Novice au couvent de Mariabronn, Narcisse se distingue par son intelligence et sa culture. On lui confie Goldmund, écolier que son père destine à l'état monastique pour expier le passé tumultueux de sa mère. Narcisse s'attache à cet enfant. Il sent que sa vocation n'est pas le cloître et l'aide à choisir sa voie.
Hermannn Hesse
Narcisse et Goldmund

Nous avons lu ce livre en avril 2004.


Liliane
Après deux tentatives infructueuses dans le passé, j'ai pu lire entièrement Narcisse et Goldmund il y a trois mois. On doit avoir des moments de réceptivité ou de fermeture, dans sa vie, à propos d'un même livre, j'aimerais pouvoir analyser ça. J'ai trouvé ce roman très "germaniste", c'est-à-dire très mental, philosophique et romantique. Philosophique dans sa construction sur deux oppositions complémentaires : le sensoriel et le spirituel. Romantique, dans un sens positif avec un beau commencement sur le châtaignier et les cycles de la vie, belles descriptions des lieux, des êtres en recherche de leur destin... En moins positif, avec les délires à propos de la mère de Goldmund, avec cette sorte d'amitié virile indéfectible, l'éveilleur qui chérit sa créature parce qu'elle a cheminé comme il l'avait prévu : dans la création artistique.
Narcisse prétend que Goldmund aurait pu s'égarer dans sa quête sensorielle, mais l'aurait-il accepté ivrogne ou maquereau ? L'idéalisme de ces deux êtres d'exception donne des doutes mais rend quand même la lecture captivante à cause de cette recherche du sens de la vie. La construction du roman est curieuse, il commence par un récit du point de vue de Narcisse, puis nous suivons Goldmund et enfin nous retrouvons le point de vue de Narcisse à la fin. Comme si l'un accomplissait le rêve de l'autre, le mystique et le viveur, pour se retrouver à la fin.
Ce qui m'a plu, malgré les archétypes, c'est que la vie de Goldmund soit considérée comme aussi valable qu'une quête spirituelle, à travers ses errements, ses plaisirs faciles, ses souffrances aussi, tout comme le plus saint des moines. Et ce qui m'a plu encore, c'est que Goldmund soit considéré comme un artiste alors qu'il crée rarement et peu.
Je me suis un peu lassée vers la fin, les dernières aventures féminines et les échappées de Goldmund fuyant le monastère quand il en avait assez de sculpter ou de prier...
Malgré la raideur de certains schémas, j'ouvre le livre aux ¾ parce que j'ai été sensible aux interrogations que posent les deux personnages.
Jacqueline
Je n'accroche pas. Je l'ai lu en diagonale. Je ne comprends pas son projet. Il défend des idées, mais lesquelles ? Qu'est-ce qu'un artiste ? Cela me paraît un peu creux… C'est un jeune homme qui vit sa vie, qui rencontre plein de femmes, mais les rencontres ne sont pas sensuelles. Il me rappelle Romain Rolland, avec Jean-Christophe. D'ailleurs ils ont entretenu une correspondance. Ça ne se lit pas mal, mais pas parce que c'est bien écrit : le style est un peu trop fleuri et redondant ! Cela me paraît dater du début du siècle dernier ! C'est un roman pour défendre une idée qui n'est pas claire.
Monique
Je ne l'ai pas encore terminé mais j'ai envie de le finir. Je pense que c'est un roman que j'aurais adoré à l'adolescence. Il pose plein de questions, il essaye de proposer un système de pensée pour se débrouiller dans la vie. Ado, j'aurais adoré, mais maintenant…
Au début, le style est assez lourd avec ses références psychanalytiques. C'est un livre très romantique dans ce rapport à la nature, cette fascination de la finitude et de la mort. Il y a une attirance du morbide comme dans le René de Chateaubriand. Il se situe au Moyen Age, mais je ne crois pas à cette campagne décrite, plus dans l'opposition entre le spirituel, le philosophique et la vie sensuelle. Cela me fait penser à une peinture romane. Mais pourquoi Hermann Hesse qui vivait au début du XXe siècle en passe-t-il par là ? L'image qu'il saisit de cette femme qui donne vie et qui donne la mort, je ne vois pas trop ce qu'il veut en faire. Je n'aime pas non plus cette dichotomie nette et claire entre les choses et les hommes, sa façon de prendre des êtres humains pour deux êtres supérieurs… J'ai été très intéressée par ce qu'il dit sur l'art puis comment Goldmund s'en détourne. La psychologie est un peu lourde : par exemple, l'image de la mère à la fois sainte et putain. J'ai été gênée par le style beaucoup trop explicatif. Et puis, il y a des choses avec lesquelles je ne marche pas : ses conquêtes, sa vision de la femme qui est discutable. Il y a cependant des moments très beaux : le châtaignier, la statue de Saint-Jean, les détritus dans la rivière. Je ne sais pas comment le livre va se finir…
Brigitte
J'avais lu Gertrude de Hermann Hesse et c'est un peu le même thème. Pour moi, ce n'est pas un roman, c'est une allégorie. Déjà par le nom des personnages : Narcisse (celui qui se regarde) et Goldmund (la Bouche d'or)…. C'est une manière de ne pas faire un essai qui serait trop ennuyeux sur le thème : qu'est-ce qu'une œuvre d'art ? Borges dit : "Elle est toujours prête à se révéler et se dérobe dès qu'on s'en saisit."
Hermann Hesse essaye d'une manière moins théorique de faire un traité sur l'esthétique : une œuvre d'art, c'est quelque chose qui est beau au cours des siècles, qui transcende la temps. C'est ce que Narcisse voit en Goldmund, il lui apporte cette énorme ouverture. Pour moi, c'est l'objet de ce livre. Et aussi, la recherche la vie durant de l'image de sa mère. C'est étonnant cette même image : le visage de l'accouchée et celui de la femme dans la volupté.
Goldmund tue un homme, Victor ; toutes les choses qu'il vit, toutes ces expériences nourrissent ses sculptures. Cela m'a beaucoup intéressée, cette beauté, l'aspect diaphane de l'eau, la peste. Mais à la fin, c'est un peu lassant. Cela fait un peu catalogue de toutes les expériences extrêmes et possibles de vie au Moyen Age. Chose intéressant et rare dans les romans, le personnage de Goldmund se transforme physiquement au cours du roman. Il passe du petit blond enthousiaste à l'homme amaigri marqué par les épreuves. Les événements de sa vie le font évoluer. C'est une des choses les mieux réussies.
Françoise
Je vais être assez brève. Je n'ai pas terminé et je n'en ai pas l'intention. C'est de la philosophie à "deux balles", soit c'est trop, soit c'est pas assez. C'est super concentré : l'art la femme, la vie, la mort. La moitié du roman suffirait. C'est lourd, il explique et ré-explique. Effectivement, le châtaignier, les paysages, c'est joli. Mais Goldmund n'est pas un personnage sympathique. Il ne pense qu'à s'envoyer en l'air : je ne l'ai pas suivi dans ses aventures. Pas plus que je n'adhère à la figure de la femme : maman et putain, Marie et Marie-Madeleine. Je n'ai pas très bien vu ce qu'il voulait nous montrer. Je n'accroche pas à ces trucs "philosophico-prétentieux". Goldmund est uniquement guidé par ses sens. C'est extrêmement répétitif. Cela me paraît daté, dépassé et l'écriture n'aide pas. Cela fait Moyen Age de pacotille. J'ai essayé de voir les anachronismes. Est-ce qu'on tricotait au Moyen Age ?

