Conversation entre Witold Gombrowicz et François Bondy


F.B. - Vous vous êtes servi de la forme de l'opérette. L'adoption de "mauvaises formes", la parodie ne sont-elles pas présentes en permanence dans vos romans et vos nouvelles ?

W.G. - Tous mes romans sont des parodies de certaines formes, parfois spécifiquement polonaises, du roman passe-temps. Dans Cosmos, les thèmes du monument de notre littérature nationale, du Pan Tadeusz de Mickiewicz, sont présents d'étrange manière. La forme ne doit pas être adéquate au contenu, mais au contraire impropre ; car c'est justement ainsi que se montrent toutes les autres incongruités et qu'on obtient cette distance nécessaire envers la forme, envers toute tradition et culture. Car l'homme doit être maître des formes qu'il adopte et non esclave de celles-ci. Tout ce que j'écris est en rapport avec ce problème de la forme.

F.B. - C'est bien dans le roman Cosmos que ceci ressort le plus clairement ?

W.G. - Oui. A partir de fissures dans le plafond qu'il voit comme des flèches, et de fantaisies semblables, mon conteur "Gombrowicz" se met l'esprit en forme ; et il en résulte d'étranges choses. A la fin tout cela est comme sans objectivité et effacé. Mais ce roman non plus n'a pas été écrit comme illustration d'une thèse. Une situation s'est imposée à moi ; il en a résulté une scène à laquelle d'autres se sont ajoutées. Ultérieurement j'essaie alors d'interpréter. Nous nous créons sans cesse des structures, dans la vie comme dans la littérature. Notre rapport à ces structures créées par nous est dramatique. Mais on comprend encore peu ce drame de la forme, cette chose si terrible et effroyable !

F.B. - Pour vous, toute forme qui, d'une manière quelconque, vient d'en haut est quelque chose d'imposé ; tout comme Yvonne est assassinée "d'en haut" par le roi. Toutes les valeurs et beautés nouvelles viennent d'en bas. Rejetez-vous toute idée venue d'en haut ?

W.G. - Mon point de vue est moderne et athée, plein de méfiance envers toute idéologie. Dieu comme idée venant d'en haut est une représentation dont je ne sais que faire. Je ne m'en suis jamais servi, même pas cinq minutes.

Extrait de "Conversation entre Witold Gombrowicz et François Bondy"
Cahiers de L'Herne, Gombrowicz,
dir. Constantin Jelenski et Dominique de Roux, 1971

 

 


Quand Voix au chapitre lit Gombrowicz : http://www.voixauchapitre.com/archives/2019/gombrowicz.htm