Préface à La Cloche de détresse de Rachida Brakni 
éd. Denoël, 1972, puis 2014


La cloche de détresse. Cette foutue cloche de verre sous laquelle Esther se retrouve prisonnière. Prisonnière des autres, mais aussi d'elle-même.

"Détachée de moi-même, je me voyais assise dans le passage, entourée de deux murs blancs de planches, d'un faux buisson d'oranger, d'un bouquet de bouleaux et d'une haie ; jetais aussi petite qu'une poupée dans une maison de poupée."

Esther pose un couvercle sur sa propre nature, sur son essence. Elle applique le vernis de la jeune fille parfaite telle que les autres la fantasment. Elle-même se convainc d'y croire, mais le vernis se craquelle... On ne peut contraindre indéfiniment la nature. Une poupée sous une cloche de verre. Un espace restreint pour une jeune fille pleine d'aspirations, de désirs.
Esther Greenwood et Sylvia Plath : une même et unique personne. Une façon pour l'auteur de mettre de la distance. Ou bien peut-être est-ce une forme de pudeur ? Car c'est bien d'elle qu'il s'agit: une jeune femme brillante, une personnalité hors du commun, contrainte de jouer un rôle secondaire avec pour seul horizon l'apprentissage de la sténo. La cloche de verre est aussi la métaphore de la société américaine des années cinquante. Une société qui ne laisse guère de place aux femmes pour s'épanouir, s'affirmer intellectuellement et professionnellement.

"Je voyais les années de ma vie jalonner une route comme des poteaux télégraphiques reliés les uns aux autres par des fils. (...) Les fils dansaient dans le vide."

La cloche de verre est avant tout une prison mentale. Le réceptacle de toutes les angoisses et de toutes les peurs d'Esther. À quoi bon hurler ? Personne ne l'entendrait. Elle se débat contre ses propres démons, elle lutte pour ne pas sombrer dans la folie avec une conscience et une lucidité aiguës. Son unique échappatoire à sa condition, la mort. Même lorsqu'elle égrène les différentes façons de mettre un terme à sa vie, elle le fait avec un humour irrésistible. Chez Sylvia Plath, le pathos n'existe pas. Elle est trop fière, trop élégante pour jouer cette corde-là.

Pendant sa rémission, elle dira, avant que la cloche de détresse ne s'abatte définitivement sur elle : "La cloche de verre était suspendue au-dessus de ma tête. J'étais la proie du souffle d'air."

Esther a le visage de Sylvia Plath, mais aussi celui de Virginia Woolf, d'Emily Dickinson, d'Emily Brontë, de Katherine Mansfield et de tant d'autres. Des femmes au talent immense, enfermées dans un carcan. Elles ont malgré tout, chacune à leur manière, réussi à faire entendre leur voix, parfois au prix de leur vie.

Rachida Brakni

 

Lirelles a programmé La cloche de détresse en mai 2021 : http://www.lirelles/plath.htm