Vassili Axionov
Les Oranges du Maroc

Nous avons lu ce livre en février 2005.

Christine
Pas emballée, j'ai eu du mal avec les noms. L'idée de cet arrivage d'oranges est une belle idée. D'un point de vue sociologique, la vie de ces jeunes est intéressante, de même que le refus de connaître le passé, le courage de ces jeunes. Ce qui m'a frappée, c'est la solitude. Ces jeunes sont très seuls. Ni emballée, ni intéressée, je l'ouvre à moitié.
Florence
J'ai beaucoup aimé ce livre dés la première phrase : " Moi, personnellement, j'en avais marre… Ça finissait par devenir l'entreprise du travail inutile. " Elle est à l'image du livre : laconique, drôle et mine de rien, assassine sur le Régime qui prône " l'exaltation au travail " des masses (cf. le journaliste p.71). Les individus, eux, ont des états d'âme, des accès de fainéantise ou de fureur, des amours aussi, et tout cela est assez réjouissant. Évidemment, pour nous, aujourd'hui, l'histoire est totalement exotique (d'ailleurs je ne la situe pas très bien géographiquement), mais c'est aussi ce qui fait son charme. J'ai aimé cette ruée vers l'orange qui rassemble en un seul élan toutes les histoires individuelles. C'est l'orange qui fait le lien entre chaque narration comme une sorte de denier du rêve. De même que dans la deuxième partie, cette rengaine que l'on ne cesse de réécouter passe de narrateur en narrateur pour rassembler les couples et les histoires. J'ai lu le livre comme un puzzle et sa construction m'a séduite. Enfin, outre qu'il y a des passages très drôles, je trouve l'histoire d'amour de Katia et Kaltchanov très émouvante. Bref, peut-être que sur le plan littéraire tout ça n'est pas d'une originalité folle, mais qu'importe. Je ne boude pas mon plaisir.

Geneviève
J'ai bien aimé. J'ai eu un peu de mal au début. Mais j'ai bien aimé l'entrecroisement de portraits. J'ai trouvé l'atmosphère très exotique : l'idéalisme mélangé à une vie ouvrière rude. L'histoire entre Katia et son amour impossible. J'ai eu des problèmes avec les noms. C'est de plus en plus agréable à lire. L'orange me semblait quand même un peu artificielle.
Annick
Je vais copier ce qu'a dit Geneviève. J'ai trouvé ce livre exotique. Ça m'a fait penser à des films soviétiques. C'est un livre plein de vie, plein d'élans. C'est une vision du communisme porteuse. Même si chaque personnage ne semble pas heureux. Chaque personnage est croqué avec finesse, nuance. Les descriptions d'oranges sont superbes. Il y a beaucoup de moments festifs. L'écriture est très dynamique. Je me suis vite laissé prendre. A la fin, il y a même du suspense.

Jacqueline
J'ai eu du mal à rentrer dedans, du mal à réaliser les changements de narrateur. Ils ne se différencient pas et ils ont pourtant des caractères différents. Une fois que j'ai réalisé cela, j'ai été plus touchée. L'histoire des journalistes sur le bateau m'a fait rire. Il y a des tas de petits détails que j'ai trouvés drôles. C'est typique d'une époque. Et c'est un roman russe. J'ai aimé cet amour de la vie. Je n'arrive pas bien à faire le tri entre ces côtés séduisants et cette question : " est-ce que c'est bien de la littérature " ?

Françoise
J'ai bien aimé. J'ai déploré de me tromper à ce point sur les noms. C'est le reproche que je fais. J'ai bien aimé cette espèce d'ambiance de cabaret, de camaraderie. On sent ces jeunes pleins d'espoir. L'auteur à un certain talent à introduire les oranges là où il faut. Je vois surtout ce livre comme un témoignage. En cela, il est intéressant. J'ai eu l'impression que c'était assez bien traduit. Le dépaysement est agréable. Je trouve que la construction nuit au livre.

