Hubert Mingarelli
Dernière neige

Nous avons lu ce livre en décembre 2005.


Florence
Au début j'ai trouvé ça bien. Ça m'a fait penser à un livre d'Erri de Luca que j'aime beaucoup : Montedidio. Même simplicité de la langue et du milieu décrit. Des moments de grande poésie aussi pour parler des rêves ou décrire les sensations au plus près.
Je ne sais pas à quel moment j'ai commencé à ne plus marcher et à trouver ça fabriqué et répétitif. À la première portée de chatons peut-être, ou à la deuxième... Quand est venu le coup de la chienne de la dame aux écureuils, j'en ai vraiment eu assez de tous ces animaux à tuer. J'ai pensé que ça allait continuer comme ça jusqu'à ce qu'il tue père et mère ! Donc j'ai laissé tomber p. 66. Trop désespérant pour moi.
Françoise
J'ai lu ce livre jusqu'au bout et je lui reproche de n'apporter aucune surprise. Tout est annoncé : le chien, le père, le milan. Beaucoup de redites, beaucoup de répétitions. Il n'y a que l'histoire de la mère qui m'a intriguée. Je ne comprends pas ce qui se passe dans la tête de ce garçon qui veut acheter ce milan pour qu'il puisse lui ouvrir les ailes mais dont on ne sait pas s'il lui a ouvert la cage. J'ai trouvé la mort de la chienne et la façon de la tuer assez lâches : pauvre bête. Pour un conte de noël, c'est assez bof.
Jacqueline
Je n'avais pas proposé ce livre mais j'avais soutenu Mingarelli pour qu'on lise d'autres livres de lui comme Les Quatre soldats ou La Beauté des Loutres mais la dernière neige m'a beaucoup plu aussi. J'aime la simplicité de cette langue. Cet auteur aime avant tout les histoires. Il raconte le présent et il n'y a pas de rappel du passé ni beaucoup de projection dans l'avenir. Ce n'est pas un livre désespéré. C'est ce qui peut se passer dans la vie : l'acceptation de la réalité, sans résignation dans la lutte. On fait avec ce qu'on a : c'est un peu le principe de réalité de Freud. Le rapport avec le père apparaît encore plus important à la deuxième lecture et c'est très émouvant.
Claude 
J'ai beaucoup aimé ce livre. Ma première réaction était le rejet par rapport aux tueries. Mais j'ai été fascinée par la marche dans la neige : le fait qu'il parte avec cette chienne pour l'abandonner dans la neige avec des moments heureux de partage et des moments tristes quand la journée avance. Le désir de ce garçon de posséder ce milan m'a étonnée. Le lien entre le père et le fils est très touchant. C'est attendrissant de voir ce fils qui partage quelque chose avec son père et le récit de la capture. Je ne l'ouvre pas en entier car c'est quand même très triste.
Dervila 
J'ai aimé la franchise de ce garçon. Il y a du suspense au sujet du milan. Est-ce que la chienne suit toujours ou pas pendant la marche dans la neige ? Pourquoi il ne libère pas cette chienne ? J'ai été convaincue par cette atmosphère et sensible à l'idée d'un milan capturé dans une cage (l'envergure d'un milan est de plus d'un mètre cinquante !). L'image de l'eau fumante est terrible quand les chatons sont noyés. Je n'ai pas bien compris l'histoire de l'eau qui le tracasse... ou le calme. Mais il y a une trop grande simplicité dans la langue et je ne l'aurais pas lu jusqu'au bout si je n'étais pas venue ce soir...
Brigitte 
Je suis perplexe : il y a plein de choses bien mais je ne suis jamais rentrée dedans. Je ne suis pas l'amie des animaux et je n'ai rien contre les personnes âgées. L'histoire du milan m'a intéressée. J'ai beaucoup aimé le passage de la promenade dans la neige. Le récit rend bien la longueur de ce type de promenade où on se perd un peu. J'ai beaucoup aimé l'eau qui coule. Le garçon raconte l'histoire de la capture du milan à son père : il doit la raconter toujours de la même façon comme quand on raconte des histoires à des enfants, sans changer un mot... Le garçon est en attitude de parent vis-à-vis des adultes, seule la mère a une attitude d'adulte lorsqu'elle lui touche les cheveux. Je n'ouvre qu'à moitié car les histoires des animaux m'ont empêchée de rentrer dans le livre.
