my revois...
Jeanne
... ce texte des Reliques, je lai écrit il y a longtemps,
dabord sous forme dun texte théâtral sauf que
les trois hommes attendaient "la petite" : la fille de
Mira et des trois hommes, puis je lai fait disparaître.
Monique
Moi jai trouvé quil était encore là,
cet enfant. Je croyais quils étaient auprès dun
enfant : les Rois mages viennent pour un bébé aussi.
Jai beaucoup aimé vos livres. Jaurais voulu avoir le
temps de mieux préparer. Avec des élèves à
Villeneuve-la-Garenne, jai lu Samira des quatre-routes ;
dans un manuel de 4ème, il y a un extrait de Ça tapprendra
à vivre, très beau, sur le mensonge. Jadore limage
de la couverture de lédition folio. Jai lu Les Demeurées,
qui me rappelle une élève borderline avec une mère
dingue : les premières pages sont magnifiques. Mots cailloux,
mots-galets. On est dans cette femme et à lextérieur,
dans lintériorité de cette petite fille. Lécriture
est magnifique. Jai lu Les Reliques qui ma rappelé
La Loutre de Mingarelli (avec les trois dans le camion)...
Jeanne
... nos univers sont très proches. Il ny a pas de femmes
chez lui, pas dhommes chez moi...
Monique
... il y a une page (29) que je pourrais apprendre par cur
comme un poème. Léjaculation collective ma plu
et ma rappelé Michel Tournier quand Robinson fait lamour
avec la terre...
Jeanne
... je narrivais pas à lécrire, cest
Alain André qui ma aidée à lécrire...
Monique
... je vois cela comme un rituel cosmique ; je pense à
quelque chose de la préhistoire, un culte de quelque chose. Cest
écrit par une femme mais cest puissamment masculin...
Jeanne
... ah, écriture masculine ou féminine... Quand on
écrit on nest plus personne et même pas une personne
(une pierre ?). Pourtant comme jai connu la maternité,
les règles, mon écriture est donc féminine...
Françoise G
... si Alain André vous a aidée, cela veut dire que
ce nest pas évident...
Monique
... jaime les textes poétiques, donc jaime cette
écriture. Donc jai envie de lire dautres livres de
vous. Lécriture est à los. Je suis très
contente de vous lire et de vous voir.
Jacqueline
Je ne vous connaissais pas. Cest une chance de rencontrer lécrivain
des Reliques. Jai pensé aussi à Mingarelli
à la première lecture. Jai eu quelques difficultés
à entrer dans cette histoire : Mira semblait irréelle.
Il y a une grande sobriété décriture mais pas
toujours la sensation de réalité. Je nai pas vu la
signification religieuse. Et le cirque ? Le cirque refuse la mort,
il la laisse au village, aux sédentaires. Le langage des personnages ?
Ils sont souvent dans des instincts : au fond tout ça lhistoire
de lécriture. Les Reliques, cest ce que fait
lécrivain et alors tout le livre a pris sens : quest-ce
que le livre deviendra ? Cest désespéré...
Jeanne
... pour moi, cest une espérance. On fabrique de fausses
reliques qui nous relient avec le haut et le bas et dautres personnes
en feront quelque chose. Pour écrire ce texte, je suis passée
par des passages très difficiles, cela emmène près
de la folie : le fait de vivre après la mort de ceux quon
aime parce que la mort continue. Cest un texte violent et âpre.
Dans Les Reliques, ils sont tout seuls. Ils ne peuvent que "faire
uvre". Ce texte peut faire peur. Moi aussi je lis beaucoup
et des textes mont tenue à lécart...
Jacqueline
... le groupe permet ça, de sapproprier du texte que
lon naurait pas lu seul.
Claire
Je me sens proche de la petite fille demeurée. Souvent je ne comprends
pas. Par exemple, je ne plaisante pas, je nai pas vu quils
se masturbaient... La poésie me barbe. Jai lu Ça
tapprendra à vivre, plein de réel, qui ma
plu. Jai juste eu un problème, avec la voix : qui parle
me disais-je ? La petite fille ? Ce nest pas possible.
La narratrice faisait lenfant...
Jeanne
... cest une sacrée critique, car cest la femme
que je suis aujourdhui qui écrit la légende des émotions
de la petite fille dautre fois...
Claire
... je remarque les très beaux cailloux de lécriture
à los : "on mangera triste" ; je minterroge
dautres fois : "ton regard me noie dans les draps"...