Claire
Mon faible QI m'a posé des problèmes car je n'ai pas compris tout de suite que chaque personnage changeait à chaque chapitre. Les personnages parlent tous avec la même voix, quel manque de savoir-faire pour un écrivain. Dans L'Eté meurtrier de Japrisot où il y a aussi des monologues tournants comme ça, ça a une autre allure. J'ai trouvé le livre un peu long : j'aurais préféré que cela soit une grosse nouvelle, car mon intérêt s'est perdu en route par rapport à l'orange. Comme je l'ai lu il y a quelque temps, j'ai voulu reprendre la lecture personnage par personnage en sautant les chapitres : le livre m'est tombé des mains.
Manuel
Comme d'autres, j'ai eu beaucoup de mal avec les noms (nom, prénom, surnom, diminutif pour un même personnage), mais c'est une constante dans les romans russes. J'avais eu le même souci avec Vie et destin de Vassili Grossman avec un peu le même type de récit éclaté. Certaines descriptions sont très réussies. J'ai beaucoup aimé la surprise de la vue de l'orange à la fin des chapitres de la première partie. En revanche, le langage utilisé par chaque personnage est pesant, avec parfois des expressions redondantes dans la bouche de différents narrateurs (" le disque gondolé "). J'ai l'impression de ne pas avoir appris grand-chose. Ce qui pourrait être un livre subversif ne l'est pas en fin de compte. On survole à peine la question des camps de concentration, du régime. Je trouve ça dommage car si l'auteur en avait parlé, ça n'aurait rien changé au récit.

Sabine
Quand le livre est bon, on s'y retrouve dans les noms russes. L'absence de personnalité pour les différents personnages contribue à l'échec du projet. On ne s'attache ni aux héros ni aux lieux géographiques. Le livre n'apporte rien historiquement. Y a-t-il un problème de traduction ? Le style est très plat, peut-être daté.

Brigitte
Je n'avais jamais entendu parler de ce livre ni de son auteur. Je l'ai découvert au Salon du livre (attirée par le titre et la nationalité de l'auteur). J'ai eu de problèmes avec les changements de narrateur mais à la seconde lecture c'est mieux : un vrai plaisir. C'est tonique et en même temps terrifiant : tous ces personnages qui courent vers les oranges. Les héros sont tous très solidaires entre eux.

Katell  à 
J'ai eu un peu du mal à rentrer dans le livre. Le fait que ce soit Vassili Axionov, l'illustre auteur d' Une Saga moscovite - un des livres les plus géniaux que j'ai lus -, m'a poussée à m'accrocher un peu. J'y ai retrouvé un charme soviétique absolument délicieux. Ce charme qui me fait penser par exemple au film Quand passent les cigognes, les appartements communautaires, l'amour des jeunes femmes solides, la boisson, les jeunes hommes idéalistes... C'est un joli tableau un peu léger au niveau de l'histoire. Cependant, on décèle tout le talent d'Axionov, son écriture des sentiments et des rapports humains.
François
Ce livre ne m'a pas laissé d'impressions particulières, sans la réunion et sans les oranges, je ne l'aurai pas lu en entier. Je reste sur ma faim… d'oranges. J'ai trouvé ce livre chiant en réalité. Les oranges sont un beau prétexte mais il n'y a pas d'histoires. Ce ne sont que des tranches de vie qui s'ajoutent. La liberté manque à cette jeunesse où les relations sont ponctuées par beaucoup de non-dits, les rapports sont tièdes. J'ai l'impression que tout est vu à travers un filtre gris. J'avais finalement autant envie des oranges que les personnages parce qu'il me fallait une couleur dans ce livre. Quelques couleurs apparaissent de ci de là avec le rock and roll, la vodka, le magasin qui brille de 1000 lumières (p123), autant d'artifices qui essaient de faire " passer la pilule " du héros russe. Je suis allé en URSS à cette époque là, j'avais été frappé par la tristesse permanente ; dans mon souvenir à l'époque, les choses étaient bien plus noires que ça, je n'y ai jamais vu de lumières.

