Georges Perec, dans Penser/Classer
mentionne plusieurs fois Sei Shônagon

Penser/Classer
Hachette, coll. Textes du XXe siècle, 1985
(livre en ligne =>ici)
rééd. Points Essais Penser/Classer

P. 165 Perec consacre un paragraphe à mettre de l'ordre
H) Sei Shônagon
Sei Shônagon ne classe pas ; elle énumère et recommence. Un thème provoque une liste, de simples énoncés ou d'anecdotes. Plus loin, un thème presque identique produira une autre liste, et ainsi de suite ; on aboutit ainsi à des séries que l'on peut regrouper ; par exemple les « choses » émouvantes (choses qui font battre le cœur, choses que l'on entend parfois avec plus d'émotion qu'à l'ordinaire, choses qui émeuvent profondément) ou bien, dans la série des « choses » désagréables :
Choses désolantes
Choses détestables
Choses contrariantes
Choses gênantes
Choses pénibles
Choses qui remplissent d'angoisse
Choses qui paraissent affligeantes
Choses désagréables
Choses désagréables à voir
Un chien qui aboie pendant le jour, une chambre d'accouchement où le bébé est mort, un brasier sans feu, un conducteur qui déteste son bœuf, font partie des choses désolantes ; dans les choses détestables, on trouve : un bébé qui crie juste au moment où l'on voudrait écouter quelque chose, des corbeaux qui s'assemblent et croassent en se croisant dans leur vol, et des chiens qui hurlent longtemps, longtemps, à l'unisson, sur un ton montant ; dans les choses qui paraissent affligeantes : la nourrice d'un bébé qui pleure la nuit ; dans les choses désagréables à voir : la voiture d'un haut dignitaire, dont les rideaux intérieurs paraissent sales. 

P. 56-57, Perec rassemble des extraits sur les vêtements éparpillés dans le livre Notes de chevet

Ça ne sert pas à grand-chose d’être ou de vouloir être contre la mode. Tout ce que l’on peut vouloir, peut-être, c’est être à côté, en un lieu où les exclusions imposées par le fait même de la mode (à la mode/démodé) cesseraient d’être pertinentes.
Cela pourrait se passer dans la simple attention portée à un habit, à une couleur, à un geste, dans le seul plaisir d’un goût partagé, dans la sérénité secrète d’une coutume, d’une histoire, d’une existence.
Ainsi :

11 Les « Notes de chevet »

Vêtements de dessous
En hiver c’est la couleur « azalée » que je préfère.
J’aime aussi les habits de soie brillante et les vêtements dont l’endroit est blanc et l’envers rouge sombre.
En été, j’aime le violet, le blanc.

Montures d’éventail
Avec un papier vert-jaune j’aime une monture rouge.
Avec un papier violet-pourpre, une monture verte.

Manteaux de femmes
J’aime les couleurs claires. La couleur de la vigne, le vert tendre, la teinte « cerisier », la nuance « prunier rouge », toutes les couleurs claires sont jolies.

Manteaux chinois
J’aime le rouge, la couleur « glycine ». En été, je préfère le violet ; en automne, la teinte « lande desséchée ».

Jupes d’apparat
J’aime les jupes sur lesquelles sont dessinés les coraux de la mer. Les jupes de dessus.

Vestes
Au printemps, j’aime la nuance « azalée », la teinte « cerisier ». En été, j’aime les vestes « vert et feuille morte », ou « feuille morte ».

Tissus

J’aime les étoffes violet-pourpre, les blanches, celles où l’on a tissé des feuilles de chêne dentelées sur un fond vert tendre. Les tissus couleur de prunier rouge sont jolis aussi, mais on en voit tant que j’en suis fatiguée, plus que de toute autre chose.
(Sei Shônagon, Notes de chevet, Paris, Gallimard, 1966.)

P. 164, Perec introduit un sommaire. Les titres en question porteront des lettres qui ne seront pas dans l'ordre alphabétique

A) Méthodes - N) Questions - S) Exercices de vocabulaire - U) Le monde comme puzzle - R) Utopies - E) Vingt Mille Lieues sous les mers -L) Raison et pensée - I) Les Esquimaux - G) L’Exposition Universelle - T) L’alphabet - C) Les classifications - O) Les hiérarchies - P) Comment je classe - F) Borges et les Chinois - H) Sei Shônagon - V) Les joies ineffables de l’énumération - M) Le Livre des records - X) Bassesse et infériorité - Q) Le dictionnaire - B) Jean Tardieu - J) Comment je pense - K) Des aphorismes - W) « Dans un réseau de lignes entrecroisées » - Y) Divers

P. 173

J) Comment je pense
Comment je pense quand je pense ? Comment je pense quand je ne pense pas ? En cet instant même, comment je pense quand je pense à comment je pense quand je pense ?
« Penser/classer », par exemple, me fait penser à « passer/clamser », ou bien à « clapet sensé » ou encore à « quand c’est placé ». Est-ce que cela s’appelle « penser » ?
Il me vient rarement des pensées sur l’infiniment petit ou sur le nez de Cléopâtre, sur les trous du gruyère ou sur les sources nietzschéennes de Maurice Leblanc et de Joe Shuster ; c’est beaucoup plus de l’ordre du griffonnage, du pense-bête, du lieu commun.
Mais, tout de même, comment, « pensant » (réfléchissant ?) à ce travail (« PENSER/CLASSER »), en suis-je venu à « penser » au jeu de morpion, à Leacock, à Jules Verne, aux Esquimaux, à l’Exposition de 1900, aux noms que les rues ont à Londres, aux igames, à Sei Shônagon, au Dimanche de la vie, à Anthémius et à Vitruve ? La réponse à ces questions est parfois évidente et parfois totalement obscure : il faudrait parler de tâtonnements, de flair, de soupçon, de hasard, de rencontres fortuites ou provoquées ou fortuitement provoquées :
méandres au milieu des mots ; je ne pense pas mais je cherche mes mots : dans le tas, il doit bien y en avoir un qui va venir préciser ce flottement, cette hésitation, cette agitation qui, plus tard, « voudra dire quelque chose ».
C’est aussi, et surtout, affaire de montage, de distorsion, de contorsion, de détours, de miroir, voire de formule, comme le paragraphe suivant voudrait le démontrer.


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