Jeanne
... je voulais rendre les échos des voix des différents
âges qui nous traversent ensemble ; je ne nie pas limportance
de la psychanalyse. La réalité je men fous, cest
la vérité que je veux. Je pense à Nathalie Sarraute
avec les pronoms différents. Jai essayé décrire
ce livre à la troisième personne, mais cétait
trop distancié, cela ne marchait pas. Je voulais "descendre"
dans la tête de la petite fille...
Claire
... puis jai lu Les Demeurées comme une histoire
symbolique, formidable, puis jai attaqué Les Reliques...
Jeanne
... la face nord...
Claire
... je reconnaissais lécriture travaillée, le
rythme, avec les phrases nominales qui scandent, lunivers, les morceaux
de musique (Claire lit un petit passage quelle trouve "typique") ;
mais ne sont-ce pas des sortes dhabitudes décriture ?
Je me suis surtout posé des problèmes... de réalité :
comment ces trois hommes vivaient-ils ? de quoi ? ils ne peuvent
pas être amoureux de la même femme sans jalousie, etc...
Jeanne
... il faut parfois lire sans "raisonner"...
Claire
... cest un livre, je suis dedans ou dehors, parfois je ny
suis pas...
Françoise G
... moi aussi parfois je ne suis pas loin de cette impression car
l'auteur rend par les mots très émouvants ce qui nest
presque plus rien...
Claire
... par exemple ce nest pas possible de prendre terre et poussière...
Jeanne
... mais si ! Les mots sont différents des choses !
Cest comme quand je vais voir un tableau, je vais voir luvre
et je ne recherche pas la copie du réel. Mon prochain livre est
différent. Ici javais besoin de cette scansion. Mais parfois
je ny arrive pas. Et puis cela dépend bien sûr comment
cela résonne avec chaque lecteur...
Annick A
Jai lu Ca tapprendra à vivre qui ma très
touchée car lenfant est véritablement là. A
quel point on est dedans ? Avec le choix du "je" et de
ladresse à dautres « tu », les
frères et surs. Jai été touchée
par la solitude de la petite fille, qui se met à lextérieur
de la famille...
Jeanne
... en exil...
Annick A
... mais il manque de cette enfance les mots de plaisir et de jeux...
Jeanne
... maintenant je les ai retrouvés, je pourrais les écrire,
mais pas à lépoque, avec la nécessité
décrire : cétaient ces choses difficiles,
cest de lécriture que vient le sens, on cherche quelque
chose...
Annick A
... avec Les Reliques, jai eu plus de mal. On est dans
larchaïque, "davant la parole". Mais quand
on y allé voir, on na pas envie dy retourner. Pour
moi, lanimalité, ce nest pas plaisant, je men
suis défendue, de cette idée de la préhistoire. Ils
sont "brutes" et le crime bestial. Il y a beaucoup de sensualité,
par rapport à larbre, à lodeur...
Jeanne
... le coté bestial est aussi grand raffinement. Limmanent
et la transcendance : javais envie de mapprocher de « ça »,
de ce quil y a eu en nous.
Geneviève
Javais lu Les Demeurées : javais énormément
aimé. Je lai fait beaucoup lire. Et Samira des quatre-routes
puis Présent ? Que je nomme toujours Pour. Il
y a un sens qui me soulageait, par rapport aux Reliques où
je ressens les deux aspects de tout ce qui a été dit. Jai
aimé mais je lai aussi repoussé, cest beau mais
cest en dehors de moi. Jai un vrai problème avec la
poésie et le regrette, car jaimerais aimer ça, cest
comme si je restais à la porte. Dans ce livre, cela fait écran,
jai besoin dun univers réel...
Jeanne
... en fait dans Les Reliques, il ny a pas denfant.
Annick L
Javais lu Jeanne en jeunesse, comme Même si les arbres
meurent, le livre que je préfère sur le deuil avec une
finesse, une délicatesse et jai été émerveillée
par lattention aux petits objets, au quotidien. Il y a une sensualité
de la vie dans ce quelle a de plus simple et de plus profond. Après
jai lu Les Demeurées, je lai lu et relu. Un
des plus beaux livre, un joyau - cisellé, raboté -
sur lavènement du langage que linstitutrice a fait
advenir. Le travail de lécriture est un travail de laccouchement.
Quelque chose advient de larrachement (sans perte de la mère).
Les Reliques, cest plus sombre trop triste. Ils sont vieux,
mais gardent une « sève de vie », ils gardent
vif le désir quils avaient de cette femme...
Jeanne
... je nai peut être pas réussi. Dans cet obscur,
ils créent une autre dimension. Ils nont plus que leur enveloppe
corporelle, mais ils font uvre. La quête nest pas forcément
dans les bonheurs conventionnels. On est dans le blanc, le noir et le
rouge. IL ny a pas de soleil. Jai été marquée
par Giono et surtout Un Roi sans divertissement...
