Terre Humaine une anthologie, textes réunis et présentés par Pierre Chalmin


Les derniers rois de Thulé : avec les esquimaux polaires face à leur destin
, Jean Malaurie
La collection "Terre Humaine" (créée en 1954)
Pendant l'été 2005, nous avons lu au choix des ouvrages de la collection "Terre Humaine", notamment Terre humaine : anthologie ou/et Les Derniers rois de Thulé de Jean Malaurie.
Certains avaient vu l'exposition à la BNF à l'occasion des 50 ans de la collection (voir l'entretien avec Jean Malaurie).

À nous tous, nous avons lu :
- Les derniers rois de Thulé de Jean Malaurie
- Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss
- Le Horsain de Bernard Alexandre
- L'Eté grec de Jacques Lacarrière
- Les naufragés : avec les clochards de Paris de Patrick Declerck
- Le Mineur de fond d'Auguste Viseux
- Ishi de Theodora Kroeber
- Du Fond de l'abîme : journal du ghetto de Varsovie 
- Soleil Hopi de Talayesva
- Praga magica d'Angelo-Maria Ripellino
- Les Poilus de Pierre Miquel
- Gaston lucas, serrurier d'Adelaide Blasquez
- Toinou, le cri d'un enfant auvergnat d'Antoine Sylvere
et
- Terre Humaine une anthologie, textes réunis et présentés par Pierre Chalmin

Christine(avis transmis)
Je ne serai pas là ce soir et pourtant j'ai fait mes devoirs de vacances : j'ai lu trois livres de la collection Terre humaine et la moitié d'un quatrième ; Le Horsain de Bernard Alexandre, c'est le récit d'un curé de campagne au pays de Caux ; Les Derniers Rois de Thulé (cela faisait partie des lectures obligatoires) ; Le Mineur de fond d'Auguste Viseux et j'ai commencé Ishi de Theodora Kroeber qui raconte l'extermination des Indiens Yahi en Californie. C'est un bon choix, puisque deux livres sont des récits personnels qui témoignent d'un métier, curé ou mineur, et d'une société : les paysans cauchois et les mineurs du nord de la France ; les deux autres sont des essais écrits par des ethnologues. Les quatre livres parlent de disparition : d'un mode de vie, d'une langue ou d'un patois, d'une ethnie. Les récits se situent dans la première moitié du 20e siècle, période de bouleversement. Je les ai tous appréciés pour des raisons diverses. Leur ensemble constitue une véritable collection et c'est la collection que je salue et que j'ouvre en grand.
Geneviève
J'ai donc lu l'Anthologie de Terre Humaine : à la fois très agréable la formule des "extraits" qui permet de choisir ce qui vous plaît et un peu, frustrant quand justement ça vous plaît vraiment. Donc, mes préférés :
- la première partie : Les Derniers Rois de Thulé
Tristes Tropiques m'a énormément intéressée. Je crois l'avoir lu il y a très longtemps mais après pas mal d'années et de voyages, ça prend une résonance très particulière. La réflexion sur le voyage en général et le métier d'ethnologue en particulier est passionnante. Je vais essayer de le relire intégralement ;
- également L'Eté grec de Jacques Lacarrière : très intéressant aussi dans l'auto analyse mais il y a des passages plus forts, il me semble.
Des découvertes :
Du Fond de l'abîme : journal du ghetto de Varsovie : malgré pas mal de lectures sur le sujet, ce témoignage me semble toujours aussi incroyable : c'est "l'irreprésentable" par excellence ;
Soleil Hopi : la quête initiatique du sel et pas mal d'autres.
Malgré quelques textes dans lesquels je ne suis pas parvenue à entrer, et la frustration parfois de ne pas en savoir plus, une lecture qui ouvre un véritable kaléidoscope d'univers très forts. Idéal quand on décide de passer l'été au vert et très immobile !
Brigitte
J'ai lu Les Derniers Rois de Thulé.
J'ai passé quelques semaines au Viêt-Nam où il faisait très chaud et un petit coup de froid et de Malaurie faisait du bien ! J'ai beaucoup aimé, c'était très intéressant, très bien écrit et avec une grande valeur scientifique. Les scientifiques se "nourrissent" les uns des autres… J'ai rencontré Malaurie il y a quelques années au CNRS. Maintenant, il est à la retraite, il a 75 ans et se porte très bien. Je l'admirais, il parlait bien, c'est un bel homme. Je retrouve dans ce texte la même chose : on sent l'homme de valeur, comment il a réussi à rentrer dans ce mode de vie, ses compétences, sa force physique, son adaptation à la vie. Par exemple, au Viêt-Nam, j'ai eu des difficultés avec la nourriture. Et s'il avait fallu que je mange du foie de morse ou des yeux de phoque… On se croirait revenu à Lascaux, à l'âge de pierre, à ce monde avant l'écriture. Ça m'a fait beaucoup réfléchir. J'ai trouvé les illustrations passionnantes, comme les jeux de ficelle où il arrive à nous montrer ce que ces bouts de ficelles figurent.
Et cette politesse : quand on rentre dans un igloo, on fait un peu de bruit pour s'annoncer. Cette finesse et cette lutte pour la vie, cette société cruelle qui supprime les vieux en les faisant tomber du traîneau, qui supprime les faibles, les handicapés, les fillettes étouffées avec de la neige. Nous avons complètement perdu cette notion de survie du groupe, non que je veuille qu'on supprime les handicapés ou les filles ! Il n'y a ni menteur, ni voleur : le groupe ne peut pas survivre si l'un des membres ment sur sa chasse ou vole les caches à viande. On met en péril la survie du groupe. Ce sont des gens qui ont aussi des cauchemars, qui sont angoissés. Malaurie arrive à rentrer dans cette mentalité avec finesse. Cet étudiant brillant géographe qui vient du VIIème arrondissement a été tellement au fond de lui-même qu'il a trouvé la source. C'est un livre que j'admire et qui m'a beaucoup appris. Merci d'avoir fait ce choix pour l'été.