Germaine
J'ai goûté avec intérêt et plaisir à la lecture de ce roman bien qu'elle m'ait été parfois ardue car déroutée par les différentes appellations d'un même personnage, j'ai dû avoir recours à un pense-bête. Ces jeunes Russes travailleurs rudes et disciplinés exilés dans une région hostile pour une " chasse au trésor ", en l'occurrence du pétrole : recherche décevante où le rêve, l'alcool, les échanges verbaux et physiques ne pallient pas au froid, à la fatigue, à la tristesse du paysage, au manque de compagnes, aux espoirs vains. Mais p. 19-20, nouvelle étonnante, incroyable dont Evdochtchouk tel un roi mage apporte la preuve : une orange brillante, lumineuse, ronde comme un sein de femme, grosse comme une tête de bébé, dont la vue provoque après l'incrédulité, l'extase " telle que personne ne l'aurait mangée ". Rondeur, fraîcheur, couleur, odeur, brillance : un petit soleil dans leur grisaille quotidienne. C'est beau ! Et de voir cette cargaison de superbes fruits aborder à Taly provoque chez Kitcheiran, le chef de travaux, un regain d'espoir de voir enfin jaillir le pétrole tant espéré. Pour sa femme Katia et quelques compagnons, c'est la course folle et difficile vers ces petits soleils dont ils ont apprécié la couleur sans en connaître le goût. Ce livre m'a rappelé qu'en 1933, un bateau avait perdu sa cargaison à Audierne. S'était alors déclenchée une véritable course à l'orange. Des oranges, à l'époque, on en mangeait très peu. Je me souviens de mon jeune fils qui ne voulait pas qu'on touche à son orange, il voulait la garder comme une balle.

Nathalie
Même retourné. J'ai eu tellement de difficultés à entrer dans cette histoire, avec notamment les noms et surnoms, que j'ai abandonné. C'est un livre qui doit être lu d'une traite, et non pas en petites lectures, comme j'ai fait. Il faut que je retrouve mon livre le soir avec plaisir, là, c'était une corvée. La seule note positive : l'orange. Ma mère me racontait qu'elle avait une orange à Noël, c'est un bon souvenir pour moi, ça me rappelle beaucoup de choses.

Michèle
Je ne suis pas allée au delà de la centième page ; après un premier arrêt, j'ai essayé de continuer, de m'accrocher mais je me suis vite sentie perdue. Ce livre est à lire d'une traite. J'hésite à le reprendre, il faudrait me donner l'envie. En revanche, la façon de penser des femmes m'a intéressée.

Nicole
Livre un quart ouvert, pour la narration et la sympathie que j'ai éprouvé pour les personnages : j'ai parfois ri malgré la grisaille, mais au fond, ce livre m'a laissée indifférente.

Yvonne
Je me suis ennuyée à la lecture de ce livre. Rien ne m'a accroché, ni ému. Le ton est monotone, comme les lieux et les personnes. Tout semble gris, lourd et triste. Aucune couleur à l'exception de celle des oranges. Ce fruit venu du sud cristallise tous les espoirs mais le bateau qui les transportait repart et l'espoir avec.

Claude
J'ai eu des difficultés avec les noms des personnages, prénoms, diminutifs et surnoms. Cela m'a obligée à des retours en arrière. J'aurai gagné à lire par grands pans. Cependant, j'ai aimé. Pour le dépaysement d'abord, un autre pays, d'autres façons de vivre. Voyage en pays rude et froid, dans une société très organisée où l'individu est tout petit. Pour l'événement ensuite, qui les concerne tous, il fait tomber les barrières. Il révèle les individus, il les rassemble, les approfondit. Les individus ne sont plus dans le travail et la routine mais dans les rapports aux autres. L'exaltation de ces moments les fait vibrer davantage. J'ai aimé leurs points de vue croisés selon ce qu'ils perçoivent, selon leur personnalité et leurs attentes. Je les ai regardés avec tendresse. J'en retiens un grand mouvement, celui qui les pousse tous vers les oranges, la beauté, le rêve avec élan, bagarres, désordres, danse, chaos. C'est plein de vitalité et de jeunesse. Cette aspiration à autre chose me semble universelle. On pourrait en faire un film.