Françoise G
... car Giono met sur les choses des mots un peu décalés
qui nous font voir autre chose...
Jeanne
... jai beaucoup de mal avec le "familier", je déménage
beaucoup...
Je minterroge sur le titre de mon prochain livre :
- Laver les ombres
- Cest comme pleurer
- Déliées
Quest-ce que vous préférez ?
Le groupe
Cest comme pleurer.
(suite des avis de ceux qui nont pas rencontré lauteur)
Françoise D
Tout simplement je n'ai pas accroché, ce langage pseudo fantastico-poétique
m'a gonflée, et l'histoire m'a semblée pareille et incomplète
(moi j'ai besoin qu'on m'explique tout, je suis un peu demeurée).
Bref, je me suis ennuyée... aucun intérêt.
Françoise O
J'ai beaucoup aimé Les Demeurées. Jai courageusement
lu Les Reliques. Mais je n'ai jamais aimé le cirque. Tout,
profondément est pour moi pénible. Le Clown me serre le
cur et ne me fait jamais rire. Un animal dressé est, pour
moi, un animal qui a été battu. Le pire est le numéro
de trapéziste. Le public me semble attendre le drame, trouvant
que sans filet, cest tellement mieux !!!!! Affreux.
Lona
Les Reliques, cest de la vraie poésie ! Cest
léger, aérien, accessible, comme un conte pour enfants.
Cest bien écrit. Cest une histoire damour !
Une histoire originale, qui se déroule dans un petit cirque rural :
un magicien, un clown et un dresseur de fauves. Ces personnages assez
rustres, vivent en marge de la société ! Tous les trois
sont amoureux et ils se partagent la même femme : Mira la trapézite,
la femme de lair ! Mira meurt : accident ou suicide ?
Les trois resteront siamois : trois
curs collés ensemble. Et ça bat. Ils sont devenus
cette étrange chose vivante Trois curs ensemble, pour une
seul : Mira. Ils sont liés pour toujours. Chacun deux
est trois, chaque fois et ils seront trois à continuer à
pousser devant eux leur vie, une grosse boule passée détoiles.
Mira, lamante parfaite, comme tous les hommes en rêvent sans
le dire, car les hommes savent quil existe cette sorte damour,
un amour qui nattend rien, un amour qui sespère lui-même
dans chaque étreinte.
Mira devient la relique, celle qui leur permet de vivre : une relique
qui demeure bien après que tout a disparu. Derrière le verre,
la relique est là, protégée. On la vénère...
On ne garde pas lair qui passe... On peut croire à lhorizon.
Il faut laver la mort... Cest un hymne à lamour !
Les sujets récurrents de Jeanne Benameur : la vie, lenfermement,
la marginalité, laffection, le regard de lautre, lamour,
le souvenir, la reconstruction, la mort, la filiation.
Jai lu aussi Ça tapprendra à vivre :
cest bien écrit : les phrases sont courtes, la lecture
est facile, le ton est juste. Beaucoup de retenue dans les émotions.
On balance entre le là-bas dAlgérie et le ici en France.
Les deux récits se superposent... Rappels historiques : la
guerre dAlgérie, un couple mixte, des enfants mélangés.
La petite porte le prénom dune tante décédée :
est-elle une enfant de substitution ? Chacun cherche sa place :
dans la famille, dans le couple, dans la fratrie, dans la société.
Silences, mensonges, complicités, non-dits, violence, enfermement...
La quête de lamour maternel ; un besoin de mère,
un besoin égoïste, possessif, une mère à ne
pas partager. Lécriture va être salvatrice. Une biographie.
Une belle histoire !
Marie Thé
Ça t'apprendra à vivre
J'ai aimé ce récit de l'enfance. Je l'ai trouvé triste,
le déracinement, les murs de la prison, mais aussi la prison intérieure...
L'auteur cherche sa place... Jeanne Benameur a trouvé les mots
justes pour décrire son univers. Cependant, je n'ai pas vraiment
trouvé d'émotion dans ce livre : la peur, tellement
présente, masquerait-elle cela ?
Les Reliques
Je n'ai pas aimé l'atmosphère, ce côté morbide ;
déjà avec un titre pareil, j'y allais à reculons ;
insupportables reliques... Je n'ai pas aimé non plus le monde du
cirque ; j'ai pensé : pourquoi tout ce cirque ?