Claire 
Tu évoques l'univers décrit qui te passionne, mais en ce qui concerne le livre lui-même ?

Brigitte 
J'ai aimé comment il a utilisé ses connaissances littéraires. La littérature l'aide à mieux comprendre le monde dans lequel il est. Il raconte Peary, Cook, les drames et les mésententes et comment ces mésententes ont fait capoter les expéditions.
Katell
J'ai été aussi très contente de lire ce livre cet été et grâce à lui de façon peut-être un peu "capillotractée" j'ai rencontré l'amour… J'ai été sensible aux mêmes images que Brigitte et aussi complètement bluffée par le fait qu'il parle la langue des Inuits. Une réserve quand même : parfois, il m'a semblé un brin prétentieux, par exemple, lorsqu'il raconte le sauvetage du kayak sur la banquise lors du tournage du film.

Claire 
Certains passages sont épouvantables concernant la façon dont les femmes sont traitées. Malaurie cautionne sans aucune distance.

Rozenn 
C'est le problème du directeur de collection. Celui-ci relit ses auteurs et traque le moindre écart. En revanche, personne ne le relit, lui.

Liliane (qui fait la tête)
J'ai lu le bouquin de Malaurie il y a 25 ans et ça m'avait absolument passionnée. Mais quand on parle d'un livre, pourquoi le raconter ? C'est peut-être intéressant à lire mais c'est très "chiant" à écouter. Presque tous les étés, j'ai un décrochement, je ne lis presque rien. Cet été, c'était rien de rien, juste une parenthèse avec des auteurs pour la jeunesse pour préparer mes cours. Je n'ai pas du tout envie de réfléchir. J'ai besoin de cette période où je me ressource autrement.