Maryvonne
J'ai beaucoup, beaucoup aimé. C'est un livre surprenant, l'action se situant en URSS, on s'attend au pire. Or, en fait, ce sont des vécus croisés pleins de poésie et de sentiments, autour d'un événement apparemment mineur, le débarquement d'une cargaison d'oranges. C'est un livre essentiellement d'ambiance. Les personnages sont sympathiques, attendrissants, d'une totale sincérité… s'ils rêvent d'une vie meilleure, ils savent aussi agrémenter leur quotidien. La rencontre de Lucia avec le petit Boris et sa maman est un moment émouvant parmi d'autres (p.109). Il y a plein de petits moments délicieux comme celui là. Ils poétisent leur quotidien, sensibles à leur cadre de vie, au paysage. Ils discutent, échangent, rient, font de l'humour malgré les conditions de vie difficiles. Ils philosophent même " si je n'existe que pour moi-même, à quoi bon exister " (p.98). Ils vivent intensément. La Racine, dans sa communication avec son père est particulièrement émouvant. Par dessus tout çà, une camaraderie chaleureuse décrite à la fois comme une contrainte et une façon de se rassurer. Quand Victor décrit ses amis dans leur baraque, on aurait presque envie d'y être. Enfin, une faculté d'émerveillement qui les porte à faire une véritable fête autour de l'arrivée d'oranges un soir dans un port à plusieurs kilomètres de leur campement. Oranges à la fois symbole et réalité. C'est un livre qui fait une part importante au rêve, et qui réconcilie avec l'humain. Je ne connais pas l'auteur, mais aurait-il voulu positiver le communisme qu'il n'aurait pas fait mieux.

Lona
J'ai aimé les descriptions du paysage, la scène de la femme heureuse de rentrer avec son fils Boris pour se retrouver autour d'une compote, l'expédition de Katia et ses compagnons sur le side-car avec le vol plané, la critique toute nuancée de la vie collective avec des sous-entendus tout autant critiques du communisme, la description de la hiérarchisation. J'ai été frappée par l'image qui doit être véhiculée (l'image d'un jeune communiste qui doit être propre sur lui), l'ivrognerie des hommes et des femmes, et émue par les rêves des uns et des autres : Victor rêve de trouver de l'or à défaut du pétrole, Lucia envisage la possibilité de planter une orangeraie qui donnerait des oranges à tout le monde. Ils ont peu de distraction : le cinéma où ils revoient deux fois les mêmes films, le bal, les vieux journaux lus et relus, le centre commercial, l'alcool, la radio. Les portraits de chaque personnage sont intéressants. J'ai particulièrement apprécié la Racine, alcoolique et marin à quai, parfait narrateur, braconnier de castors et un peu brigand sur les bords. Raconte t-il sa vie, la vraie, ou celle de ses rêves ? Enfin, les oranges qui représentent l'énergie solaire, les vitamines, la lumière, la couleur, l'espoir.

Monique
Cinq personnages attachants, perçus dans leur monologue intérieur, qui se croisent, avec leur destin, leurs rêves, leurs phantasmes concrétisés par les oranges. Plusieurs destins se mêlent habilement. A travers eux, c'est le monde du travail communiste qui ressurgit, ses règlements, sa morale. Tout cela dans un univers de solitude, de désert glacé, cette blancheur, en contraste avec ces petits groupes d'humains chaleureux. J'ai été très intéressée et émue par cette première partie. La seconde partie du livre, après la page 150 environ, est beaucoup moins attachante. Quand ils accèdent aux oranges, on dirait que leur destin est clos.

Marité voire ouvert au quart. J'ai lu ce livre très rapidement. Je l'ai trouvé très répétitif, j'avais l'impression de lire tout le temps la même chose. C'est lourd, ennuyeux, on croirait que les gens sont enlisés dans un bourbier. Ce livre correspond un peu aux impressions que me donne la Russie, l'idée qu'on s'en fait. C'est vrai que l'orange est un beau symbole, qu'elle représente l'espoir, une ouverture mais finalement, l'orange va disparaître et les vies vont recommencer. Par contre, l'atmosphère est très bien rendue, la vie en communauté est intéressante.

Jean-Pierre
Voici un livre qui nous change des précédents, et qui pourtant, par certains côtés, reste de la même veine. De la même veine, par son exotisme et pour ce qui me concerne, l'agacement qu'il génère. A l'autre bout de la terre, à une époque pas si lointaine, dans une société tellement différente de la notre se déroulent des évènements minuscules passés au microscope. On dirait un reportage arrangé, sans souci de logique, comme si on avait laissé traîner au hasard des micros sur les trottoirs pour recueillir des bribes de conversations qui arrivent comme autant de cheveux sur la soupe, grouillant d'une foultitude de personnages qui se croisent, avec des noms à coucher dehors, et parlant à la première personne. Encore une fois donc, j'ai dû faire un effort pour aller au bout, et je pense encore une fois qu'il faudrait le lire une seconde fois (mais quel boulot), pour en dénouer tous les fils, enchevêtrés comme une pelote de laine qu'on aurait confiée au chat de la maison. Mais à la différence des autres livres de ce groupe de lecture, la nature du récit, l'authenticité truculente des personnages et la sympathie qu'ils engendrent, réussissent à créer une ambiance vraie et chaleureuse : des histoires simples de gens simples, jetés dans la tourmente de l'histoire d'un monde qui se cherche et finira par s'écrouler. Des histoires pas si éloignées de celles des pionniers américains lors de la conquête de l'Ouest et même de nos propres aïeux. Mon père, qui était né en 1911 dans un milieu ouvrier, me racontait avec quel ravissement il découvrait dans ses chaussons, les matins de noël, une orange. Était-elle du Maroc, il ne me l'a pas dit et d'ailleurs, il ne devait pas le savoir lui-même. Voilà pourquoi le livre m'a touché. N'étaient les restrictions portant sur la forme, je l'aurai ouvert en entier.

