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Georges
Perec, dans Penser/Classer
mentionne plusieurs fois Sei Shônagon
P.
165
Perec consacre un paragraphe à mettre de l'ordre
H) Sei Shônagon
Sei Shônagon ne classe pas ; elle énumère et recommence.
Un thème provoque une liste, de simples énoncés ou
d'anecdotes. Plus loin, un thème presque identique produira une
autre liste, et ainsi de suite ; on aboutit ainsi à des séries
que l'on peut regrouper ; par exemple les « choses » émouvantes
(choses qui font battre le cur, choses que l'on entend parfois avec
plus d'émotion qu'à l'ordinaire, choses qui émeuvent
profondément) ou bien, dans la série des « choses
» désagréables :
Choses désolantes
Choses détestables
Choses contrariantes
Choses gênantes
Choses pénibles
Choses qui remplissent d'angoisse
Choses qui paraissent affligeantes
Choses désagréables
Choses désagréables à voir
Un chien qui aboie pendant le jour, une chambre d'accouchement où
le bébé est mort, un brasier sans feu, un conducteur qui
déteste son buf, font partie des choses désolantes
; dans les choses détestables, on trouve : un bébé
qui crie juste au moment où l'on voudrait écouter quelque
chose, des corbeaux qui s'assemblent et croassent en se croisant dans
leur vol, et des chiens qui hurlent longtemps, longtemps, à l'unisson,
sur un ton montant ; dans les choses qui paraissent affligeantes : la
nourrice d'un bébé qui pleure la nuit ; dans les choses
désagréables à voir : la voiture d'un haut dignitaire,
dont les rideaux intérieurs paraissent sales.
P.
56-57, Perec rassemble des extraits sur les vêtements éparpillés
dans le livre Notes de chevet
Ça
ne sert pas à grand-chose dêtre ou de vouloir être
contre la mode. Tout ce que lon peut vouloir, peut-être, cest
être à côté, en un lieu où les exclusions
imposées par le fait même de la mode (à la mode/démodé)
cesseraient dêtre pertinentes.
Cela pourrait se passer dans la simple attention portée à
un habit, à une couleur, à un geste, dans le seul plaisir
dun goût partagé, dans la sérénité
secrète dune coutume, dune histoire, dune existence.
Ainsi :
11 Les
« Notes de chevet »
Vêtements de dessous
En hiver cest la couleur « azalée »
que je préfère.
Jaime aussi les habits de soie brillante et les vêtements
dont lendroit est blanc et lenvers rouge sombre.
En été, jaime le violet, le blanc.
Montures déventail
Avec un papier vert-jaune jaime une monture rouge.
Avec un papier violet-pourpre, une monture verte.
Manteaux de femmes
Jaime les couleurs claires. La couleur de la vigne, le vert tendre,
la teinte « cerisier », la nuance « prunier
rouge », toutes les couleurs claires sont jolies.
Manteaux chinois
Jaime le rouge, la couleur « glycine ». En
été, je préfère le violet ; en automne,
la teinte « lande desséchée ».
Jupes dapparat
Jaime les jupes sur lesquelles sont dessinés les coraux de
la mer. Les jupes de dessus.
Vestes
Au printemps, jaime la nuance « azalée »,
la teinte « cerisier ». En été, jaime
les vestes « vert et feuille morte », ou « feuille
morte ».
Tissus
Jaime les étoffes violet-pourpre, les blanches, celles où
lon a tissé des feuilles de chêne dentelées
sur un fond vert tendre. Les tissus couleur de prunier rouge sont jolis
aussi, mais on en voit tant que jen suis fatiguée, plus que
de toute autre chose.
(Sei Shônagon, Notes de chevet,
Paris, Gallimard, 1966.)
P.
164, Perec introduit un sommaire. Les titres en question porteront des
lettres qui ne seront pas dans l'ordre alphabétique
A) Méthodes
- N) Questions - S) Exercices de vocabulaire - U) Le monde comme
puzzle - R) Utopies - E) Vingt Mille Lieues sous les mers -L) Raison et
pensée - I) Les Esquimaux - G) LExposition Universelle
- T) Lalphabet - C) Les classifications - O) Les hiérarchies
- P) Comment je classe - F) Borges et les Chinois - H) Sei
Shônagon - V) Les joies ineffables de lénumération
- M) Le Livre des records - X) Bassesse et infériorité -
Q) Le dictionnaire - B) Jean Tardieu - J) Comment je pense - K) Des aphorismes
- W) « Dans un réseau de lignes entrecroisées »
- Y) Divers
P.
173
J) Comment
je pense
Comment je pense quand je pense ? Comment je pense quand je ne pense
pas ? En cet instant même, comment je pense quand je pense
à comment je pense quand je pense ?
« Penser/classer », par exemple, me fait penser
à « passer/clamser », ou bien à « clapet
sensé » ou encore à « quand cest
placé ». Est-ce que cela sappelle « penser » ?
Il me vient rarement des pensées sur linfiniment petit ou
sur le nez de Cléopâtre, sur les trous du gruyère
ou sur les sources nietzschéennes de Maurice Leblanc et de Joe
Shuster ; cest beaucoup plus de lordre du griffonnage,
du pense-bête, du lieu commun.
Mais, tout de même, comment, « pensant » (réfléchissant ?)
à ce travail (« PENSER/CLASSER »), en suis-je
venu à « penser » au jeu de morpion, à
Leacock, à Jules Verne, aux Esquimaux, à lExposition
de 1900, aux noms que les rues ont à Londres, aux igames, à
Sei Shônagon, au Dimanche de la vie, à Anthémius
et à Vitruve ? La réponse à ces questions est
parfois évidente et parfois totalement obscure : il faudrait
parler de tâtonnements, de flair, de soupçon, de hasard,
de rencontres fortuites ou provoquées ou fortuitement provoquées :
méandres au milieu des mots ; je ne pense pas mais je cherche
mes mots : dans le tas, il doit bien y en avoir un qui va venir préciser
ce flottement, cette hésitation, cette agitation qui, plus tard,
« voudra dire quelque chose ».
Cest aussi, et surtout, affaire de montage, de distorsion, de contorsion,
de détours, de miroir, voire de formule, comme le paragraphe suivant
voudrait le démontrer.
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