Françoise O 
J'ai eu du mal à rentrer dans le livre mais je l'ai quand même lu deux fois. Deux sentiments très forts me sont restés : le silence et la solitude. Le silence parce que le livre est plein de bruits : la minuterie, l'eau qui tombe. La solitude écrasante qui n'est pas une vraie solitude car le garçon est entouré de monde mais il a du mal à communiquer. Il a une impossibilité de dialogue réel avec sa mère et il ne peut pas dire la vérité à son père non plus. Il est enfermé sur lui-même. Le récit est allégorique. Par exemples : l'enfermement est représenté par le milan en cage, la liberté par l'écureuil et le rêve par le désir de posséder un oiseau bien que cet oiseau soit en cage. Le livre est fait de toutes ces contradictions. Le garçon promène les personnes âgées pour gagner de l'argent mais également pour qu'elles sortent de leur enfermement. Le garçon sort son père de son enfermement grâce à son récit de la capture. La mère sort tous les soirs, elle cherche également à sortir d'un enfermement. J'ai aimé toutes les images de courbes : la courbe du chemin de fer (la père avait peut-être travaillé sur ces traverses), la courbe de la laisse, la courbe des traces dans la neige : toutes ces petites choses qui font de récit comme un conte.
Manu 
J'ai refermé le livre et je l'ai trouvé remarquable. C'est pour moi un livre de sensations, de bruits : la minuterie, les gouttes d'eau qui tombent : j'entendais tout cela. Je revois ce garçon raconter ce récit à son père comme disait très justement Brigitte comme un parent le raconterait à un enfant. Je ressens le livre et toutes ces solitudes comme le dit Françoise. Ce livre est magnifique mais beaucoup trop triste. J'aimerais voir les ébauches pour découvrir le travail qui a amené à une telle épure, à une telle simplicité. J'ai aimé la notion du temps dans ce livre : il s'y passe beaucoup de choses, sur plusieurs saisons mais le temps est ressenti en quelques pages. L'exemple le plus significatif est cette longue marche dans la neige qui est comme un point d'orgue, une espèce de non retour. J'ai apprécié cette grande liberté donné à l'interprétation : la chienne va-t-elle dans le wagon, meurt-elle ? Je n'ai pas pu m'identifier au personnage principal. Malheureusement j'ai trouvé le livre " fabriqué ". Page 19 je me suis demandé si c'était un récit rétrospectif, ce qui m'a dérangé. Et puis l'auteur en a beaucoup mis : la promenade des vieux, les noyades des chatons, ce gamin à qui il ne reste que des bottes : quittera-t-il son village ? C'est un livre désespérant !
Geneviève 
D'accord et pas d'accord avec Manu. C'est un livre en noir et blanc. C'est comme un rêve. Ce qui est essentiel c'est qu'on ne sait pas ce qui arrive par la suite, on ne sait pas si le chien est mort. Qu'est-ce que c'est qu'être vivant, qu'est-ce que c'est qu'être mort ? C'est très bien qu'on ignore ce que la mère fait. Ce qui est fort c'est l'histoire de la minuterie et le fils qui veut en parler à sa mère. La relation est très fine entre le père et le fils. Ce que le père veut transmettre au fils, et le fils qui crée des liens, c'est magnifique ! Personnellement les animaux je m'en fous mais on sort très vite de ces histoires de bêtes. C'est un livre qui passe comme un souffle, comme une impression fugitive. L'écriture est très forte, faite d'aplats. L'histoire n'est pas hilarante mais ce n'est pas noir : c'est onirique.
Liliane 
J'ai apprécié la recherche d'une écriture minimaliste. C'est une écriture où le sens jaillit du prosaïsme. Plus on est près de l'objet, plus ça donne du sens, mais le projet est raté. Justement, il y a trop de sens et on se disperse dans les interprétations possibles et c'est dommage : on s'égare. Ce qui colle au projet c'est cette relation qu'a le garçon avec le gardien du parc et non, pour moi, celle avec le père. Cette relation avec le gardien est parfaite : il n'y a pas de multiple sens. Ils boivent le café, ils sont gênés par le fait d'avoir tué les chats. C'est un vrai roman avec un projet d'écriture mais qui n'est pas abouti ; Il y a trop de symbolisme dans ce projet minimaliste.
