Les Braises
L'auteur des Révoltés, des Confessions d'un bourgeois ou de La Conversation de Bolzano n'a eu de cesse de témoigner d'un monde finissant, observant avec nostalgie une Europe mythique sur le point de s'éteindre.
A travers la dramatique confrontation de deux hommes autrefois amis, Les Braises évoque cette inéluctable avancée du temps.
Sándor Márai (1900-1989)
Les Braises (1945)

Nous avons lu ce livre en septembre 2006.


Sabine
J'ai été heureuse de découvrir un "nouvel" auteur hongrois puisque mon père est hongrois (ce qui est finalement sans intérêt !), mais surtout parce ce que j'apprécie la littérature dite "d'Europe centrale", Zweig, Mann, Musil... Mon avis est globalement positif : le thème du roman (nouvelle ?), des retrouvailles, est alléchant. Une ambiance se dégage : préparatifs de la soirée, qui s'annonce riche en révélations, l'aspect austère donné par les souvenirs d'une vie militaire, le dialogue qui pourrait s'apparenter à un duel, tout cela m'a plu.
Cependant, ce dialogue est souvent un monologue, parfois à la limite de l'artificiel (parle-t-on ainsi, même entre gens de la haute société ?). La chute m'a, dans un premier temps, déçue : non la révélation de la double trahison (il a été trompé par sa femme et son meilleur ami), mais l'absence de réponse de l'ami, qui s'esquive, m'a énervée. Puis, vu leur grand âge à tous les deux, un dernier duel aurait été peu crédible.
Pour conclure, j'ai été assez séduite par Sandor Marai pour acheter un second livre, mais qui me semble être la copie conforme, au féminin, de celui-là, L'Héritage d'Esther. Marai n'a sans doute pas l'envergure des trois auteurs que j'ai cités précédemment, mais je n'ai pas boudé mon plaisir.
Françoise O
J'avais trouvé que Les Braises était un livre magnifique, lu d'une seule traite. Je l'ai relu pour ce soir... et je ne l'ouvre qu'aux trois-quarts. Je tape trop mal pour exposer mes réticences et je suis trop mal fichue pour venir.
Sandrine
Les braises... rougeoient sans pourtant s'éteindre, le feu perdure sans que crépite la flamme... peut-être est-ce ce qu'il advient des sentiments avec le temps qui passe... "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme"... l'amour comme la haine, si proches et insaisissables... on ne choisit pas d'aimer, on ne hait pas sans raison... si les sentiments ne se choisissent pas, l'homme est pourtant responsable de ses actes, mus ou pas par ses sentiments... on ne peut reprocher des sentiments ou leur absence : comment pouvoir juger d'un sentiment, de sa force ou de sa faiblesse... l'acte seul est un témoignage tangible et tend à prouver l'existence d'un sentiment... et pourtant... Marai emmène son lecteur dans les méandres de sa réflexion sur l'amour, l'amitié, la fidélité, le respect, le sens de l'honneur et du courage dans un siècle et une société ou certes les codes et les règles diffèrent... mais...
Une pépite finement ciselée, tout en nuance et en retenue, où les silences en disent plus que les mots.
Katell de Strasbourg
Je ne vais pas entonner - une fois de plus ! - ma complainte... "Ah ! ce que j'aimerais être avec vous ce soir..." Ça devient ennuyeux. Pour participer au débat de début de soirée : j'ai été une fois au cinéma (diantre) pour voir Little miss Sunshine et je me suis vraiment poilée ! A part ça, pas une grande activité intellectuelle. Mais j'ai lu Les Braises. Voici mon avis sur Les Braises...
J'ai bien aimé cette rencontre, le suspens est habilement entretenu. J'ai trouvé quelques aphorismes sur la-vie-la-mort pas trop idiots (ne me demandez pas lesquels, je ne prends pas de notes). J'aime bien l'écriture concise et cette évocation des jours anciens par le biais des dialogues est assez réussie : une époque qui s'achève au rythme des valses ou des nocturnes de Chopin. Cela m'a fait penser au film Colonel Redl (ça vous dit quelque chose ?). Cependant, tout cela pour une histoire de coucherie, c'est dommage. L'auteur aurait pu inventer un motif de brouille un peu plus intéressant. J'ai également pensé que c'était un livre assez masculin, notamment à travers la manière d'aborder l'amitié (le sentiment le plus pur et qui ne souffre aucun compromis) et de ressasser cette histoire d'infidélité (l'orgueil, voire la vanité du mâle blessés). Je suis contente d'avoir découvert cet auteur dont je n'avais jamais entendu parler. Je pense qu'à l'occasion, j'en lirai d'autres.
Au fait, la rencontre entre Conrad et le général se situe-t-elle entre la Première et la Seconde Guerre mondiale ? Je n'ai pas réussi à dater l'événement.
Eve
J'ai trouvé ce livre légèrement ennuyeux. Même l'écriture, pourtant belle. Il y a pas mal de longueurs, quelques redites... Cette nostalgie d'une époque révolue, de vies frustrées, de ce qui n'a pu se dire ou se réaliser... ne m'a pas touchée. Deux vieillards cacochymes qui se retournent sur leur vie et dont le bilan se focalise sur leur histoire triangulaire vieille de 40 ans... c'est peu captivant, même avec des réflexions sur l'amour, l'amitié, la solitude, la nature humaine, les rapports de classe... ; même quand l'auteur essaie de donner une dimension romanesque avec la suspicion d'assassinat, ou le personnage de Christine un peu énigmatique, son carnet jaune... Je n'ai pas réussi à accrocher. J'ai néanmoins apprécié la forme, que j'ai trouvée assez habile. L'auteur fait facilement revivre des décors, des ambiances. Les personnages et les situations s'y inscrivent bien... C'est sans doute un bon livre mais il ne m'a pas passionnée.