Après Les Reliques jai lu Ça t'apprendra
à vivre et c'est comme si tout à coup ça s'éclairait :
ainsi, dans un chapitre intitulé "Le faux journal" je
lis : « JE dis tout mais je maquille. Jamais à
nu... Je suis dans ces pages mais il faut savoir m'y trouver ».
Mira, le cirque, n'y aurait-il pas de l'auteur et de son histoire cachées
derrière ?
Pour revenir aux Reliques, je note qu'il est souvent question d'espace,
de temps, même si au début tout semble seffacer (avec
la neige, la montre). Mais l'espace est toujours délimité.
(Comme jadis l'habitation dans la prison ?). Pour ce qui est du temps,
on "voyage" dans sa vie. (Cela fait penser à la psychanalyse) :
"Zeppo rentrera à nouveau dans son corps de vieil homme. Les
cris du petit garçon s'affaibliront..." "Zeppo, lui,
est " là depuis l'enfance... " Les 3 personnages
masculins (qui je pense n'en font qu'un) peuvent aussi représenter
différents âges de la vie. Autre exemple de ce "voyage"
dans la vie, les photos enlevées des albums par Zeppo, la vie à
rebours. "Ils ne se rendent pas compte qu'il leur donne l'unique
possibilité d'en finir avec la peur. On commence par la fin et
on remonte..."
Autre chose qui a retenu mon attention, c'est la légèreté
de Mira qui s'élève, "comme si elle quittait cette
terre qui s'engloutissait sous elle." L'aérien, le souterrain,
reviennent souvent, de même le souffle. Mira est "un souffle
qui passe" ou : "le cirque ne sut pas la garder. On ne
garde pas l'air qui passe." Plus tard "eux creusent pour déposer"...
En lisant tout ceci j'ai pensé yin, yang, qi.
Beaucoup de choses dans ce livre que je n'ai pas beaucoup aimé...
Je retiens encore "C'est l'absence qui les garde. Mieux que n'importe
quel geôlier". Ou : "Seuls de leur espèce
errante." L'espace, la place, encore...
Vers la fin, tout se sang, puis le sperme, les larmes, et ce refrain "oh!
La vie !" (p92), j'ai trouvé cela insupportable. Finalement
ces reliques sont un trésor, quelqu'un frémira un jour en
les découvrant, et Mira sera vivante... Je rapproche ceci de la
fin de Ça t'apprendra à vivre : le briquet enterré
sous le sable, c'est une flamme enfouie, de même la tombe du père...
Tout cela annonce Les Reliques.
Jean-Luc
Ça t'apprendra à vivre
Ce n'est pas très gai. Le début de ce livre me rappelle
tristement une époque que j'ai vécue sur place, et qui à
l'évidence a profondément marqué l'auteure. C'est
une longue plainte dans un langage vif, simple, naturel pour décrire
la méchanceté et la bêtise humaines. On a l'impression,
et pour cause, d'avoir là, la description d'un "monde-prison"qui
tourne en rond sans espoir. C'est aussi un livre de l'exil d'une famille
qui, à travers son histoire et ses péripéties, reste
fermée sur elle-même et figée dans l'impossible oubli
du déracinement. C'est le récit d'une souffrance.
Les Reliques
Un huis-clos ? Sorte d'élégie moderne qu'on pourrait
imaginer accompagnée du Stabat Mater de Pergolèse.
Les 3 compères (clown, dompteur, magicien) qui ne vivaient que
par une passion commune envers leur "amie-amante" trapéziste,
allant jusqu'à provoquer sa mort et quasiment la leur par jalousie,
nous décrivent ainsi un drame à base d'amour fusionnel dans
un ménage à quatre.
J'ai lu ce livre comme une fiction illustrant la misère humaine
et son antidote à travers l'amour commun et possessif d'une trapéziste.
Dans le noir de la dure existence du cirque, nos trois artistes ont quelqu'un
à aimer, à admirer, qui réchauffe leurs curs,
pour qui ils tremblent tous les soirs, pour qui ils lèvent les
yeux au ciel plein d'admiration : c'est une chance inouïe.
Malheur à qui brisera leur rêve car cet amour est vital,
et en ce sens tragique.
Un soir c'est la chute provoquée par une tourterelle "téléguidée",
conséquence de la jalousie : c'est aussi la chute de tout
le monde.
Restent les reliques récupérées et enterrées
dans un rite funéraire et quasiment sacré.
Nicole
J'ai lu Ça t'apprendra à vivre avec beaucoup d'intérêt
et d'émotion, comme une biographie. Javais lu deux ouvrages
de l'auteure (Les Demeurées et Les Mains libres)
et j'étais curieuse de connaître ce qui avait marqué
son enfance, afin d'avoir un éclairage supplémentaire sur
ses romans. J'ai retrouvé l'écriture que j'aime, de cette
auteure, avec l'importance donnée à chaque mot, mots qui
lui ont permis d'exister et de survivre au contexte difficile de son enfance.