Monique 
Ce n'est pas facile pour moi de parler de ce livre. On s'est rendu compte dans le groupe que nous étions trois avoir lu cet auteur et on a hésité à le proposer puis on s'est décidé à inscrire ce livre dans la liste. J'ai lu toute l'œuvre de Mingarelli. C'est une écriture très étrange : est-ce que c'est extraordinaire ou est-ce que c'est raté ? On se pose la question à chacun de ses livres. Je suis très intriguée par les livres de Mingarelli qui sont édités en édition jeunesse, alors que ce n'est pas du tout pour la jeunesse. Peut-être à cause de cette écriture facile. Le travail de l'auteur est de retransmettre la vision de la vie d'un enfant, la vie vue par un enfant. Les morts des chatons et de la chienne sont une préparation à la perte d'un être cher. L'enfant ne théorise jamais, il a des sensations. Malgré la douleur de la mort... ce qui sauve les êtres c'est la fiction : raconter quelque chose qui emporte le narrateur et celui qui l'écoute. La personne âgée que l'enfant préfère est celle qui raconte la plus belle histoire d'écureuil. Pour moi, c'est un grand écrivain, un grand artiste. Quand on tombe sur un livre comme celui-là c'est comme si on voyait un seul Giacometti, il faut voir tous les autres !
Annabelle 
Je suis juste venue pour manger du foie gras et fêter Noël avec vous, mais j'ai horreur des contes ! Et ce livre est bien un conte, un conte oppressant : l'abandon de la chienne dans la neige, quelle horreur ! J'en ai eu la nausée. A part cette apogée plus rien ne touche même la mort du père. J'ai aimé la relation père-fils, l'histoire mystérieuse de la mère. Pour moi, le garçon n'est plus un enfant. Je n'offrirai jamais ce livre à personne et heureusement je l'ai emprunté à la bibliothèque car je n'en veux pas chez moi ! Pourtant j'aime l'écriture.
Christine 
Je suis triste d'avoir fini ce livre ! L'histoire de la marche dans la neige est triste mais pas pour la chienne, pas pour la personne humaine. C'est un milieu modeste. Ils ont une façon de vivre sans se poser de questions. Le garçon promène des personnes âgées qui payent si elles veulent. Il n'y a pas de demande. L'histoire bascule avec la noyade des chatons : le garçon commet un acte qui le fait passer à autre chose. Il est obligé de faire ça pour acheter le milan. J'aime beaucoup l'écriture car chaque page apporte quelque chose : la façon dont sont traités les bruits, les pensées stridentes. C'est comme un film dont la musique est très réussie ! Il n'y a rien de gratuit. La mère va rejoindre un homme et le fils est très gêné par rapport au père. Le personnage de la mère m'a beaucoup touchée et la relation qu'elle a avec ce fils et son père est très peu racontée justement. Je pensais qu'il n'achèterait jamais ce milan mais qu'il allait abandonner le milan pour rejoindre son père. J'ai beaucoup aimé les sons dans ce livre : la tempête, le bruit de l'eau, la souffrance sous-entendue telle que les gouttes d'eau le rassurent. Quand le père se meurt, il entend de moins en moins bien, le fils rapproche le milan du père. L'auteur a une façon très sobre de faire passer les sentiments. J'ai moins aimé la fin.
Loana 
J'ai très vite lu ce livre et j'ai voulu l'oublier très vite. C'est un livre très fort sur l'euthanasie et la décision à prendre face au choix de la vie et de la mort.
Annick 
J'ai adoré ce livre mais je ne l'aurais pas proposé toute seule au groupe. C'est un livre magnifique avec une écriture qui est comme une petite musique, très légère, à laquelle il faut prêter l'oreille. C'est un livre que j'ai offert à des jeunes car ça parle de choses qui touchent tout le monde. C'est un livre bouleversant. C'est comme si les choses étaient suspendues, esquissées. C'est un livre avec des silences assourdissants et musicalement magnifique. L'écriture donne une impression d'évidence des choses, comme si on butait sur des choses qu'on n'avait pas vues jusque là. C'est une écriture de sensations, rien n'est intellectualisé. C'est l'évidence de la vie avec son horreur parfois : la mort du père, le manque d'argent. C'est une existence têtue ; à la fin le garçon cire les bottes : la vie est là. C'est un livre qui ouvre des portes et qui a un respect du lecteur : l'histoire n'est pas tracée au cordeau.