Gwen
Livre ouvert, deux fois ouvert, et que je place sur les étagères des ouvrages à relire. Décidément " Voix au chapitre " ne se trompe guère dans le choix des œuvres qui me sont proposées serai-je tentée de dire après cette deuxième participation. Certes, la tendresse que j'ai pour tout ce qui est russe (allez savoir pourquoi ?) ne me permettrait pas de lire sans à priori : certes d'Axionov j'avais aimé, il y a quelques années Une Saga moscovite, et l'ironie, la dérision avec lesquelles l'auteur s'attaquait à l'époque soviétique. Si j'ai été surprise par Les Oranges du Maroc, c'est tout d'abord parce que ce ton, qui m'était resté en mémoire, disparaissait dès le deuxième chapitre, avec la voix de Nicolas Kaltchanov… mais réapparaissait de temps à autre. Je lisais autre chose. Bizarre cette communauté composée de personnes sans attaches, actives (sauf La Racine), jeunes. Bizarre ce " no man's land " de neige, de glace, de banquise au lourd et douloureux passé qui ressurgit de temps à autre, entre deux pages : les camps de concentration. J'ai l'impression d'avoir à faire avec une société miniature, plantée dans un décor infini : des électrons libres qui se croisent et s'entrechoquent. Pittoresques et parfois burlesques. Les regards de l'auteur sur cette humanité est généreux, bienveillant. C'est aussi ce que j'aime chez Tchékhov. Chaque personnage est touchant. La nostalgie du sud, telle celle d'un paradis perdu, nous les rend proches. J'aimerais encore dire beaucoup de choses, mais le temps me presse.

Liliane
Si, comme moi, vous avez cru, qu'après toutes ces histoires de geishas, de monde flottant, de nez qui s'allonge et de couverture en héritage, vous alliez enfin pouvoir coincer la bulle, au soleil, en trempinouillant, un orteil distrait dans une mer de 25°, tout en vous en payant une tranche (d'orange bien sûr !)… c'est loupé. Déjà, la couverture desdites oranges annonçait la couleur : " Renforcez la défense ". J'ouvre ce livre à moitié parce qu'il n'a pas su garder mon intérêt jusqu'au bout. Dès que les oranges deviennent accessibles, l'histoire s'enlise comme l'avenir des protagonistes et je me suis ennuyée. Ces 5 personnages étaient pourtant sympathiques et touchants ; leurs modestes rêves et l'intérêt pour une simple orange font prendre toute la mesure de la grisaille de leur quotidien. Le livre réussit parfaitement à montrer combien le collectivisme soviétique a pu laminer les individus. Contraints à la promiscuité, ces travailleurs transférés, pour la gloire et la grandeur de la patrie, vers des lieux inhospitaliers, urbanisés pour la circonstance, s'efforcent, autant que faire se peut, de repousser l'étau du carcan soviétique. La marge est étroite pour les aventures personnelles d'où cette cristallisation excessive, d'une autre vie possible, ailleurs, sur les oranges du Maroc. J'ai aimé Kitchechian qui déclame à la lune, Lucia, qui dit " sentir plus intensément, dans ce lieu, les pulsations du travail ", la créativité de Nicolas et son amour réciproque mais impossible pour Katia. S'ajoutent aussi quelques scènes burlesques comme celle du pique-nique organisé avec vodka, foie de morue et fromage sur leur lieu de travail par La Racine et ses compères. Toute la panoplie soviétique est là (personnages, discours, us et coutumes, décors) : on en rit, mais on est vite rattrapé par une immense tristesse et le sentiment d'un énorme gâchis. Le rêve achevé, le retour à la réalité est rude. Les couples se forment plus par nécessité que par amour. Seul La Racine réalise son souhait de reprendre la mer. Les oranges auront été une parenthèse, une possibilité d'ailleurs dans la monotonie de leur vie. C'est tout de même rassurant de penser que quelle que soit la prison dans laquelle on l'enferme, rien ni personne ne peut empêcher l'homme de rêver.

