LA MOUCHE

La nuit qui a suivi l’annonce de ma libération, impossible de dormir. J’avais beau avoir rêvé de ce moment, la réalité m’emplissait d’un mélange de terreur et d’euphorie. J’ai remercié mon dieu minuscule.

Une fois, pendant que j’étais à l’isolement, assise sur mon lit dans un état d’absence, un tout petit esprit m’avait rendu visite – en ojibwé, « insecte » se dit manidoons, petit esprit. Une mouche irisée s’était posée sur mon poignet. Je n’avais pas bougé, me contentant de la regarder caresser son bijou de carapace avec des pattes qui auraient pu être des cils. Plus tard, j’ai fait mes recherches. Ce n’était qu’une mouche verte, Lucilia sericata, mais, à l’époque, elle représentait tout ce je pensais ne plus jamais connaître : l’extraordinaire beauté ordinaire, l’extase, la surprise. Le lendemain, elle avait disparu. Je me suis dit qu’elle était retournée aux poubelles et aux carcasses. Mais non. Elle était écrasée sur la paume de ma main. Je l’avais tuée dans mon sommeil. J’étais foutue. Le cliché cruel dans lequel je vivais m’avait ôté le sens de l’ironie, mais tout ce qui vient perturber le désespoir de la routine est comme un signe radieux. Ce petit esprit avait été le présage qu’un jour je serais libre – j’en resterais convaincue des semaines durant. Et je l’avais tué.

Louise Erdrich, La Sentence
Albin Michel, 2023,  p. 39


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