Marie-Jo
J'aime beaucoup Prague, c'est ce qui m'a fait choisir ce livre Praga Magica. J'ai sauté beaucoup de pages, c'est un livre prétexte. Certains passages étaient passionnants, mais j'ai sauté les références aux auteurs tchèques que je ne lirai jamais. C'est un voyage dans Prague, dans ce pays malmené, piétiné par l'histoire mais avec un prestige inouï. Capitale du Saint-Empire romain germanique, puis soumise aux Habsbourg, aux Sudètes, à l'Union soviétique. Il y a des personnages qui émergent de cette histoire : l'empereur Rodolf, paranoïaque. Cette grande cour, ces grands peintres, le mythe du Golem, le ghetto juif et le personnage de Kafka, de Kundera. La langue thèque est une parente pauvre, l'allemand est la langue de la culture. C'est très touchant. Quelle identité a-t-on lorsqu'on vient d'un pays malmené par l'histoire, le résultat baroque d'une domination ?
Cela dit, il y avait des passages très assommants. Merci pour ce prétexte à pénétrer dans Prague en livre, mais je ne le recommanderai pas. De plus, il a été écrit en 1973 et depuis, il s'est passé beaucoup de choses.

Jacqueline
J'ai été une très mauvaise élève. J'ai attendu pour voir l'exposition à la BNF et je ne l'ai pas vue. Je me suis pointée dans ma bibliothèque, j'ai vu les titres et j'ai eu envie de tout lire. Finalement, dans la foulée de Louis Guilloux, j'ai lu Les Poilus de Pierre Miquel, puis le bouquin de Jacques Lacarrière, puis Tristes Tropiques, puis celui sur les SDF, Les Naufragés. Je suis partie en vacances avec tout cela et je n'ai lu que des… policiers. J'avais déjà lu Tristes Tropiques. Un Eté grec de Jacques Lacarrière se lit très bien aussi, mais je l'ai plus survolé que lu. C'est une lecture d'été et ce n'est pas à la hauteur de l'idée que je me faisais de la collection.
Dans Tristes Tropiques, on peut y trouver tout ce que l'on veut. On retrouve beaucoup de choses sur l'humanité profonde avec quelque chose d'intellectuel. Mais je n'ai pas eu envie de le relire. Pierre Miquel, j'en ai lu quatre chapitres et j'ai été très surprise. Je m'attendais à quelque chose de très personnel, un témoignage direct, et je suis tombée sur le livre d'un historien, une réflexion sur le fait que la guerre de 14 aurait été aux sources du nazisme, une peinture à travers de nombreux témoignages plutôt livresques, un livre très dense.

Liliane 
Intéressant mais barbant ?

Jacqueline 
Non, mais j'étais partie sur l'idée d'une littérature plus personnelle et je suis tombée sur un livre d'historien à lire en vacances. Mais je rends hommage à cette collection très variée.
Françoise
J'ai lu Tristes Tropiques. Claude Lévi-Strauss parle beaucoup et ne parle pas que du Brésil et c'est ce que je lui reproche. Au début, j'étais enthousiaste, c'est très bien écrit. Je m'attendais à un ethnologue et j'ai trouvé un écrivain. Il doute de lui, de ses croyances, il fuit la seconde guerre mondiale. Il prend le bateau et comme par hasard, il se retrouve sur le même bâtiment qu'André Breton. Ensuite, il fait une présentation de Georges Dumas (?) et on dirait Lacan faisant une présentation de malade ! Le récit de son expédition est très intéressant : les tribus rencontrées, évidemment, l'anthropophagie et l'explication de ce qui à nous paraît cruel et aberrant. Mais nous aussi, nous avons des phénomènes qui les horrifieraient, des criminels, des délinquants. J'ai un peu ramé dès qu'il faisait des explications techniques : les étuis péniens, les dessins sur les poteries. En mission, il vit dans de dures conditions et puis, au détour d'une phrase, il cite sa femme ! On ne savait même pas qu'elle était là et puis… elle disparaît.
Au début, une chose que j'ai trouvé choquante, c'est qu'il fait son marché de verroterie afin de rencontrer les Indiens. Il parle de l'exploitation des Indiens et finalement, lui qui est anthropologue, il fait la même chose. Donc, de ce point de vue, je ne le trouve pas très critique. À la fin, on s'interroge sur ses motivations : qu'est-il venu faire ? Soit il va avec eux et il tourne le dos à notre civilisation, soit on ne peut pas les comprendre. In fine, il n'y a pas de communication possible.
J'ai lu en parallèle un livre de 1042 pages : La Rose pourpre et le lys, de Michel Faber. Passionnant !