Claire 
Si je n'avais pas lu ce livre et si je vous avais tout simplement écouté parler, je me dirais que c'est vraiment un très grand livre, qui suscite une telle richesse de lectures, de facettes. Je l'ai lu entièrement au premier degré, en me demandant, comme disait Monique : "est-ce que c'est réussi ou est-ce que c'est banal ?". J'ai cru jusqu'à la fin que c'était la traduction d'un livre italien, ce qui donnait une part de l'étrangeté. Je suis une amie des bêtes mais je n'ai pas ressenti l'horreur par rapport au sort qu'on leur fait subir. En me remémorant ma lecture (qui date de la Toussaint), j'étais incapable de me souvenir de quoi que ce soit : tout est revenu en ouvrant le livre, puis en vous écoutant. Si je le relisais, j'aimerais être attentive à ce qui m'a tenue sans comprendre le charme. Sur une vidéo visible sur le net l'auteur dit : "pas d'effet, la caméra à l'épaule" ; ça m'a tout de suite éclairée. J'ai été tenue par le suspense, par l'intensité du récit. On accompagne le personnage, pour ma part, je m'y projette. En revanche, apprendre qu'on retrouve souvent dans l'œuvre de Mingarelli la relation père-fils ne m'a pas paru emballant...
Marie-Laure
La simplicité d'écriture de Mingarelli est un peu déroutante. Il règne une atmosphère de mystères, de non dits qui donnent envie de savoir. Ce livre se lit bien, on avance dans la lecture sans même sans rendre compte. Une chose m'intrigue : l'absence de la mère toutes les nuits... ? Se prostitue-t-elle pour gagner un peu d'argent ?... et ce gamin pas scolarisé, drôle de travail pour un enfant ou même un adolescent. J'ai aimé les images de la capture du milan, inventée pour créer un lien avec le père. La longue marche dans la colline est-elle initiatique ? J'ai eu l'impression de marcher dans la neige à ses côtés, de découvrir la route. On ne connaît pas non plus ce lien étrange entre la mère et son fils, une écriture pleine de pudeur qui laisse notre propre imagination vagabonder..."lorsqu'elle a commencé à dire ces choses à propos d'elle et moi et dont je n'ai pas envie de me souvenir, j'ai déroulé devant mes yeux ce long et majestueux plané du milan". Je suppose que l'essentiel du texte repose sur la force de l'amour père-fils et la mort inéluctable du père.
Je reste un peu sur ma faim, mais agréablement surprise par les images déclenchées au travers de cette écriture pleine de sensibilité. Un conte superbe, bien qu'un peu triste.
Mone
J'ai envie d'ouvrir en entier le livre, car il me laisse une impression très "forte", mais il me laisse une telle angoisse, une telle désespérance dans son apparente banalité. C'est justement ce qui fait sa force. Ce qui frappe tout d'abord, c'est la simplicité du ton et des sentiments, la gentillesse naïve et la sensibilité aiguë du garçon. La minutie des détails de la vie quotidienne et banale rend plus angoissante et horrible les "faits", une peur sous-jacente monte à travers la quotidienneté du récit. En arrière plan, il y a la pauvreté, la maladie, la vieillesse, la mort, l'incompréhension des adultes.
Claude
La parole est donnée à un enfant. J'ai cru qu'il s'agissait d'un enfant italien : le nom de l'auteur ? La fontaine Di Gasio ? rue de Brescia ?... la neige même que j'ai imaginée sur les Dolomites. C'est peut être ça qui m'a fait faire des images en noir et blanc, en lumière et ombre. Des images fortes et précises données par un vocabulaire simple et évocateur. J'ai été sensible à la force des sensations qu'elles distillent : la silhouette du chasseur de milan, les arbres au fond du parc, le foulard de la vieille dame, la fenêtre dans la chambre, la longue marche dans la neige, l'enfant et sa mère dans le noir de l'escalier... On perçoit aussi des bruits tellement importants pour leur ressenti sur les personnes : l'oiseau qui mange - moment de plénitude, de complicité, de satisfaction -, la minuterie, désespoir du père perçu par l'enfant, les sanglots étouffés de la mère que l'enfant fuit en " déroulant devant ses yeux le long et majestueux vol plané " moment de calme et d'apaisement.