(Réponse de Claire après recherche)
Je vous confirme qu'on tricotait au Moyen Age et bien avant... : voir l'histoire du tricot.
Claire
Je l'ai lu il y a 25 ans et ce fut une grande rencontre. Je me suis demandée pourquoi. Est-ce la vision claire structurante du monde, le côté "routard" des aventures de Goldmund qui m'avaient séduite ? J'ai aussi lu Le Loup des Steppes, que j'ai beaucoup aimé, puis Siddharta : une catastrophe ! Cette philosophie à deux sous ! Ce fut la fin de mon intérêt pour Hermann Hesse.
Dès le début, cette façon de parler de leur "liaison", c'est un peu cucul, une harlequinerie de monastère : qu'il le saute et qu'on n'en parle plus ! Assez vite, j'ai sauté des pages. Mais je me suis rendu compte qu'il y avait quand même pas mal de rebondissements et qu'il se passait tout le temps des choses. Je reconnais un art du récit.
Le projet me paraît extrêmement clair : il y a deux tendances contrastées qui existent chez les hommes. Et il les fait vivre dans ses deux personnages et devant nous. C'est un projet intéressant, mais malheureusement, ces tendances sont trop stéréotypées. Si au moins ce n'était pas formulé comme ça : "Vous êtes, par votre origine, du côté de la mère. Vous vivez dans la plénitude de l'être. La force de l'amour, la capacité de vivre intensément les choses est votre lot. Nous autres, hommes d'intellect, bien que nous ayons l'air souvent de vous diriger et de vous gouverner, nous ne vivons pas dans l'intégrité de l'être, nous vivons dans les abstractions. A vous la plénitude de la vie, le suc des fruits, à vous le jardin de l'amour, le beau pays de l'art. Vous êtes chez vous sur terre, nous dans le monde des idées. Vous courrez le risque de sombrer dans la sensualité, nous d'étouffer dans le vide. Tu es artiste, je suis penseur. Tu dors sur le cœur d'une mère, je veille dans le désert. etc." (p. 57) On est archi guidé pour la suite !
Les différents aspects du thème se déclinent en cucuteries à la P. Coelho… : "Je crois, dit-il, qu'un pétale de fleur ou un vermisseau sur le chemin contient et révèle beaucoup plus de choses que tous les livres de la bibliothèque." (p. 78) Le vermisseau est moins pire que la Mère qu'on doit se tartiner régulièrement : "Une chose pourtant demeurait : la Mère éternelle, vieille comme le monde et éternellement jeune, avec son sourire d'amour, triste et cruel. De nouveau, il la vit quelques instants, géante, des étoiles dans les cheveux, assise rêveusement au bord du monde ; d'un geste absent, elle cueillait de sa main fleur après fleur, vie après vie, pour les laisser lentement tomber dans l'espace infini." (p. 232)
Si au moins l'auteur se rattrapait dans les scènes amoureuses : "Goldmund, lui murmura-t-elle, ardente, oh ! quel enchanteur tu fais ! De toi, doux poisson d'or, je voudrais avoir un enfant. Et plus encore, j'aimerais mourir de toi. Épuise ma coupe, bien-aimé, consume-moi, tue-moi !" (p. 297) Quelle cata !
Au cas où on n'aurait pas compris, les récapitulatifs ne nous sont pas épargnés : "A ce moment, il sembla à Goldmund que sa vie avait pris un sens, comme si, la considérant de haut, il en distinguait nettement les trois grandes étapes : sa soumission à Narcisse et son affranchissement - l'époque de la liberté et du vagabondage - le retour au gîte, le retour sur soi-même et jusqu'aux profondeurs de l'âme, le commencement de la maturité et de la moisson." (p. 333)
C'est de la bimbeloterie spirituelle, un beau projet servi par une écriture sirupeuse…