Marlyn
J'ai lu Les Braises et j'ai bien aimé mais il me reste une impression de fatigue, ce qui est bien. Quand on est vieux, on a attendu une explication : on n'est même pas frustré. Je ne trouve pas le mot : peut-être désabusé. La femme n'a pas dû rigoler pendant son voyage de noces. Je me suis identifiée à elle.

Elisabeth
J'ai bien aimé ce livre mais je ne sais pas pourquoi et en même temps je n'ai pas trop aimé cette ligne uniforme. L'univers est appauvri et il ne reste que ce château. C'est un monde arrêté, qui s'ouvre pour ce repas. La façon emphatique de parler du passé donne une vue appauvrie. Si toi Marilyn, tu t'identifies à la femme, j'ai envie de m'identifier à la bonne...
Jacqueline
J'ai lu ce livre comme une espèce de jeu, un artifice, un jeu d'écriture. Ça m'a rappelé Borges qui est tellement un jeu que je peux aimer car il n'y a aucune attache dans le réel. C'est bien amené, quand la femme apparaît : on voit qu'elle l'a trompé, mais ce n'est pas une histoire de tromperie. Ce que je n'arrive pas à comprendre c'est le mélange entre le jeu et le réel (les passages) et les sentiments très forts, le désintérêt de la vieillesse. Sur l'amitié, cela me rappelle la parole de Lacan : l'amour c'est donner quelque chose qu'on a pas à quelqu'un qui n'en veut pas. J'ouvre à moitié à cause de la discordance même si ça doit être un bon livre.
Françoise D
J'avais lu Divorce à Breda avec la même impression d'inachevé. J'ai souvent pensé à Schnitzler que je trouve plus fort. Ce monologue m'a barbée. On ne sait pas pourquoi Conrad est venu. C'est une histoire de coucherie. J'avais imaginé un complot entre Conrad et Christine pour hériter de la fortune du Général. Même pas ! J'ai eu plus d'intérêt pour le dernier tiers du livre car ça bouge plus. J'ai trouvé que beaucoup de réflexions reviennent, se répètent : ça m'a un peu fatiguée. Même s'il y a des moments où j'ai adhéré. L'écriture est pénible. L'autre ne répond que par des monosyllabes. C'est vrai qu'il y a la nourrice, mais bon, c'est un personnage convenu. Je trouve ce livre daté et poussif.

