PRÉFACE de Céline Minard
éd. de l'Ogre, coll. Silène, 2025

Il n'y a pas d'introduction à la joie. Elle nous tombe dessus, elle nous envahit, elle attrape et ravage sans prévenir. Il n'y a pas moyen de s'y préparer.
Les aventures de China Iron commencent en plein désert, dans la gloire d'un jeune chien pour qui tout est beau, et finissent, ou perdurent, au cœur d'une société recomposée, posée sur radeaux. Si aucune introduction n'est nécessaire, c'est que la joie éprouvée est une évidence.

Vous venez, lecteurice, d'ouvrir un livre d'amour, un livre amoureux plein de fougue, un livre du désir et de la métamorphose continuelle, un livre sexuel, un livre sensuel, qui vous retournera comme il retourne ses personnages les uns après les autres, pour peu que vous ne refusiez pas d'être exposé à la joie.

Les aventures de China Iron sont l'histoire d'une renaissance, la réinvention d'une nation, l'histoire d'un combat pour sortir des miséreuses ténèbres, ou d'un prétendu destin, l'histoire d'un voyage. La Pampa, le temps, les identités, les genres, rien n'est figé dans ce roman de l'ébullition permanente et sûrement pas l'usage des langues.
Il y en a d'emblée deux, le castillan et l'anglais. La narratrice, si peu nommée (China signifie l'indienne), est une femme de 14 ans, mère de deux enfants, abandonnée par son mari violent, et rien de ce passé ne la définit vraiment. Elle a été élevée par une Noire très cruelle, elle est blanche, on l'appelle China, voilà de quoi brouiller les pistes. Elle va raconter le périple comme elle le vit, souvenirs et apprentissages mêlés, avec les bouts de langue qu'elle apprend, le monde qu'elle découvre, la culture qui lui vient. Et d'abord, son chien, jeune et joyeux, puis la rencontre avec l'Anglaise qui la renomme, la lave, la vêt, l'installe dans sa charrette et finalement l'entraine dans sa quête.
Liz, l'Anglaise, est aux trousses de son mari et d'une terre qui leur appartient. Le voyage va être long, beau, horizontal, semé de fleurs éruptives et de violentes embûches. Il va convoquer la figure mythique du gaucho en la personne de Rosario, vite abrégé en Rosa, le doux, le tueur.
Puis celle de Fierro, mari salaud de la China, heureusement enrôlé contre son gré au début du livre, et celle d'Hernandez, patron d'estancia grand buveur et faiseur de civilisation. Après le désert ce sera le Fortin, et après le Fortin, le fleuve, la vie même.
Gabriela Cabezón Cámara inverse routes les charges. Elle se saisit du Martin Fierro d'Hernandez, œuvre fondatrice, élevée au titre de roman national par Lugones, Bioy Casares et Borges, et elle en fait des loques, son miel, son jouet. Le macho renversant se transforme en pédale éperdue, Hernandez s'écrase dans son assiette et se fait dérober ses hommes au terme d'une orgie digne de l'Antique. L'arroseur est arrosé. Le voleur volé. Le colon ensauvagé ou abandonné.
La pampa est un désert, mais aussi une inondation. Le fleuve est une mer dont les berges apparaissent et s'effacent perpétuellement, sur laquelle il convient de s'installer et de vivre.
La renaissance de China Iron est faite d'enveloppements, la laine, le partum, les bras, les épices, l'amour, la langue de l'Anglaise, l'entourent comme autant d'étoffes légères et la mettent littéralement au monde, à l'intérieur du monde.
De la même façon, les deux femmes et le chien Estreva, vont rassembler autour d'elles de quoi faire société proprement indienne, c'est à-dire libre, enfoncée dans la nature changeante, accordée aux gonflements des eaux et des champignons, au meuglement des vaches. Une société discrète. Pas secrète, discrète. Ouverte à toutes celleux qui pourraient les rejoindre et s'amalgamer - dans la joie.
Et c'est tout ce que je vous souhaite !



› Retour à la page Gabriela Cabezón Cámara
de Lirelles