Jeannine
Lire ce roman m'a enthousiasmée, je suis admirative devant le travail de l'écrivain, comme il a su centrer son récit autour de l'orange. Le fruit est même personnifié ; à un moment, j'avais l'impression qu'il parlait d'une danseuse. Cette recherche de liberté m'a intéressée. Cependant, j'ai eu des difficultés dans le repérage des personnages, j'ai été obligée de recommencer ma lecture pour comprendre. D'autre part, j'ai trouvé la deuxième partie moins intéressante : je me suis forcée à terminer le livre pour voir si la fin était optimiste.

Jessica
Je me perdais un peu au début avec tous ces personnages, importants ou pas, qui apparaissaient et disparaissaient : les noms et prénoms russes ne s'imprégnaient pas dans ma mémoire, ça a un peu perturbé ma lecture. Mais j'ai vraiment apprécié le style et la forme d'écriture : un chapitre par personnages. On croirait qu'ils sont étrangers les uns des autres, mais en réalité, ils apparaissent tous dans l'ombre de l'histoire d'un autre. Toutes ses vies, ma foi très simples, s'entrecoupent. Je me suis sentie totalement emportée dans ces récits d'une seule journée. Un fort sentiment de solidarité et de fraternité se dégage du livre, ça m'a beaucoup touchée : les jeunes femmes et jeunes hommes travaillent et vivent en communauté. Ils se racontent entièrement, ils se soutiennent. On imagine aisément comme cela a pu se passer en Russie à cette époque. Sans trop parler du contexte politique et social, c'est toute une jeunesse russe des années 60 qui se dégage de ce livre. Je n'ai jamais connu de privations alimentaires donc au départ, j'avais du mal non pas à l'imaginer mais à m'identifier à cette course à l'orange. Puis finalement, à la fin du livre, j'avais l'impression de faire la queue avec eux et je sentais presque l'odeur du fruit. C'est toute la magie de la littérature. J'ai beaucoup aimé les derniers chapitres qui se passent pendant le bal : ces deux couples qui se forment, qui se ressemblent, puis ce couple qui se sépare, et tous les autres, autour, qui gravitent. Tous les personnages principaux ont vécu une journée différente mais ils se retrouvent pour une même soirée, bercés par la même musique, comme enivrés face à cette profusion d'oranges. Le dernier chapitre est triste : cette parenthèse chaleureuse se referme avec le livre, aussi bien pour les personnages que pour les lecteurs.

Marie-Charlotte
Que dire ? Une jeunesse encadrée, lourde, un peu engluée dans ses obligations, fatiguée par la charge, des corps lourds emmitouflés. Une jeunesse qui pourtant recherche des raisons d'exister dans un discours très quotidien, une jeunesse qui essaye de rêver d'imaginer d'exister dans des perspectives qui restent à inventer. Les personnages se ressemblent (on les mélange un peu) tentent de se trouver une raison, un motif pour avancer… Et puis… cette perspective… Le débarquement des oranges du Maroc, une fin en soi, une chaleur, un ailleurs, un but commun. Tout converge alors vers ce projet ultime, le mouvement se crée un idéal commun ou une fuite commune ? Un évènement sans importance qui trouve une densité, une couleur, une chaleur en opposition avec la dureté de l'existence. Un révélateur, un espace hors du temps.


Nous écrire
Accueil | Membres | Calendrier | Nos avis | Rencontres | Sorties | Liens

Un bateau chargé d'oranges accoste dans un port des îles Kouriles, au sud du Kamtchatka, en Extrême-Orient soviétique. Cela se passe dans les années 1960 et, à deux cents kilomètres à la ronde, chacun abandonne ses occupations et se précipite. Cinq personnages se racontent et font le récit de leur course au trésor.