Manu
Je ne suis pas d'accord avec toi Françoise, Schnitzler m'ennuie, là j'ai été emporté. J'avais vu l'adaptation des Braises l'année dernière au théâtre de l'Atelier et la lecture du livre m'a éclairé sur les choix de mise en scène, notamment les plateaux tournants, le décor mouvant. Je trouve ce livre magnifique avec ses descriptions de Vienne, de cette époque finissante.

Claire
Ce livre m'a beaucoup plu ! Au moment où je lisais ce livre, j'avais lu un article sur les "page turners" (les livres qu'on lit sans pouvoir s'arrêter) : ce livre en est un pour moi. Le général ne fait que causer et ça m'a tenue en haleine. C'est stylisé, comme une tragédie. C'est un hommage au monde finissant. La vision des femmes est parfois condescendante : "seuls les hommes connaissent ce sentiment" en parlant de l'amitié vraie. Le sentiment du général pour Conrad déborde l'amitié. Et pourtant on frise l'homophobie. Et aussi le racisme ("Christine n'est pas de race pure"). Je n'ai pas senti la distance de l'écrivain. Ce personnage et cette époque ont quelque chose de fascinant. Ce livre me laisse l'impression d'un bijou, ciselé.
Monique
Je n'avais rien lu de cet auteur : c'est une découverte et ce livre m'a beaucoup plu. L'écriture est remarquable. Des choses très simples évoquent des choses très importantes, comme dans ce passage sur le bal (p. 26) où le roi ramène la mère du narrateur en pleurs à son mari. Du côté des femmes, il y a des répétitions : elles semblent toutes vivre dans ce château enterrées vivantes, sans réaliser leurs désirs. Quand les deux garçons sont à l'école militaire... ils font souvent leur promenade dans le parc de Schönbrunn (p. 34), les quelques adjectifs choisis expriment très bien la formation d'esprit inculquée au général. La relation entre les deux amis est passionnelle et il est évident qu'elle mène à une même orientation des désirs - en l'occurence la même femme. Dans les 30 premières pages, il y a très peu de dialogues mais beaucoup de descriptions d'intérieurs, d'atmosphères (les mains d'une femme...). Puis on passe à un texte théâtral avec l'immense monologue. Car Conrad, en fait, ne dit jamais ni oui, ni non. On ne sait pas si les suppositions du général ou seulement fondées. Conrad "sait" écouter.
Ce qui est beau, c'est que le général ait été sûr que Conrad reviendrait : il revient pour être l'oreille, le miroir. Ainsi le général peut progresser dans sa prise de conscience sur ce qu'a été sa vie, ce qui a été important, ou pas, comment aller vers la mort...
L'épisode du carnet (si bien décrit : recouvert de velours bleu avec un ruban jaune ; on le voit, il est tangible) est jeté au feu. Les braises si bien décrites ont donné le titre au livre.
En fait, ils s'en foutaient de Christine.
Et la seconde question est peut-être la plus importante. Comment fait-on pour survivre à nos proches qui ont disparu ?
Le général est présenté comme déçu car le monde dont il fait partie va disparaître. J'aime beaucoup la façon dont parle le général avec cette idée des romans du XIXème siècle : qu'il y a une vérité. J'avais en lisant l'impression d'être dans un autre siècle. J'ouvre aux ¾ car j'ai un petit doute sur les autres romans. Je suis très très contente de l'avoir lu mais je ne l'emmènerai pas sur une île déserte.