J'ai été émue par l'expression pudique de l'amour entre le père et le fils, de leur écoute mutuelle, de leur complicité. Tous deux vivent l'intensité du moment présent : qu'il soit beau (la fenêtre et la neige), qu'il soit chaud (faire plaisir à l'autre, le récit de la capture, dire du mal des autres, rituel des phrases autour du repas du milan), qu'il soit riche de menus événements (la cage rapprochée imperceptiblement du lit, la lumière douce). Que rien ne vienne perturber cette relation : le bruit de la minuterie n'existera plus. Ce sont des moments de compréhension de partage et d'amour.
J'ai trouvé dans ce livre l'expression d'un enfant sensible qui, s'il ne comprend pas entièrement, ressent avec intensité. Pour moi un livre sobre, pudique et dense.
Germaine
J'ai lu le livre très rapidement car l'histoire est courte, écrite en phrases sobres, dans un style coulant. On accroche dès le début, avec intérêt et émotion. Le livre fermé, on y revient car, passionnant, émouvant, ce récit dégage un intérêt constant pour son déroulement, les rapports des personnages évoluant dans une atmosphère floue, à mon avis plus mélancolique que triste.
Livre refermé, me restent en tête des images, des lumières, des teintes qui jouent un grand rôle et que, si j'avais ce talent (hélas !) j'aimerais transposer sur une toile évocatrice :
- les personnages, leurs gestes, leurs attitudes en traits esquissés ;
- les couleurs suggérant les sensations : le froid de la neige, la tiédeur du soleil, le confort chaud des bottes, les mares glacées trouant de divers bleus le blanc de la neige ou voilées d'une vapeur gris laiteux, le blanc de la neige fraîche s'opposant au triste gris de la neige souillée, le brun d'un tronc d'arbre rappelant le roux de l'écureuil et la luisance du bois du lit ou repose le père (qui en fut artisan), la douce lumière orangée diffusée par l'abat-jour sur laquelle se détachent les barreaux noirs de la cage de l'oiseau au bec crochu, au plumage noir et luisant, avide de sa viande rouge (et chère) présenté dans un bol jaune,
- les bruits qui ne pourraient figurer dans mon évocation pastellisée : la lecture évoque avec les sensations qu'elle engendre la minuterie dénonçant la sortie de la mère qui trouble ainsi le sommeil de son mari et par là même celle du fils soucieux du bien être physique et moral de son très cher malade. La réaction que ce petit bruit provoque chez les trois membres de la famille nous permet d'imaginer la complexité de leurs rapports. Le milan se lissant les ailes ou piquant du bec sa viande provoque des bruits agréables en même temps au père et au fils. Si les gouttes d'eau du robinet aident le sommeil du fils en lui rappelant son odyssée et ses pantalons glacés, rien ne lui est plus cher que la santé de son père, page 93 "sa respiration lente et régulière, me calmait comme des pantalons qui s'égouttent sur un plancher".
Lil
J'ai aimé ce récit intimiste pour sa justesse de ton, l'analyse très fine des personnages (psychologie, comportement) et de leurs relations. J'y ai trouvé tous les thèmes essentiels de la condition humaine : la vie (la survie !), l'amour, la maladie, la vieillesse, la mort, la solitude, les choix à faire et les stratagèmes que nous utilisons pour survivre à certains choix, étouffer nos culpabilités, nos remords... J'ai été bouleversée par le destin tragique des animaux, toujours soumis au pouvoir, souvent cruel, des humains :
- le milan captif cristallise tous les rêves, autour de lui, se resserrent les liens entre le père et le fils, se noue leur complicité. Grâce à lui, père et fils éloignent une réalité insupportable, retrouvent une certaine dignité. De très beaux passages sur cette échappée vers un ailleurs meilleur, tout de beauté, lorsque les deux protagonistes regardent le milan manger, dans le contre-jour de la fenêtre sur fond de flocons virevoltant 
- les chatons et la chienne sacrifiés pour l'achat du milan. Barbarie qui repose la question tragique des choix que nous devons faire parfois et des conséquences, ou : "comment on se débrouille ensuite avec sa conscience"...
Les relations père-fils et mère-fils sont superbement décrites (rituels complices, attentions, protection mutuelle, pudeur, complicité, amour...). J'ai aimé la façon dont les choses sont souvent suggérées, à peine évoquées (par exemple l'absence de la mère et l'explication de cette absence). Je ne connaissais pas Mingarelli et ce livre a, pour moi, un goût de "revenez-y".
