Le
paternoster, dans Changement
de décor
À bien y réfléchir, il nétait pas vraiment surprenant que ce déménagement ait provoqué tant de récriminations amères de la part des membres du département danglais ; mais il y avait un détail du nouveau bâtiment qui, aux yeux de Morris du moins, rachetait le tout. Cétait une sorte dascenseur quil navait encore jamais vu, bizarrement nommé un paternoster, et qui consistait en une chaîne sans fin de compartiments ouverts qui montaient et descendaient le long de deux cages. Le mouvement était plus lent, bien sûr, que celui dun ascenseur normal, car la chaîne ne sarrêtait jamais et il fallait le prendre en marche, mais ce système supprimait toute attente ennuyeuse. Et, par le fait même, cette manuvre banale et quotidienne prenait une sorte de dimension dramatique existentielle, car il fallait calculer son geste avec beaucoup de finesse et de sérieux lorsquon voulait entrer ou sortir du compartiment mobile. À dire vrai, le paternoster constituait pour les personnes âgées et les infirmes un formidable défi, et la plupart préféraient peiner le long de lescalier. Il fallait reconnaître que la notice affichée à côté du signal dalarme rouge à chaque étage ninspirait aucune confiance : « En cas durgence, rabaissez le levier rouge. Nessayez pas de porter secours aux personnes prises dans le paternoster ou dans ses rouages. Le personnel dentretien viendra soccuper du problème dès quil en aura le temps. » Plus tard, on allait installer aussi un ascenseur plus conventionnel, mais il nétait pas encore en service. Morris ne sen plaignait pas : il adorait le paternoster. Peut-être retrouvait-il là les joies de son enfance lorsquil samusait sur les chevaux de bois et autres manèges de foires ; mais il trouvait aussi que cétait une machine dune grande poésie, surtout quand on faisait un tour complet, disparaissant dans lobscurité en haut ou en bas, pour remonter ou redescendre vers la lumière en un mouvement perpétuel qui symbolisait parfaitement tous les systèmes et toutes les cosmologies fondés sur le principe de léternel retour, les mythes liés au cycle végétal, les archétypes de mort et de renaissance, les théories cycliques de lhistoire, la métempsychose et la théorie des modes littéraires proposée par Northrop Frye. => Retour à la page David Lodge |