Claude
J'aime beaucoup ce livre, je le garderai dans ma bibliothèque. Car il y a des réflexions sur le sens de l'amitié très justes. Je ne sais pas parler de ce livre. Je le trouve passionnant.
Brigitte
Je ne connaissais pas cet auteur. J'ai trouvé ce livre intéressant malgré sa couverture assez bof… Après les descriptions, le monologue… l'ennuis guette, mais j'ai été surprise. L'histoire de l'arme braquée relance le suspense. J'ai changé alors mon point j'ai vu sur le livre et ai trouvé le sujet intéressant : l'amitié au tard de la vie, ce malentendu. Ce qui renouvelle l'approche de ces hommes vieillissants. Ça me rappelle Nathalie Sarraute par certains points de vue. On est dans ce mouvement qui mène à la pièce Pour un oui ou pour un non.
Liliane
J'ai relu, tout aussi captivée que la première fois, ce livre méditatif, un bilan de fin de vie qui pose les questions ultimes, celles qui font mal, avec précaution mais sans y renoncer, avec la sagesse d'accepter de ne pas avoir réponse à tout. J'aime ce livre et j'en accepte les faiblesses, après la narration du premier tiers, le long monologue peut paraître pesant à certains, puisque Conrad ne répond que par paraphrases, vagues approbations ou courtes questions... A mes yeux, il relance l'introspection du vieux général, dont les propos font écho à ses propres réflexions ; c'est ce silence de Conrad, cette partie non écrite mais à imaginer par le lecteur qui m'intéresse aussi. En outre, le dialogue s'intensifie : le changement de salon, la panne d'électricité fait évoluer la conversation, l'ombre fait surgir la mort. J'ai beaucoup souligné ce qui me touchait : la solitude, la jeunesse, la passion, les limites de la connaissance de soi-même et de l'autre, le vieillissement... Le discours "chasseur" du général, le mari qui lit le journal de sa femme, ses réflexions sur "la race pure" (p. 181) sont à prendre avec distance, ils sont, je pense, volontairement caricaturaux, l'auteur - dont on connaît la vie - fait parler un militaire aristo d'avant la première guerre. L'enjeu de la première question qui arrive en fin de roman (savoir si Christine était complice de Conrad dans son projet de meurtre) ne me paraît pas être la visée du récit, mais plutôt un des ressorts, un fil conducteur. La deuxième question sur le sens de la vie, formulée à plusieurs reprises comme un leitmotiv, est posée de nouveau en fin de texte, parce qu'il s'agit de continuer à vivre sans raison. Conrad y répond d'abord par un "ça ne sert à rien" (p. 216), puis à la page suivante le général invoque la passion, la passion cherchée, vécue remémorée qui peut s'adresser à n'importe qui, que l'on croise, et qui répond. La vie ne tient pas à grand chose finalement, et les deux protagonistes savent qu'il faut sauvegarder ce peu, l'un en détournant son fusil, l'autre en jetant le carnet au feu, leur amitié, ou plutôt son souvenir sera sauvé.
J'ai aimé l'écriture, les descriptions des lieux qui nous parlent des personnages, les analogies : "C'était un poêle imposant, un poêle centenaire, qui dispensait la chaleur, comme les gens corpulents et indolents mitigent leur égoïsme par une bonne action facile" (p 21), ainsi que les réflexions sur la mémoire "les choses secondaires [...] se dissipent comme les songes. Le souvenir est un crible merveilleux qui filtre tout" (p. 90) ou "La vie n'a d'autre but que de se continuer jusqu'à l'extrême limite de ses possibilités" (p. 186)
Le décalage entre la gravité de la confrontation et le ton aimable ou courtois (mais chargé de non dit) m'a énormément plu ; je regrette de ne pas avoir vu Claude Rich interpréter le texte au théâtre. (Quelqu'un l'a-t-il en DVD ?)
Pour terminer, j'ai aimé Conrad, personnage de l'ombre, emblématique de l'être recherché qui n'apporte pas de réponse : "Il faut se résigner [...] nous devons admettre que des personnes que nous aimons ne correspondront pas à notre amour comme nous l'espérions. Nous devons supporter la trahison et l'infidélité..." (p. 133)

 

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