Mais, même si ce récit bouleversant, très émouvant nous laisse entrevoir finalement des lueurs d'espérance, comme un vrai conte de Noël, même si la mort du père délivre le garçon de son passé, même si l'espoir d'une vie nouvelle luit, enfin, dans les bottes ardemment cirées, les membres parisiens, à l'initiative de ce choix sinistre, pour cette période de l'année où nous avons tous besoin de soleil et de rires, porteront une lourde responsabilité : nous allons devoir noyer notre chagrin dans le chouchenn... Bonne, belle, tendre et chaleureuse année à toutes et tous !

NICOLE
¾ ouvert

Lona
L'histoire se passe dans un milieu pauvre, entre un fils tout jeune et ses parents : un père malade, alité, grabataire, mourant ; une mère plutôt absente, qui sort de chez elle pratiquement toutes les nuits (pour aller où ? pour faire quoi ?). C'est une relation très particulière entre un fils et son père malade, on pourrait parler de relation inversée : l'enfant prend en charge son père ; l'enfant lui raconte une histoire, et le père est toujours demandeur de cette même histoire, et chacun y trouve son bonheur. C'est l'histoire d'un milan : un oiseau en cage qui suscite tellement de désirs de la part de l'enfant, tellement de rêves, tellement d'envie de possession... Et l'enfant va tout faire pour pouvoir le posséder ! Il travaille dans un hospice de personnes âgées et sera confronté à la valeur de l'argent, à la gratuité des services rendus, à la mort de ses généreux donateurs ! Dans cet hospice et sous l'influence du concierge-protecteur-ami, il deviendra criminel d'animaux pour satisfaire ses désirs : celui d'acheter, de posséder cet oiseau en cage, ce milan ! Le dernier crime se fera sur un chemin interminable de neige, à travers beaucoup d'écueils et de difficultés, il sera également interminable dans la durée (et dans la lecture !). Mais ce ne sera pas un " vrai crime ", car il laisse tout de même une chance de survie au chien (les chatons n'en avaient aucune) puisqu'il ne le tue pas, mais l'abandonne dans la campagne enneigée. Mort, remords, culpabilité : analyse toute freudienne " tuer son père et sa mère pour grandir... ". Le tout tissé sur fond de neige, de blancheur, de virginité, neige qui efface les traces, les traces du crime aussi, pour se retrouver seul, sans le père, chausser ses bottes, se mettre debout dans une pointure d'adulte, devenir adulte enfin ; peut-être pour prendre sa place auprès de cette mère absente et sacrifiée ? L'histoire termine avec cette image de bottes cirées (qui n'a pas plu à tout le monde !) : il est chaussé de bottes d'adultes et qui plus est, de bottes super astiquées, donc presque neuves, ses jeunes pieds prêts à marcher sur une nouvelle route, pour un nouveau départ. Donc je reviens à l'analyse psy d'avant : la mort du père = une re naissance pour le fils ! Je n'ai pas lu ce livre comme étant un conte. La narration est simple, peu de dialogues (une répétition, parfois un peu lassante), peu de détails sur les lieues de la scène, ni sur l'âge de l'enfant, ni sur la vie des parents. C'est comme si tous les personnages étaient figés dans le temps. Chacun peut imaginer le cadre, les personnages, le milan coincé dans sa cage. J'ai apprécié la description de cette filiation inversée, fils/père, pleine d'émotion, d'amour non dit oralement, mais exprimé avec des rituels. C'est un livre plein d'émotion, malgré une toile de fond tissée d'angoisse, de mort(s), de culpabilité.
Martine : partir de bon matin sur la route de ma vie, chaussée avec les bottes bien cirées de mon père, celles qui connaissent le (bon) chemin : que peut-il m'arriver de mal ?
(Parole d'une de mes filles, à six ans : "maman, aujourd'hui, je veux mettre mes chaussures qui courent vite !")

 

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Une mère absente, un père malade et un fils livré à lui-même qui gagne un peu d'argent en accompagnant les personnes âgées, voilà la trame qui compose ce roman. Mais aussi une quantité de choses presque inracontables : un milan en cage mis en vente sur un trottoir, totem dont le jeune garçon imagine sans cesse la capture, une équipée dans les collines et la neige pour perdre une chienne qu'on n'ose pas tuer, des sensations de corps engourdi, des vêtements fumants près du poêle, des sanglots silencieux dans l'oreiller, des rêves d'enfant...