Katell 
As-tu compris ce qu'était le structuralisme ?

Françoise
Non, je ne sais toujours pas.
Claire
Une émission d'Arte sur Terre Humaine a été une révélation. Ça me disait quelque chose, mais je n'avais pas compris que la collection était un "concept", défini en grande partie par l'écriture, le point de vue. Malaurie, portant beau, ne m'a pas paru très sympathique. J'ai couru à l'exposition de la BNF : il y avait tous les livres et quelques objets, quelques bouts de poterie, pas grand-chose à se mettre sous la dent… Mais ce qui m'a plus intéressée, c'était la diffusion d'extraits d'Apostrophes : Le Cheval d'orgueil suscite une polémique avec Pierre Jackez Helias qui répond à Xavier Grall, poète breton qui lui cherche noise, en breton, le pauvre ne pige que quick malgré sa bretonnerie.
Comme je partais en Australie, j'ai repéré un livre de la collection sur les Aborigènes, genre bouts de bois et morceaux de poterie pendant 500 pages... C'est alors que je vois le Lagarde et Michard de la collection : l'Anthologie, ça c'est parfait pour moi : j'ai été très contente car c'est un voyage formidable. Sans arrêt, on passe d'un univers extraordinaire à un autre. Le livre s'ouvre sur une longue interview de Malaurie la vedette et je l'ai trouvé prétentieux, pédant, ampoulé et excessif. Mais intéressant quand même, j'exagère. A aucun moment, il n'a de recul, il idéalise les Inuits.
Dans l'ensemble, la présentation des extraits est assez mal fichue avec un paragraphe redondant qui ne valorise pas ce choix d'extraits. Mais ça vaut tellement le coup que je pardonne.
Un petit nombre d'extraits m'a beaucoup moins intéressée, notamment ceux qui décrivent des petits bouts de poteries et surtout des extraits entiers sans aucune distance : ceux dont les auteurs ne sont pas du monde de l'écrit, par exemple, une pieuse femme en Hongrie, j'ai trouvé ça mortel. Toinou, au contraire est passionnant, parce que l'auteur est devenu un autre et il rend compte de sa vie passée. Les plus intéressants, ce sont les extraits qui vont contre les idées reçues. Un indien qui a rencontré Sitting Bull et le décrit en pleutre… C'est un livre que je recommande, il est d'une richesse formidable et en plus on n'a pas à se tartiner tous les bouquins qui sont dans l'ensemble des pavés.

Muriel
L'Anthologie m'a donné envie de lire Toinou. J'ai les mêmes réserves, notamment sur les Derniers Rois de Thulé, mais je reconnais bien Claire qui se lasse de tout. En gros, ça m'a beaucoup plu malgré quelques histoires barbantes. J'y ai trouvé un intérêt plus ethnologique que littéraire.

Rozenn
Mon projet est loupé. Je pensais que l'ensemble des lectures individuelles reconstituerait la collection. Et au contraire. J'ai vu l'exposition et à part quelques poteries et des carnets de bord, j'ai été fascinée, notamment par les émissions de télé, et je suis restée très frustrée. Le samedi suivant, j'ai emmené mes étudiants. Ce sont des techniciens qui font une séparation très nette entre sciences dures et sciences molles, ils étaient réticents. Et puis chacun est allé là où le poussait ses centres d'intérêts ou ses origines. L'exposition faite en spirale est remarquable. On est ramené au centre où sont les livres. Je m'étais assise au milieu. Quand mes étudiants sont arrivés, ils avaient déclaré qu'ils n'aimaient pas lire. À la fin, ils prenaient les livres et certains en ont même acheté. Et nous nous sommes mis à travailler sur les livres qu'ils avaient choisis. Cela a changé leurs idées sur les sciences humaines. La collection a 50 ans, 82 bouquins et nous en avons tous lu un ou deux. Mais ce n'est pas une lecture de vacances.

 


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

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