Katell
J'ai lu ce livre il y a deux ans, conseillée par quelqu'un qui ne lisait jamais. J'ai adoré. La dichotomie entre l'art et la vie libre dans la forêt, les multiples liaisons. La description du châtaignier des premières pages m'avait bluffée. Bref, à une période un peu instable, je retrouvais dans ce livre mes émois d'adolescente, quelques recettes pour mieux vivre. Il fallait que je le reprenne et… en feuilletant des pages, le style lourd m'a sauté aux yeux. Je me suis aperçue que je n'avais pas du tout envie de le relire. Et je me marre aux citations soigneusement choisies par Claire...
Manuel
J'ai fini de lire Narcisse et Goldmund bien après les autres participants du groupe lecture. Ma lecture a parfois été hésitante : continuer ou laisser tomber… Et j'en suis venu à bout. Les grande œuvres se méritent je crois. La première partie peut rebuter. Le portrait des femmes n'est pas des plus élogieux et le style est emphatique. Parfois la psychologie peut paraître niaise (la figure de la mère). Mais Hermann Hesse dans ses envolées est un écrivain exceptionnel qui trouve les mots justes dans les descriptions de la nature, les tourments et les contradictions de Goldmund. La seconde partie du roman est une vraie réussite avec ses retournements de situations ! Le livre est paru en 1943, comment ne pas voir d'analogie entre la "peste noire" et les évènements qui se déroulaient à cette époque. Narcisse et Goldmund est un livre politique, une charge contre les injustices d'un monde "mal fait". Ce qui également remarquable, c'est qu'il n'y pas un moment dans le livre où il ne se passe pas quelque chose. Je ne raconterai pas la fin, mais elle est bouleversante… Merci à Katell de nous avoir proposé ce livre.

 

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