Quant aux Reliques, un vrai bonheur de lecture, même si le
thème côtoie constamment le malheur. Grâce à
l'écriture, j'ai emprunté le trapèze de Mira pour
les personnages, bien sûr symboliques, que j'ai imaginés,
surtout Nabaltar et Hesior. J'ai eu plus de mal avec Zeppo. J'ai été
très sensible à leur amour pour Mira, à leur souffrance
muette quand cette dernière les a délaissés pour
le dompteur et à leur souffrance active (l'épisode de la
mort du dompteur est un passage fascinant) quand ce dernier l'a laissée,
provoquant son abandon de la vie.
J'ai été très sensible aussi à la façon
dont ils ont transformé leur cahute en "demeure" (le
coffre qui crée le chez-soi) en enterrant le coffre au centre de
la pièce. "La seule magie qui existe sont les images qui dorment
dans la tête de chacun" et que le cirque est là pour
les réveiller dans la tête des petites gens, qui n'ont pas
"d'habits du dimanche".
Pourquoi livre ouvert aux ¾ ? Parce que j'ai trouvé
trop long l'épisode du sang de Saint-Janvier. Peut-être ne
l'ai-je pas très bien compris.
Lil
Il me faut tout de suite prévenir : je suis une inconditionnelle
de Jeanne Benameur, de cette écriture concise, forte, dense, toute
de poésie qui vous remue le cur et les tripes ! Cette
auteure possède l'art de dire le silence. (Combien j'ai aimé
Les Demeurées et Les Mains libres !)
Dans ce livre autobiographique, Ça t'apprendra à vivre,
chaque mot pèse son poids. J'ai cheminé tout près
de cette petite fille, avec beaucoup d'émotion : comme elle
nous parle vrai de toutes les violences faites à cette famille,
ligotée dans le silence et les non-dits dont chacun souffre à
sa façon. J'ai adoré la manière dont se dessinent
peu à peu, au fil d'anecdotes quotidiennes, les portraits des parents
et de la fratrie, toujours avec cette écriture économe qui
condense et suggère à la fois, avec beaucoup d'élégance
et de sensibilité (par exemple les 4 dernières lignes du
livre qui nous apprennent la mort du père). Cette petite fille
découvre la violence de la guerre, l'ambivalence des adultes, leurs
mensonges, leur égoïsme, leurs souffrances, leurs contradictions,
leurs ruses... tout ce dont chacun se sert pour survivre et exister, et
elle, ce sont les mots : magnifique passage où l'enfant capte,
pour elle seule, l'attention de la mère, en lui lisant ses rédactions
- "Nous appareillons ensemble , loin de l'appartement, dans
mes mots " ou encore, le récit du vrai/faux journal ou
encore la façon dont elle séduit ses camarades de classe
en leur brodant des histoires de palais orientaux et de princesses voilées...
Que de sensibilité et de justesse dans la description de l'exil,
(par exemple p.110 l'installation sur la plage), de l'enfermement,
de la difficulté à s'acclimater, à s'ancrer, à
se forger une identité lorsque trois pays d'origine sont à
disposition : Arabe ? Française ? Italienne ?...
La lecture de ce livre m'a été indispensable pour entrer
pleinement dans l'uvre de Jeanne Benameur, suivie de Comme on respire.
Et malgré la douleur qui perle à chaque page : un vrai
bonheur de lecture !
Pour Les Reliques, à la première lecture, j'ai trouvé
quelques longueurs, des passages un peu confus.
Je l'ai relu, me suis laissée totalement porter par le texte et
ce fut l'éblouissement, comme d'habitude !
On y retrouve la qualité d'écriture de Jeanne Benameur :
concision, densité, poésie, sensibilité...
Il y a tout dans ce livre : une superbe réflexion sur la mort,
l'absence de l'être aimé, les souffrances induites chez ceux
qui restent et la façon dont ils s'en arrangent, la difficulté
à vivre, la solitude profonde de chacun, la différence,
l'exclusion, le silence, la légèreté (ceci m'a particulièrement
touchée), le temps, l'animal et l'humain, et l'amour qui nous rend
vivants ! J'ai adoré ces trois hommes, unis dans leur amour
fou pour Mira, si touchants dans leur tentative de la garder vivante à
jamais, solidaires et cependant si seuls... Quelle magnifique histoire
d'humains qui nous renvoie à notre propre finitude et à
la mort de ceux qu'on aime !
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