L'avis de Joëlle L

à la lecture de Dans la maison rêvée de Carmen Maria Machado


L'autre jour à la radio, j'ai entendu quelqu'un dire en parlant d'un livre : "il s'agit de désarticuler la question de la forme et la question du fond".
Pour moi c'est exactement ça. J'ai lu un livre séduisant, sur un sujet désagréable.
Ce n'est pas un livre-témoignage de plus, c'est une œuvre littéraire. La littérature qu'il y a dedans me plaît beaucoup.

Évidemment, il y a le côté exercice de style, mais aussi des images que je trouve très évocatrices. Exemples :

"Contempler le ciel qui s'abat gaiement sur la terre, comme deux frères qui se roueraient de coups" (à la manière d'un idiome)

"C'est l'été à New York et la chaleur est comme une bête clouée au sol" (à la manière d'un very bad trip).

Et puis ça ne manque pas d'humour :

"C'était l'automne, feuilles et épines tombaient tous les jours au sol ; je n'arrêtais pas d'extirper des saletés de mon soutien-gorge" (à la manière d'une cabane dans les bois).

On trouve aussi un métadiscours :

"raconter une histoire d'une seule façon, c'est prendre le risque de passer à côté de l'essence même des histoires" (à la manière d'un exercice de style).

J'ai été très impressionnée par les distances parcourues, j'ai tenté de reconstituer les trajets, mais j'ai vite renoncé. Elle passe son temps au volant, elle abat les kilomètres, nuit et jour. Ça m'épuisait.

Après j'ai moins aimé certains aspects très américains, difficiles à partager, les nombreuses citations, références, très universitaires et les personnages (dans l'ensemble des lesbiennes américaines) très nombreux et juste évoqués. Il aurait fallu lire le livre en consultant internet, et là il n'y a plus vraiment le plaisir de la lecture.

J'ai quand même tenté de comprendre le système des notes qui renvoient à un mystérieux S. Thompson Motif Index. Sur internet j'ai trouvé que c'était en rapport avec Vladimir Propp (Morphologie du conte) et Claude Lévi-Strauss.

Pour finir, un regret : qu'elle n'analyse pas davantage les raisons de sa soumission. Pendant un bon moment, c'est une puissante histoire sexuelle, OK. Mais à la fin de leur histoire qui est devenue de plus en plus en violente, elle écrit qu'elle n'arrive plus à se sentir présente dans les moments de sexe et là, je ne comprends pas ce qui la retient et elle ne m'aide pas à le comprendre.

 

Lirelles a programmé Dans la maison rêvée de Carmen Maria Machado en décembre 2021